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Le son du grisli
tom jerry
1 septembre 2012

Interview d'Anthony Pateras

anthony pateras interview le son du grisli

Peu de temps après avoir vu paraître aux Editions Mego Errors of the Human Body EST, le pianiste (d’origine) Anthony Pateras publie une rétrospective sobrement intitulée Selected Works 2002-2012. L’occasion pour lui d’en parler comme d’en dire à propos de Thymolphthalein ou encore du trio qui l’associait à Sean Baxter et David Brown.

... Encore enfants, mes parents ont émigré de Macédoine en Australie au début des années 1950. A Melbourne, toutes les communautés avaient coutume d’organiser des rencontres de danses et des pique-niques durant lesquels tous parlaient du « vieux pays ». A ces occasions, il y avait toujours de la musique. Ce dont je me souviens en particulier est d’un clarinettiste fabuleux mais dont le son était toujours très mauvais – il avait l’habitude de jouer faux, et puis il y avait trop de réverb, des larsens…  Ce qui donnait des danses macédoniennes complètement folles, bruyantes et qui crépitaient ! Les gens n’arrêtaient pas de danser en cercles, tandis que les autres enfants et moi essayions de briser ces cercles…

Quel a été l’instrument avec lequel tu t’es toi-même mis à la musique ? Ca a été le piano, que j’ai appris comme presque tous les enfants de banlieue à cette époque. Ca n’a pas été un choix, mais j’ai beaucoup aimé ça. J’ai commencé très jeune. Dès le début, mon apprentissage a été riche de musiques différentes – je me souviens avoir veillé souvent avec ma sœur pour regarder des clips, danser dans le salon sur David Bowie… Mais je jouais aussi du classique et j’écoutais les disques de folk de mes parents, qui venaient de Macédoine mais aussi de Bulgarie ou de Grèce. Ma mère appréciait aussi Nat King Cole – elle était obnubilée par la culture américaine des années 1950. Je regardait aussi beaucoup les Marx Brothers – Chico et Harpo ont été des influences précoces, dans The Big Store notamment. J’aimais aussi la façon dont la musique classique était utilisée dans les dessins-animés, comme dans The Cat Concerto de Tom & Jerry...



... Je suis arrivé au piano préparé parce qu’après quatorze années de musique classique, je n’en pouvais plus. Je jouais très bien le répertoire, mais je ne savais que faire de mes compétences dans un pays qui offrait peu de structures pour les représentations, la seule option restant d’enseigner à mon tour et de répéter le cycle. Je pense que la même chose est arrivée à beaucoup de musiciens « classique » qui ont un jour goûté à l’improvisation, à la préparation… On atteint le fond d’une impasse culturelle et il te faut trouver des solutions si tu tiens à rester musicien. Le piano préparé a été la mienne. Un de mes amis, violoncelliste, m’a conseillé de me rendre à LaTrobe, où se trouvait à cette époque le département de musique le plus avancé d’Australie : il comptait un studio de musique électronique, des classes d’improvisation, et les personnes qui enseignaient la composition étaient passionnantes… Aujourd’hui, il a fermé et ce genre d’endroit n’existe quasiment plus en Australie malheureusement. A LaTrobe, j’ai donc découvert des musiques importantes qui venaient d’Europe et des Etats-Unis, j’ai aussi beaucoup appris sur l’histoire de la musique expérimentale australienne – avec des gens comme Percy Grainger, Keith Humble, Felix Werder, et même Tristram Carey (qui est arrivé d’Angleterre au début des années 1970.

En relisant la chronique de Chasms, j’y trouve le nom de Ross Bolleter. Connaissais-tu ses activités ? La première fois que j’ai approché le travail de Ross, c’était à l’occasion de ma participation à Pannikin, un projet de Jon Rose qui se proposait, disons, d’évoquer une suite d’Australiens ayant une approche singulière de la musique. Sue Harding, par exemple, qui compose avec des imprimantes matricielles, ou encore, un type de l’Ouest qui pouvait à la fois chanter et siffler des fugues. Ross apparaissait sur la vidéo réalisée pour ce spectacle, et il me fallait improviser sur des images de lui en train de jouer d’un des pianos en ruines du sanctuaire. J’aime vraiment beaucoup ses disques.

Dans le livret qui accompagne Collected Works, tu parles notamment de Ligeti. Quels sont tes rapports avec les compositeurs de musique contemporaine ? Plus jeune, je jouais beaucoup ce genre de musique, alors, peut-être que quelques-unes de leurs manières de structurer les choses a eu un effet sur moi ; mais quand j’ai entendu pour la première fois Atmosphères, j’ai compris que l’orchestre pouvait être dirigé d’une tout autre façon. Ensuite, j’ai entendu de lui Volumina et Continuum qui m’ont fait comprendre que la vivacité pouvait transformer le son d’un instrument en quelque chose de totalement différent. Je pense qu’il a été une sorte de pont lorsque j’apprenais à m’ouvrir davantage aux propriétés de l’acoustique pour élaborer des textures sonores plus étranges… Pour ce qui est de mes influences, je dois ajouter qu’étant enfant, je jouais beaucoup aux jeux vidéo (Atari) chez mes voisins, qui possédaient beaucoup de disques de Jean-Michel Jarre. Nous jouions donc à Centipede au son d’Oxygene et Equinoxe. Je pense que cette façon physique et frénétique de jouer à ces jeux liée à la musique électronique a eu un effet non négligeable sur mon approche musicale.

T'es-tu intéressé aux synthétiseurs ? Oui, bien sûr. J’étais très jeune dans les années 1980, et quand les DX7s et ESQ1s sont apparu, un nouvel univers a ouvert ses portes. Un autre grand moment a été lorsque les musiques de jeux vidéo sont passé du mono au quatre pistes – je n’arrivais pas à croire qu’un ordinateur pouvait rendre des sons aussi sophistiqués (même si aujourd’hui je déteste l’inécoutable soupe pseudo-symphonique qui accompagne la plupart de ces jeux – vivent les bips !). J’ai toujours été très sensible au design sonore, notamment celui des films de science-fiction et des dessins-animés. La télévision australienne nous passait après l’école un épisode de Star Blazers, après quoi j’ai été obsédé par Tron, par exemple – les sons de Frank Serafine sont incroyables à entendre. L’architecture qui fait son lot d’un futur fantasmé, de vastes espaces, de vide, d’immeubles intergalactiques, de murmures mystérieux, j’adore tout ça… A l’heure où je te parle, j’ai THX1138 sur mon iPod, avec les interviews de Walter Murch, c’est incroyable… Mais c’est à LaTrobe que j’ai vraiment commencé à m’intéresser à la musique électronique ; c’est là aussi que j’ai entendu pour la première fois de la musique concrète… Maintenant, j’ai l’impression aujourd’hui que la musique électronique est devenue trop simple, qu’elle manque d’une discipline. L’électronique d’aujourd’hui me fait l’effet d’être trop nostalgique ou pas assez originale, parfois même les deux. Compte tenu de la façon dont internet a affecté les priorités créatives dans le sens où le réseau étouffe tout travail – je pense qu’il est besoin de s’opposer à ce qui se passe aujourd’hui avec des idées provenant d'une réalité physique bien établie. Nous pouvons utiliser des choses du passé, bien entendu, mais il est important pour les idées d’avoir un rapport étroit avec le moment présent. Le danger est celui de se complaire dans un fatras de représentations plutôt que d’être véritablement nous-mêmes. Le spectacle est une sinistre forme de contrôle, et beaucoup d’artistes se transforment facilement en professionnels du spectacle.  Maintenant, la chose la plus importante pour moi a été de voir Machine for Making Sense à l’Université de LaTrobe en 1997. Le concert était incroyable. C'est à partir de là que j’ai voulu mélanger musiques composée, improvisée et électroacoustique, et m’atteler à une musique qui serait la mienne propre. Je pense que Machine for Making Sense est le groupe le plus cool qui n’ait jamais existé.

Quelle distinction pratique fais-tu entre improvisation et composition ? L’une et l’autre révèlent-elles la même chose de tes vues musicales ? La différence entre composition et improvisation dépend vraiment du musicien. Je pense qu’il est possible d’improviser à un haut niveau d’intégrité compositionnelle tout autant qu’il est possible de composer avec une énergie égale à celle que l’on trouve dans l’improvisation, c’est d’ailleurs ce que j’essaye de faire. Est-ce que ça marche ? ça, je ne sais pas… en règle générale, je pense que les improvisateurs n’en savent pas assez sur la composition, et que les composeurs ignorent trop l’improvisation. L’une et l’autre demandent beaucoup de discipline et d’engagement. J’essaye de faire les deux du mieux que je peux, mais en ce moment j'approfondis surtout mes expériences d’improvisation avec des personnes qui ont su garder un sens du défi. Selon moi, par exemple, Pateras/Baxter/Brown en était arrivé à un point où ce que j’y entendais ne me surprenait plus du tout, et c’était un problème. Avec Thymolphthalein, nous travaillons à des structures fluides, mais qui ont aussi des desseins arrêtés. Rien de neuf, Earle Brown faisait ça il y a 60 ans, mais ce qui rend ce truc puissant c’est que nous pouvons réaliser des choses impossibles à faire en improvisation, tout en profitant de la vitalité de l’improvisation. Le caractère électroacoustique du projet apporte à la sonorité une certaine fraîcheur, tout comme le fait que tous les membres du groupe connaissent beaucoup de musiques différentes, ce qui multiplie les possibilités.

groupethym

Comment as-tu pensé Thymolphthalein ? Chaque année, la SWR organiste Total Meeting Music à l’occasion duquel ils proposent à des compositeurs de mettre sur pied un projet à mi-chemin entre jazz et musique contemporaine. C’est une sorte de concert de rêve dans le sens où tu choisis les membres d’un groupe avec lequel tu répètes une semaine durant dans un studio incroyable et qui donne ensuite trois concerts lors d’une tournée suivie par les gens de la radio, qui enregistrent le tout. L’un des plus célèbres projets de cette sorte est la rencontre entre Penderecki et Don Cherry au début des années 1970. Steve Lacy ou le Phantom Orchard ont aussi participé à cet événement. Donc, j’ai moi-même formé ce groupe, Thymolphthalein. C’était complètement fou, j’enseignais la composition à Perth à cette époque – l’idée qu’une radio allemande m’envoie en Europe, me demande de former mon propre groupe et de composer pour lui afin de diffuser le tout sur les ondes dépassait l’entendement. Alors, j’ai appelé Jérôme Noetinger, Clayton Thomas, Will Guthrie et Natasha Anderson, nous avons passé d’excellents moments et depuis nous continuons à jouer ensemble. A la fin, ça ne sonnait pas très jazz, mais en même temps j’ignore un peu la signification de ce terme, alors pas de surprise… Ce groupe est la raison pour laquelle je vis en Europe actuellement. A chaque fois que nous jouons, il se passe un truc terrible, alors qu’il est plutôt difficile de créer en quintette, d’obtenir à la fois de l’espace et de l’énergie sans se départir d’une certaine intégrité formelle.

On ne retrouve pas d’enregistrement du groupe dans tes Selected Works. Comment s’est fait le choix de son contenu ? Mon objectif était plus ou moins de clarifier ce que je fais – de dire que j’improvise et compose avec la même envie, et pour des instruments très différents. J’ai sorti quelques bons disques, des choses qui n’arrivent qu’une fois, et je voulais les partager avec toute personne qui pourraient y trouver quelque chose. Je pense aussi qu’il est intéressant de réunir les pièces pour orchestres et les pièces pour percussions à côtés d’improvisations au piano et à l’orgue : pour y déceler les liens qui les rapprochent, qui sait ?

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Anthony Pateras, propos recueillis en juillet 2012.
Photos : Sabina Maselli & Aaron Chua
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

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