S.A.S.W. : Fine Pattern / Searching on a Stationary Wave (Winds Measure, 2015)
C’est une habitude fort appréciable qu’a prise le label Winds Measure de rééditer des pépites soniques introuvables. Cette cassette, par exemple, était déjà une cassette quand, en 1995, Minoru Sato (aussi connu sous le diminutif d’m/s) et Toshiya Tsunoda ont autoproduit ses quatre pièces d’expélectronique (sous le titre Fine Patterns). En plus desquelles WM offre deux mix d’une installation plus récente (de 2000).
On entend là-dessus presque toujours deux voix bien différentes, de là à dire qu’elles sont celles de Minoru d’un côté et de Toshiya de l’autre, rien n’est moins sûr. Ce qui l’est par contre c’est l’effet que fait leur passage par le magnétophone. Ici des beats qui n’ont rien à craindre des limiteurs acoustiques, là des drones tout minces qui ont tout à craindre de la plus petite interférence, ici des pistes qui défilent sur des rails, là des microsystèmes qui déraillent sans faire de bruit... Bref, du minimal qui fait grand bien !
S.A.S.W
Air Conditioner
S.A.S.W. : Fine Pattern / Searching a Stationary Wave Based on ‘Aspect’ Works by Minoru Sato (Winds Measure)
Edition : 1995. Réédition : 2015.
K7 : A1/ Heater System A2/ Overpass A3/ Days of the Sky Mix – B1/ Disk & Streamer B2/ Air Conditioner B3/ Days of the Sky Another Mix
Pierre Cécile © Le son du grisli
Kaoru Abe, Akira Ifukube, Masahiko Sato & Toshiya Tsunoda par Takayuki Hashimoto, Yuki Nakagawa, Meg Mazaki & Masafumi Ezaki
A la demande de Michel Henritzi, plusieurs musiciens japonais ont accepté de nous parler brièvement d'un disque qui les a profondément marqués… Avant-dernière salve de ces chroniques (entièrement) japonaises...
Kaoru Abe est né le 3 mai 1949, est mort en septembre 1978 à l'âge de 29 ans. Cet album, Ayler, Sapporo (Doubt, 2020) a été enregistré à Sapporo en septembre 77, un an avant sa mort. Quand j'ai écouté ce disque, j'avais le sentiment de flotter dans une sorte de flash sonore vital, sensuel, dynamique et élégant. Je ne l'ai jamais rencontré, mais je le considère comme un « sauvage plein de noblesse » pour reprendre les mots que Mishima employait pour décrire les samouraïs. Le premier son que vous entendez sur l'album ne semble absolument pas provenir d'un instrument. Quelque chose de fondamental semble être causé par une intense vibration et une friction dans l'univers.
Takayuki Hashimoto, saxophoniste cultivé, forme avec la pianiste Sara Dotes le duo de free-music .es. Sa musique a un caractère conceptuel, tout en se développant à travers une improvisation radicale.
Akira Ifukube (1914-2006) est un compositeur classique et de musiques de films, dont Godzilla. Cet album, Triptyque Aborigène, est dans un sens d'une facture classique, mais inclut de nombreux autres éléments hétérogènes. Le son d’Ifukube est tout à fait unique. Le disque sonne à la façon de la bande-son d'un film dramatique historique. Mais son œuvre dépasse et transcende les genres et les catégories, est d'une façon hérétique au regard des musiques de films japonais.
Yuki Nakagawa, né en 1986, est violoncelliste. Il fait partie de la jeune scène de Tokyo et a joué notamment dans le trio d'improvisation N.O.N, dans une esthétique évoquant AMM.
J'écoutais principalement du rock, du progressif et de la noise avant de découvrir Palladium du Masahiko Sato Trio qui m'a conduit à m'intéresser au jazz. C'est un excellent trio autour d'un pianiste bien sûr, mais il y a surtout mon batteur préféré, Masahiko Togashi, qui joue avec tous ses membres de tous les éléments de sa batterie. C'était avant d'être paralysé des jambes à la suite d’un accident. Togashi est plus qu'un batteur pour moi, son jeu exquis m'évoque des peintures très colorées. J'ai entendu dire qu'il était aussi un bon peintre.
Meg Mazaki est une batteuse et percussionniste créative, originaire du Kansaï. Elle joue régulièrement avec Homei Yanagawa et Take Bow.
Fin janvier, je suis allé à la galerie Soto, à Kyoto, voir l'installation « Landscape and Voice » de Toshiya Tsunoda. Il y avait deux haut-parleurs dans l'espace de la galerie. Des sons environnementaux sont émis par l'un des haut-parleurs et des voyelles japonaises par l'autre. Cela imitait les kana japonais et, plus encore, en créait de nouveaux ; les mots semblaient avoir un pouvoir spirituel. Le japonais dans ma tête semblait comme réécrit. Ce fut pour moi une expérience marquante comme jamais je n'en avais vécu auparavant. Un CDR était distribué. Contrairement à l'exposition, les sons alternent entre de nouveaux mots et de longs sons environnementaux, permettant aux auditeurs de revenir en douceur sur l'expérience de l'exposition.
Trompettiste originaire du Kandaï, Masafumi Ezaki a souvent joué avec Taku Unami ou Taku Sugimoto, dans une approche de l'instrument minimaliste proche d'Axel Dörner.
Toshiya Tsunoda : Ridge of Undulation (Häpna, 2005)
Connu pour la patience avec laquelle il se penche sur les trajectoires sonores les plus imperceptibles, Toshiya Tsunoda modère son propos, sur Ridge of Undulation, par l’exposé d’enregistrements de phénomènes naturels colossaux.
Dans les deux cas, il nomme chacun des fruits de ses expériences afin de les expliquer un peu. Eclaircissant ses intentions en révélant la disposition à l’origine de ses relevés, il peut répandre sur pistes quelques cristaux de larsens voués au changement sous l’effet d’oscillations et de fréquences variées (Sine waves mixed with the sound of a vibrating surface_1, Metal pieces with high frequencies), ou préférer s’abandonner à des field recordings qui lui échappent un peu plus.
Alors, Tsunoda rend sur bandes des souvenirs personnels, transformés pour l’auditeur en pièces choisies d’ambient instinctive : va et vient de vagues (Seashore, Venice beach_31 Jul 01), tempête éprouvée (At Stern, Tokyo Bay_11 Dec 97) ou ondes frémissantes d’une arrivée de quel engin en baie (Arrival, Kisarazu bay_11 Dec 97). Datés, toujours, ces enregistrements respectent le même principe de clarté délibérée, là pour renseigner sur les méthodes employées. Rassemblés, le presque infiniment grand et le presque infiniment petit ont été mis en boîte sur Ridge of Undulation. Que l’on ouvre, pour permettre le rapprochement des contraires, une fois avoir accepté de se laisser aller au gré de l’eau qui charrie ou du vent qui déforme. Et de se convaincre qu’une expérience ne trouve pas sa raison d’être seulement dans sa préparation.
Toshiya Tsunoda : Ridge of Undulation (Häpna)
Edition : 2005.
CD : 01/ Sine waves mixed with the sound of a vibrating surface_1 02/ Seashore, Venice beach_31 Jul 01 03/ An aluminum plate with low frequencies_1 04/ Metal pieces with high frequencies 05/ At Stern, Tokyo Bay_11 Dec 97 06/ Arrival, Kisarazu bay_11 Dec 97 07/ An aluminum plate with low frequencies_2 08/ Sine waves mixed with the sound of a vibrating surface_2
Guillaume Belhomme © Le son du grisli