Interview de John Butcher
L'année dernière, le saxophoniste John Butcher s'est fait entendre et remarquer au son de somethingtobesaid (qu'il a produit sur son propre label, Weight of Wax), A Brush With Dignity (Clean Feed) ou encore d'un duo enregistré auprès du batteur Mark Sanders sur la compilation Treader Duos (Treader). Faites prétextes à aller le réentendre sur disques voire à aller l'écouter le 26 février aux Instants Chavirés, voici de courtes réponses à une déjà maigre poignée de questions, puisque si quelque chose doit être dite, ce sera d'abord en musique...
Quel est votre premier souvenir musical ? Sans doute l’excitation autour des Beatles en 1963… Et puis l’école, où nous devions tous jouer de la flûte.
Comment êtes-vous arrivé à la musique ? J’ai d’abord joué avec des copains de classe ainsi qu’avec mon frère, Philip, qui pratiquait la contrebasse. A l’université, j’ai fait partie d’un groupe d’avant-rock, d’un ensemble de vents et de groupes de jazz.
Quels ont été vos premiers instruments ? D'abord la flûte, donc, et ensuite une très mauvaise guitare, un harmonium, et puis le piano classique et le saxophone – je suis autodidacte à l’instrument.
A quelle occasion êtes-vous passé professionnel ? Mon premier travail rémunéré concernait une tournée que j’ai effectuée avec le London Contemporary Dance Theatre en 1978.
Et concernant l’improvisation ? Je pense que j’ai toujours improvisé, dès le début. Comme beaucoup…
Quel est le rapport que vous entretenez avec le jazz, à la fois personnellement et au travers de votre pratique musicale ? J’apprécie beaucoup le jazz enregistré entre 1920 et 1970. Après, seulement quelques trucs par-ci par-là… Jouer du jazz lorsque j’étais encore étudiant m’a beaucoup appris sur le fait de collaborer avec d’autres musiciens.
Vous vous intéressez aujourd'hui autant à la musique acoustique qu'à l'électroacoustique. Y a-t-il dans votre propre discographie des disques que vous préférez aux autres ? En fait, je ne fais pas de réelle différence entre mes différentes pratiques musicales. Pour ce qui est du disque, Invisible Ear est celui qui m'a demandé avec le plus de précision de tirer un CD des nombreuses possibilités cachées du saxophone.
Vous avez jadis participé aux travaux de Polwechsel, pouvez-vous me dire deux mots de cette collaboration ? Eh bien, ils m'ont invité dans le groupe en 1997, lorsque Radu Malfatti le quittait. Et nous avons travaillé ensemble dix années durant.
L'année dernière, vous avez produit sur votre label le disque somethingtobesaid, commande que vous avait passé un festival de musique contemporaine. Quels moyens avez-vous mis en oeuvre pour satisfaire celle-ci ? Le mieux serait que je vous renvoie aux notes que j'ai écrites à l'occasion de ce concert :
A concern in producing somethingtobesaid has been - as I chip away at, and redirect, the individual freedoms and responsibilities of improvisation, can I replace them with anything as worthwhile?
To my mind, the unique qualities of improvisation come alive when the reason for something happening has only been born in the moments just before it is revealed. Of course, even in a “free” improvisation this will only be part of the story - but it’s one so easily lost when rules, instructions and prearranged actions enter the picture.
The musicians in this octet have developed most of their techniques and languages to serve particular ways of making music, and mismatched methodologies can easily suck the blood from sounds and intentions - meaning relies on context (including that put in place by the listener).
That said, whilst the group has been chosen for a number of reasons, not least is my feeling that these players are sympathetic to compositional considerations. They are certainly expert in those that arise intuitively through group consensus in the moment, and have nothing to do with a piece of paper - but also to the more overt systems of explicit organisation, including concepts that a “composer” might bring.
I have deliberately invited into the project a mix of long-term colleagues and, to me, newer faces. My musical history with Chris Burn stretches back 30 years, from student jazz to free-improvisation and composition; I’ve valued a decade-plus of improvising with Gino Robair, Thomas Lehn and John Edwards, whilst there have been just a handful of encounters with dieb13, Clare Cooper, and Adam Linson.
somethingtobesaid is music that could only happen with these players as it relies on their personal musical materials, judgements and experience - developed and honed in some very different cultures, continents and times. In terms of pre-formulating a piece it’s easy to spot the danger, even temptation, of simply rummaging around in the sonic treasure-chest they provide and imposing one’s ego in the name of order, clarity and the greater good.
As it happens, I have more sympathy in control at the microscopic than at the macroscopic level - personal rather than global, at least. Partly in keeping with this, the piece has been constructed through a mix of knowing and not yet knowing the musicians’ sounds and methods, some hopeful psychology in predicting responses, engaging with my own personal concerns, tussling with the role of specifics, pondering the value of ideas that can be notated, and having a well founded trust in the power of improvisation - in certain hands.
L'autoproduction de vos travaux, sur Acta et maintenant Weight of Wax, a-t-elle changé quoi que ce soit à votre pratique musicale ou à la manière dont vous pensez celle-ci ? Eh bien, Acta a sorti 14 disques en 14 ans, et Weight of Wax 2 en 4 ans, il ne s'agit donc pas là d'un travail à temps plein... Je pense qu'Acta avait son utilité à la fin des années 80 pour faire connaître la musique que je jouais en compagnie de John Russell, Phil Durrant et Chris Burn, au-delà des frontières anglaises. Et cela nous a certainement donné l'opportunité de jouer dans d'autres pays...
John Butcher, propos recueillis en décembre 2009.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Gauguet, Lehn, Hautzinger : Close Up (Monotype, 2009)
Entendu aux côtés de Michel Doneda ou parmi de nombreux autres invités sur Compendium Malificarum, le saxophoniste (alto et soprano) Bertrand Gauguet profite de deux concerts donnés avec Franz Hautzinger (trompette, électronique) et Thomas Lehn (synthétiseur analogique) pour composer Close Up.
Dans l’air du temps, remarquer ici d’autres paquets de souffles perturbés, filtrant de l’instrument parfois à peine, parfois à grands coups de projections qui opposeront leur virulence à celle des assauts d’aigus et de larsens programmés par Hautzinger. Toujours démonstrative, l’improvisation peut se satisfaire aussi bien de mouvements séparés, imperceptibles presque, que de grondements soudains, qui s’entendront pour défendre une esthétique convulsive : après une mise en place entendue, Close Up 03 pour exemple le plus frappant.
Gauguet, Lehn, Hautzinger, Close Up 02 (extrait). Courtesy of Monotype.
Bertrand Gauguet, Franz Hautzinger, Thomas Lehn : Close Up (Monotype Records)
Enregistrement : 2007-2008. Edition : 2009.
CD : 01/ Close Up 01 02/ Close Up 02 03/ Close Up 03
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
John Butcher Group : Somethingtobesaid (Weight of Wax, 2009)
Commande passée à John Butcher par le festival de musique contemporaine d’Huddersfield (et enregistrée là l’année dernière), Somethingtobesaid est une pièce découpée en neuf mouvements qui trahit les obsessions électroacoustiques de son auteur.
Pour évoluer lentement au gré des gestes d’un groupe de huit musiciens concentrés : Butcher, donc, aux saxophones, et puis Chris Burn (piano), Clare Cooper (harpe), dieb 13 (turntables), John Edwards (contrebasse), Thomas Lehn (synthétiseur), Adam Linson (électronique) et Gino Robair (percussions). Par phases grandiloquentes ou discrètes, Somethingtobesaid amasse mouvements de cordes fuyantes et combinaisons de notes affolées, répond ici aux obligations d’une emphase fulgurante pour s’abandonner ailleurs au murmure d’expressions timides. En qualité de commandeur, intervient de rares fois une voix préenregistrée, décisionnaire des impulsions indispensables à donner à la musique à flot de ce qui devait être dit.
John Butcher : Somethingtobesaid (Weight of Wax / Improjazz)
CD : 01-09/ Somethingtobesaid
Enregistrement : 2008. Edition : 2009.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Urs Leimgruber, Thomas Lehn : Lausanne (For 4 Ears, 2009)
Au regard des habituelles rencontres et combinaisons ad hoc qui sont d’usage sur la scène européenne de l’improvisation, le fait que Thomas Lehn (synthétiseur analogique) et Urs Leimgruber (saxophones ténor & soprano) se soient retrouvés au Théâtre du Lapin Vert de Lausanne, en décembre 2006, n’a pas de quoi surprendre outre mesure… Encore que leur association ne soit pas si évidente.
En duettiste aguerri, Lehn, de ses nuées électriques, ouvre tiroirs, cavernes ou univers entiers, à francs coups d’élytres ; travaillant sur des échelles et profondeurs fort diverses, il offre des pistes vers l’abstraction ; Leimgruber s’y engage : close miking, grincements ou bourdonnements œuvrent à la dissolution de l’instrument sans confiner pourtant à sa recréation – très grand styliste, le souffleur suisse n’en reste pas moins encore saxophoniste et peut-être son agilité, sa versatilité s’épuisent-elles dans pareil contexte (sans doute comprend-on mieux alors les sommets auxquels il touche lorsque la théâtralité réactive de son geste retrouve celle de Joëlle Léandre ou Fritz Hauser).
Il semble, et ce sont alors les plus belles explorations du disque, que l’intrication des timbres soit d’autant plus féconde que la poussée est longue, débarrassée de certaines agitations, pénétrée d’une cinétique neuve – et c’est fréquemment le cas dans cet intéressant enregistrement.
Urs Leimgruber, Thomas Lehn : Lausanne (For 4 Ears / Metamkine)
Enregistrement : 2006. Edition : 2009.
CD : 01/ Un 02/ Deux 03/ Trois 04/ Quatre 05/ Cinque
Guillaume Tarche © Le son du grisli
Urs Leimgruber déjà sur grisli
Love Letters to The President (Intakt - 2009)
Idp-Cologne (Psi - 2005)
13 Pieces for Saxophones (Leo - 2007)
Thomas Lehn déjà sur grisli
One (Sofa - 2005)
HHHH (Unsounds - 2005)
The Cortet : HHHH (Unsounds, 2005)
Voué tout entier à l’improvisation, le quartette formé par le pianiste Cor Fuhler tâche, avec HHHH, de fondre une approche musicale acoustique et une esthétique proche de celle défendue régulièrement par la musique électronique expérimentale.
Soit, en partie par les seules interventions du synthétiseur analogique de Thomas Lehn, transformer les inspirations du moment en pièces ultramodernes. Alors, des glissandos réverbérés à loisir imposent une atmosphère de glace (HL) ; le saxophone de John Butcher laisse poindre quelques notes entre deux souffles et trois chocs de clefs (TH) ; les phrases brèves des cordes et des anches s’imbriquent jusqu’à former un final récréatif (CH).
Passée à la moulinette digitale, la harpe de Rhodri Davies répond parfaitement aux chapelets de 4 notes de piano que Fuhler égrène avant de laisser choir (TH). La texture de l’ensemble, parfois lumineuse, sert malgré tout de prétexte à un déroulement simplement abstrait. Malgré les changements d’axes fréquents et le renouvellement des intentions, on peine à y trouver la trace d’un intérêt véritable.
HN, toutefois, ose quelques surprises : Butcher à l’aise une fois sorti de son axe, ou le piano, minimal et répétitif, dressant une parallèle intéressante avec les coups sèchement portés sur la harpe, échappatoire éphémère à la monotonie ambiante. Pas suffisant, ceci dit, pour rattraper entièrement un précis de cuisine interne qui pâtit des efforts appuyés qu’on y trouve ; qu’on avait pourtant mis là pour ne pas trop vite ennuyer l’auditeur.
The Cortet : HHHH (Unsounds)
Edition : 2005.
CD : 01/ HL 02/ RH 03/ TH 04/ HN 05/ CH
Guillaume Belhomme © Le son du grisli.
Toot : One (Sofa, 2005)
Trio frondeur sévissant depuis la fin des années 1990, Toot réunit le Britannique Phil Minton et les Allemands Thomas Lehn et Axel Dörner autour de l’élaboration de collages musicaux hystériques. Refusant toute logique, One présente quatre extraits de trois récentes performances en public.
Eléments épars plantés là pourquoi ? Question inabordable dans le cas de Toot. L’intérêt est ailleurs, qui réside dans la manière d’aborder les inspirations, de les taire ou de les imposer. Ainsi, sur les quasi ultrasons du synthétiseur de Lehn, le trompettiste Dörner met en pratique une hydraulique sonore qui emportera tout (01). Les expériences vocales de Minton, soumises à des référents visuels, évoquent, tour à tour, les onomatopées de personnages de Plympton, les bruitages de jeux vidéos inédits, ou les cris d’angoisse d’un homme civilisé qui déchante.
Régissant l’ordre des choses sur 02 et 03, les invocations insolentes et désespérées mettent à mal la fantaisie des simples collages bruitistes. Là, on imbrique des volumes, convulsivement, le rouge aux joues, jusqu’à ce que l’ensemble tienne de lui-même. Les voix organiques et les appels internes cherchent à s’acclimater en milieu hostile, univers de Tron exposé sous cloche.
L’oubli d’un entretien possible et le refus de théories à aborder n’empêchent pas Toot de calquer ses intentions sur d’autres utopies. L’Ursonate de Kurt Schwitters, par exemple, qui accueille bientôt des oiseaux perchés sur un éboulis de matières sonores rugueuses (04). L’audace est belle, qui abandonne les formes et les significations, accepte l’incompréhension inévitable que l’on se verra opposer. L’intention est menée à bien, qui propose une alternative que l’on sait, dès le départ, irrecevable.
Toot : One (Sofa)
Edition : 2005.
CD : 01/ 01 02/ 02 03/ 03 04/ 04
Guillaume Belhomme © Le son du grisli