Quatuor BRAC : Hall des Chars (Blumlein, 2014)
Après Instants Chavirés, le Quatuor BRAC fait paraître Hall des Chars, concert enregistré le 13 mai 2014 à Strasbourg. Serait-ce le début d’une habitude – concert donné en un endroit dont un disque portera le nom –pour cette formation de cordes qui, depuis 2009, fait de chaque nouvelle rencontre l’occasion de poursuivre une « discussion » ?
La confidence est de Benoit Cancoin, contrebassiste qui révèle aussi dans un texte court de quoi sont faites les compositions des BRAC : certitudes, intuitions et doutes enfin. Au son, c’est l’amalgame mesuré d’insistances protéiformes (courts motifs répétés, va-et-vient d’archet, bourdons, notes persistantes, pépiements volontaires…) que remettent en cause des pauses ou des contorsions gnéralement inspirées. Toutes certitudes envolées et tous doutes domptés, restent quatre intuitions au gré desquelles Bertoncini, Royer, Altenburger et Cancoin, aménagent quarante minutes épatantes.
Quatuor BRAC : Hall des Chars (Blumlein / Metamkine)
Enregistrement : 13 mai 2014. Edition : 2014.
CD : 01/ Hall des Chars
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Luc & Brunhild Ferrari : Programme Commun (Sub Rosa, 2012)
Les titres donnés à ses compositions par Luc Ferrari sont toujours riches d’enseignement. Sur le premier CD de cette sortie de deux, on trouve par exemple Programme commun pour clavecin et bande magnétique (1972), Didascalies 2 (1993) et Les émois d'Aphrodite (1986-1998). Une invitation faite à notre écoute autant qu’au rêve que la musique soulage ou accompagne. Jouée par Elisabeth Chojnacka, la première composition est la lutte superbe du clavecin et du monde moderne ; jusqu’ici disponible sur vinyle uniquement, Didascalies 2 voit mis son « caractère obsessionnel » à la portée de ceux qui ne possèdent pas ou plus de platine ; moins confondant, Les émois d’Aphrodite par le San Francisco’s MC Band sonnent rock expérimental dont la prêtresse est une clarinette.
Le second disque est l’œuvre de Luc & Brunhild Ferrari – qui y reprend les travaux inachevés de son mari. Ce genre d’ « affaire » (reprise ou collecte d’archives) est toujours délicat, mais Madame Ferrari se tire adroitement de toutes les difficultés. Avec une science peu commune, elle conceptualise sur Dérivatif des enregistrements de terrain (beaucoup de paroles d’hommes et de femmes de la rue) sans se départir de l’humour cher à Luc Ferrari. Deux autres pièces composent avec celle-ci un triptyque : un Brumes du réveil moins documenté et en conséquence plus mystérieux ainsi que de Tranquilles impatiences qui est une belle progression musicale comme a pu en inventer Eliane Radigue par exemple. C’est dire que ce double-volume s’avère indispensable…
Luc Ferrari, Brunhild Ferrari : Programme Commun (Sub Rosa)
Edition : 2012.
2CD : CD1 : 01/ Programme commun pour claveçin amplifié et bande magnétique 02/ Didascalies 2 03/ Les émois d’Aphrodite – CD2 : 01/ Derivatif 02/ Brumes du réveil 03/ Tranquilles impatiences
Héctor Cabrero © Le son du grisli 2013
Quatuor BRAC : Instants Chavirés (Blumlein, 2012)
Ce disque nous renvoie au 3 mars 2011 aux Instants Chavirés où le Quatuor BRAC était programmé. « BRAC » pour Bertoncini (Tiziana, violon), Royer (Vincent, alto), Altenburger (Martine, violoncelle) et Cancoin (Benoit, contrebasse). Quatre musiciens dont le parcours est jonché de musiques en tous genres (classique, contemporain écrit/improvisé, jazz, performances). Ces Instants Chavirés s’en ressentent.
Dans la ligne de conduite du quatuor, on tombe sur cette phrase : « … par la confrontation singulière de nos quatre univers, permettre les surgissements sonores les plus larges possibles. » Il faut bien des séquences pour que tiennent ces « surgissements sonores », d’autant plus que la distance dépasse de peu de chose les trois quarts d’heure. Les archets peuvent gratter, frôler la corde. Ils peuvent rester dans l’air , laisser parler les bruits environnants. Ils peuvent bourdonner, tirer des nuances de la différence de leurs tons. Les pizzicati sont plus rares. Ils servent aux changements de section ou à canaliser le flux imaginaire au milieu d’une intersection.
Les « surgissements sonores » sont donc larges, on le concède volontiers. Ils n’ont sans doute pas tous été dévoilés en plus. C’est pourquoi on attend déjà le deuxième disque du Quatuor BRAC.
Quatuor BRAC : Instants Chavirés (Blumlein)
Endregistrement : 3 mars 2011. Edition : 2012.
CD : 01/ Instants Chavirés
Héctor Cabrero © Le son du grisli
Scott Fields Ensemble : Frail Lumber (Not Two, 2011)
Les cordes de Scott Fields ont de la suite dans les idées et le sens des hautes voltiges. Leur nature première se nomme inquiétude, leur seconde dissonance. Elles ne savent que se mêler et pulvériser le contrepoint naissant. Ces cordes disent la menace et la désorganisation. Elles activent de bien étranges circulations : lignes fuyantes en transit (Ziricotte), masse hurlante ne trouvant jamais d’échappée (Koa), basse continue brésillée par de bruitistes guitares (Paulownia), archets hurlants de terreur (Cocobolo), entorses fulminantes (Bubinga). Ici, l’alphabet du désagréable trouve son idéal dictionnaire.
Ces cordes saillantes et cisaillantes, oppressantes, menaçantes, le sont grâce à Mesdames Jessica Pavone et Mary Oliver & Messieurs Scott Fields, Daniel Levin, Axel Lindner, Scott Roller, Vincent Royer et Elliott Sharp. On souhaite vivement les réentendre.
Scott Fields Ensemble : Frail Lumber (Not Two / Instant Jazz)
Enregistrement : 5 juin 2010. Edition : 2011.
CD : 01/ Ziricotte 02/ Koa 03/ Paulownia 04/ Cocobolo 05/ Bubinga
Luc Bouquet © Le son du grisli
Giacinto Scelsi : The Viola Works (Mode, 2011)
Le neuvième volume de la série The Scelsi Edition (Mode Records) renferme des pièces pour violon et violoncelle écrites par Giacinto Scelsi. Ce sont Vincent Royer (pour le violon) et Séverine Ballon (pour le violoncelle) qui s’y attaquent.
Ballon n’intervient qu’à mi-chemin, elle interprète en compagnie de Royer les trois temps d’Elegia per Ty. Son instrument anime superbement une musique de chambre qui nous parle d’ondines qui, malgré leurs traits fins et racés, s’agacent du va-et-vient des deux archets.
Avant et après ce duo, Royer délivre seul les messages de Scelsi. Des messages d’un autre temps, aux timbres mystérieux. Maigrelet, l’archet fait par exemple entendre d’autres voix que celles du violon sur Xynobis où l’on croit entendre des joueurs de zournas. Indécis, il redessine la partition de Manto et où il se mêle à la voix du violoniste.
L’orientalisme de Scelsi est toujours fragile et il arrive, comme sur Coelocanth et Three Studies, qu’il parte en fumée sous l’action de feux follets. Ce qu’ont bien compris Vincent Royer et Séverine Ballon, c’est que les incartades bouleversantes du compositeur sont faites de désaxements plus que de lyrisme ou de romantisme ultramoderne. Et que sa spiritualité s’embarrasse moins de verticalité que de courbes stupéfiantes.
Giacinto Scelsi : The Viola Works (Mode / Amazon)
Edition : 2011.
CD : 01-03/ Manto 04-06/ Coelocanth 07-09/ Elegia per Ty 10-12/ Three Studies 13-15/ Xnoybis
Héctor Cabrero © Le son du grisli
Luc Ferrari : Didascalies 2 (Sub Rosa, 2010)
La musique de Luc Ferrari serait-elle la même si celui-ci n’avait cessé de cultiver – d’accroître, peut-être même – sans cesse la distance entre les formes ingénieuses nées de sa démarche musicale et le sérieux que l'on attend d'ordinaire d'un compositeur de musique contemporaine. Au dos de Didascalies 2, un texte est signé Ferrari : « L'autre jour, j'ai trouvé dans un dossier de 1993 une partition pour 2 pianos qui s'appelait "revenir à la note de départ". J'ai donc décidé d'en faire une nouvelle composition sans en changer une note, d'ailleurs il y en avait très peu. Ce qui m'arrangeait bien. Alors j'ai appelé ça Didascalies 2 en souvenir de ce que j'ai fait l'année dernière : une pièce pour piano et alto qui s'appelait Didascalies tout court. Didascalies tout court se jouait sur 2 notes, une pour piano et la même pour alto et avait un caractère obsessionnel. Très très obsessioooooonnel !!!! »
La partition retrouvée pourrait donc donner, selon les conseils du compositeur lui-même, un chef d’œuvre en deux parties : double mouvement de nébuleuse composée d’un drone sorti d’un premier piano à force de coups portés sur une touche unique et puis de l’air déboussolé que prend ou se donne un second piano et puis enfin de l’intervention d’un violon (qui pourrait ne pas être un violon, nous dit la partition) : piano et violon dansant maintenant sur le drone, agissant et chantant avec lui et qui plus est de belle manière. Car si l’auteur de la pièce a le droit de l’évoquer avec légèreté, les interprètes que sont Jean-Philippe Collard-Neven, Claude Berset et Vincent Royer, s’y refusent évidemment : à raison et même en élégants. Appliqués, ils servent et peaufinent (de générale en création posthume) la folie inédite de Luc Ferrari dans le même temps qu'ils célèbrent son savoir-faire d'auteur incontournable de compositions en marges.
Luc Ferrari : Didascalies 2 (Sub Rosa / Quatermass / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2008. Edition : 2010.
LP : A/ Didascalies 2 : La générale jouée devant Brunhild le 24.10.08 B/ Didascalies 2 : La création mondiale posthume du 25.10.08
Guillaume Belhomme © Le son du grisli