Bill Dixon : The Complete Remastered Recordings on Soul Note (CAM, 2010)
Neuf fois Bill Dixon : The Complete Remastered Recordings on (Black Saint &) Soul Note réunit les albums enregistrés par le trompettiste et pianiste, pour le label italien entre 1980 et 1998.
Après avoir inventé auprès de Cecil Taylor et Archie Shepp puis au Cellar Café de New York, Dixon remit donc à plat – influence sur le musicien du peintre qu’il était aussi ? – les reliefs vertigineux du premier free. Pour objectif : l’horizon, ligne sur laquelle il n'est pas interdit de faire naître d’autres reliefs. La réécoute de ces neuf disques – pour les citer tous et dans l’ordre chronologique : Bill Dixon in Italy (Volumes I et II), November 1981, Thoughts, Son of Sisyphus, Vade Mecum (Volumes I et II) et Papyrus (Volumes I et II) – dresse un portrait nébuleux de l’artiste en Sisyphe ayant assez d’idées pour transformer chaque nouvel enregistrement en expérience de nouveautés.
En formations différentes, Dixon remet ainsi son métier sur l’ouvrage au son d'échanges qui, lorsqu’ils ne se limitent pas à de courts dialogues défaits, adoptent les contours d’un lyrisme traînant voire y accrochent chacune des notes auxquels ils donnent naissance. Dans l’invention et l’indolence, Dixon profite en plus d’autres souffles que le sien : tuba de John Buckingham (Son of Sisyphus), trompette d’Arthur Brooks (Bill Dixon in Italy), saxophones de Marco Eneidi (Thoughts) pour n'en citer que trois. Autre élément d’horizontalité, l’archet auquel Dixon fait souvent confiance lorsqu’il s’agit de composer de grands pans d’atmosphères soumises à dépression : la contrebasse d’Alan Silva, chaotique, au début des années 1980 ; celles de Mario Pavone, Peter Kowald et William Parker (triple archet de Thoughts) ; celle encore de Barry Guy sur Vade Mecum. Enfin Tony Oxley, qui fit peu à peu pencher la balance en faveur du rythme, et apparition qui commanda une autre fois à Dixon de subtilement changer d’angle de création.
Bill Dixon : The Complete Remastered Recordings on Soul Note (CAM / Amazon)
Enregistrement : 1980-1998. Edition : 2010.
9 CD : Bill Dixon in Italy I, Bill Dixon in Italy II, November 1981, Thoughts, Son of Sisyphus, Vade Mecum I, Vade Mecum II, Papyrus I, Papyrus II
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Sebastiano Meloni, Adriano Orrù, Tony Oxley : Improvised Pieces for Trio (Big Round Records, 2009)
Cliquets, crécerelles, criquets, c’est Tony Oxley (batterie) ! Associé à Sebastiano Meloni (piano) et Adriano Orrù (contrebasse) dans ces quatorze impromptus du printemps 2008, il creuse l’espace à sa guise, toute solennité bannie : carillons, tôles dansantes, dans un impeccable et gai détachement… L’écoute bienveillante dispensée par le batteur se double d’une indépendance sans obstruction qui semble indiquer une autre aire que le terrain équilatéral souvent loué par les amateurs de triangles post-evansiens.
Si ses partenaires apportent visiblement beaucoup de soin – avec un contrôle parfois bridant mais une certaine tonicité – à la forme de ces saynètes, le propos d’Oxley est plus poétique, suggestif, « lâché ». Il érode ainsi à bon escient et petits coups de burin certaines joliesses, conférant un relief intéressant à l’orbite de ce trio.
Sebastiano Meloni, Adriano Orrù, Tony Oxley : Improvised Pieces for Trio (Big Round Records)
Enregistrement : 2008. Edition : 2010.
CD : 01/ Contrasts 02/ Trio n°1 03/ Improvviso 04/ Trio n°2 05/ Prelude 06/ Trio n°3 07/ Clusters 08/ Ostinato 09/ Vertical n°1 10/ Trio n°4 11/ Vertical suite: solos & trio 12/ Ballad 13/ Vertical Duo 14/ Scherzo
Guillaume Tarche © Le son du grisli
Tony Oxley, Derek Bailey: The Advocate (Tzadik - 2007)
En 1963, en compagnie de Gavin Bryars, le guitariste Derek Bailey et le batteur Tony Oxley inaugurent au sein du projet Joseph Holbrooke une collaboration longue d’une quarantaine d’années mise au service d’une musique improvisée et radicale. Enregistré à Londres en 1975, The Advocate donne la mesure de l’acuité de leur dialogue.
Frénétique, le duo mêle les précipitations percussives à des accords de guitare laissés en suspens, tente de tirer partie d’interventions électroniques jugées sur l’instant (larsens, notes découpées et traitements sonores divers) ou préfère tout sacrifier à une tension sèche, au son des arpèges étouffés de Medicine Men. Pour renouveler leur propos, Oxley et Bailey jouent ailleurs, et entre autres façons, de silences et de discrétion appliquée à leur jeu (Playroom).
En guise de conclusion, Tony Oxley revient seul avec The Advocate, pièce enregistrée en 2006 en hommage à un partenaire récemment disparu. Là, le batteur multiplie les phases convulsives, qu’il cloisonne à l’aide de déconstructions à la dérive – grincements de cymbales, saccades électroniques et recours privilégié à une acoustique sous tension. Et referme, magnanime, un document à plus d’un titre de premier ordre.
CD: 01/ Sheffield Phantoms 02/ Medicine Men 03/ Playroom 04/ The Advocate - for Derek Bailey
Tony Oxley, Derek Bailey - 2007 - The Advocate - Tzadik. Distribution Orkhêstra International.
Peter Brötzmann: Berlin Djungle (Atavistic - 2004)
Vingt ans après son enregistrement au JazzFest de Berlin, le label Atavistic ressortait Berlin Djungle du saxophoniste Peter Brötzmann, édité à l’origine par Free Music Production.
Le temps d’un concert unique, 11 musiciens servirent le fantasme du Brötzmann Clarinet Project, certains devant laisser leur instrument de prédilection au profit de la clarinette : parmi eux, les saxophonistes Tony Coe (transfuge de l’orchestre d’Henry Mancini) et John Zorn. Au nombre des intervenants, compter aussi Louis Sclavis, Toshinori Kondo (trompette), Johannes Bauer et Alan Tomlinson (trombones), quand William Parker et Tony Oxley assurent la section rythmique.
Et Brötzmann, bien sûr, qui adresse un clin d’œil à Dolphy avant de conduire son ensemble le long des deux parties de What A Day, pièces sans concessions évoluant au gré des emportements : mouvements saccadés, cris, sifflements, pizzicatos de Parker surpris en pleine transe nihiliste. Espacés, des solos sont ensuite plus à même d’instaurer des pauses obligatoires avant l’unisson ultime et suraigu auquel résiste, seul, le barrissement d’un trombone (First Part). L’épreuve est extrême, et la seconde partie nous apprendra que le bout du bout de la fougue bruyante peut encore changer d’allures. Les contraintes presque toutes anéanties, les trombones dressent leurs sirènes plaintives au milieu desquelles Brötzmann installe au tarogato (saxophone en bois d’origine hongroise) un blues badinant avec la Rhapsody In Blue de Gershwin. Incursion démesurée dans le champ du free jazz et de l’improvisation contestataire, Berlin Djungle est, en plus, un document d’importance, au générique singulier. Prometteur à l'époque ; confirmé aujourd'hui.
CD: 01/ What A Day / First Part 02/ What A Day / Second Part >>> Peter Brötzmann - Berlin Djungle - 2004 (réédition) - Atavistic. Distribution Orkhêstra International.
Barry Guy : Study II, Stringer (Intakt, 2005)
A la tête du London Jazz Composers Orchestra depuis 1970, le contrebassiste Barry Guy n’en finit pas d’interroger la faculté qu’a l’individu de s’affirmer au sein d’un collectif là pour respecter des règles. Celles qu’un musicien doit suivre pour rendre une œuvre écrite, tout en évaluant les permissions d’y instiller un peu de Soi improvisé. Deux pièces enregistrées à dix ans d’intervalle illustrent ici le propos.
En 1980, Guy menait un Stringer long de quatre mouvements (Four Pieces For Orchestra). Oscillant déjà entre jazz et contemporain, gestes déraisonnables et structures contraignantes, il dirige un ensemble d’une vingtaine de musiciens dans un univers de métal. Bande passante chargée de propositions variées, la première partie chancelle au gré des assauts du contrebassiste Peter Kowald avant d’accueillir les percussions insatiables de Tony Oxley et John Stevens, ou le free appliqué du saxophoniste Trevor Watts.
Continuant à distribuer les solos, Guy engage Kenny Wheeler à déposer sa trompette sur une suite répétitive et baroque, en guise de deuxième partie. Puis arrive l’heure des souffles : Peter Brötzmann et Evan Parker rivalisent d’emportement sur Part III, quand le clarinettiste Tony Coe préfère confectionner quelques phrasés courbes. En guise de conclusion, les batteurs reviennent le temps d’un grand solo, qui pousse l’ensemble à investir enfin un chaos revendiqué et intraitable.
Si Stringer trouve naturellement sa place dans la riche discographie de la scène improvisée européenne de son époque, Study II, enregistrée en 1991, échappe davantage aux classifications. Cette fois, l’orchestre bâtit une musique nouvelle tirant sa substance des expériences de Berio ou de Cage. Montent des nappes quiètes, écorchées tout juste par des notes multidirectionnelles échappant au cadre ou par quelques grincements promettant la charge à venir.
Grâce aux coups de Paul Lytton, les musiciens trouvent la faille et s’y engouffrent à 17 : la contrebasse de Barre Phillips, les saxophones d’Evan Parker, Trevor Watts et Paul Dunmall, le piano retenu d’Irène Schweizer, le trombone de Conrad Bauer, surtout, imposent un marasme fertile. Ainsi, Study II prouve qu’une décennie peut accueillir l’évolution. Et que la somme des documents la concernant peuvent servir une même idée sur un timbre différent. Deux élans parmi tellement d’autres, mais grâce auxquels Barry Guy lustre les rayons rococo d’une musique exubérante et singulière : la sienne, et un peu celle de chacun des autres.
Barry Guy London Jazz Composers Orchestra : Study II, Stringer (Intakt / Orkhêstra International)
Réédition : 2005.
CD : 01/ Study II 02/ Stringer (Four Pieces For Orchestra) Part I 03/ Stringer (Four Pieces For Orchestra) Part II 04/ Stringer (Four Pieces For Orchestra) Part III 05 Stringer (Four Pieces For Orchestra) Part IV
Guillaume Belhomme © Le son du grisli