Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

The Group : Live (NoBusiness, 2012)

the group live

Les années 1980 virent la disparition des lofts qui, à New York, permettaient aux musiciens de free jazz d’exprimer leurs idées musicales. L’accession au pouvoir de Ronald Reagan coïncida avec la suprématie de Wynton Marsalis : ainsi la décennie serait marquée du double sceau de l’individualisme et de la réaction.

Aussi certains musiciens américains, héritiers de générations de jazzmen qui n’eurent de cesse de bousculer les formes établies, surent incarner une autre vision du jazz, et peut-être, de l’Amérique. Les années 1980 virent donc s’épanouir de nouvelles fleurs sauvages, en la qualité de groupes coopératifs qui comptaient bien abolir la notion de leader et s’inscrire dans le grand continuum de la musique africaine américaine (se souvenir pour mieux s’affranchir). Ainsi naquirent Old and New Dreams (Dewey Redman, Don Cherry, Charlie Haden et Ed Blackwell), Song X (Ornette Coleman et Pat Metheny), The Leaders (Lester Bowie, Chico Freeman, Arthur Blythe, Kirk Lightsey, Cecil McBee et Don Moye) ou encore The World Saxophone Quartet (David Murray, Oliver Lake, Julius Hemphill et Hamiet Bluiett). Ainsi naquit The Group.

Derrière ce patronyme humble, débusquer cependant cinq pointures, en d’autres circonstances à la tête de leurs propres formations., et rappeler leurs  parcours légendaires : Andrew Cyrille avait battu pour Coleman Hawkins et Cecil Taylor ; Marion Brown soufflé auprès de John Coltrane et Archie Shepp ; on entendit le violon de Billy Bang et la trompette d'Ahmed Abdullah au sein de l’orchestre de Sun Ra ; la contrebasse de Sirone avait accompagné Pharoah Sanders et Charles Gayle. The Group tourna pendant deux années dans la région de New York, en 1986 et 1987, et c’est leur cinquième concert qui est ici documenté. Cette unique trace discographique du quintet est exceptionnelle. Tout d’abord parce que ce soir-là, le 13 septembre 1986 au Jazz Center of New York, le groupe était augmenté d’un second contrebassiste, Fred Hopkins. Ensuite, pour le répertoire interprété. En plus de leur propre matériau (on peut entendre ici une composition de Bang et une de Brown), The Group commença d’embrasser plus large et proposa trois relectures passionnantes de thèmes de Charles Mingus, Butch Morris et Miriam Makeba.

Aux côtés de la rythmique, les trois instruments sont donc le saxophone alto, la trompette et le violon., soit : tles rois instruments pratiqués par Ornette Coleman. Et s’il fallait chercher une influence, ou plus exactement une parenté, dans la musique jouée par The Group, c’est vers celui-ci qu’il faudrait se tourner. Comme chez le musicien texan, on entend sur ce disque l’amour des mélodies autour desquelles tourner agilement et gaiement, de soudains accès de mélancolie bientôt balayés, l’importance de la pulsation et le dynamitage tranquille des formes. Cette musique incroyablement vivante, la joie communicative de six musiciens au sommet de leur art et les notes de pochettes éclairantes d'Ahmed Abdullah, suscitent une très forte émotion.

EN ECOUTE >>> Joann's Green Satin Dress >>> Goodbye Pork Pie Hat

The Group : Live (NoBusiness)
Enregistrement : 13 septembre 1986. Edition : 2012.
LP : A1/ Joann’s Green Satin Dress A2/ Goodbye Pork Pie Hat – B1/ Amanpondo
Pierre Lemarchand © Le son du grisli

the group

Au même disque de The Group, Pierre Lemarchand a aussi consacré une émission de radio : son écoute peut être faite en streaming sur le site de Jazz à part

 

 



Oluyemi Thomas, Sirone, Michael Wimberly : Beneath Tones Floor (NoBusiness, 2010)

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On sait l’aisance avec laquelle – même s’il lui est arrivé, notamment en Positive Knowledge, de perdre l’équilibre à force de fanfaronnades – Oluyemi Thomas passe de saxophones en flûtes et de clarinettes en percussions. Aux côtés de Sirone (contrebasse) et de Michael Wimberly (batterie), c’est à la clarinette basse qu’il ouvre Beneath Tones Floor.

Là, sentir d’emblée un lot d’emportements conciliés, de redites fondamentales en écarts alloués pour le bien de l’ensemble que Sirone commande en usant d’un impétueux archet à crocs. Jusqu’aux frondaisons lyriques, tout remonte alors : au soprano, Thomas emmène maintenant (et laborieusement parfois) le trio virulent, qui devra redescendre pour envisager en toute quiétude l’élaboration d’autres pièces.

A la musette, le même y respectera la langueur d’un air exotique afin de retrouver un souffle qui retournera en clarinette basse : le temps d’un dernier solo, adroit et même inspiré. L’instrument serait-il en définitive celui qu’Oluyemi Thomas devrait toujours privilégier ?

Oluyemi Thomas, Sirone, Michael Wimberly : Beneath Tones Floor (NoBusiness / Instant Jazz)
Enregistrement : 2008. Edition : 2010.
CD : 01/ Beneath Tones Floor 02/ ... Where Sacred Lives 03/ Mystic Way 6:36 04/ Reflections Of Silence, Painting Silence, Images Of Silence 05/ Dream Worlds 06/ Newest Happiness And Joy 07/ Rotation 360 Degrees Hummingbird 08/ Heavenly Wisdom 09/ Silence On The Move 10/ Spirit Of Ifa
Guillaume Belhomme © le son du grisli


Revolutionary Ensemble : Vietnam (ESP, 2009)

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Vietnam est l’acte de naissance discographique du Revolutionary Ensemble. Nous sommes en 1972 et nous en connaissons les remous. Revolutionnary EnsembleVietnam : plus rien ne se cache, tout se dévoile. Parlons plutôt de cette désarmante musique puisque, précisément, c’est ce qu’elle demande : que se désarme le monde.

Un violon (Leroy Jenkins), une contrebasse (Sirone), une batterie (Jerome Cooper). Les cordes sont glissantes chez Jenkins, plus terriennes chez Sirone. Leur musique est une musique de vérité ; entêtante, obsédante. Elle crisse jusqu’à la saturation. Elle est au cœur de la tourmente. D’ailleurs, elle est la tourmente même. Elle sait se dégager des tics de la free music, prendre en compte le silence, inviter des souffles lointains (un harmonica, une flûte, une trompette), creuser la parole, instruire l’attente. Elle est plainte et questionnement. Equilibre et cri.

Elle s’éclipsera cinq ans plus tard puis reviendra en 2005. Aujourd’hui, on le sait, elle s’est éteinte à jamais. Restent les disques, les archives et ce CD ne documentant malheureusement pas l’intégralité du concert (cut violent en fin de disque, prise de son médiocre). Qu’importe : la musique du Revolutionary Ensemble est ici vive, ardente et c’est bien là l’essentiel.

Revolutionary Ensemble : Vietnam (ESP / Orkhêstra International)
Enregistrement : 1972 / Réédition : 2009
CD : 01/Vietnam 1  02/Vietnam 2
Luc Bouquet © Le son du grisli


Free Unfold Trio : Ballades (Ayler, 2009)

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Ici, c’est l’air que l’on joue. La nature et ses quatre éléments ont beaucoup été célébrés dans le (free) jazz, avec comme acmé l’art développé par le regretté Revolutionary Ensemble. Car alors, et toujours aujourd’hui, la référence à la nature, comme beauté née du miracle et du hasard, semble proposer une alternative à un jazz trop préoccupé de ses codes et sclérosé à force d’y souscrire.

L’air est, des quatre éléments naturels, celui qui anime ce disque. Mais ici, pas de tempête, ni de vent fort, mais plutôt un souffle léger, une brise qui parcourt l'enregistrement de bout en bout, du premier au dernier mouvement de cymbale, une brise discrète, oui, de celles qui font tournoyer les plumes, voleter les poussières, onduler les herbes, frémir les cours d’eau. Les instruments sont ainsi joués, comme effleurés par accident ; l’air semble choquer l’un d’eux, le faire résonner, et ainsi entraîner le chant des deux autres. Car entre les trois musiciens (Didier Lasserre à la batterie, Benjamin Duboc à la contrebasse et Jobic Le Masson au piano), un courant (d’air) passe. Ils se font passeurs d’une voix naturelle qui donne à la musique le double caractère de l’aléa et de la nécessité.

La pochette du disque est un clin d’œil à un album d’Ornette Coleman (père d’une rencontre historique entre jazz et liberté), témoignage d’un concert donné à Stockholm en 1965 et intitulé Live at Golden Circle. Sur les deux pochettes, on retrouve trois hommes, regardant dans des directions différentes mais serrés les uns contre les autres dans un décor naturel avec en arrière fond des arbres. Mais si chez Coleman l’impression visée était celle de l’exotisme et du décalage, la photo utilisée pour ce disque du Free Unfold Trio corrobore au contraire son propos, va dans le sens de la musique : trois hommes en pleine nature, qui semblent surgir d’elle tels les arbres, le soleil et l’herbe, et tel le vent que l’on devine.

Revenons au Revolutionary Ensemble et à son contrebassiste Sirone, qui écrivait : « Je ressens que nous, Revolutionary Ensemble, sommes les interprètes de la Musique de la Nature. Nous pensons que chaque chose sur Terre contribue à son harmonie. Les arbres balancent joyeusement leurs branches en rythme avec le vent. Le son de la mer, le murmure de l’air, le sifflement du vent qui s’engouffre entre les rochers, les collines et les montagnes. Et le fracas du tonnerre et les éclairs, l’harmonie entre le Soleil et la Lune, le mouvement des étoiles et des planètes, l’éclosion des fleurs, la tombée des feuilles, l’alternance régulière du matin, du midi, du soir et de la nuit ! Tout révèle au voyant et à l’auditeur la musique de la nature. » Trois mois après l’enregistrement de Ballades s’éteignait Sirone, dont le dernier souffle a certainement cheminé pour venir planer sur cette très belle session.


Free Unfold Trio, Au départ, les oiseaux puis. Courtesy of Ayler Records.

Free Unfold Trio : Ballades (Ayler Records)
Enregistrement: 2009. Edition: 2009.
CD: 01-02/ Au départ, les oiseaux puis  03-04/ Seulement l’air 
Pierre Lemarchand © Le son du grisli


Gato Barbieri : In Search of The Mistery (ESP, 2009)

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En 1967, Gato Barbieri  enregistrait son premier disque : In Search of The Mistery, qui atteste d’un lyrisme dont l’incandescence refusait encore l’art pompier.

En formation étrange aux côtés de Calo Scott (violoncelle), Sirone (contrebasse) et Bobby Kapp (percussions), le ténor déploie là un savoir-faire ténébreux : cinq notes pour toute ligne mélodique, le reste à l’emporte-pièce, et voici combinées In Search of the Mystery et Michelle, refrains d’insistances et digressions exubérantes servant une esthétique implacable.

Contre ces mêmes caractéristiques, la nonchalance d’Obsession No.2 et de Cinemateque ne pourra rien : Barbieri avançant là par à-coups de deux notes avant de devoir faire face à l’électricité du violoncelle de Scott. De cette confrontation, naît un discours mélodique précipité, compacté puis anéanti, qui continue pourtant aujourd’hui encore d’en démontrer. A l’endroit même où l’énigme demeure. 

Gato Barbieri : In Search of The Mistery (ESP Disk / Orkhêstra International)
Enregistrement : 1967. Edition : 2009.
CD : 01/ In Search of The Mistery / Michelle 02/ Obsession No.2 / Cinemateque
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Revolutionary Ensemble: Beyond the Boundary of Time (Mutable - 2008)

Revolutionisli

Deux ans avant la disparition de Leroy Jenkins, Revolutionary Ensemble donnait un concert à Varsovie, sur lequel revient Beyond the Boundary of Time.

Sur lequel le trio va et vient, une fois encore, entre inspiration et faiblesses avouées : chacun des musiciens ayant imposé une de ses compositions – celle de Jenkins (Usami), capable plus que les autres de faire naître l’inspiration (celle de Sirone, notamment) ; celle de Jerome Cooper (Le-Si-Jer), plus ludique : le compositeur déposant le thème au son des effets différents d’un clavier électrique –, les voici s’adonnant ensemble à une improvisation sur laquelle ils abandonnent un peu de leur lyrisme au profit d’échanges obsessionnels : inventifs souvent et parfois maladroits, à l’image de la dernière prestation du Revolutionary Ensemble.

CD: 01/ Configuration 02/ Usami 03/ Le-Si-Jer 04/ Improvisation I 02/ Improvisation II >>> Revolutionray Ensemble - Beyond the Boundary of Time - 2008 - Mutable.

Revolutionary Ensemble déjà sur grisli
Revolutionary Ensemble (Enja - 2008)


Revolutionary Ensemble: Revolutionary Ensemble (Enja - 2008)

Revolutionisli

Actif dans les années 1970 et reformé en 2004 pour le bien d’un enregistrement produit par Pi Recordings, Revolutionary Ensemble – soit : Leroy Jenkins (violon, flûtes), Sirone (basse, flûtes) et Jerome Cooper (percussions, piano et… flûtes) – voit aujourd’hui rééditer Revolutionary Ensemble, enregistrement d’un concert donné en Autriche en 1977.

Pour donner les dernières preuves (originelles) de l’entente du trio, le disque retient quatre titres, se refusant tous à être sacrifiés aux simplistes frasques électroacoustiques généralement commandées par leur temps. A la place, trouver des progressions atmosphériques soumises à de subits emportements (March 4-1) et autres explorations sonores capables de chercher partout la sonorité inattendue, avec, quand même, plus (Clear Spring) ou moins (Chicago) de subtilité. Au son des flûtes annoncées, les musiciens ouvrent le dernier morceau du concert, lui aussi intitulé Revolutionary Ensemble, pour redire sans doute toute l’efficacité de l’usage qui est fait ici de la preuve par trois.

CD: 01/ Clear Spring 02/ March 4-1 03/ Chicago 04/ Revolutionary Ensemble >>> Revolutionary Ensemble - Revolutionary Ensembe - 2008 (réédition) - Enja. Distribution harmonia Mundi.



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