Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

Seijiro Murayama, Eric La Casa : Paris: Public Spaces (Ftarri, 2014)

seijiro murayama eric la casa paris public spaces

Quand Éric La Casa donne le « top » de départ, Seijiro Murayama est prêt – c’est-à-dire qu’il estime le temps venu après l'avoir envisagé – à enregistrer avec lui l’espace public parisien. La promenade commence dans les allées du Parc Floral.

Enregistrer, donc : un chœur d’enfants qui jouent, une partie de tennis, une station de métro, une portion de tunnel, la Seine même… Le piéton de Paris, harnaché, capte, écoute pour composer ensuite, enfin laisse entendre un quotidien capable de déroutes. Auquel Seijiro peut d’ailleurs réagir : expressions de gorge, souffles, note parallèle à celle d’une autre voix… Un impromptu (plus qu’une improvisation) qui rehausse la rengaine urbaine et enchante la balade du raconteur fondu dans le paysage, de l’arpenteur qui se repère exclusivement au son.

Ainsi, Éric La Casa et Seijiro Murayama se réservent-ils, dans leur divagation documentariste, un droit à une poésie de contemplation, de surprise et d’inquiétude. Une poésie de celles dont Fargue parlait comme d’une « vie de secours où l'on apprend à s'évader des conditions du réel, pour y revenir en force et le faire prisonnier. »

écoute le son du grisliSeijiro Murayama, Éric La Casa
Paris: Public Spaces (extraits)

Seijiro Murayama, Éric La Casa : Paris: Public Spaces (Ftarri / Metamkine)
Enregistrement : Janvier-Juin 2012. Edition : 2014.
CD : 01-12/ Part 1 - Part 12
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



Michel Doneda, Joris Rühl : Linge (Umlaut, 2013) / Eksperiment : Slovenia (SIGIC, 2013)

michel doneda joris ruhl linge le son du grisli

Si, fraternisant en duo avec des souffleurs, il était « par terre » avec Alessandro Bosetti (Breath on the Floor), dans une chapelle avec Nils Ostendorf (Cristallisation) ou sous « l'averse » avec Katsura Yamauchi (La drache), « dans les escaliers » avec Lol Coxhill (Sitting on your stairs) puis près d'une volière avec Alessandra Rombola (Overdeveloped pigeons), c'est sous la charpente d'une ferme alsacienne que Michel Doneda (saxophone soprano, radio) se voit installé en compagnie de Joris Rühl (clarinette) pour ce disque de sept pièces – tirées de trois jours d'enregistrement en juillet 2012 – brèves, tenues et concentrées.

Sans doute la réussite du projet tient-elle justement à ce caractère « focalisé » des blocs d'air ici recueillis : soigneusement fendus, niellés ou surpiqués, ces moments à l'homogénéité tavelée d'escarbilles révèlent, dans leurs jeux stéréo et aérophoniques, la fine entente des deux improvisateurs. En pleine nature, la chose eût été bien différente : Doneda l'a expérimentée avec un autre clarinettiste, Xavier Charles, dans Gaycre puis Gaycre [2].

Travail de haute précision (cet autre mode du « lâcher ») dans l'étagement d'harmoniques qui se mettent à palpiter ; travail de haute tenue et de hautes tenues ; grand artisanat d'où la gesticulation a été bannie et auquel la belle facture de la pochette semble faire écho...

Michel Doneda, Joris Rühl : Linge (Umlaut Records)
Enregistrement : juillet 2012. Edition : 2013.
CD : 01/ 8'00 02/ 3'14 03/ 8'47 04/ 5'22 05/ 5'02 06/ 8'24 07/ 8'10
Guillaume Tarche © Le son du grisli

doneruhl

A l'occasion de la sortie de Linge, Michel Doneda et Joris Rühl joueront ce 14 octobre (20H30) à Paris (18e arrondissement, Atelier Polonceau Thomas-Roudeix, 47-49, rue Polonceau).

eksperiment slovenia

C’est associé à Jonas Kocher, Tomaž Grom et Tao G. Vrhovec Sambolec, que l’on trouve Michel Doneda en Eksperiment Slovenia, compilation qui met à l’honneur la diversité de la musique « expérimentale » slovène. Ici remixé par Giuseppe Ielasi, le quartette signe au son d’une électroacoustique tremblante l’une des belles plages du disque – pour les autres, remercier le saxophoniste Marko Karlovčec, Grom et Tao G. Vrhovec Sambolec tous deux en solo, l’électroniciste Miha Ciglar, enfin le spatial N’toko en duo avec Seijiro Murayama.

Eksperiment Slovenia (SIGIC)
Edition : 2013.
CD : 01/ Tomaž Grom, Tao G. Vrhovec Sambolec, Michel Doneda, Jonas Kocher : Konstrukt 02/ Marko Karlovčec : Dissolve Your Clench in a Compost Heap, Even 03/ Bojana Šaljić Podešva : Meditacija o blizini 04/ Čučnik, Pepelnik, Grom : Din din 05/ JakaundKiki : Dunji 06/ Tomaž Grom : Untitled 07/ iT/Irena Tomažin : Question of Good and Bad 08/ Marko Batista : Chem:Sys:Apparatus 09/ Vanilla Riot : Chop 10/ Miha Ciglar : Early Composition 2006 11/ Tao G. Vrhovec Sambolec : Caressing the Studio (Bed, Table, Window, Chair) 12/ N’toko, Seijiro Murayama : Ljubljana-Tokyo 13/ Samo Kutin, Marko Jenič : Dioptrija
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Seijiro Murayama, Stéphane Rives : Axiom For The Duration (Potlatch, 2011)

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L’axiome promis par Seijiro Murayama et Stéphane Rives devra naître d’un principe commun et austère. L’échange est endurant qui décide de la rencontre du cercle au contour appuyé (insistance du frotteur) et de lignes qui se tiennent à distance (fugues du sopraniste).

« Butcherisé », Rives décide ainsi de notes longues et finies : ici, une alarme ; là, un sifflement ; ailleurs encore, un léger débordement. Le polissage de Murayama arrange, lui, le mouvement des lignes et ainsi le rythme du tableau : en milieu de parcours, ses effets élèvent même quelques reliefs : légers, qui ne peuvent obstruer l’horizon au bord duquel le soprano passera en transformateurs et sur lequel sauront se fondre la subtilité du percussionniste et la patience du saxophoniste. C’est aussi là que le duo trouvera l’équilibre qui lui convient ; là qu’il décidera donc de conclure.

Seijiro Murayama, Stéphane Rives : Axiom for the Duration (Potlatch / Orkhêstra International)
Enregistrement : 5 et 6 mai 2010. Edition : 2011.
CD : 01/ One Piece
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Seijiro Murayama, Jean-Luc Guionnet : Window Dressing (Potlatch, 2011)

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La publication simultanée, sous l'excellente étiquette Potlatch, de deux enregistrements associant l'ahurissant percussionniste Seijiro Murayama d'une part à Stéphane Rives (saxophone soprano – Axiom For The Duration) et d'autre part à Jean-Luc Guionnet (saxophone alto), offre bien sûr le plaisir de mesurer, si ce n'est de comparer, les esthétiques à l'œuvre et les traits distinctifs des formations en question – le continu & le discontinu, le frotter & le frapper, le temps & la durée.

C'est pourtant au seul duo (« débarrassé » des Chamy ou Mattin auxquels il est parfois associé à la scène) avec l'altiste que je souhaite m'en tenir ici, car j'attendais tout particulièrement ce disque depuis Le bruit du toit (2007, label Xing Wu) ; si celui-ci avait été saisi dans un temple japonais, la moitié du présent témoignage a été captée à la radio slovène en juin 2010, et l'autre partie très finement gravée par Éric La Casa en décembre cette même année.

La formidable tension qui nimbe les échanges – ou peut-être faudrait-il parler d'interventions, d'interjections – de Guionnet (dans la gorge, dans les dents) et Murayama (par matières primordiales), mieux qu'une crispation, établit les polarités électriques nécessaires à l'érection des pierres (alignées ou en tumulus), à la projection des graviers : cartons perforés, ciel retroué. La raréfaction des gestes sonores ne confère pas à ces derniers la moindre dramatisation solennelle ; simples faits, dans leur hiératisme, leur manière de modestie et leur sobre poésie verticale.

Seijiro Murayama, Jean-Luc Guionnet : Window Dressing (Potlatch / Orkhêstra International)
Enregistrement : 30 juin 2010. Edition : 2011.
CD : 01/ Procédé 02/ Processus 03/ Procession 04/ Procès
Guillaume Tarche © Le son du grisli


Brassier, Guionnet, Murayama, Mattin : Idioms and Idiots (WMO/R, 2010)

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Enregistré au NPAI Festival de 2008, Idioms and Idiots – projet de Jean-Luc Guionnet, Mattin, Seijiro Murayama et Ray Brassier – est de ces disques dont il faut expliquer les causes, croit-on comprendre. Dans un livret, les musiciens s’expliquent – ces explications peuvent aussi être trouvées .

Ici donc, on parle de musique (non-idiomatic de Derek Bailey) et de philosophie (non-philosophie de François Laruelle) pour en appeler aux conséquences du contact recommandé d’un vocabulaire arrêté (musique dans son acception courante) et de pratiques « rebelles » (improvisation en trois actes). D’autres conflits peuvent naître malgré tout : Brassier en philosophe inquiet de langage musical invité par un trio d’improvisateurs complices poussant ceux-là mêmes à tout refuser en bloc, encore plus qu’à leur habitude. Ainsi, le droit de réponse peut accoucher d’une non-intervention et le désir de dire peut conseiller aux musiciens l’option d’une fuite silencieuse. Pour faire plus vite encore, disons que le duel Activity / Passivity n’a qu’un but avoué et qu’il promet même, baptisé « clinical violence ».

Musicalement, maintenant ? « Non-musicalement », peut-être ? La mise en place tient d’un supplice de la goutte d’eau aux charmes évidents : peaux frottées puis cordes défaites avant ce cri inattendu ; place donc accordée aux mots s’ils saturent, s’ils peuvent donner un peu de fond aux cris multipliés sur le ronronnement « clinique » en effet de machines qui n’en sont pas. Le troisième acte célèbre longtemps une note de guitare et le roulement à billes d’une autre mécanique qui finira par avaler l’un de ses concepteurs – le dernier cri de Mattin est féroce et met un son sur son expérience d’homme broyé net.

Là se termine la pièce d’un théâtre philosophique fait d’accords de guitare lasse, de couacs d’altiste, de silences et de bourdons commandés sur caisses plus ou moins claires, et de vociférations saturant ; la démarche est libre et les questions, sait-on jamais, posées seulement ensuite ?  L’esthétique a changé il y a longtemps déjà la forme des beaux-arts, la « non-philosophie » n’a plus qu’à s’occuper de celui de la « non-musique » : le résultat pourrait-il être étrangement musical ? 

Ray Brassier, Jean-Luc Guionnet, Seijiro Murayama, Mattin : Idioms and Idiots (w.m.o/r35 / Metamkine)
Enregistrement : 2008. Edition : 2010.
CD : 01-03. Idioms and Idiots
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

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Jean-Luc Guionnet improvisera demain, dimanche 20 mars, à Paris, en compagnie cette fois du contrebassiste Benjamin Duboc. Pour information ou réservation, contacter Bertrand Gastaut.



Seijiro Murayama, Eric La Casa : Supersedure (Hibari, 2009)

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Seijiro Murayama sur caisse claire et objets, Eric La Casa au micro ou en archives (field recordings) : Supersedure consigne des compositions communes et autant de conversations à voix basse.

De là, filtrent des chants élevés au murmure que quelques soubresauts et leurs répliques infimes augmentent de riches effets. Sur le roulement subtil d’un tambour, une voix peut réclamer, une voiture se faire entendre ou une machine choisir de respirer. De haute lutte, la rencontre n’en est pas moins sereine : la complicité des deux intervenants laisse deviner qu’aux agissements mécaniques de l'un (frottement, battement, frôlement…) correspondent les propositions et choix sonores de l’autre : La Casa n'investissant jamais personnellement le champ du percussionniste, enfantant plutôt une population de parasites qui le fera à sa place avant d'organiser ses activités, qui en régiront la surface. Histoire peut-être d’émanciper l’art de Murayama de toute esthétique sclérosante et de la déposer plus loin des codes encore.

Seijiro Murayama, Eric La Casa : Supersedure (Hibari / Metamkine)
Edition : 2009.
CD : 01-05/ Part 1-5
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Heinz Geisser, Ben Miller, Der Rote Bereich, Yannick Dauby, The Convergence Quartet, Kinetix vs Pylône, Off-Cells

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Heinz Geisser, Eiichi Hayashi, Takayuki Kato, Yuki Saga : On Bashamichi Avenue (Leo, 2010)
A Yokohama, le percussionniste Heinz Geisser rencontrait au printemps 2009 trois Japonais comme lui adeptes d’improvisation : Yuki Saga (voix, objets), Eiichi Hayashi (saxophone alto) et Takayushi Kato (guitare électrique, jouets). Flottante, la rencontre passe calmement de paysages plats en hauts reliefs accidentés. Entre les deux, de charmants soubresauts : hoquets de Saga ou emportements d’Hayashi. (gb)

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Ben Miller : Degeneration : Live performances & Radio Broadcasts (Tigerasylum, 2010)
Plus expérimental que Lee Ranaldo quand il l’est, Ben Miller présente avec Degeneration près de dix années de travail. Des bruits de guitares-casseroles accompagnent des voix saturées, des rythmes dingues déboulent et demandent qu’on attaque les guitares avec des baguettes. Délirant et même parfois stupide : à la fois jouissif et dispensable. (pc)

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Der Rote Bereich : 7 (Intakt, 2010)
En Der Rote Bereich avec Frank Möbus (guitare) et Olivier Steidle (batterie), l’excellent Rudi Mahall oscille sur 7 entre le médiocre et le curieux. Puisqu’on parle d’impression d’ensemble, voici : musique écrite (par Möbus) trop écrite (par le même), unissons rébarbatifs, ballade sans véritable raison d’être et dérives en tous sens (funk, rock, jazz ancien). L’art de Rudi Mahall et l’exception qu’est Banker’s Burning Bakeries étouffés par un parti-pris qui minaude. (gb)

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Yannick Dauby : Overflows (Sonoris, 2010)
La ville de Saint-Nazaire a récemment réaménagé sa promenade sur son front de mer mais les enregistrements de Yannick Dauby datent d’avant cela (lorsqu'ils ne viennent pas tout simplement d’ailleurs, c'est-à-dire de Taïwan). En conséquence, Overflows a quelque chose d’austère et d’agréable à la fois : on y reconnaît des tunnels dans lesquels on sent des présences pour qui le bruit de la mer fait office de drone sous tension. Aventurez-vous dans ce paysage composite : d’un port à l’autre, vous apprendrez à reconnaître les nuances du vent et celles de l’eau. (hc)

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The Convergence Quartet : Song/Dance (Clean Feed, 2010)
Brillant auprès de Rodrigo Amado ou en compagnie de Tomas Fujiwara, il aura suffit à Taylor Ho Bynum d’emmener son Convergence Quartet pour donner des signes de faiblesse. Sur Song/Dance, il sert un jazz inégal aux côtés de Dominic Lash (contrebasse et compositions encourageantes), Alexander Hawkins (piano fruste et compositions passables) et Harris Eisenstadt (batterie lourde et compositions nulles). Ici ou là, le trompettiste renoue avec les usages d’anciennes figures (Wadada Leo Smith, Donald Ayler) et rassure : il aurait pu faire mieux. (gb)

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Kinetix vs Pylône : Sonology (Sound on Probation, 2010)
Gianluca Becuzzi (alias Kinetix) et Pylône se partagent Sonology, nouvelle sortie du label Sound on Probation. Dans un cas comme dans l’autre, c’est une ambient foisonnante qui vous installe dans un sous-marin pour un voyage en profondeurs ou vous susurrent des mots à l’oreille. Pas tellement orignal mais qui sait indubitablement ravir les amateurs d’expériences claustrophobiques. (pc)

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Off-Cells : 60/40 (L’innomable, 2010)
Sur 60/40, entendre une autre histoire de découpage de silences et même de temps contée par Seijiro Murayama au sein d’Off-Cells – à ses côtés : Taku Unami (guitare), Utah Kawasako (synthétiseur analogique) et Takahiro Kawaguchi (objets). L’ennui, ici, se trouve en guitare : à force d’aller chercher son salut dans la ligne pure, Unami donne dans un simplisme irritant qui gangrène l’ensemble des improvisations. D’amusement stérile en pose expérimentale, la guitare partout vous empêche d’écouter le reste. (gb)


Tomaž Grom, Seijiro Murayama : Nepretrganost (Sploh / L'innomable, 2010)

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En compagnie de Tomaž Grom, contrebassiste slovène inquiet de techniques instrumentales étendues, Seijiro Murayama improvisait l'année dernière cinq pièces consignées sur  Nepretrganost.

A Kranj, le percussionniste redisait donc son intérêt pour les échanges faits autant de concentration que d'écoute et allant d'expressions mesurées en imprécations accoucheuses d'atmosphères. A côté de Murayama, Grom démontre d'un archet timide et puis prend ses distances : en périphérie instrumentale, le contrebassiste oppose aux gestes endurants de son partenaire des bruits parallèles et des chants parasites. A son habitude, Murayama agit et quelques fois réagit : ayant décidé de la ligne du parti improvisé en amateur de drone, il pourra donner de la voix et lever d'inattendus et beaux reliefs. L'ensemble, délicat, est sans arrêt confronté à la possibilité d'un silence. De cette possibilité qui tient souvent lieu de promesse, Nepretrganost, comme beaucoup d'enregistrements récents de Murayama, profite sans arrêt.

Tomaž Grom, Seijiro Murayama : Nepretrganost (Sploh / L'innomable)
Enregistrement : 2009. Edition : 2010.
CD : 01/ Ena 02/ Dva 03/ Tri 04/ Stiri 05/ Pet
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

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Seijiro Murayama et Tim Blechmann, duo récemment entendu sur 347, improviseront ce mercredi 25 août dans le cadre du Festival Météo.


Interview de Seijiro Murayama

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Seul sur caisse claire et même accompagné (par Tim Blechmann, Masafumi Ezaki et Kazushige Kinoshita, Ernesto et Guilherme Rodrigues et Jean-Luc Guionnet…), Seijiro Murayama a beaucoup enregistré ces derniers mois. Le temps, donc, d’en apprendre sur un percussionniste remarquable par l’entremise de Jean-Luc Guionnet, justement : qui interroge ici son partenaire sur les natures de son instrument, ses façons d’envisager l’improvisation et puis l’ « intervalle », concept qui l’inquiète aussi beaucoup.

Jean-Luc Guionnet : Comme percussionniste, comment unifies-tu ton instrument ? Comment fais-tu pour que l’instrument ne se dilue pas dans tout un tas de possibilités d’objets, de sons? Les percussions, c’est infini ! Moi, quand je veux jouer du saxophone, je vais dans un magasin, j’achète un saxo et voilà ! Je ne me pose plus cette question. Toi, comment fais-tu pour dire « mon instrument s’arrête là » et « là, ce n'est plus mon instrument ». La question est double : quand tu joues de la caisse claire ou quand tu joues d’une batterie entière – comme tu le fais dans certains groupes. Seijiro Murayama : La batterie n’est pas un instrument comme le saxophone, le piano ou l’orgue. Cela ressemble plus à un synthétiseur, ce n’est pas un instrument « fini ». Tu ne peux pas commander une batterie avec telle marque ou tel modèle. En fait, c’est « à la carte ». D'ailleurs, on dit que l'on « monte » une batterie. Il y a des options, tu peux ajouter ou enlever des éléments. C’est ça, une batterie ! Par rapport à mon travail à la caisse-claire seule, on peut parler de « réductionnisme », mais à la base il y a déjà ce fait-là. Même si tu utilises une batterie complète, tu n'es pas obligé d'utiliser tous les éléments, bien sûr.

Donc : comment fais-tu pour décider de t'arrêter ? Ton instrument serait infini sinon, et cela changerait tout le temps. Et quand on regarde bien, les batteurs, ils se fixent au bout d’un moment. Ils ont toujours le même « truc », ou plus ou moins. Par exemple, comment as-tu fait pour considérer la caisse claire comme un instrument ? Si tu joues sur une batterie que l'on te prête pendant une tournée, sans amener la tienne, tu es obligé d'improviser en quelque sorte. Mais bon ! Déjà, pour monter une batterie, tu dois penser à la musique elle-même, à la musique que tu joues. Du coup, la musique elle-même détermine les composants de ta batterie. Ceci-dit, par rapport à l’improvisation, c’est un problème (même si on peut ne pas toucher à tel ou tel élément). Quand j’ai commencé à connaître des difficultés à jouer de la batterie dans le contexte de la musique improvisée, c’était justement à cause de ça. La batterie a été conçue pour un percussionniste qui joue d'un ensemble de percussions tout seul. C’est cela, sa conception. Mais avec une batterie, tu ne peux pas jouer de la musique contemporaine « pointue », écrite pour l’ensemble des percussions. C’est impossible! On parle souvent de l’importance de « l’indépendance » dans la pratique de la batterie : indépendance des quatre membres. De fait, cela n’est pas vrai, c'est bien « dépendant ». Si cela était indépendant, tu pourrais jouer des partitions de musique contemporaine pour percussions, et complexes. Mais cela est impossible, personne n'est une pieuvre. Donc voilà, la pratique de la batterie elle-même canalise quelque chose musicalement. Prendre qu’une caisse claire ? J’ai pris cette décision très clairement à un moment donné, parce que dans ma pratique musicale il ne m’était plus nécessaire de toucher d’autres éléments.

Et alors pourquoi la caisse claire ? Quand je dis que la batterie ressemble au synthétiseur, c’est parce que le synthétiseur est composé d'éléments que tu peux brancher ou débrancher comme tu le veux. A la grande différence que, dans une batterie, un fût et un autre ne sont pas branchés et mixés comme dans un synthétiseur. Ils sont vraiment séparés, le déplacement d'un fût à l'autre, c’est un voyage. Et puis une fois que tu réussis à changer ta vision vis-à-vis de cela, c'est-à-dire... Si tu vois chaque fût comme un territoire ou un univers, tu dois creuser plus profond dans ce terrain.

Pourquoi pas un tom basse par exemple ? Le tom basse, je l'ai essayé mais ça ne marchait pas. Ce que je veux dire est que je n’ai pas suivi un processus logique ou rationnel; il est plutôt empirique : il y a des choses qui marchent et il y a des choses qui ne marchent pas.

Tu ne peux pas dire pourquoi ? Cela me gêne, il y a un « truc » qui me gêne. C’est sûr qu'un fût ayant deux peaux est problématique pour moi. Tout au début de l’histoire de la percussion, comment utilisait-on les percussions? J'imagine que c’était pour envoyer le son au loin. L’idéal alors était d’utiliser un tambour avec une seule peau. Il fallait un grand volume. Mais concernant la précision, mieux valait mettre deux peaux. Moi, je préfère travailler avec une seule peau, car elle est riche, parfois bordélique, du coup risquée, mais avec plus de volume. Mais aussi à cause de mon travail qui, parfois, n'est pas assez audible (c'est pourquoi j'utilise, pour jouer dans un grand espace, un système de micros contacts et aériens). Le problème avec le tom basse est sa profondeur. Pour Milford Graves, le cœur c'est la caisse-claire.

Est-ce que pour toi ce sont des objets ? Souvent tu parles d’objets… Des objets ?

Est-ce que ton rapport à la caisse claire ou la baguette est celui que tu peux avoir avec un objet ? Dans l’interview que l'on a faite avec Bertrand, tu parles beaucoup d’objets. A un moment, tu dis « je joues pour faire taire les objets »… Ça, c’est un peu exagéré…

Oui, mais c’est une image qui veut dire quelque chose… Quel est ton rapport aux objets ? Quelle est la différence entre le rapport que tu as avec la caisse claire et le rapport que tu as avec cette tasse de café, par exemple? Pour moi, une caisse claire, ou des baguettes, ou des balais, ce sont des objets particuliers. Si on dit que la caisse claire est un instrument, alors les baguettes le sont aussi. Tu peux même faire du son seulement avec elles. Même avec une tasse de café! La question qui se pose ensuite est comment trouver un chemin vers la musique en partant du son. Je ne sais pas pourquoi je dis « objet », peut-être est-ce parce que j'ai du mal avec le terme « instrument », surtout avec « instru ». Ou peut-être ai-je deux connexions différentes ; son-objets d'un côté, et puis musique-instrument d'un autre. Sinon, c'est vrai que j'ai un côté « animiste », je joue comme si un objet avait une âme, ou voire comme s'il était moi-même. Je préfèrerais être un objet à un instrument et être l'Un (la caisse-claire) au Multiple (la batterie). A partir de l'Un, dégager le Multiple! Un instrument est lié à sa propre utilité, même si on peut la détourner. Par contre, un objet est plus libre. D'ailleurs, j'ai du mal avec les mécanismes. Un tambour n'a pas vraiment de mécanisme à manipuler, comme le piano, par exemple. Ce côté archaïque me convient. A partir de la pratique de la batterie, on trouve beaucoup de percussionnistes de la musique improvisée qui ont inventé leur « set » ou « dispositif » personnel, y intégrant des éléments divers – percussions ordinaires, ethniques, ou celle de la musique contemporaine, objets quotidiens, voire électroniques, etc, comme Han Bennink, Paul Lytton, Paul Lovens. Ils se sont intéressés à la palette du timbre, me semble-t-il. Mais maintenant, ils ne le font plus. Ils jouent plutôt de la batterie normale, alors on peut se demander pourquoi ? C’est une question intéressante. Je pense qu’il y a un changement d’idée, de vision, voire une « lassitude », un aspect: « ce qui est important, c'est moi qui joue. » Peut-être le font-ils justement empiriquement, c'est-à-dire qu'ils ont une palette de timbres personnalisée du genre « Incroyable ! C'est super, on peut s’amuser avec des sons bizarres ou étonnants », mais à un moment donné, ils en ont eu assez, et ils s'arrêtent, se disant que ce type de travail est sans fin. Puis la question qui se pose, c'est le choix de palette: concerne-t-il vraiment l'essence de l'improvisation ? Moi aussi, j'ai eu cette pratique de la palette mais finalement, j'en ai eu assez d'amener un tas de choses. D'abord pour des raisons de voyage, c'est vrai ! En quelque sorte, j'ai voulu changer de vision – au lieu de possibilités sans limites, j'ai voulu partir d'une limite ou d'une contrainte et creuser des « trucs » en profondeur.

C’est plus vertical qu’horizontal… Oui, c’est ça…

Et l’intervalle ? L’intervalle ? Cela m’interpelle. Déjà, dans la musique japonaise, c’est un élément marquant. Mais je pense que ce que je fais depuis 1995 environ, c’est sous l’influence du courant musical de la musique occidentale : improvisation, field recordings etc. Autour de 1993, je me sentais bloqué par rapport à la pratique de l’improvisation. Quelque temps après, arriva le courant Onkyo. Il ne m’a pas influencé immédiatement mais plus tardivement, et surtout par rapport au silence : Onkyo a pose la question du silence. A partir de là, j’ai petit à petit...

C’est étonnant que tu rentres Onkyo dans le courant occidental ! Mais la musique japonaise moderne, c’est occidental ! Cela ne concerne pas directement la musique traditionnelle japonaise. Même dans le courant japonais d'Onkyo, il n'y a pas beaucoup de musiciens qui travaillent avec, ou sur le silence. Je trouvais surtout intéressant le travail de Taku Sugimoto. Mais d’abord, celui de Radu Malfatti. Son travail a  déclenché celui de Sugimoto. Bien sûr, il y a d’autres musiciens. Grâce à eux, la question du silence m’a intéressée. Et puis m'est venu aussi l’idée de faire du silence avec le son, ou quelque chose comme cela. J’utilisais du silence comme son. Finalement ce qui n'est pas correct, c’est de percevoir la séparation entre silence et son. C'est ainsi, il est difficile de ne pas les séparer pour en parler dès lors qu'on a utilisé le mot « silence ».

Pour moi, justement, l’intervalle n’est pas le silence. C’est un « tout » qui ne fait pas de division entre son et silence, alors que je trouve que le plus souvent, les musiciens qui disent travailler sur le silence travaillent sur cette dichotomie. Alors que travailler sur l’intervalle, c’est autre chose pour moi… Je préfère dire « intervalle » plutôt que « silence » même si cela n’est pas parfait. Oui, bien sûr…Mais on donne plusieurs sens au terme "intervalle", n'est-ce pas? L'intervalle d'un son à l'autre au niveau du pitch, ou du temps...

J’ai deux questions. C’est important ce que tu disais sur le goût. J’aimerais savoir en quoi le timbre serait plus de l’ordre du goût que l’intervalle? Et pourquoi quand on dit « sortir de mon goût personnel » , et donc faire quelque chose donc de plus impersonnel, l’intervalle serait-il plus impersonnel que le timbre ? Il y a deux types de palettes de timbres : celle déjà faite ou celle que tu peux toi-même composer. Quand tu fais une palette, il s'agit du « goût ». Par contre, accepter une palette déjà faite, il faut y aller avec, accepter de jouer avec, la personnaliser en jouant avec. Sinon, quand on s'amuse à faire une palette, on oublie que cela ne marche pas toujours et partout. Voilà donc les questions d'espace, etc. Il y a des paramètres imprévisibles dans chaque lieu de concert. Alors si c'est ainsi, il serait plus intelligent d'accepter le « manque » et de se comporter différemment. Par rapport à l'intervalle, je pense une petite mais pourtant grande influence me vient de Keith Rowe. Je l'ai vu une fois dans un de ses concerts, couper complètement le son à un moment donné. A ce moment-là, j'ai compris son intention: l'électricité, c'est quelque chose qui coule de nature, donc c'est important de la couper dans la musique. Ce qui se passe avec la percussion, c'est complètement opposé. Comme dans les autres instruments musicaux, il faut lui donner de l'énergie pour qu'elle génère du son. Percussion: ça « percute » (claque) à un moment. Voilà, il est difficile de faire du son continu (sauf avec l'archet, etc). D'une manière opposée à Keith Rowe, c'est très important d'amener une autre dimension, une dimension opposée et souvent oubliée: le continuum. La musique est générée par l'instrument mais la musique que l'on veut jouer peut aussi détourner l'utilisation "normale" de l'instrument.

Tu m'as dit, hier, que travailler sur l'intervalle, c'était rejoindre quelque chose qui a un rapport avec la définition de la percussion... Si un percussionniste utilise seulement des technique de frappes, il ne peut pas créer le son continu en tant que  phénomène sonore, même s'il tape très, très vite. C'est évident. A la limite, il pourrait donner une sensation de continuum, c'est tout! Voilà, son travail est de faire de la musique en contrôlant l'intervalle et la dynamiser par l'attaque, l'intervalle du temps, et puis le pitch... en gros. L'intervalle est une grande contrainte dans la percussion. On ne peut pas s'en débarrasser, on est obligé de vivre avec. Elle concerne l'essence, la nature même de la percussion. J'ai l'impression que ton argument de la différence entre le timbre et l'intervalle par rapport au goût, dépend justement de la façon dont on utilise le timbre. Si tu l'utilises comme inventaire infini de ton choix spécial (qui, alors, serait facilement désuet), cela reste à ton goût. Mais si tu arrives à faire autrement, cela  anéantira cette question. Il y a quelques énigmes là-dessus, je pense.

Explique en quoi cette histoire de goût a un rapport avec cette question de définition de l'instrument : tu dis que la percussion, c'est forcément de la « ré-percussion »... Comment cela s'articule-t-il dans ton esprit ? Comment essayes-tu de rejoindre ce qu'est une percussion ? Le son percussif (ou tout le son) est crée par le contact de deux objets. Et puis, il n'y a pas que cela, il y a d'autres choses aussi. Si il n'y a pas d'air, il n'y a pas de son. Ensuite l'espace, la matière du mur, du sol, etc . Tout cela est interminable à inventorier. On est en face d'un phénomène sonore complexe, insaisissable. On abandonnerait facilement son analyse scientifique. Ensuite, le rebondissement. Comment l'utiliser? Un percussionniste travaille là-dessus. Le laisser aller librement, le rattraper pour le faire retourner, etc... comme il le veut. Finalement un percussionniste, c'est quelqu'un qui manipule ses mouvements au travers d'objets, qui a un rapport particulier avec les objets. On y trouve parfois  même des objets quotidiens. Cette vision m'est tellement forte, chère, qu'elle m'empêche d'utiliser le terme « instrument ». Voilà! Moi qui essaie des démarches microscopiques, ce qui est problématique, c'est l'utilisation des pieds (des fûts, des cymbales, etc) qui garantit la stabilité de l'instrument en vue d' avoir un son plus précis, pour créer de la musique comme forme de communication, langage, ou idiome. Parfois, cette utilisation cache et gâche  la richesse du timbre, etc. Alors je veux travailler là-dessus, sur la façon de créer du son intéressant à partir d'objets (caisse-claire, cymbale, baguette...) mis dans un état instable. Dans l'histoire de la musique, il existe une forte idée de faire « simple », « communicable » (musique comme langage). Cela veut dire do-ré-mi-fa-sol-la-si-do, ou utiliser le son comme idiome, comme des mots que l'on peut échanger. La stabilité des pieds et des instruments, par exemple, y contribue pour avoir toujours le « même » son du point de vue de la communicabilité. Or le même son n'existe pas comme phénomène sonore.

Est-ce que tu te considères comme un batteur ? Moi ? Euh... Je n'aime pas tellement la définition, pas même celle de musicien, et pas même celle de percussionniste. Je n'aime pas le mot. Franchement, si je pouvais faire autre chose, un peu de musique et autre chose... Comme « human being » !

Faire quoi ? Justement, je ne sais pas. Cela veut dire que ma musique.... est existentielle ! Elle est définie, en quelque sorte, par ma vie. C'est encore une fois basé sur l'instabilité! Une personne qui se dit que je suis « percussionniste », ou « musicien confirmé »par exemple, cela reflète de loin sa vision d'un monde stable, ou sa vision stable du monde. Il a sa place « tranquille » dans la société d'aujourd'hui. Et bien, je ne partage absolument pas cette vision !

Seijiro Murayama, propos recueillis en juin 2010 à Paris.
Photos © Stéphane Fugier & Jolimatin. Remerciements à Marc Perron-Bailly.
Jean-Luc Guionnet, Seijiro Murayama © Le son du grisli


Tim Blechmann, Seijiro Murayama : 347 (NonVisualObjects, 2010)

347sli

Quelque part en exergue sur le crème de la pochette, une phrase de John Cage sur le bruit qu'il faut écouter pour vivre une expérience qui lui retirera toute faculté de désagrément. Et la collaboration de Tim Blechmann (enceintes) et Seijiro Murayama (caisse claire) peut commencer à se faire entendre.

Obliquement, l’ouvrage percussif est ici déployé ; son esthétique bientôt revendiquée par un autre ouvrage, d’électroacoustique celui-ci : craquements, grincements, frottements, et un souffle qui parcourt tout l’espace (Comète 347, Paris). Une fois levées les illusions, Murayama manie une baguette : avec elle se débat, accuse le coup d’une pluie artificielle à laquelle le contraint Blechmann. L’exercice de frappe interrompu, l’exhalaison du quotidien et des choses qui le composent reprend ses droits : là-bas, on croit entendre le bruit du trafic même si rien ne nous assure ici d’aucune réalité. Seule l’expérience plaisante aura été palpable : trois quarts d’heure de seconde en seconde.


Tim Blechmann, Seijiro Murayama, 347 (extrait). Courtesy of NonVisualObjects

Tim Blechmann, Seijiro Murayama : 347 (NonVisualObjects)
Edition : 2010.
CD : 01/ 347
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



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