Rudolf Eb.er : Brainnectar (Schimpfluch Associates, 2014)
Voilà, comment le dire autrement ? Rudolf Eb.er nous fait le coup du jus de cerveau. Du nectar, pour être exact, c’est en tant que tel en tout cas que les 42 saynètes psychoactives prêtes à secouer notre organisme (et qu’il conseille d’écouter fort, et au casque encore !) sont présentées.
Alors quid du jus en question ? Eh bien, comme attendu (Rudolf Eb.er a déjà fait grand étalage de sa force, en solo ou avec Joke Lanze, Dave Phillips ou encore Masonna sous l’alias de Runzelstirn & Gurgelstøck), il a du retour. Pressé jusqu’à la moelle, le cervos de Rudolf rejette (pisse ?) des loops, des field recordings (dans le domaine animal, abeilles, serpents, oiseaux et mouches décorent ses délires monomaniaques), des captations rythmiques, de l’électronique euphorisante…
Onaniste mais parfois sharant l’orgasme (avec la terrible Junko aux cris d’orfraie), Eb.er nous impose ses névroses sonores en jouant sur notre curiosité et notre frustration facile. Le casque sur les oreilles, on acceptera donc tout : le paysagisme abstrait, le noise briseur d’échine, les sonnailles de cauchemar, l’abstraction à la hache, la poésie scabreuse, le chant délivré par le feu, le mariage du curé et du porc…
Mais alors quid de l’effet de ces « psychoactive acoustics » sur le cobaye consentant ? Eh bien, comme attendu, ce que promettaient des mots-clefs que l’on trouve dans les titres des 42 plages : piercing, cutting, contraction, decomposition, burning, levitating… et cette impression qui résume tout : bees suckle at my brain. Pas banal !
Rudolf Eb.er : Brainnectar (Schimpfluch Associates)
Edition : 2014.
2 CD : Brainnectar
Pierre Cécile © Le son du grisli
GX Jupitter-Larsen, Joke Lanz, Rudolf Eb.er, Mike Dando : Wellenfeld : For Amplified Brainwaves (Fragment Factory, 2014)
Le concept est de Rudolf Eb.er et la conception de l’instrument (casque sans fil transmettant à Rashad Becker les ondes cérébrales des quatre hommes qui le portent : GX Jupitter-Larsen, Joke Lanz, Rudolf Eb.er, Mike Dando) du Dr. Mick Grierson. Mixant les signaux qu’il obtient, Becker fait de la musique. A celle-ci, les cobayes peuvent réagir.
L’expérience – enregistrée le 2 décembre 2012 à Bristol dans le cadre du festival EXTREME RTUALS – est d’une demi-heure, au cours de laquelle les émissions inspirent donc autant qu’elles composent une musique diffusée sur huit enceintes. Après quelques crépitements, les premières ondes diffusent, rechignant certes au motif musical mais multipliant les travestissements : bourdon d’orgue ancien, encodages variés, programmation électronique impétueuse ou morse télégraphique. A l’ombre de l’expérience rare, Jupitter-Larsen, Lanz, Eb.er et Dando augmentent leurs discographies de bruits neufs et exaltants.
GX Jupitter-Larsen, Joke Lanz, Rudolf Eb.er, Mike Dando : Wellenfeld : For Amplified Brainwaves (Fragment Factory)
Enregistrement : 2 décembre 2012. Edition : 2014.
CD : 01/ Wellenfeld : For Amplified Brainwaves
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Fragment Factory Expéditives : Alice Kemp, Schimpfluch-Gruppe, Aaron Dilloway, Tom Smith, Philip Marshall
Alice Kemp : Decay and Persistence (CDR, 2013)
Réinterprétation par son auteure d’une bande-son créée pour deux performances de Weeks & Whitford, Decay and Persistence est maintenant un voyage à faire sur CD et, même, dans l’oreille d’Alice Kemp (Germseed) : trouver-là, rendus avec une précision remarquable, coups de tonnerre, tic-tac, souffles, bois qui craquent, et peut-être aussi le battement d’un cœur. Au bout du voyage, applaudir à un théâtre concret aux effets ravissants.
EN ECOUTE >>> Live-Aktion 28.04.2012, Tokyo
Schimpfluch-Gruppe : Nigredo (K7, 2013)
Un autre bois (on l’imagine), et sur cassette, crépite sur Nigredo. C’est que Rudolf Eb.Er et Dave Phillips y ont marché, en route pour Tokyo où ils donnèrent un concert « préparé » sous le nom de Schimpfluch-Gruppe. Devant l’assistance, un souffle fut transformé en râle, ce râle en ombre épaisse et inquiétante, cette ombre en chimère prisonnière d’une cellule de béton gris. Dans un bruit assourdissant de métal (des chaînes, peut-être), ce sera la libération. En face B, un canal chacun, Eb.Er et Phillips exposent le matériau qu’ils composèrent indépendamment pour leur rencontre : ni chimère, ni béton, ni métal, mais des ombres encore.
EN ECOUTE >>> Decay and Persistance
Aaron Dilloway, Tom Smith : Allein Zu Zweit (K7, 2013)
C’est un autre concert passé sur cassette : celui, donné par Aaron Dilloway (Wolf Eyes, The Nevari Butchers) et Tom Smith (To Live and Shave in L.A., Ohne) à Hambourg le 22 juin 2012 – quelques jours plus tôt, le duo s’était produit à Hanovre, ce dont témoigne Impeccable Transparencies, un disque double produit par Smith sur son Karl Schmidt Verlag. Seul, Alloway lance une course le long de laquelle il butera souvent : voilà la cause des barrissements, plaintes et déferlantes, dont il fait son miel. Avec Smith, le voici occupé à confectionner une boucle sur laquelle déposer un noise qui pourra quelquefois pêcher par emportement lyrique.
EN ECOUTE >>> Allein / Zu Zweit
Philip Marshall : Passive Aggressive (K7, 2013)
Deux ans après avoir publié Casse-tête sur Tapeworm, label à cassettes qu’il dirige, Philip Marshall voit paraître Passive Agressive sur Fragment Factory. C’est une autre bande à dérouler dans laquelle sont contenus des aigus tenaces que gonflent les parasites qu’ils portent en eux et même arborent, un grave aux obsessions multiples et qui danse sous leurs effets, un doigt de saturations, enfin, pour finir de changer la cassette dont on parle en étonnante malle à contrastes.
EN ECOUTE >>> Passive
Alice Kemp : Fill My Body With Flowers And Rice (Fragment Factory / Erratum, 2017)
En 2013, en publiant Decay and Persistence, le label Fragment Factory mettait en lumière la pratique musicale d’Alice Kemp, pratique qu’une poignée d’enregistrements sous les noms d’Uniform ou de Defeatist avait eu du mal à faire émerger du lot toujours grandissant de pratiques expérimentales en tous genres pensées (ou rendues) aux quatre coins de la planète. Fait de différents bruits enregistrés à même le réel, son « théâtre concret » avait déjà ravi.
Avec Fill My Body With Flowers And Rice, qui regroupe des enregistrements datant de 2012 à 2015, la musicienne franchit un seuil, au point de provoquer un véritable intérêt. C’est, dans l’idée, une même façon de composer au moyen d’un matériau concret et d’atmosphères attrapées – au creux de l’une d’elle, un piano ou un couplet murmuré pourront se faire entendre, comme quelques sons empruntés à Rudolf Eb.er. Pour ce qui est de l’intention, elle est, de l’aveu même de Kemp, faite de fertilité et de déliquescence, de sexualité et de mort, de « sauvagerie » aussi. C’est, en conséquence, une étrangeté insaisissable qu’elle arrange là avec superbe.
Plongé dans l’obscurité d’un sous-bois, l’auditeur n’a d’autre réflexe que de tendre l’oreille. Déjà, des présences animales font impression : est-ce une nuée d’insectes qui survole une carcasse en décomposition quand un groupe d’oiseaux se garde bien de l’approcher ? Après quoi, c’est une voix tremblante qui se fait entendre puis un souffle que l’on croirait tiré d’un sommeil. Le noir est inquiétant, pas encore « érotique ». Un souffle l’y amène bientôt, tandis que le bois craque. Une autre inquiétude se lève alors ; mais, d’un bout à l’autre, la balade vaut la peine. Toutes les peines qu’on y trouve, même.
Alice Kemp : Fill My Body With Flowers And Rice
Fragment Factory / Erratum
Edition : 2017.
LP : Fill My Body With Flowers And Rice
Guillaume Belhomme © Le son du grisli