Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

LDP 2015 : Carnet de route #26

ldp 2015 26 buffalo

Revenus des Etats-Unis, Jacques Demierre et Urs Leimgruber ont désormais retrouvé Barre Phillips. Avant d'évoquer les retrouvailles en question, ils livrent ici le souvenir de leur passage par Buffalo.



28 octobre, Buffalo
Hallwalls Contemporary Arts Center

Hallwalls wurde an der West Side von Buffalo ende 1974 von einer Gruppe junger bildender Künstler (einige von ihnen waren immer noch Studenten) - Diane Bertolo, Charles Clough, Nancy Dwyer, Robert Longo, Cindy Sherman und Michael Zwack gegründet. Letzterer hatte eine Ausstellungsfläche ausserhalb der Halle und den Studios, in einem ehemaligen Raum eines Eiskellers geschnitzt. Von Anfang an war ihr Interesse neue Arbeiten von lokalen Künstlern zu zeigen und den Austausch zwischen ihnen und Künstlern aus anderen Städten zu ermöglichen, indem Gastkünstler Vorträge hielten oder Installationen erstellten, mit der Absicht im Austausch Austellungen in ähnlichen Räumen und in andern Städten zu organisieren. Ihr Fokus war immer interdisziplinär, sowie nach außen gerichtet, nicht nur für bildende Künstler, sondern auch für Musiker, Schriftsteller, Filmemacher und Video- und Performance Künstler. Hallwalls etablierte sich bald als eine einflussreiche Kraft für Innovation innerhalb der örtlichen Gemeinschaft als auch auf nationaler Ebene, und entwickelte seine kleinen Ressourcen durch den Zusammenschluss mit anderen kulturellen Einrichtungen, sowohl für größere und kleinere, gemeinsame Projekte.
Hallwalls bietet heute eine ideale Plattform für verschiede Formen von Musik. Zeitgenössische, komponierte Musik, Improvisierter Musik, Folk und experimental Rock. Seit vielen Jahren ist Steve Baczkowski, musikalischer Leiter zusammen mit David Kennedy zuständig für das Programm improvisierter Musik. Die Konzerte finden jeweils in einem mittelgrossen Konzertraum mit einer ausgezeichneten Studio Akustik statt. Heute treffen wir uns wieder mit dem Cellisten Fred Lonberg-Holm. Nach dem Auftritt in Ann Arbor spielen wir das erste Mal als Trio. Wir positionieren uns im Halbkreis, gleich wie im Trio mit Barre. Jacques ist wie immer von der Bühne aus rechts, Fred links und ich in der Mitte. Wir spielen selbstverständlich komplett akustisch. Und wir zeigen das Video mit Barre: „when I was a kid“... später spielen wir mit Barre und dem Video. Tak! Sofort fallen die Töne in den offenen Raum. Sie klingen aus, sie transformieren sich in Geräusche, sie zersetzen sich abrupt und im decrescendo. In Verbindung mit dem Cello habe ich den Eindruck mein Sopran klinge höher als mit dem Bass und das Tenor tiefer. Interessant? Wir agieren horizontal, vertikal sehr leise und laut, abrupte Wechsel lösen sich ab, dazwischen gibt es Stille. Wir spielen Flagolets und Mehrklänge entwickeln feedbacks und Verzerrungen. Vertrackte Rhytmen, Schläge ertönen, Beben und Donner fügen sich ein. Das Konzert nimmt seinen Verlauf... Die Zuhörer sind sehr aufmerksam, sie partizipieren am experimentellen Erlebnis. Am Schluss applaudieren die Leute begeistert und die Spannung hält an . „This was an amazing show“ sagt Steve und bedankt sich bei den Musikern. Anschliessend gehen wir gemeinsam in eine naheliegende Bar zu Bier und Chicken Wings. Draussen stürmt und regnet es heftig.
U.L.  

a  b

Ce qui attira d'abord mon attention en pénétrant dans le Bashford Hall, ce fut le granulé de la surface du couvercle portant l'inscription STEINWAY & SONS. Je ne pus m'empêcher de rechercher dans le son de ce piano construit à New-York dans les années 1920 un même rendu de texture. Que je ne retrouvai évidemment pas. Je revins alors vers cette surface formée de petits grains inégaux en laissant courir mes doigts le long de son étendue. Ce geste simple se transforma étonnamment en une sorte d'aventure personnelle. Chaque nouveau contact avec chaque nouvelle parcelle de surface instrumentale fut comme autant d'imprégnations qui agiront sur la matière des gestes musicaux improvisés en concert quelques heures plus tard. Cette rencontre avec l'extérieur du corps de l'instrument, sans produire aucun son, si ce n'est celui du glissement de mes doigts, me renvoya à mes propres limites sonores, m'imaginant soit les déplacer soit les élargir. L'absence de son me laissait voir-entendre l'étendue qu'allait prendre ce son une fois propagé. Sans son, il m'était plus facile de me dépouiller de mes manies sonores personnelles et d'ouvrir ainsi un espace où, paradoxalement, mon expression personnelle jouirait en fin de compte de davantage de place pour s'exprimer. Changer de sens, littéralement, m'avait permis d'éviter cet écueil dont parle Nietzsche: "Il est difficile et pénible à notre oreille d'écouter quelque chose de nouveau; nous entendons mal la musique qui nous est étrangère. (…) Le nouveau se heurte à l'hostilité et à la résistance de nos sens. De manière générale, même les processus sensoriels les plus "simples" sont dominés par l'affectivité, par la peur, l'amour, la haine par exemple, ou, négativement, par la paresse." Ce n'est en tous les cas pas la paresse qui poussa David Kennedy, qui organisait ce soir-là son dernier concert, et qui m'avait écrit que si sa mémoire était correcte, j'allais jouer sur un Steinway Baby Grand, 5'7'', appartenant à la série M, à défendre avec passion durant de nombreuses années les pratiques sonores expérimentales et improvisées à Buffalo. Effleurer des doigts l'architecture granuleuse de ce piano STEINWAY & SONS, fut comme étudier les formes sonores produites par l'instrument et les confronter aux virtualités que l'on porte éventuellement en soi...

P1100570

... Une auto-exploration qui soudainement a fait de ce piano un livre ouvert, où les mots écrits dans la matière même de l'instrument me sont apparus comme un immense poème visuel, tout en tension, autres cordes vibrantes, face aux structures de bois et de métal :

STEINWAY FOUNDRY CASTING
TUBULAR METALLIC ACTION FRAME PAT.

au-dessus en plus petit

STEINWAY & SONS
la célèbre lyre en double S, où père et fils,
à la fois réunis et séparés par l'indispensable esperluette,
regardent l'un vers le passé, les autres vers l'avenir
REGISTERED
U.S. PAT. OFF.

en arrondi au-dessus des cordes aiguës

STEINWAY & SONS
NEW YORK

en ligne sous les ouïes

PATENT GRAND CONSTRUCTION

J.D.

Photos : Jacques Demierre

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Bill Nace, Steve Baczkowski : I Can Repay You (Open Mouth, 2014)

bill nace steve baczkowski i can repay you

En maîtrisant un feedback, Bill Nace entamait ce 11 juin 2014 un nouvel échange avec Steve Baczkowski : I Can Repay You, soit cinquante exemplaires d’un vinyle vendu exclusivement les soirs de concerts.

De la ligne longue du feedback en question, le duo fait un fil rouge : l’épaississant, Baczkowski facilite l’équilibre de Nace, avant de l’agiter ; frappant sur les micros de son instrument, le guitariste provoque alors une bruyante opposition que l’ampli finira quand même par avaler. En seconde face, les bruits sont plus terribles encore, élevés sur une boucle aux grands airs de sirène : renversé (comme la pochette du disque expose à l’envers aussi bien qu’à l’endroit le beau cliché de Peter Ganushkin), l’ampli crache maintenant quand le saxophone exulte : l’exposé de tremblante est brillant, son harmonie stupéfiante.

Bill Nace, Steve Baczkowski : I Can Repay You (Open Mouth)
Enregistrement : 11 juin 2014. Edition : 2014.
LP : A-B/ I Can Repay You
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Tamio Shiraishi, Bill Nace, Steve Baczkowski : Live at Jack (Open Mouth, 2013)

tamio shiraishi bill nace steve baczkowski live at jack

Passée sa longue collaboration (en Fushitsusha) avec Keiji Haino, on a souvent pu entendre le saxophoniste Tamio Shiraishi en duos remontés : avec les batteurs Ikuro Takahashi (Live Performances: 1992-1994) ou Sean Meehan (In The City, Annual Summer Concerts), avec Alan Licht (Our Lips Are Sealed, Open for Kevin Drumm) ou encore avec un plus jeune altiste que lui, extrait du No-Neck Blues Band : Takahashi Michiko (Live Duo).

Le 18 juillet 2013 à New York, Shiraishi rencontrait la paire Nace / Baczkowski (dont Open Mouth édita plus tôt Live at Spectacle, ou sa belle rencontre avec Greg Kelley et Chris Corsano). Du saxophoniste japonais, le sifflement – précisons : un sifflement rare, capable d’expression et même d’emportements contagieux – est la marque de fabrique, dont l’endurance commandera au duo des interventions contradictoires, certes, mais perspicaces aussi.

Ainsi, Baczkowski distribue-t-il les rauques, qu’ils soient tremblants ou autoritaires, quand Nace joue de feedbacks – qu’il fait tanguer ou déroule au contraire avec un souci de droiture – lorsqu’il ne part pas vérifier, à l’intérieur même de son ampli, si la clef d’une harmonie bruitiste ne s’y trouve pas cachée. Au son, ces trois lignes instables, interférant, parfois saturant, dessinent, d’un bout à l’autre de la face unique du vinyle qu'est Live at Jack, un horizon palpitant.

Tamio Shiraishi, Bill Nace, Steve Baczkowski : Live at Jack (Open Mouth)
Enregistrement : 18 juillet 2013. Edition : 2013.
LP : A/ Live at Jack
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Baczkowski, Corsano, Kelley, Nace : Live at Spectacle (Open Mouth) / Orcutt, Corsano : The Raw and The Cooked (Palilalia)

steve baczkowski chris corsano greg kelley bill nace live at spectacle

Si Steve Baczkowski, Chris Corsano, Greg Kelley et Bill Nace se sont déjà donnés en spectacle ensemble (en duos et trios – le saxophoniste, le trompettiste et le guitariste ayant tous trois enregistré au moins une fois avec la paire Flaherty / Corsano), à quatre, leur association tient de l’événement…

Car du quartette qu'ils forment, les improvisateurs hyperactifs font, et de quelles manières, un véritable orchestre. Aux premiers coups défaits du batteur répondent ainsi les atermoiements de rigueur : entre expression libre et contrainte forcée, vobulations et bruissements se rapprochent pour bientôt faire éclats et étincelles. Sous les ors de deux ménages (Baczkowski et Kelley aux vents amalgamés, Nace et Corsano aux nappes en mouvement), la convulsion bruitiste compose sur une palette de gris et de noirs, entête sans exigences mais jusqu’à épuisement. Seul bémol : obligation de suivre Bill Nace à la trace, qui ne vend le disque en question (180 exemplaires) que les soirs de concert.  

Steve Baczkowski, Chris Corsano, Greg Kelley, Bill Nace : Live at Spectacle (Open Mouth)
Edition : 2013.
LP : A/ - B/ -
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

chris corsano bill orcutt the raw and the cooked

Douze extraits de concerts datés d’août et septembre 2012 font The Raw and The Cooked, vinyle d’une demi-heure sur lequel Bill Orcutt retourne à la guitare électrique auprès de Chris Corsano. Haletantes pour être frappées du sceau de l’urgence, les miniatures regorgent d’insistances (aigus arrachés aux cordes, emportements diluviens, cris expiatoires…) qui les nourrissent au point de les changer : les voici maintenant chevauchées fantastiques, expiatoires.

Chris Corsano, Bill Orcutt : The Raw and The Cooked (Palilalia)
Enregistrement : 2012. Edition : 2013.
LP : A/ 01-05 B/ 06-12
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Bandes expéditives : John Butcher, Steve Baczkowski, Bill Horist, Unan, Bolide, Compoundead, Blood Stereo...

BANDES EXPEDTIVES II

butcherButcher, Khoury, Bryerton / Baczkowski, Sack : Split (The House of Alchemy, 2012)
Une cassette, que se partagent en plus cinq musiciens : John Butcher, Mike Khoury et Jerome Bryerton en trio et Steve Baczkowski et Bill Sack en duo. Enregistrés en 2003, les premiers font preuve de retenue et improvisent malgré cela une pièce d’une vivacité tranchée. Saxophone ténor et guitare pour le duo, qui fait silence : la face semble vierge. On soupçonne une erreur de fabrication.

horistBill Horist : The Signal Index (Ultramarine, 2012)
C. Spencer Yeh, Anla Courtis, KK Null ou Chris Corsano ont un jour agacé la guitare de Bill Horist. En six pièces, celui-ci affirme qu’il peut seul déclencher quelques pièces d’un noise rare et fourni : parade de cornemuses, miniatures ambient, saturations féroces, larsens domptés et même blues investi dans les pas de Loren Connors. L’exposé est brillant.

unan

Unan / Nikos Kyriazopoulos : Mimus / Skua (Organized Music from Thessaloniki, 2012)
Une cassette, que se partagent en plus Chris Chondropoulos (Unan) (platine et vinyls) et Nikos Kyriazopoulos (électronique). Le premier anime un champ de tensions asphyxiant qui retient prisonnière la voix bouclée d’un enfant. Le second élabore une électroacoustique sous le grand patronage de Pierre Schaeffer. Deux façons d’envisager aujourd’hui les possibilités de la musique concrète : celle d’Unan avec plus d’inventivité et surtout de mystère.

bolide

Bolide : Flaw Games (Ultramarine, 2012)
Six musiciens (dont, nous dit-on, Daniel Spencer, Tom Roberts et The Sultan) font Bolide. Leur musique rappelle celle d’autres musiciens au catalogue d’Ultramarine : Smegma et Kommisar Hjuler. Leur psychédélisme est cependant moins imaginatif et leur expérimental plus rébarbatif, voire pauvrement satisfait. Retour à Smegma et Hjuler, donc.

coumpoundead

Compoundead : Sink (Dokuro, 2011)
On peut entendre ici de quoi retourne la musique du groupe italien Compoundead. En trois titres, ils disent sur Sink leur amour pour les drones grêleux et les motifs mélodiques enrayés. Histoire de changer, la seconde face délivre un morceau d’atmosphère post-industriel qui atteste la victoire de l’électrique sur l’acoustique. Assez convaincant pour espérer pouvoir aller entendre d’autres preuves au tirage limité de leur existence.

blood stereo

Blood Stereo : The Eight Thumbed Hand Serenades (Ultramarine, 2012)
Sous le nom de Blood Stereo, Dylan Nyoukis et Karen Constance bouclent leurs voix pour nourrir des drones oscillant, inventent des impressions de voyage au son d’appels de muezzins seulement imaginés, donnent enfin dans un expérimental séduisant pour avoir été fait par-dessus la jambe. A en roucouler.

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Paul Flaherty, Bill Nace : An Airless Field (Ecstatic Peace!, 2007)

paul flaherty bill nace an airless field

Ce texte est extrait du dernier des quatre fanzines Free Fight. Retrouvez l'intégrale Free Fight dans le livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié par Camion Blanc.

Avant de prendre goût à l’enregistrement en solitaire, Paul Flaherty s’en donna à cœur joie en associations inspirantes disputées par tambours et cordes. Après avoir rejeté le jazz – à Marc Medwin pour One Final Note, le saxophoniste confia : « j’avais une vingtaine d’années, j’ai en quelque sorte été effrayé par Coltrane, Pharoah et Dolphy, et me suis emparé de tous mes disques pour m’en débarrasser. Pendant douze ans, je n’ai pas suivi ce qui se faisait dans le domaine – j’ai tout ignoré, ne voulant pas savoir » –, Flaherty y reviendra en force.

A la fin des années 1970, il signe In the Midst of Chaos sous le nom d’Orange, quartette qu’il emmena avec le guitariste Barry Greika. Un peu plus tard, c’est avec deux autres guitaristes, Froc Filipetti et Bill Walach, qu’il enregistre le deuxième élément de sa discographie : Trinity Symphony. Le gros de sa discographie, le saxophoniste l’enregistrera pourtant bien des années plus tard en compagnie de Randall Colbourne, batteur qu’il rencontre à la fin des années 1980 – avec Daniel Carter, Raphe Malik et Sabir Mateen, le duo enregistrera l’indispensable Resonance, enregistrement d’un concert daté de 1997 autoproduit par Flaherty sur Zaabway en 2005.

Paul Flaherty 2

Malgré les preuves données, indéniables déjà, du talent avec lequel le saxophoniste tient à créer autant qu’à en découdre, Flaherty soignera encore davantage ensuite au contact de jeunes musiciens ses dons de virulence.  Avec les batteurs Chris Corsano – le duo a donné plusieurs disques d’importance – et Weasel Walter, le trompettiste Greg Kelley, le violoniste C. Spencer Yeh…, Flaherty s’est offert un supplément d’âme – ce phrên, en grec, qui donnera phrenesis… « Je n’ai envie d’écrire que dans un état explosif, dans la fièvre ou la crispation, dans une stupeur muée en frénésie, dans un climat de règlement de compte où les invectives remplacent les gifles et les coups. » Ce passage de Cioran, Flaherty ne peut qu’y souscrire, tout en prenant soin de toujours nuancer l’invective et de faire varier les climats. A ce jeu, ses partenaires peuvent l’aider. Pour exemple, prenons An Airless Field, enregistré en duo avec Bill Nace.

Paul Flaherty 1

Le 1er décembre 2007, Flaherty et le guitariste ont enregistré de quoi permettre à Ecstatic Peace! de produire deux disques : Paul Flaherty / Thurston Moore / Bill Nace et An Airless Field.  Après avoir inventé en trio sur les zones de perturbations nées de l’agitation de deux musiciens amateurs de bruits – Flaherty a côtoyé Moore quelques années auparavant en quartette dans lequel on trouvait aussi Wally Shoup et Chris Corsano –, le saxophoniste teste la résistance de Nace, avec lequel il sera amené à enregistrer encore (en duo ou en présence de Steve Baczkowski ou Laila Salins).

Plus virulent – moins expérimenté, certes – que Moore (aller écouter X.O.4. ou Body/Head), Nace pourrait être aux cordes ce que Corsano est  au tambour : un agent provocateur qui sied à la verve du ténor comme de l’alto.  En douce, le guitariste entretient un drone instable que le saxophone percera de toutes parts (ses aigus sifflent et ses graves charment) avant de maîtriser un larsen qui pousse le souffle épais à convenir avec lui de tout sacrifier à un free extensif. En situation, l’ampli est derrière Nace et son instrument ; dans le vinyle, il est là, devant, qui crache des grisailles allant aux derniers rauques inventés par Paul Flaherty. La suite est une fin : l’anaérobie disparaissant avec le retour de l’oxygène.

Paul Flaherty 1


Dave Rempis : Lattice (Aerophonic, 2017)

dave rempis lattice

Dave Rempis aura donc attendu avant de publier un disque qu’il aura enregistré seul. Dans les courtes notes qui accompagnent Lattice, il explique qu’après Coleman Hawkins, Eric Dolphy, Anthony Braxton, Steve Lacy, Joe McPhee, Ab Baars ou encore Mats Gustafsson, l’exercice était pour le moins difficile. Une tournée lui a pourtant permis de faire face à la gageure.

C’est que Dave Rempis a toujours fait grand cas de l’enregistrement de concert – dans le même temps qu’il publie cet enregistrement solo, il documente sur Aerophonic l’activité de son Percussion Quatet (Cochonnerie). Ainsi ces trente-et-un concerts donnés seul en vingt-sept villes différentes au printemps 2017 – à chaque fois, ce fut aussi l’occasion d’échanger avec quelques collègues éparpillés sur le territoire : Tim Barnes à Louisville, Steve Baczkowski à Buffalo, Larry Ochs à San Francisco… – tinrent de l’aubaine.

Quatre suffiront pourtant à composer ce premier disque solo d’un instrumentiste à la sonorité singulière. S’il fallait encore la « prouver », voici : deux reprises, en ouverture et en conclusion du disque, signées Billy Strayhorn (la mélodie n’en sera pas retournée, mais bouleversée plutôt, sous quelques coups qu’auraient pu admonester Daunik Lazro ou Nate Wooley) et Eric Dolphy (combien les sifflements de Rempis sur Serene convoquent-ils d’oiseaux ?). Entre ces deux chansons métamorphosées, des pièces d’une intimité rare.

Qu’elles paraissent attachées encore aux volutes d’Anthony Braxton (Linger Longer) ou fassent écho à cette relecture de soul estampillée Ken Vandermark (Horse Court), elles attestent une recherche certaine et, même, un objectif atteint : la voix de Dave Rempis y trace et même signe, finit par opposer à ses propres goûts un art confondant – ainsi, sur Horse Court encore, entendre un saxophone jouer de retours d’ampli comme une guitare pourrait le faire. L’art est confondant, oui ; mais vif, plus encore.

Lattice+Front+Cover

Dave Rempis : Lattice
Aerophonic
Enregistrement : 2017. Edition : 2017.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Foole, Flaherty, Baczkowsky, Nace, Corsano : Wrong Number (Open Mouth) / Flaherty, Colbourne : Ironic Havoc (Relative Pitch)

wrong number

Est-ce un « jazz » (un « iazz » ?) compressé qu’il faut déchiffrer sur la couverture de ce nouvel enregistrement – daté du 30 janvier 2013 – de Paul Flaherty, Bill Nace et Chris Corsano ?  Parlant de « compressé », comment Steve Baczkoswky et le (ci-devant) vocaliste Dredd Foole pourront-ils s’imposer auprès du trio ?

Assez bien – le suspense fut de courte durée –, à entendre Foole, voix lointaine mais que les musiciens écoutent à tel point qu’un parfum de Body/Head flotte sur la première face : aux appels lancés, répondent les soupirs des saxophonistes… Mais la tension monte.

En seconde face, Foole, en chef d’orchestre éconduit, essuie les foudres d’improvisateurs aux coudées franches : Corsano cogne et même mitraille, Nace élabore à distance rapprochée d’ampli, Flaherty et Baczkowsky bronchent. Si l’ensemble met à mal les éléments de langage que Foole a plus tôt osés, la cacophonie à naître, ambiante et accaparante, se passe très bien de ne rien signifier. Son « iazz » est non seulement compressé, mais bel et bien serré et menaçant.

Dredd Foole, Paul Flaherty, Steve Baczkowsky, Bill Nace, Chris Corsano : Wrong Number (Open Mouth)
Enregistrement : 30 janvier 2013. Edition : 2014.
LP : A-B/ Wrong Number
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

paul flaherty randall colbourne ironic havoc

Poursuivant une collaboration qui commence à dater, Paul Flaherty et Randall Colbourne enregistrèrent  en mai 2013 Ironic Havoc en duo. Inspirés par un phénomène atmosphérique (plus de détails dans les notes du disque, que signe Flaherty), le saxophoniste et le batteur peaufinent un autre jazz d’intensité, free possible ou swing défait qui font leurs reliefs d’accrocs supérieurs.  

Paul Flaherty, Randall Colbourne : Ironic Havoc (Relative Pitch)
Enregistrement : mai 2013. Edition : 2014.
CD : 01/ Jumping Spiders 02/ Moving Outside a Million Years 03/ Bstry 04/ Revenge of the Roadkill 05/ Watching 06/ Conclusion
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


musique actionCe dimanche 1er juin, à 18H30, Bill Nace sera de concert avec Kim Gordon en Body/Head à Vandoeuvre, dans le cadre du festival Musique Action.

 



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