Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

Ulrich Krieger : Winters in the Abyss (Pogus, 2015)

ulrich krieger winters in the abyss

Si Winters in the Abyss consigne les cinq premières pièces des quatorze qui font le Deep-Sea Cycle d’Ulrich Krieger, c’est toutefois adaptées : par le compositeur en personne aux instruments de ses interprètes (trombone de Matt Barbier, cor d’harmonie de Zara Rivera et trombone contrebasse de Paul Rivera), puisque ces pièces étaient destinées à l’origine à trois contrebasses (flûte, saxophone et tuba).

Ce sont donc un cor et deux trombones (aux micros rapprochés) qui, jetés d’on ne sait où, viennent grossir la neige marine et, à leur propre vitesse, gagneront comme elle le fond de l’océan. Cinq étapes mais pas de stations : trois instruments gravent qui, l’un après l’autre, cherchent à établir le contact au son de signaux répétés. A force de redites, leurs notes se superposent ; à force de dérivation (verticale, certes), reprennent de la distance.

A chaque fois, c’est un effet de couplage (dirait-on « triplage » ?) qui donne à la chute lente et au sondage opportuniste qui y est attaché l’ombreuse et impressionnante musique – minimalisme revu à la lumière du Wandelweiser – que renferme Winters in the Abyss.

Ulrich Krieger : Winters in the Abyss (Pogus)
Enregistrement : 2012. Edition : 2015.
CD : 01/ V Sun Lit 02/ IV Twilight 03/ III Midnight 04/ II Lower Midnight 05/ I Pitch Black
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



Rishin Singh : Three Weevils (Avant Whatever, 2013) / Ulrich Krieger : Up & Down 23 (B-Boim, 2009)

rishin singh three weevils le son du grisli

Partenaire de Jim Denley et Sam Pettigrew dans le projet Embedded ou intervenant auprès de Jason Kahn sur Open Space, Rishin Singh dit « essayer de ne pas imposer son propre son aux sons qui l'environnent ». Three Weevils, enregistrement solo que publie aujourd'hui Avant Whatever, brouille pourtant les cartes.

En guise de repère, reste alors le son d'une corne de brume (le trombone de Singh, en vérité) arrivant d'un lointain dont les vagues conservent une mystérieuse force de chant : c'est Ablute, et un peu plus de trois minutes. Au-delà, ce sera le vacarme d'une rafale de grisailles dont l'intensité n'aménage le moindre espace à la musique : c'est Kambah, sur six minutes et demi.

Entre les deux plages, vingt minutes durant, Vinyl joue de craquements attendus sur lesquels se poseront, délicates et à distance, de longues notes de trombone. L'art est patient et l'épreuve habile, qui rappelle, à un autre instrument, le passage d'Ulrich Krieger chez B-Boim (Up & Down 23) et engage l'auditeur à en apprendre davantage sur ce trombone des antipodes.

EN ECOUTE >>> Trois extraits

Rishin Singh : Three Weevils (Avant Whatever)
Edition : 2013.
CD : 01/ Ablute 02/ Vinyl 03/ Kambah
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

ulrich krieger up & down 23

Enregistré en janvier 2005, Up & Down 23 donne à entendre Ulrich Krieger prendre un peu de distance avec le minimalisme qui l'a beaucoup occupé. Etonnant passage de relais entre notes de (jusqu'à quatre) saxophones soprano qui font cas de silence et d'harmonie, la longue pièce installe une polyphonie défaite capable d'insistances autant que d'abandons. Le livret avait prévenu : « This is instrumental electronic music ». Les réécoutes attestent quant à elles : une référence dans le domaine.

Ulrich Krieger : Up & Down 23 (B-Boim)
Enregistrement : 2005. Edition : 2009.
CD : 01/ Up & Down 23
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


John Cage : Freeman Etudes (Mode, 2012) / Sounds Like Silence (Gruenrekorder, 2012)

john cage irvine arditti freeman etudes

Les Freeman Etudes de John Cage (2 CD, Books One and Two & Books Three and Four, que le label Mode rééditait il y a quelques mois) sont incontournables dans l’impressionnante discographie d’Irvine Arditti, leader depuis 1974 de l’Arditti Quartet qui a en conséquence interprété tout ce qui bouge de contemporain (entre autres Stockhausen, Berio, Ligeti, Scelsi, Dusapin, Aperghis… et Cage avec les Complete String Quartets parus chez le même éditeur).

Pour certaines composées spécialement pour le violoniste, ces trente-deux études font grand cas de son savoir-faire et plus : de sa virtuosité. Cage y place des points, trace des lignes, et élabore en un superbe crescendo – peu à peu, la dynamique décline et l’on passe d’une frénésie quasi surréaliste à une microtonalité altérée – une folie instrumentale à ressorts. Une œuvre-rupture de ban dans le corpus de John Cage que l’orfèvre Arditti embellit (les dorures des pochettes ne s’y trompent pas).

John Cage, Irvine Arditti : Freeman Etudes (Mode)
Réédition : 2012.
2CD : CD1 : 01-08/ Book One 09-16/ Book Two – CD2 : 01-08/ Book Three 09-16/ Book Four
Héctor Cabrero © Le son du grisli

sounds like silence

Sounds Like Silence est un hommage à la composition silencieuse de Cage, 4’33’’, rendu par des noms comme Nam June Paik, Brandon LaBelle, Ulrich Krieger, Einstürzende Neubauten, Jacob Kirkegaard, Lasse-Marc Riek, Stephen Vitiello ou People Like Us. Sur les lèvres des artistes & musiciens (de documents en captations) on peut lire que si le silence n’existe pas, rien ne vaut pourtant le silence. A méditer ?

Sounds Like Silence (Gruenrekorder)
Edition : 2012.
CD : Sounds Like Silence
Héctor Cabrero © Le son du grisli


Phill Niblock : Working Title (Les Presses du Réel, 2012)

phill niblock working title

Si Phill Niblock a fait œuvre (voire vœu) de bourdons (ou de drones), le livre épais – que gonflent encore deux DVD de vidéos – qu’est Working Title n’en propose pas moins d’autres pistes de description, certaines balisées à peine. Sur enregistreur à bandes hier et Pro Tools aujourd’hui, l’homme travailla donc, au choix : musique microtonale, minimalisme fâché avec la répétition, interactions harmoniques, sons continus et overtones, ou encore : « musique multidimensionelle » et « partitions audio » (dit Ulrich Krieger) et « flux en constante ondulation » (dit Susan Stenger).

Ecrites avec l’aide de Tom Johnson, de Joseph Celli et de la même Stenger, les notes des pochettes (ici retranscrites) de Nothing to Look at Just a Record et Niblock for Celli / Celli Plays Niblock, édités par India Navigation au début des années 1980, en disaient pourtant déjà long. Avec certitude, y est expliqué de quoi retourne – et de quoi retournera désormais – le propos musical d’un compositeur qui refuse à se dire musicien. A la richesse de ces informations, le livre ajoute une poignée d’entretiens et d’articles publiés dans Paris Transatlantic, Positionen, FOARM (plume de Seth Nehil), Organized Sound… ainsi que des éclairages signés Krieger et Stenger, mais aussi Guy de Bièvre et Richard Lainhart, tous proches collaborateurs de Niblock.

Expliquant les tenants et aboutissants de l’art du compositeur, Krieger signe un texte intelligent que l’on pourra lire au son de Didgeridoos and Don’ts, première pièce écrite par un Niblock « sculpteur de son » pour un Krieger obligé d’abandonner ses saxophones (Walls of Sound, OODiscs). Avec l’idée d’en apprendre aux musiciens qui aimeraient un jour jouer Niblock sans forcément l’avoir rencontré – même si l’on sait que l’homme écrit à destination d’instrumentistes particuliers –, Krieger explique, conseille et met en garde : « leur défi, c’est de travailler en dehors des sentiers battus de la mémoire mécanique de leurs doigts. »

Plus loin, c’est de l’art cinématographique de Niblock qu’il s’agit : de The Magic Sun (présence de Sun Ra) et Max (présence de Max Neuhoff) au projet-fleuve The Movement of People Working, ce sont-là des « images de la réalité » dont on examine les origines – des entretiens avec Alan Licht révèlent ainsi l’importance du passage de Niblock par l’Open Theater de New York – et les rapports à la photographie et la musique. Voilà qui mènera l’ouvrage à aborder enfin, sous la plume de Bernard Gendron, le rôle joué par Niblock dans l’Experimental Intermedia Foundation d’Elaine Summers : là, d’autres musiciens concernés (Philip Corner, Joseph Celli, Peter Zummo, Malcolm Goldstein ou Rhys Chatham) guident le lecteur à une dernière proposition d’étiquetage : minimalisme radical ou radicalisme minimal ? L’art de Phill Niblock aura en tout cas créé des interférences jusque dans le domaine du langage.

Phill Niblock & Ulrich Krieger  Phill Niblock & Sun Ra

Phill Niblock, Bob Gilmore, Guy De Bièvre, Johannes Knesl, Mathieu Copeland, Jens Brand, Rob Forman, Seth Nehil, Raphael Smarzoch, Richard Glover, Volker Straebel, Ulrich Krieger, Susan Stenger, Richard Lainhart, Juan Carlos Kase, Erica King, Rich Housh, Alan Licht, Bernard Gendron, Arthur Stidfole : Working Title (Les Presses du Réel)
Edition : 2012.
Livre : Working Title
Guillaume Belhomme © le son du grisli


Ulrich Krieger : Fathom (Sub Rosa, 2010)

ulrichsliComme moi, beaucoup iront écouter Fathom pour entendre ce qu’y fait Lee Ranaldo. D’autres viendront pour Alan Licht (comparse de Loren Mazzacane Connors) ou pour Tim Barnes (invité hier par Sonic Youth sur Koncertas Stan Brakhage Prisiminimui). D’autres enfin pour le saxophoniste (baryton) Ulrich Krieger, que les plus pointilleux auront remarqué dans Zeitkratzer, avec Merzbow ou avec Jason Kahn (Timelines Los Angeles). Certains mêmes verront que le groupe d’Ulrich Krieger n’est autre que la mouture la plus récente de Text of Light

Mais qu’importe les noms : Fathom est un disque splendide. On connaissait les atmosphères fin de siècle, fin d’empire, voici venue l’heure de l’atmosphère fin de rock / fin de jazz (attention : on ne parle pas ici de post-rock !). Les musiciens éreintés ont déposé leurs instruments à terre. Les instruments à terre vomissent vers le ciel des drones et des larsens. Le saxophone de Krieger crie le plus fort de tous au départ. Le saxophone de Krieger se fait avoir par les variations post-minimalistes des guitares : il succombe. Une suite de mini-tonnerres ayant fait changer de ton le saxophone, la pièce en est devenue hallucinante. Fathom est une composition d’Ulrich Krieger. Voilà qui explique tout. Voilà qui change tout !

Ulrich Krieger : Fathom (Sub Rosa / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2005. Edition : 2010.
CD : 01/ Fathom
Pierre Cécile © Le son du grisli


Jason Kahn : Timelines Los Angeles (Creative Sources, 2010)

grislines

Particulièrement riche ces dernières années, la production phonographique qui documente le travail de Jason Kahn (percussion, synthétiseur analogique) multiplie les angles et contextes d’appréhension d’une esthétique finalement homogène, mais n’aide guère – et c’est bien ainsi ! – à mieux comprendre ce que l’on peut trouver de si fascinant à cet univers délicat, tout en jeux de nuances, qui n’offre que peu d’aspérités, au bord parfois de l’évanouissement…

Curiosité et plaisir donc, sont vivement renouvelés à l’audition de cet enregistrement d’avril 2008 à Los Angeles, d’autant que Kahn ne s’y retrouve pas en compagnie de membres de son cercle habituel et que l’instrumentarium convoqué s’ouvre aux sources acoustiques du piano – préparé par Olivia Block – et des saxophones alto & sopranino d’Ulrich Krieger (+ live-electronics). Le quatuor, complété par Mark Trayle (laptop, guitare), joue une composition graphique du percussionniste, dans la veine d’autres Timelines remarquables, comme la version zurichoise de 2004 publiée par le label Cut, ou l’édition new-yorkaise téléchargeable ici.

De cette partition en tant que telle il ne faut pas attendre qu’elle recèle l’explication de la réussite de son « interprétation » (par improvisation) : consignant sommairement (mais pour chacun, spécifiquement) des durées, textures et densités, elle est à peine une façon de scénariser, pas même d’encadrer, peut-être de laisser planer l’idée d’une forme ou d’une tension sous-jacente… mais elle n’en aboutit pas moins, entre les mains de ces quatre musiciens, à une création vivante de la plus belle eau, qui captive par l’élégance de sa mise en son, la finesse de ses entremêlements et la puissance qu’elle peut dégager, ses moments de suspension et d’étirement, l’impression d’espace géographique et mental qu’elle procure. Cliquetis, ondes et auras, en vibrionnant doucement, résonnent chez l’auditeur, longuement.

Jason Kahn : Timelines Los Angeles (Creative Sources / Metamkine)
Edition : 2010.
CD : 01/ Timelines Los Angeles
Guillaume tarche © Le son du grisli


Susan Stenger : Soundtrack for an Exhibition (Forma Arts and Media, 2009)

soundtrackforagrisliLivre-disque et souvenir d’une exposition organisée au Musée d'Art Contemporain de Lyon en 2006, Soundtrack for an Exhibition s’attache à recréer un projet qui alliait peinture, cinéma et musique, en assemblant photographies de toiles (John Armleder, Steven Parrino), extraits des rushs du film The King is Alive (Kristian Levring), et pièce sonore (revue pour tenir ici sur l’espace d’un DVD mais courant à l’origine le long de 96 jours, durée de l’exposition) écrite par Susan Stenger (Band of Susans, Brood).

S’il ne donne qu’un aperçu de l’univers musical déployé pour l’occasion, le disque donne à entendre une longue progression découpée dans l’optique de rendre hommage à des styles musicaux différents, et qui fait, sur son ensemble, référence aux travaux de drones de Phill Niblock. En guise d'intervenants : Kim Gordon, Alan Vega, Ulrich Krieger, Bruce Gilbert, Jim White, Mika Vainio, FM Enheit ou Spider Stacy, finissent de diversifier le propos, qui va de ritournelles répétitives en mélodies de pop précieuse, de nappes monochromes en constructions rythmiques lasses. Partout, le transport est lent, engage l’auditeur sur terrains différents – certains accueillants, d’autres moins.

Pas toujours heureux, donc, le voyage touche pourtant à sa fin en donnant l’impression d’avoir traversé une œuvre conceptuelle d’un minimalisme magistral et souvent obnubilant. Pour revenir aux origines du projet, se plonger enfin dans l’entretien de Mathieu Copeland avec Susan Stenger et Tony Conrad, le second ne cachant pas ses inquiétudes face à l’ampleur d’un exercice encore en projet. Désormais évanoui mais consigné en objet rare.

Susan Stenger, Mathieu Copeland (édition) : Soundtrack for an Exhibition (Forma Arts and Media / Les presses du réel)
Exposition : 2006. Edition : 2009.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



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