John Butcher, Thomas Lehn, John Tilbury : Exta (Fataka, 2013)
Le titre de l'enregistrement (comme les intitulés de ses cinq improvisations) a beau annoncer des entrailles tirées de quelque cérémonie antique, la photo de pochette promettre des viscères pendus sur crocs, le beau sang de bœuf du disque préparer à l'hémoglobine, l'audition de cette heure de musique (extraite d'une séance de studio en juin 2012) ne révèle aucun étal de tripier...
C'est pourtant à l'écoute d'un organisme – celui que forment et sondent John Butcher (saxophones ténor & soprano), Thomas Lehn (synthétiseurs) et John Tilbury (piano) – dans sa temporalité propre, sa pénombre, son mystère, qu'il faut se placer : un pouls insensible, des villosités parcourues de fines ondes électriques, des cavités qu'ouvre le synthétiseur échographe.
Inédite, l'association de ces trois musiciens qui se sont indépendamment fréquentés dans AMM, MIMEO, Thermal ou le Cortet de Fuhler, installe chacun au plus discret, dans une suspension qui agit comme une force d'attraction sur l'auditeur ; frôlant parfois une sorte de torpeur hypnotique, penché sur les humeurs et rumeurs de ce corps, l'exercice est d'une absorbante splendeur.
EN ECOUTE >>> Pulmo II
John Butcher, Thomas Lehn, John Tilbury : Exta (Fataka)
Enregistrement : juin 2012. Edition : 2013.
CD : 01/ Pulmo I 02/ Cor 03/ Pulmo II 04/ Iecur 05/ Fel
Guillaume Tarche © Le son du grisli
John Tilbury se produira ce jeudi 29 août à Mulhouse, en compagnie d'Isabelle Duthoit, Keiji Haino et Franz Hautzinger. Deux jours plus tard, dans la même ville, John Butcher apparaîtra seul à la Friche DMC. Dans les deux cas, le cadre sera le même, qui a pour nom Météo.
LHZ+H : Scope (Monotype, 2011)
Du synthétiseur de Thomas Lehn partent des projectiles sonores faits (et j’ose le dire sûrement pensés) pour nous abattre. Et ce dessein, Carl Ludwig Hübsch, Philip Zoubek et Franz Hautzinger le font leur sur ce CD du groupe-initiales LHZ+H.
Scope est sans doute le nom de code de l’attaque. Coups de piano préparé et cris de sirènes sont les éléments du chaos lent de la première piste. De là à la deuxième, les instruments vrillent et les échanges plus énergiques composent avec pertes et fracas (le tuba ne cesse malgré cela de sonner la charge). Puisque nous sommes protégés par la distance qui nous sépare des musiciens, ce n’est pas pour l’auditeur qu’il faut craindre. La preuve dans la conclusion : cette électroacoustique là abat des murs de sons dont la chute anéantira même les instruments. C’est bien fait !
LHZ+H : Scope (Monotype)
Edition : 2011.
CD : 01/ Zoom 02/ Scope 03/ Lesn 04/ Hal
Pierre Cécile © le son du grisli
Urs Leimgruber, Jacques Demierre, Barre Phillips : Montreuil (Jazzwerkstatt, 2012) / 6ix : Almost Even Further (Leo, 2012)
Ensemble, Urs Leimgruber, Jacques Demierre et Barre Phillips, ont enregistré quelques références incontournables de leurs discographies respectives. Enregistré le 15 décembre 2010 aux Instants Chavirés, Montreuil est de celles-là. Remarquable, d’autant qu’il s’agissait de succéder à un imposant Albeit – paru en 2009 sur le même label.
Quatre temps. Et la mesure, d’abord. Suite d’accrochages d’éléments épars qui finissent par former une composition de fraction et d’ordre inversé. Au point que voici le piano tirant sur le clavecin et le soprano fait machine à bourdons. Une esthétique du démembrement dont les fuites et brisures sont rattrapées au vol par l’archet de Phillips. Sur le filet de voix de celui-ci, Northrope peint un ciel lourd aux éclaircies retentissantes sous lequel va le délire d’un piano-harpe : derrière lui, ce sont des frappes multipliées et des bruissements amassés jusqu’à ce qu’ils forment un épais rideau derrière lequel tout disparaîtra.
Après quoi, Leimgruber, Demierre et Phillips, entament une marche et puis une danse : le soprano cherchant l’équilibre avant de se plaire à cabrioler ; le piano et la contrebasse allant de frappes toujours décisives en incartades aptes à déstabiliser l’improvisation, « simplement » par jeu. Au ténor, Leimgruber passe enfin : le trio déboîte une nouvelle fois, du chant qu’il entame s’échappent les derniers éclats sonores, fantastiques excédents d’une imagination en partage.
Urs Leimgruber, Jacques Demierre, Barre Phillips : Montreuil (Jazzwerkstatt / Amazon)
Enregistrement : 15 décembre 2010. Edition : 2012.
01/ Further Nearness 02/ Northrope 03/ Welchfingar 04/ Mantrappe
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Faire résonance de tout. Sans violence, libérer les sons enfouis. Animer le si fin qu’il en devient insupportable de beauté. Laisser scintiller tout son. Ne jamais stopper sa course. Maintenir la tension. Faire du silence un complice. Racler, encore plus profonde, la résonance. Maîtriser le geste et son rebond. Faire de l’improvisation un éveil. Laisser la crispation au vestiaire. Se délester, entièrement et totalement. Soigner la blessure. Faire oubli des dogmes. Imprimer l’oasis dans le songe. Toujours, solliciter l’inouï. Toutes choses, inestimables et inépuisables, glanées et saisies par les six (Jacques Demierre, Okkyung Lee, Thomas Lehn, Urs Leimgruber, Dorothea Schürch, Roger Turner) de 6ix.
6ix : Almost Even Further (Leo Records / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2011. Edition : 2012.
CD : 01/ Almost Even Further 02/ As Now 03/ Faintly White 04/ Gorse Blossom
Luc Bouquet © Le son du grisli
Konk Pack : Doing the Splash (Megaphone / Knock’Em Dead, 2013)
Doing the Splash est l’histoire d’une aimantation : retrouvés en surface, des éléments de synthétiseur analogique (Thomas Lehn), de lap steel guitar (Tim Hogkinson) et de batterie (Roger Turner). Le premier aurait attiré les deux autres dans une chute volontaire – improvisation enregistrée au Café Oto le 18 décembre 2012.
Après les gentillesses d’usage (discrétion voire sensibilité en ouverture), les rivalités s’expriment sur les rumeurs de dispositifs miniatures et les bruits divers d’un grinçant atelier. Quand les camouflages n’empêchent plus qu'on reconnaisse les instruments (la guitare, première de toutes), alors vient pour eux le moment de tonner. La bataille à suivre en dit, au son, aussi long sur les ressources individuelles de chacun des membres de Konk Pack que de la santé de leur association (longtemps éditée sous étiquette GROB).
Konk Pack : Doing the Splash (Megaphone / Knock’Em Dead / Orkhêstra International)
Enregistrement : 18 décembre 2012. Edition : 2013.
CD : 01/ Magic Ear Self Zoom 02/ Wall Of Red Thoughts
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Scott Fields : Moersbow/OZZO (Clean Feed, 2011)
A Cologne, Scott Fields dirige un ensemble de vingt-quatre musiciens (dont font partie Frank Gratkowski, Carl Ludwig Hübsch, Thomas Lehn, Matthias Schubert) et argumente sa conduction d’une fluidité exemplaire.
Ici, continuité et exploration d’une texture contenue (Moersbow en hommage à Merzbow) ; ailleurs, séparation des cuivres et des cordes avant réunion ténébreuse des deux entités ; plus loin, percées solitaires et retrouvailles en forme d’unissons salvateurs. Et dans tous les cas de figures, une justesse de ton et de forme ne s’encombrant d’aucune démonstration de force ou de virtuosité inutile.
Scott Fields & Multiple Joyce Orchestra : Moersbow/Ozzo (Clean Feed / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2009. Edition : 2011.
CD: 01/ Moersbow 02/ Ozzo 1 03/ Ozzo 2 04/ Ozzo 3 05/ Ozzo 4
Luc Bouquet © Le son du grisli
Shift : Songs from Aipotu (Leo, 2011)
Au début les traits ne sont pas totalement définis, les frontières sont poreuses. Plutôt qu’une musique de tension(s) et de détente(s), s’envisage une musique d’attente et d’accomplissement. Le sens de ces grouillements, craquèlements et quasi-silence s’éclaircissent peu à peu. Dans ce demi-songe qu’est Introduction, les sons, frêles et distants, se brouillent, s’entrechoquent et donnent naissance à un rythme tendu, délivrant ainsi les élans enfouis. Le synthétiseur pousse alors ses larges vagues en plein large, le piano ne s’incommode plus d’un solo tranchant et la clarinette devient presque debusyenne.
Maintenant, tous peuvent resserrer les formes, ne plus taire leur jeu et grignoter le spasme en son entier (Modern Classics, Shot). Ainsi va la musique de Shift (Frank Gratkowski, Thomas Lehn, Philip Zoubek, Dieter Manderscheid, Martin Blume) : libre, autonome et diablement convaincante.
EN ECOUTE >>> Un extrait de 40 secondes
Shift : Songs from Aipotu (Leo Records / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2008. Edition : 2011.
CD : 01/ Introduction 02/ Modern Classics 03/ Gavotte 04/ Shot
Luc Bouquet © Le son du grisli
MIMEO : Wigry (Bôłt / Monotype, 2011)
La liste alphabétique des musiciens à trouver en ce MIMEO réuni à l’automne 2009 à Wigry : Phil Durrant (synthétiseur, sampler), Christian Fennesz (ordinateur), Cor Fuhler (piano), Thomas Lehn (synthétiseur), Kaffe Matthews (ordinateur), Gert-Jan Prins (electronics), Peter Rehberg (ordinateur), Keith Rowe (guitare), Marcus Schmickler (ordinateur), Rafael Toral (ordinateur).
Inutile – si ce n’est « pour le sport » et encore par goût de la défaite – de chercher à mettre un nom sur telle ou telle intervention si celles-ci ne donnent pas clairement d’elles-mêmes la nature de leur instrument. Autour d’une table rectangulaire disposée dans une église, d’imposants représentants d’une société secrète jouèrent à la Cène au son d’une improvisation inquiète.
La musique est entremetteuse, œuvrant avec patience de silences en artifices, de brondissements en stridulations, d’accalmies en dépressions. Son matériau est de métal ou de soie et son grand sujet un magnétisme qui fait de sillons disparates un grand chemin tortueux. Sous la brume, celui-ci laisse échapper des spectres sans autre motivation que celle de faire grand bruit. Voici l’église de Wigry pleine de clameurs nouvelles.
EN ECOUTE >>> A >>> B >>> C >>> D
MIMEO : Wigry (Bôłt / Monotype / Metamkine)
Enregistrement : 2009. Edition : 2011.
2 LP : A/ - B/ - C/ - D/ -
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Thomas Lehn, Marcus Schmickler : Live Double Séance (Mego, 2011)
Je me souviens de Thomas Lehn, au synthétiseur, et Marcus Schmickler, à l’ordinateur, avec Keith Rowe et Toshimaru Nakamura sur le label Erstwhile, mais j’ignorais le reste de leur collaboration née fin 1998 de leur rencontre dans MIMEO (Discogs parle de trois disques en duo avant ce Live Double Séance).
Sorti sous format LP et accompagné d’un DVD, cette captation de concert a un arrière-gout d’avant-garde d’hier (vous suivez ?) mais conserve un charme patent. Après s’être détachée de référents rythmiques, l’électronique du duo s'invente autant dans les rivalités que dans les conciliations. Leurs accélérations et décélérations d’engins de science-fiction et leurs sonorités d’un autre âge n’empêchent pas Lehn et Schmickler de faire des découvertes qui détonnent. En bataillant – attention : tous les coups sont permis ! –, le duo menace tout sauf notre curiosité et notre intérêt…
Thomas Lehn, Marcus Schmickler : Live Double Séance [Antaa Kalojen Uida] (Mego / Metamkine)
Enregistrement : 14 novembre 2010. Edition : 2011.
LP : Live Double Séance [Antaa Kalojen Uida]
Pierre Cécile © Le son du grisli
Thomas Lehn jouera à Mulhouse le 26 août, dans le cadre du festival Météo, en 6IX avec Dorothea Schurch, Jacques Demierre, Urs Leimgruber, Okkyung Lee et Roger Turner.
Tiziana Bertoncini, Thomas Lehn : Horsky Park (Another Timbre, 2011)
Echappés de l’ensemble]h[iatus : au violon, Tiziana Bertoncini. Au synthétiseur analogique, Thomas Lehn. Trouvés en Horsky Park.
C'est un endroit aménagé en deux temps. Honneur à la pièce la plus récente : Galaverna, enregistrée à Milan l’année dernière, agence délicatesses et frénésies vindicatives. L’archet frémit sous les insistances analogiques avant de surprendre Lehn par sa faculté de réaction franche et même d’indépendance.
Sur Moss Agate, pièce qui date de 2006, les cordes sont cette fois pincées. Bertoncini se fait plus discrète en conséquence, mais s’essaye à des gestes parallèles pour coller à l’atmosphère d'angoisses que Lehn développe sur deux tons. A force, les cordes s’agacent, insistent à leur tour puis découpent des notes qui seront transformées en machines.
Ainsi Tiziana Bertoncini a, auprès de Thoms Lehn, perdu en devenir ce qu’elle a gagné en indépendance. L’exposition des deux tableaux qui attestent cette évolution est heureuse et manifeste.
EN ECOUTE >>> Galaverna (extrait) >>> Moss Agate (extrait)
Tiziana Bertoncini, Thomas Lehn : Horsky Park (Another Timbre / Metamkine)
Enregistrement : 2006, 2010. Edition : 2011.
CD : 01/ Galaverna 02/ Moss Agate
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Phil Durrant, Thomas Lehn, Radu Malfatti : Beinhaltung (Fringes, 1999)
Ombres furtives, accrocs dans le tissu nocturne, lointaines promesses d’orages, craquements ténus et rideaux glissant sur d’autres espaces : Beinhaltung (Bein-haltung ou Be-inhaltung ? le n°20 de la revue Peace Warriors l’expliquait) est un disque secret, dont l’audition même crée une tension dans l’air ; un disque devenu tout aussi rare – 400 exemplaires très élégamment présentés – qu’influent (pour ne pas dire imité), enregistré en 1996 et 1997. Si le trio fournit ensuite, chez Erstwhile, le volume intitulé Dach, il semble bien que la magie n’était plus la même… Elle se prolonge aujourd’hui, autour de Malfatti, avec les superbes duos Going fragile (avec Mattin, label Formed) et Imaoto (avec Klaus Filip, label Erstwhile)…
Lambeaux de rêves corrodés : Phil Durrant (violon – qu’il a aujourd’hui troqué pour un laptop) ; feux d’artifice de poche, effilochés : Thomas Lehn (synthétiseur analogique) ; feulements épars, délicieusement façonnés : Radu Malfatti (trombone) ; leur art commun d’habiter le silence fascine, et son effet perdure ; le disque arrêté, l’écoute continue.
Souvenir : printemps 2000, à Nancy (Lillebonne), j’assiste à un concert du groupe. Une tribune métallique a été installée, grinçant de tous côtés sous le poids du public qui finit par s’en amuser ; on s’en agace sur scène – que Malfatti quitte, en espadrilles – et dans les gradins – un spectateur se dresse pour sermonner ses congénères, on le rembarre à juste titre –, une trêve est exigée avant que le trio ne reprenne place… très finement accompagné par la structure sonore qui a, oui, son mot à dire. Heureux l’organisateur d’un concert de la sorte, aussi riche d’événements ! Honnis les suiveurs (poseurs & causeurs) de musiciens de cette trempe !
Phil Durrant, Thomas Lehn, Radu Malfatti : Beinhaltung (Fringes)
Enregistrement : 1996-1997. Edition : 1999.
CD : 01/ Beinhaltung 1 02/ Beinhaltung 2
Guillaume Tarche © Le son du grisli
Radu Malfatti et Klaus Filip se produiront ce mercredi 25 août à Mulhouse dans le cadre du Festival Météo. Plus tard dans la journée, Thomas Lehn investira le Noumatrouff en compagnie du pianiste Frédéric Blondy.