Peter Evans : Destination : Void (More Is More, 2015)
Les phrasés d’Evan Parker joués en ouverture de Destination : Void par la trompette de Peter Evans (Twelve) annoncent quelques chauds chambardements. Quelques notes ânonnées jusqu’à l’absurde par cette même trompette permettent que déambulent les doigts frappeurs de Ron Stabinsky (Twelve encore). Et c’est en cet instant même (Twelve toujours) que se retrouve la magie percussive d’un Jim Black, ici joliment ressuscité.
For Gary Rydstrom & Ben Burtt soigne les chocs-unissons et autres rasoirs-couperets sur lesquels ne sursautent pas les electronics de Sam Pluta qui, au contraire, agrippent l’obsédante partition du trompettiste. Make It So est une pièce contemporaine où errent quelques noirs fantômes : l’horizontalité y est étouffante, les silences également. Les chromatismes de Tresillo annoncent des précipices à venir. Dans la chute surgiront un chorus somptueux du leader et la contrebasse délurée de Tom Blancarte avant que ne surgisse, en toute logique, le cluster fatal et libérateur. Destination : Void ou l’audace d’un quintet (et d’un compositeur) au sommet de son art.
Peter Evans Quintet : Destination : Void (MM / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2013. Edition : 2015.
CD : 01/ Twelve (for Evan Parker) 02/ For Gary Rydstrom & Ben Burtt 03/ Make It So 04/ Tresillo
Luc Bouquet © Le son du grisli
The Home of Easy Credit : The Home of Easy Credit (Northern Spy, 2012)
Par le carreau, on aperçoit Louise Jensen jouer du saxophone ou d’une flûte ou d’electronics ou chanter et Tom Blancarte se concentrer sur sa contrebasse. C’est là The Home of Easy Credit, un endroit où l’on trouve à boire et à manger dans un décor de vide-grenier farfelu.
Tout est préparé sous vos yeux (pas d’overdub, mais beaucoup de sampling en direct) et la qualité va de l’excellent au passable : on recommandera les instrumentales merveilleuses de Monolithic Insanity ou Arches of Gold, qui utilisent la réverbération pour prendre de la hauteur, ou le kaléidoscope de voix de The Feast of the Meal Replacement Bars. Parfois le lo-folk expérimental du duo n’a pas la même saveur, son mystère semble impénétrable. Sa naïveté le gangrène. Dommage mais rien de grave, on peut quand même trouver refuge dans cette musique qui n’en est pas moins originale.
The Home of Easy Credit : The Home of Easy Credit (Northern Spy)
Enregistrement : 2010-2011. Edition : 2012.
CD : 01/ Monolithic Insanity 02/ The Dream of a Democracy of Goods 03/ The Feast of the Meal Replacement Bars 04/ The Dream of Abundance 05/ A Fireproof House for $5000 06/ The Dream of Novelty 07/ Arches of Gold 08/ The Dream of the Pursuit of Happiness 09/ Concentrated Animal Feeding Operation 10/ The Dream of Freedom of Choice 11/ The Geography of Nowhere 12/ Only 827 Miles to Wall Drug
Pierre Cécile © Le son du grisli
Nate Wooley : The Almond, [8] Syllabes, Amplified Trumpets, Trumpet/Amplifier...
Nate Wooley : The Almond (Pogus, 2011)
Voici donc Nate Wooley parti à la recherche de sons rares, troublants pourquoi pas : le 24 avril 2010, il enregistrait à la trompette et à la voix cette Almond de qualité. Les deux instruments s’y passent un relai lourd de significations qu’harmoniques, sifflements, drones et ronflements se disputent. La voix est de fausset, la trompette d’endurance : leur union d’un minimaliste joliment perturbé. Nate Wooley : [8] Syllabes (Peira, 2011)
Enregistré le 18 août 2011, [8] Syllabes est un autre ouvrage de trompette et de vocalises. Wooley y dit les tremblements légers du souvenir de notes longues et rythmées (silences et interventions véhémentes se succèdent) avant de faire tourner un motif de quatre notes que l’écho finira par avaler. Les syllabes promises varient donc, dévient même au gré des intentions. Peter Evans, Nate Wooley : Amplified Trumpets (Carrier, 2011)
Les trompettes amplifiées sont celles de Nate Wolley et Peter Evans, qui s’amusent de la situation. Le duo joue de feedbacks ou d’interventions brèves, dompte un larsen ici, glisse sur proposition bruitiste ailleurs. Il peut encore faire œuvre de déflagration, modulation ou saturation, avant d’investir avec la même impatience un atelier de frappe inspirant : dans lequel il refermera l’exercice.
Jeremiah Cymerman : Fire Sign (Tzadik, 2011)
Sur Fire Sign de Jeremiah Cymerman – clarinettiste et électronicien inquiet d’atmosphères ombreuses –, Wooley est deux fois convoqué. D'abord, Collapsed Eustachian l'oppose à Peter Evans : coups de trompettes et de machines suivis d'une paix établie sur une électroacoustique plus expérimentale. En sextette (avec Cymerman, Sam Kulik, Christopher Hoffman, Tom Blancarte et Harris Eisenstadt), il suit les méandres de Burned Across the Sky, ballade répétitive et profonde que corsète l’archet de violoncelle. Nate Wooley : Trumpet/Amplifier (Smeraldina-Rima, 2011)
En 2007 et 2009, Wooley faisait déjà seul oeuvre de cuivre et d’électricité. Trumpet/Amplifier, d’appeler les travaux de The Almond tout en leur promettant une résonance au son de nonchalance et d’abstraction conjuguées. Révélateur.
Peter Evans : Beyond Civilized and Primitive (Dancing Wayang, 2011) / Ghosts (More Is More, 2011)
Pour ne pas avoir lu Ran Prieur – philosophe ayant publié ce Beyond Civilized and Primitive qui a inspiré Peter Evans –, il s’agira de se faire une idée d’une pensée au gré des sons qu’elle a inspirés. Pas simple, si l’on prend en considération les six pièces du vinyle…
Fruits de deux jours passés en studio, ils font en effet état d’un goût pour l’éparpillement – plutôt charmant, il va sans dire, Nature/Culture n’a-t-il pas déjà prouvé que la solitude va plutôt bien à Evans ? Ainsi le trompettiste rapproche-t-il sur deux faces ses divers intérêts d’instrumentiste curieux : pour des berceuses débordant d’un horizon qui tient dans une note, pour un minimalisme progressant avec lenteur, pour des solos développés sur drone enregistré au préalable, pour des improvisations s’entrechoquant, une expérimentation aux usages pneumatiques ou encore un lyrisme fait pour être érodé.
Si le titre de la berceuse (Complexity, Change, Invention, Stability, Giving, Freedom, and Both the Past and the Future) pourrait expliquer de quoi retourne le disque dans son entier, c’est que les mots qu’on y trouve sont autant de clefs pour la compréhension des gestes et des propositions de Peter Evans comme des exercices et des trouvailles de Beyond Civilized and Primitive.
Peter Evans : Beyond Civilized and Primitive (Dancing Wayang)
Edition : 2011.
LP : A1/ Complexity, Change, Invention, Stability, Giving, Freedom, and Both the Past and the Future A2/ History is Broken A3/ What Is Possible? – B1/ We Like Hot Baths and Sailing Ships… B2/ Simple Tools for Complex Reasons B3/ Our Nature Is Not a Location
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
En compagnie de Carlos Homs (piano), Sam Pluta (live processing), Tom Blancarte (contrebasse) et Jim Black (batterie), Peter Evans défend sur Ghosts une musique qui actualiserait celle de Sun Ra (faut-il oser le faire) ou celle du Miles Davis électrisé (faut-il en avoir envie). Le jazz qu’on y entend est ainsi consigné en capsule qui, après propulsion, deviendra satellite. Les interventions de Pluta ne sont pas pour rien dans la réussite du projet : l'empêchant de ourner en rond parce qu’e lui se refuse à respecter toute ligne de conduite.
Peter Evans Quintet : Ghosts (More Is More / Orkhêstra International)
Enregistrement : 5 et 6 juin 2010. Edition : 2011.
CD : 01/ ... One to Ninety Two 02/ 323 03/ Ghost 04/ The Big Crunch 05/ Chorales 06/ Articulation 07/ Stardust
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Jeremiah Cymerman : Under a Blue Grey Sky (Porter, 2010)
Surtout ne pas prendre les traitements électroniques de Jeremiah Cymerman comme de simples effets subalternes. Ils ne font pas qu’enrichir le quatuor à cordes d’Oliva de Prato, Jessica Pavone, Christopher Hoffman et Tom Blancarte ; ils participent activement à l’étrangeté de la composition en six actes et un intermède (celui-ci entièrement électronique) de Cymerman.
Etrangeté et clarté d’une musique n’avançant qu’à pas lents et discrets, ces six actes aiment à s’envisager en une forme-procession aux destinées évidentes. Ainsi, telle incursion klezmer ou tel archet démonté s’en viendrait presque rompre la bonne marche de l’œuvre. Mais, ici, l’unité ne se brise jamais pas plus que le charme entêtant d’une musique à la douce et sensible obsession.
Jeremiah Cymerman : Under a Blue Grey Sky (Porter Records / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2009. Edition : 2010.
CD : 01/ Act I 02/ Act II 03/ Act III 04/ Act IV 05/ Act V 06/ Interlude 07/ Act VI
Luc Bouquet © Le son du grisli
Peter Evans : The Peter Evans Quartet (Firehouse 12, 2007)
Difficile de trouver un genre qui convienne vraiment pour décrire la musique de ce Peter Evans Quartet que le label Firehouse 12 produisait en 2007. Le premier disque sorti sous le nom du trompettiste parle en effet de jazz, de rock et même de bruitisme.
Chacun des membres du quartet est responsable : Brandon Seabrook (guitare & électronique), Tom Blancarte (basse, écoutez-là répéter son unique note sur Bodies and Souls) et, last but not least, Kevin Shea (batterie) qui n'arrête pas de fouetter pour que la sauce prenne. Et bien sûr elle prend et nappe l'ensemble, qui dépasse tout ce qui a pu nous être présenté jusqu'à aujourd'hui sous l'étiquette « jazz rock ». Même la façon de découper les plages du CD se montre provocante : cutés à l'emporte-pièces, les morceaux vous laissent sur votre faim avant de vous embarquer ailleurs. C'est jeune et fou, et Peter Evans a démontré depuis qu'il l'était toujours autant.
Peter Evans : The Peter Evans Quartet (Firehouse 12 / Instant Jazz)
Enregistrement : 10 et 11 février 2007. Edition : 2007.
CD : 01/ !!!!! 02/ Bodies and Souls 03/ How Long 04/ Tag 05/ Frank Sinatra 06/ Iris 07/ The ¾ Tune
Pierre Cécile © Le son du grisli
Peter Evans et Kevin Shea se produiront ce mardi 24 août à Mulhouse, dans le cadre du Festival Météo, au sein d'un autre quartette : Mostly Other People Do the Killing. Le même Peter Evans pourra être entendu le jeudi 26 au sein d'un The Thing renforcé.