Ingar Zach, Frédéric Blondy, Eivind Lønning, Espen Reinertsen : Paris, 30 mai 2014
Carré magique : à Saint-Merry, le taulier et pianiste (in- et outside) Fred Blondy avait déjà invité Ingar Zach à jouer (avec Xavier Charles) dans le cadre de l'excellent festival automnal Crack. Le percussionniste norvégien revient cette fois avec Streifenjunko, duo soufflant composé de ses jeunes compatriotes Eivind Lønning (trompette) et Espen Reinertsen (saxophone ténor). Deux jours de résidence ont suffi à ce quatuor pour trouver ses marques, les inscrire dans le temps et l'espace d'un concert, et prendre son envol.
Une première pièce s'organise autour des sons d'allure spectrale que tirent Blondy et Zach des cordes graves du piano et du corps de la grosse caisse. Lønning et Reinersten, séparés par Zach, insinuent leurs boucles dans ce tissu. Lorsque Blondy s'assoit au clavier, les canvas feldmaniens de Why Patterns? ne sont pas loin.
Après la pause, changement de registre. Carré fou : sous la baguette de Zach, place à l'éclatement, aux interjections, aux clusters et aux frappes sèches. Aucune dispersion cependant, aucune déperdition, tout est tenu – sauf la gestuelle de Blondy, qui danse avec son piano en frappant des agrégats de silence aussi fort qu'un Jerry Lee Lewis « étendu ».
Cette seconde pièce, par un processus mystérieux, se transmuera en une ample ad libitum aux sonorités profondes et douces, suspendu loin au-dessus de l'abstraction, dans une espèce d'immatériel glorieux, peint en quatre dimensions : carré blanc.
Ingar Zach, Frédéric Blondy, Eivind Lønning, Espen Reinertsen, Paris, Eglise Saint-Merry, 30 mai 2014
Claude-Marin Herbert © Le son du grisli
Koboku Senjû : Selektiv Hogst (Sofa Music, 2010)
C'est encore une histoire de couleurs sorties d'une palette sombre. C'est encore une histoire de drone et d'électricité, une histoire qui vous agrippe et vous poste, de nuit, sous un réverbère et sous la pluie, quelque part : Tokyo peut-être, ou alors est-ce Göteborg ? Alors qu'on tourne la tête et qu'on se demande quoi faire, les basses du no-input mixing board de Toshimaru Nakamura entrent en vous et prennent les commandes.
Autre Japonais de l'épreuve, Tetuzi Akiyama fait lui entendre un arpège de guitare, incomplet, un accord qui ajoute un charme naïf à l'expérience, un charme naïf et caressant. La palette contient d'autres instruments : le saxophone d'Espen Reinertsen et la trompette d'Eivind Lonning, les deux membres de Streifenjunko, et le tuba de Martin Taxt. Il y a peu, la même formation si ce n'est amputée de Nakamura dessinait les atmosphères de Varianter av dode traer. Aujourd'hui, Nakamura est là pour découper les vents, écarter un accord de guitare avec un grognement et obliger les instruments à vents à se faire plus violents. C'est encore une histoire de couleurs, pour lesquelles il faut se battre parce qu'il est question de la lumière des paysages : le dernier mot ira d'ailleurs à la mélancolie mélodique, souvenir de Paris, Texas qui vous arrive alors que vous en êtes toujours là : quelque part, sous le même réverbère. A Tokyo peut-être, ou alors à Göteborg ?
Koboku Senjû : Selektiv Hogst (Sofa Music)
Edition : 2010.
CD : 01/ Nedvekst (om å vokse nedover) 02/ Fanget under giftig bark 03/ På leting etter skygge 04/ Vintersøvn 05/ Dyr som blir spist av andre dyr 06/ Dypdrenering 07/ Alt starter med regn
Héctor Cabrero © Le son du grisli
Streifenjunko: No Longer Burning (Sofa - 2009)
Premier enregistrement du duo norvégien Streifenjunko – fait du saxophoniste Espen Reinertsen et du trompettiste Eivind Lønning, tous deux entendus sur Varianter av døde trær –, No Longer Burning dispose de neuf vignettes hésitantes qui, amalgamées, se montrent capables de cohérence.
Changeant souvent d’enveloppe, la pratique instrumentale du duo commande différentes atmosphères : vague à l’âme transi respectant la trajectoires des lignes (Gamma Ray in Slow Display), récitation à l’unisson d’une mélodie perturbée (Plutonium Blues), superposition de sphères invoquée pour justifier une accumulation de lamentations et de murmures (Colored Like Coal).
Plus longs, les deux titres de la conclusion racontent des paysages au ciel bas, espace confiné d’un entre deux notes seulement (Stray With Me) et plaine indistincte partagée entre longs silences et projectiles expressionnistes (A Calm Radiance of Light or Heat). La musique des sphères, réinventée, et autrement accommodante.
CD: 01/ Gamma Ray in Slow Display 02/ Clean Gasoline 03/ Plutonium Blues 04/ Under a Toxic Mist 05/ Colored Like Coal 06/ The Coldest Part of Winter 07/ Stray With Me 08/ Selection of Dead Trees 09/ A Calm Radiance of Light or Heat >>> Streifenjunko - No Longer Burning - 2009 - Sofa Music.