Werner Hasler, The Outer String : Out (Everest, 2016)
Néo-classique? Peut-être, il y a de ça. Free un peu, beaucoup de choses ? Aussi, mais tendance smooth. Jazz ? Bien sûr, sans oublier quelques volutes orientalistes au travers de la fumée. Quelques amateurs éclairés ont allumé un bâton de chaise, trois centimètres de diamètre. Ils se laissent emporter par l'esprit frondeur et volubile de Werner Hasler / The Outer String sur Out.
Entre concert et exposition, le trompettiste suisse et sa suite aux violoncelles et percussions promènent l'auditeur au sein du temps ; il défile allègrement au gré des interventions dynamiques de ses multiples protagonistes. Ca swingue pas mal, oui, ça rameute aussi l'inquiétude d'un soir pluvieux de novembre, passé à se rappeler les cordes étendues par Gavin Bryars. Derrière leurs fûts, les trois batteurs (à tour de rôle) réécrivent la créativité en majuscules, leurs apports sont primordiaux à la belle réussite de ce disque à la forte personnalité. Elle est aussi déchirante qu'enivrante, on imaginerait bien un ami cher savourer un whisky en sa compagnie.
Werner Hasler, The Outer String : Out
Everest Records
Edition : 2016
CD : Out
Fabrice Vanoverberg © Le son du grisli
Aki Takase / La Planète : Flying Soul (Intakt, 2014)
Avec de tels invités (Louis Sclavis, Dominique Pifarély, Vincent Courtois), les compositions d’Aki Takase prenaient le risque de se perdre dans les ruses d’une « certaine tradition française ». Debussy, Ravel, Dutilleux passés à travers le moule de l’improvisation : merci, on a déjà donné et on préférera toujours les originaux à ses dévoués (?) contemplateurs.
Ici, l’écueil n’est pas toujours évité et la fin du disque déçoit quelque peu. Heureusement, des traits empreints de violences, un archet soutenu et exaltant (belle prise de bec Takase-Pifarély), une forme obsédante ne voulant pas s’effacer, des mouvements en déséquilibre, auxquels il faut ajouter le jeu toujours impulsif de la pianiste, finissent par convaincre du bien fondé de la nouvelle aventure de Dame Takase.
Aki Takase
Flying Soul (extraits)
Aki Takase / La Planète : Flying Soul (Intakt / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2012. Edition : 2014.
CD : 01/ Into the Woods 02/ Rouge Stone 03/ Wasserspiegel 04/ Onigawarau 05/ Finger Princess 06/ Morning Bell 07/ Turtle Mirror 08/ Reading 09/ Intoxication 10/ Schoolwork 11/ Flying Soul 12/ Tarantella 13/ Twelve Tone Tales 14/ Moon Cakes 15/ Pièce for « la planète »
Luc Bouquet © Le son du grisli
Roy, Courtois, Tchamitchian : Amarco (Emouvance, 2011)
Les disques Emouvance sont rares (un ou deux maximum paraissent chaque année) et sont reçus comme autant de bulletins de (bonne) santé de la musique créative d’aujourd’hui. Toujours, ils s’incarnent en de beaux objets au graphisme rêveur et aux textes poétiques éclairants. Souvent, ils s’articulent autour de la personnalité et la musique du contrebassiste Claude Tchamitchian, comme c’est le cas pour ce disque, dernier né du label, Amarco.
Amarco, cela pourrait être la fusion des termes latins amare et arco ; l’amour du jeu à l’archet, alors, peut-être. Amarcord n’est pas loin, du titre du film de Fellini qui empruntait au dialecte romagnol pour nous dire « je me souviens ». Des cordes frottées, donc, au service d’une musique non exempte d’une certaine nostalgie ? Oui, assurément, mais pas seulement.
Amarco, ce sont trois hommes et leurs instruments à cordes graves : Guillaume Roy à l’alto, Vincent Courtois au violoncelle et Claude Tchamitchian à la contrebasse. Depuis 2006, ces musiciens jouent ensemble et c’est la première fois que leur musique est enregistrée. Elle gardera cependant sa caractéristique première : fille de l’instant, elle sera totalement improvisée. Claude Tchamitchian de nous le confirmer : « Le choix du total acoustique et du total improvisé est vraiment voulu. La dimension magique de la formation en trio, la somme de nos expériences, l’envie d’inventer in situ des textures, des chants et/ou des architectures font de nous les éléments d’un orchestre constamment aléatoire, avec jubilation et sans tabous. »
L’écoute des trois premiers morceaux nous offre d’emblée deux certitudes : les climats créés par le trio seront sans cesse changeants et c’est un grand disque que nous avons entre les mains. Les palais oubliés, tout d’abord, avec majesté et lenteur, gagne en intensité au fur et à mesure que les cordes seront pincées ou frottées avec plus d’assurance, de profondeur. Puis Amarco, où la mélodie s’affirme à travers les larges coups d’archet comme un lourd soleil percerait l’horizon. Champ contre champ, enfin, où alto et violoncelle tissent une toile ténue entre les attaques véloces des cordes pincées de la contrebasse. Ce n’est qu’un début, les huit morceaux à suivre sont autant de moments de grâce, captés par l’ingénieur du son Gérard de Haro, quatrième homme dans l’ombre et artisan fondamental du son du trio.
Et n’oublions pas : à l’intérieur du disque nous est offerte à nouveau (comme pour la précédente référence du label, Another Childhood de Claude Tchamitchian) la poésie symboliste d’Alain Bouvier. La musique du trio y est évoquée en un remarquable texte Dans la gueule du loup ou le dernier homme, dont voici finalement quelques phrases : « (…) Elle allume des incendies, elle bâtit des refuges. Elle rêve tout haut de ses utopies d’une poésie aussi lumineuse et sidérante qu’une longue longue étendue de neige sans nulle trace de pas. Elle est une robe de mendiante en chiffons de couleur. Elle est un courant d’air pur qui nous offre asile. Elle est plaisir. Elle se jette dans la gueule du loup parce qu’elle va toujours là où ça se passe. (…) » Allez l’y rejoindre, nul doute qu’elle s’y jette encore.
Guillaume Roy, Vincent Courtois, Claude Tchamitchian : Amarco (Emouvance / Amazon)
Edition : 2011.
CD : 01/ Les palais oubliés 02/ Amarco 03/ Champs contre champ 04/ Play Ground 05/ Petite conversation entre amis 06/ Question d’avenir 07/ Tactilographie 08/ Wild Town 09/ Time to Change 10/ Lune objective 11/ Le souffle de l’ivresse
Pierre Lemarchand © Le son du grisli
Sylvie Courvoisier: Lonelyville (Intakt - 2007)
Enregistré en 2006 en concert, Lonelyville donne à entendre les retrouvailles de la pianiste Sylvie Courvoisier et de ses fantômes, tourmentés ici, tranquilles ailleurs. Pour y faire face, l’appuient Mark Feldman (violon), Vincent Courtois (violoncelle), Ikue Mori (ordinateur) et Gerald Cleaver (batterie).
Sur Texturologie et Cosmorama, comme du temps d’Abaton, Courvoisier commande de grands mouvements - lyrisme qu’elle défend, acharnée, auprès de Feldman – pour décider ensuite de lents déploiements atmosphériques sur lesquels se dispersent les interventions (reverses de Mori, simili contrepoint servi par violon et violoncelle), abandonnés eux aussi et bientôt en faveur d’insistances dramatiques gonflées par l’impeccable accompagnement de Cleaver.
Plus déconstruits, Contraste et Lonelyville servent une sorte de contemporain ténébreux mais accessible, qui imbrique les dérélictions électroniques et les charges acoustiques furtives, tout comme il ose quelques dialogues épars et improvisés. Deuxième face d’une même médaille, qui respecte la partition autant qu’elle va voir du côté où il est possible encore de construire librement, et que Sylvie Courvoisier arbore avec distinction.
CD: 01/ Texturologie 02/ Cosmorama 03/ Contraste 04/ Lonelyville
Sylvie Courvoisier - Lonelyville - 2007 - Intakt records. Distribution Orkhêstra International.