Jennifer Allum, Ute Kanngiesser : Bell Tower Recordings (Matchless, 2013)
Nous avons déchiffré ensemble la pochette du CD de Jennifer Allum et Ute Kanngiesser, sa cloche et ses poids. Leurs instruments sont cousins (un violon, un violoncelle). Leurs pratiques sont cousines, elles aussi. C’est presque une histoire de famille, que cette improvisation enregistrée en 2012 en trois lieux différents de la St. Augustine’s Bell Tower de Londres.
Les cloches sonnent, annonçant presque une heure de jeu, de balancelle, de recherche au pendule des trésors enfouis dans ce clocher. L’une tapote le bois de son instrument et l’autre pince une ou deux cordes, c’est comme un relai timide. L’une & l’autre s’emparent de leurs archets, se cachent puis réapparaissent, à tour de rôle. L’une égrène les secondes qui passent et l’autre les fuit sous les bruits de la grande ville. C’est une expérience de l’instant qui touche à distance, géographique et temporelle. Et si Jennifer Allum et Ute Kanngiesser ne savent pas comment mettre un terme à leur improvisation, c’est qu’il est des choses sans fin, comme l’est le passage des secondes ou le mouvement d’un pendule.
Jennifer Allum, Ute Kanngiesser : Bell Tower Recordings (Matchless / Metamkine)
Enregistrement : 29/05/2012. Edition : 2013.
CD : 01/ Pendulum Case 02/ Clock Room 03/ Bell Room
Héctor Cabrero © Le son du grisli
Eddie Prévost : Workshop Concert (Matchless, 2013)
21 mai 2012 au Café Oto de Londres : le cercle que forment Eddie Prévost et ses cinq « partenaires de workshop » choisis pour l’occasion par Seymour Wright (Jennifer Allum au violon, Ute Kanngiesser au violoncelle, Grundik Kasyansky au theremin, Dimitra Lazaridou-Chatzigoga à la cithare et Daichi Yoshikawa à l’électronique) décide des duos qui, dans un premier temps, improviseront plus d’une demi-heure durant. Invités par l’exercice à faire preuve de parcimonie inspirée, les musiciens s’en tirent avec subtilité : vertus de l’archet (Kanngiesser semblant même travailler à l’harmonie de l’ensemble) et provocations amplifiées, aigus tenaces contre ronflements électroniques, bâtissent une pièce d’abstraction chantante.
Autrement déconcertants, cinq trios suivent sur des prises allant de quatre à douze minutes. Plus virulents aussi, les comités restreints butent sur des pierres d’achoppement faites pour être concassées : ce sont-là les cymbales qui découpent et les graves déflagrations de Yoshikawa qui réduisent en miettes. Voilà qui finit d’arranger ce concert d’habitués des workshops organisés par Eddie Prévost depuis 1999.
Eddie Prévost & Co. : Workshop Concert (Matchless Recordings)
Enregistrement : 21 mai 2012. Edition : 2013.
CD : 01/ Moving Duets DY/JA/GK/DL-C/EP/UK/DY 02/ Trio JA/GK/EP 03/ Trio GK/EP/DY 04/ Trio JA/DL-C/UK 05/ Trio DL-C/UK/GK 06/ Trio JA/EP/DY
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
John Butcher, Rhodri Davies, Claudia Ulla Binder, Giacinto Scelsi, AMM
John Butcher : Trace (Tapeworm, 2010)
Un beau solo (aux saxophones soprano & ténor) d’octobre 2009 en l’église parisienne de Saint-Merri occupe la première face de cette cassette : mise en ébullition, plateaux à diverses températures, les matières deviennent malléables et l’espace est rauquement retaillé, feuilleté, piqueté et refendu. L’autre versant de ce document offre vingt minutes particulièrement intéressantes durant lesquelles Butcher travaille en sculpteur sur des feedbacks qu’il façonne – dans la continuité des expériences conduites par exemple sur le disque Invisible Ear. Une exploration assez envoûtante.
John Butcher, Rhodri Davies : Carliol (Ftarri, 2010)
Près de dix ans après le concert reproduit dans Vortices & Angels (Emanem), le souffleur et le harpiste se retrouvent en studio pour des navigations bien différentes… et franchement hallucinantes, d’une abstraction réjouissante et déboussolante. Micros, moteurs, haut-parleurs embarqués, comme autant d’outils pour s’égarer, transforment l’instrumentarium : virements de caps, basculements de drones, anamorphoses sensibles, tout un monde électrique dans lequel se dissout la lutherie attendue.
John Butcher, Claudia Ulla Binder : Under the Roof (Nuscope, 2010)
Phonographiquement moins documentée que celles que Butcher entretient avec Burn, Graewe ou Tilbury, la relation tissée entre la pianiste zurichoise et le saxophoniste n’en retient pas moins l’attention. Indépendantes, les deux voix agencent, dans chacune des quinze pièces brèves de cette mosaïque, des matériaux soigneusement pesés (à l’e-bow, du bout des lèvres). Epars ou disposés avec décision, frottés, ils gagnent dans le clair-obscur une certaine apesanteur, à moins que la corrosion ne les gagne délicatement.
Various Artists : Lontano, Homage to Giacinto Scelsi (Tedesco, 2010)
Lontano est une compilation vraiment réussie (diverse & cohérente, évocatrice & poétique), élaborée par Stefano Tedesco, qui peut être accompagnée par la lecture des trois volumes qu’Actes Sud a réunis autour de Scelsi : Les anges sont ailleurs… (I), L’homme du son (II), Il Sogno 101 (III). En une contribution de sept minutes, John Butcher & Eddie Prévost, comme dans leurs Interworks de 2005 (pour Matchless), arrivent à charger l’instant de présence et diffusent dans le bruit du temps une autre qualité de silence : leur magnétique musique. Les autres participants conviés ne sont pas en reste – un aréopage de haut vol : Rafael Toral, Roux & Ladoire, Elio Martusciello, David Toop, Skoltz & Kolgen, Scanner, KK Null, Alvin Curran, Efzeg, Lawrence English, Davies / Williamson / Tedesco, Olivia Block…
AMM : Sounding Music (Matchless, 2010)
A l’occasion du festival Freedom of the City de 2009, le collectif historique présentait un effectif renforcé : si Eddie Prévost et John Tilbury ont l’habitude de recevoir John Butcher (comme dans le splendide Trinity, Matchless, 2008), la violoncelliste Ute Kanngiesser et Christian Wolff (piano, guitare basse, mélodica) sont des hôtes plus rares – ce qui ne change rien à l’esprit développé par le groupe. D’emblée, l’évidence des convergences (harmoniques, climatiques) frappe, et les cinquante minutes de ce concert, en se dépliant, découvrent tout un art partagé du surgissement, de la suspension. Et c’est très beau.
Paul Abbott, Léo Dumont, Ute Kanngiesser : Loiter Volcano (Another Timbre, 2009)
Tout, à la surface : un air de réductionnisme progresse au son de l’entente ou de la désunion d’un violoncelle (celui d’Ute Kanngiesser), de percussions (celles de Léo Drumont) et d’électronique (usages de Paul Abbott).
En fond, le paysage oscille : au premier plan, les mouvements d’archet et les gestes percussifs composent avec leurs répétitions, quelques silences et autres égarements instrumentaux. Les premières, plus imposantes, finiront par installer le trio au creux d’une berceuse entêtante. Et Loiter Volcano s’impose en pièce de musique électroacoustique qu’on n’attendait pas, et à qui l’on cède bientôt toute la place.
Paul Abbott, Léo Dumont, Ute Kanngiesser, Loiter Volcano (extrait). Courtesy of Another Timbre.
Paul Abbott, Léo Dumont, Ute Kanngiesser : Loiter Volcano (Another Timbre)
Enregistrement : 2009. Edition : 2009.
CD : 01/ Loiter Volcano
Guillaume Belhomme © Le son du grisli