Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

Sonore : Cafe Oto/London (Trost, 2011)

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Peter Brötzmann et deux disciples accomplis ayant trouvé dans la nuance leur propre voix – Ken Vandermark et Mats Gustafsson –, voilà l’association qu’est Sonore. Selon les formules et les instruments choisis (saxophone baryton pour Gustafsson, ténor et clarinette pour Vandermark, ténor, alto, clarinette et tarogato pour Brötzmann), le trio attestait son entente le 20 avril 2011 à Londres.

Le propos musical – trois pièces écrites par chacun des intervenants et une improvisation – est souvent, vue l’épaisseur des souffleurs, de collisions. Mais les dérapages sont nombreux, qui emportent les musiciens d’écarts bravaches en concours de chants caverneux, de constructions que les musiciens élèvent tout en se faisant la courte-échelle en longs tunnels encombrés. Le free bougerait encore ; bien plus, il est entier.

Sonore : Cafe Oto/London (Trost / Souffle Continu)
Enregistrement : 20 avril 2011. Edition : 2011.
CD / LP : 01/ Fragments for an Endgame 02/ (I Was Arranging Her) Arms 03/ Le chien eprdu 04/ OTO
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



Soldier of the Road. A Portrait of Peter Brötzmann (Cinésolo, 2011)

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Saluant le soixante-dixième anniversaire de Peter Brötzmann, ce documentaire de plus de 90 minutes (augmentées d'une heure d'interviews complémentaires – avec Evan Parker, Han Bennink, Fred Van Hove, Michael Wertmüller, Jost Gebers, Brötzmann – et d'extraits de concerts principalement captés courant 2009 : le Chicago Tentet, le trio d'anches Sonore avec Gustafsson et Vandermark, le quartet avec McPhee, Kessler et Zerang) est servi par une image, un son et un montage impeccables que l'on doit à Bernard Josse ; il se bâtit autour d'entretiens menés par le journaliste & photographe Gérard Rouy – certainement le meilleur connaisseur en la matière – que viennent ponctuer archives historiques, témoignages, séquences de concerts, scènes au jardin, à l'atelier, à l'hôtel ou dans la nature.

Au fil du déroulement biographique & thématique de ce film, s'élabore le portrait d'un musicien (et peintre de valeur !) d'une vraie modestie et d'une belle lucidité ; son regard rétrospectif sur les années 68, par exemple, est édifiant : Brötzmann explique que la réception de la musique improvisée y était difficile, les avant-gardes politiques de l'époque préférant Joan Baez au free « trop élitiste » (le récit de l'épisode où le futur libéral-libertaire vert Cohn-Bendit s'oppose à la tenue d'un concert vaut le coup...). La question politique est intelligemment prise en compte, sans emphase inutile, et si la pensée peut être « globale » (lorsque s'anime Evan Parker contre le rouleau niveleur de l'Europe bureaucratique et normalisatrice), l'action sait se faire « locale » (Brötzmann s'envisageant comme simple fédérateur de collectifs, manières de micro-sociétés temporaires). La dimension historique et spécifiquement allemande se voit également abordée de façon fort pertinente, qu'il s'agisse du désir de rompre avec le passé, du souvenir des années 45-50 (qui m'a ramené à certaines des plus belles pages de Günter Grass) ou de l'enracinement à Wuppertal (dont Wenders filma lui aussi le tramway suspendu dans son hommage à Pina Bausch).

On comprend vite, devant ce très beau documentaire, que si son titre – Soldier of the Road – peut attirer certains amateurs de clichés sur « le free teuton et guerrier », il est à entendre bien différemment (Parker en glisse d'ailleurs l'explication dans son intervention, et l'on pourra se rappeler que le film de Laurence Petit-Jouvet sur Kowald s'intitulait Off the Road...) : chemineau, arpenteur du monde, « forçat » d'une route qu'il envisage dans sa continuité, Peter Brötzmann a quelque chose aussi du Wanderer.

Bernard Josse, Gérard Rouy : Soldier of the Road. A Portrait of Peter Brötzmann (Cinésolo / Instant Jazz
Edition : 2011.
DVD.
Guillaume Tarche © Le son du grisli

meteo11Soldier of the Road sera diffusé le jeudi 25 août au cinéma le Palace, Mulhouse, dans le cadre du festival Météo. Entrée libre sur réservation.


Interview de Mats Gustafsson

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Sous le nom de Sonore, Fire!, The Thing ou encore en tant que membre du London Jazz Composers Orchestra, Mats Gustafsson voit aujourd’hui paraître quatre de ses récents enregistrements. L’occasion de revenir sur son parcours, son rapport au jazz, ses besoins de  rock ou… de vinyles. Rapide, précis et électrique…

… Tous les sons sont de la musique… Tous les silences aussi… Alors, pour ce qui est de mon tout premier souvenir musical, j’évoquerais le souvenir d’un vinyle… Ca devait être un EP d’Elvis qui venait de la collection de disques de ma mère. C’était vraiment bon, mais un peu plus tard, j’ai goûté à Little Richard, le vrai roi du rock’n’roll… Ce qu’il est toujours !

Comment êtes-vous arrivé à la pratique de la musique ? Par ces disques, justement… Et aussi parce que j’avais 14/15 ans lorsque le mouvement punk a véritablement explosé en Suède…C’était plus que simple de se laisser gagner par le mouvement et de commencer à jouer dans des groupes, c’était tout naturel. A 14 ans, j’ai d’abord monté un groupe qui mêlait punk, improvisation et jazz rock : ça s’appelait Nirvana, un vrai truc de sauvage ! Et puis, un très bon club de jazz de ma ville, Umeå, programmait Steve Lacy, Per Henrik Wallin, Lokomotiv Konkret, Lars Göran Ulander et tant d’autres. Tout ça c’était la même chose pour moi : jazz, rock, punk. Tout ça c’était de la pure énergie !

Quels ont été vos premiers instruments et les musiciens qui vous motivaient le plus alors ? La flûte dès que j’ai eu 7 ans, et puis je suis passé au piano électrique mais c’était vraiment monstrueux de le transporter ici et là… Alors, après avoir assisté à un concert de Sonny Rollins en 1980, je suis passé au saxophone ténor. Quant aux musiciens, mon seul et véritable héros a toujours été Little Richard. Allez écouter les instruments à vents qui jouent derrière lui, ça aussi c’est sauvage !

Comment se sont passées vos premières années en tant que musicien à Stockholm ? Eh bien, j’avais 19 ans… La première année, je l’ai passée à m’entraîner au ténor dans mon placard à balai la nuit et à travailler à l’usine le jour. Et puis, je suis tombé sur des musiciens incroyables qui m’ont accueilli parmi eux et pris sous leurs ailes : Dror Feiler, Raymond Strid, Jörgen Adolfsson, Sten Sandell et d’autres encore… Ils constituaient alors une jolie petite scène à Stockholm…

Que vous ont-ils appris ? Enormément ! Ils m’ont apporté un soutien monstrueux ! Dror m’a beaucoup appris en matière de politique et d’idéologie autant qu’en musique. Il a été très compréhensif avec ce jeune type du Nord que j’étais alors. Ce que Raymond et Sten signifiaient pour moi était tout aussi énorme… Ils sont épatants ! Nous avons joué / improvisé ensemble régulièrement pendant des années, plusieurs fois par semaine. Nous avons beaucoup exploré ensemble, c’était une époque magnifique et très créative, propice à toutes recherches... Quant à Jörgen, il est sans doute le musicien le plus déprécié qui ait jamais existé. Son jeu d’alto est tout simplement « fanfuckintastic ».

Les musiciens américains ont aussi une importance particulière dans votre éducation musicale… Pouvez-vous me parler de ce voyage à Chicago que vous avez effectué au milieu des années 90 ? Eh bien, il s’agissait surtout pour moi d’aller y chercher des vinyles ! Mais c’était une époque de référence pour la musique créative, ils étaient tous à Chicago : Ken Vandermark, Jim O’Rourke, David Grubbs, Hamid Drake et tant d’autres. A cela, il fallait ajouter l’explosion du mouvement post-rock, la présence incroyable de la communauté du free jazz et puis la naissance de labels comme Okka Disk. Je suis très heureux d’avoir contribué à ce qui s’est passé à Chicago à cette époque. Cela signifie beaucoup pour moi, encore aujourd’hui…

Avec quels musiciens êtes-vous d’abord rentrés en contact là-bas ? Ken Vandermark, Hamid Drake, Michael Zerang, Kent Kessler, ont été les tous premiers… Et puis j’ai eu la possibilité de renouer avec Jim O’Rourke, ce qui m’a permis de collaborer avec Gastr del Sol et David Grubbs. Encore une fois, le milieu des années 90 à Chicago a été une époque formidable, tellement de choses se passaient là… Chicago est une putain de ville dans laquelle les choses se passent ! Beaucoup de super bars, de gens et de… vinyles.

Comment s’est fait votre recrutement dans le Brötzmann Chicago Tentet ? Joe McPhee et moi avons été appelés pour venir renforcer l’octette et le groupe s’est depuis consolidé autour de cette formule. C’est un groupe puissant, très rock, dans lequel on trouve des personnalités vraiment très singulières. C’est une sorte de volcan en fusion d’esprits créatifs dans lequel j’ai aussi beaucoup appris.

Vous parlez souvent de rock… Pouvez-vous évoquer ici vos relations avec Sonic Youth ou Cato Salsa Experience, par exemple ? Eh bien, ce sont des groupes qui produisent une musique terrible, et j’essaye de mettre mon grain de sel là-dedans. Il s’agit avant tout de confiance et de respect mutuel, et aussi de l’envie d’essayer des choses et de voir comment ça se passe. Ces musiciens s’intéressent tous beaucoup à la musique, à l’art, donc : en un sens, collaborer avec eux est très facile… La première fois que j’ai joué avec Jim, c’était à l’occasion d’une Company Week qu’organisa Derek Bailey en 1990… Il est tout simplement l’un des esprits les plus brillants que l’on puisse trouver dans le milieu de la creative music, voilà ce que je peux dire !

Pensez-vous appartenir à ce que l’on pourrait définir d’Internationale bruitiste qui rassemblerait des musiciens venus d’un peu partout qui mêlent jazz, noise, drone, etc. ?Peu importe comment tu appelles ça… Je n’aime pas catégoriser la musique. La musique est bonne ou ne l’est pas et s’il vous est donné de rencontrer des personnes qui font une musique tout autre que la vôtre, le résultat peut être passionnant. Mais il s’agit surtout de savoir qui est la personne avec laquelle vous jouez et non pas d’où elle vient, que ce soit géographiquement, historiquement, originellement ou musicalement. Il s’agit avant tout de qui vous êtes. Il y a de la super musique (et de la très mauvaise) partout dans le monde. Il suffit simplement de l’attraper…

The Thing fait une bonne balance entre free rock et free jazz, c’était le but de la chose ? Nous n’avons pas de but en particulier avec The Thing, si ce n’est celui de jouer une musique qui te botte le train, avec des éléments de musiques que nous aimons (ou détestons). Il s’agit surtout d’alchimie entre nous, nous jouons ce que nous jouons et nous jouons aussi qui nous sommes.

Avez-vous l’impression de jouer en ce moment la musique pour laquelle vous êtes fait ? Peut-être est-ce la musique qui joue de moi, qui sait ? Il n’y a pas de destin de cette sorte ; chacun se créé son propre destin. Tu crées ta propre musique, je crois que c’est comme ça que tout marche. Pour moi, en tout cas, c’est comme ça que ça marche.

Mats Gustafsson, propos recueillis en novembre 2009.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Sonore : Call Before You Dig (Okka Disk, 2009)

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Sur la première plage du premier des deux disques (un concert en 2009 / une séance studio en 2008) qui font Call Before You Dig, touver une présentation appuyée des forces en présences : Peter Brötzmann, Ken Vandermark et Mats Gustafsson (Sonore).

Toutes concentrations requises ensuite, et puis l’alerte : les trois musiciens s’engouffrent dans un labyrinthe, chacun dans une direction différente. Frénétiquement, ils empruntent des couloirs, butent, cognent, prennent étages et suspensions, temps de réflexions mesurés, engagent des courses, des luttes, et puis des airs charmeurs lorsqu’il s’agit d’endormir les autres le temps de trouver une échappatoire et de s’y précipiter de nouveau. La distribution de l’édifice est peu orthodoxe : superstructure (saxophones alto et ténor, clarinettes) et infrastructure (saxophones baryton, tarogato, clarinette basse) confondues aux couloirs donnant sur de grandes aires de jeux, salles de combat ou de méditation, cabinets de musique apaisée (les grandes plages de conciliations et même d’unisson à entendre sur le second disque) ou boudoirs, enfin, magasins d’instruments dans lesquels les trois hommes s’emparent d’autres armes, les essayent posément avant de repartir en trombes.

Ici l’enregistrement s’intéresse de près à l’évolution de Brötzmann, ailleurs plutôt à celle de Vandermark ou de Gustafsson. Ainsi : l’auditeur se focalise sur untel qui soudain tombe sur un autre ou à qui deux autres font tout à coup face. Souvent, le toujours même auditeur prend un intervenant pour un autre, et cet autre encore pour le troisième ; heureux, à chaque fois, de perdre ses repères.

Sonore : Call Before You Dig (Okka Disk)
Enregistrement : 2008-2009. Edition : 2009.
CD1 : 01/ The Cliff 02/ Mountains of Love 03/ Shake Horn 04/ Nurecognized Reflections 05/ Charged by the Pound 06/ Mailbox for an Attic 07/ Call Before You Dig – CD2 : 01/ The Ravens Cry at Dawn 02/ Better a Bird than a Cow 03/ Human Fact 04/ Iranic / J. Giuffre 05/ A Letter from the Past 06/ The Bitter the Better 07/ The Longer the Lieber 08/ Birds of the Underworld 09/ Waiting for the Dancing Bear 10/ A Dyed String 11/ Hellpig 12/ Zipper Backwards 13/ Dark Cloud Blues 14/ Blue Stone 15/ Hardline Drawing 16/ Rat Bag 17/ Hard to Believe But Good to Know
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



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