Jean Derome, Normand Guibeault, Pierre Tanguay : Danse à l'Anvers (Ambianes Magnétiques, 2011)
Ce n’est pas pour rien que le Trio Derome Guilbeault Tanguay réinitialise quelques-uns des thèmes de Kirk ou Dolphy. Comme ces deux derniers, isolés et incompris de la jazzosphère en leur temps, Jean Derome, Normand Guilbeault et Pierre Tanguay ne trouvent guère d’admirateurs, aujourd’hui, pour louer leur jazz vif et tranchant. Un jazz décalé, hors mode (les thèmes composés pour le baryton ne sont pas sans évoquer un autre outlaw du jazz : Charles Tyler) et puisant dans la périphérie ses ressorts harmoniques.
En ce sens, à mille lieux des tristes poseurs faisant les choux gras de la presse spécialisée officielle. Oui, le jazz passe, aujourd’hui, un petit peu du côté de Jean Derome et de ses amis. L’alto est aiguisé, la contrebasse n’est pas d’appoint mais de rigueur et d’inspiration, la batterie foudroie le swing et extraie de la matrice rythmique mille infinis. L’aventure continue pour le Trio Derome Guilbeaut Tanguay. Puissent-ils, enfin, être entendus.
Trio Derome Guilbeault Tanguay : Danse à l’Anvers (Ambiances Magnétiques / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2010. Edition : 2011.
CD : 01/ Half-Way House 02/ Dooji Wooji 03/ Rip, Rig and Panic 04/ Danse à l’Anvers 05/ Kissleg 06/ Eufnag 07/ 17 West 08/ Straight Up & Down 09/ Lettre à Rainer Wiens 10/ I’m Checkin’ Out, Goom-Bye 11/ Poor Wheel
Luc Bouquet © Le son du grisli
Pierre Labbé : Tremblement de fer (Ambiances magnétiques, 2010)
Pierre Labbé compose et dirige un ensemble de douze musiciens (Jean Derome, Aaron Doyle, André Leroux, Jean-Nicolas Trottier, Josiane Laberge, Mélanie de Bonville, Jean René, Emilie Girard-Charest, Bernard Falaise, Guillaume Dostaler, Clinton Ryder, Pierre Tanguay). Pierre Labbé aime la clarté et ne s’en cache pas.
Voici donc, en sept compositions, des cadences familières, des improvisations soignées (Jean Derome et son alto dolphyen) et des superpositions qui intriguent. Ainsi, tel accent ternaire se désagrégeant au fil des secondes pour finir cisaillé par un quatuor à cordes vindicatif. Ailleurs, c’est un jazz vif qui pulvérise des violons aux aromes orientaux. Admirables moments que ces antinomies joliment animées et parfaitement assumées. Le reste, sans surprise(s) certes, est d’un intérêt tout autant soutenu.
Pierre Labbé + 12 : Tremblement de fer (Ambiances Magnetiques / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2010. Edition : 2010.
CD : 01/ Freeleux 02/ Lavra 03/ Autochtone 04/ Serpents et échelles 05/ Le deuxième souk 06/ Mutations 07/ La fille et la grenouille
Luc Bouquet © Le son du grisli
Pierre Langevin, Pierre Tanguay: La boulezaille (Ambiances magnétiques - 2003)
Respectivement clarinettiste (mais aussi joueur de cornemuse ou de chifonie) et percussionniste (doué quand même pour la boîte à languettes ou l’harmonica), Pierre Langevin et Pierre Tanguay exposent ici un précis de boulezaille, concept musical leur appartenant, défendu à grands coups d’instruments hybrides.
Convoqués pour la mise en pratique, instruments rarement utilisés (doudouk, guimbarde, douçaine…) et ustensiles de la vie domestique, au son desquels se mettent en place des titres relevant d’un nouveau folklore autant que de l’expérimentation ludique. La mélodie légère d’une flûte, que l’on dépose sur le grouillement de percussions sourdes (Le grand bonhomme de chemin) tranche avec le drone fomenté par une guitare électrique sur lequel s’installe le dialogue du tambour et de la clarinette basse (La scie voleuse).
Ailleurs, le bourdon de la chifonie accueille une mélopée intuitive (Mon Ami), la clarinette et la cornemuse fantasment le voyage en Algérie (Ne partez pas sans être heureux), et les percussions minuscules rivalisent d’inventions burlesques (Voilà !). Rarement l’expérimentation aura été aussi radicalement mariée à la musique populaire. Afin de mettre au jour une musique que l’on jugera nouvelle, même si Tanguay et Langevin l’ont exhumé sûrement de traditions enfouies.
CD: 01/ Ne partez pas sans être heureux 02/ Le chalumeau de la paix 03/ Voilà ! 04/ Le grand bonhomme de chemin 05/ Danse du vent comme dans le temps 06/ La scie voleuse 07/ Mon ami 08/ La boulezaille >>> Pierre Langevin, Pierre Tanguay - La boulezaille - 2003 - Ambiances magnétiques. Distribution Orkhêstra International.
Trio Derome Guilbeault Tanguay: The Feeling of Jazz (Ambiances magnétiques - 2005)
Dans le livret de The Feeling of Jazz, le saxophoniste Jean Derome écrit : « Je ne sais pas pourquoi des blancs francophones jouent du jazz en 2005 à Montréal. » Plus loin, au lieu de se satisfaire d’un expéditif « Pourquoi pas ?», il trouve une réponse d’une simplicité qui le pare de toute attaque critique : « Cette musique est tatouée dans nos cœurs et nous la jouons parce que nous l’aimons et que ça nous rend heureux de le faire. »
Ce discours, vomitif lorsqu’il est tenu par un musicien dont la médiocrité de l’étoffe est aussi discernable que l’ignorance qu’il a d’un art qu’il s’autorise à transformer en addition de propositions vulgaires et vides, porte ici l’entier album avec conviction. Et trois blancs de Montréal d’investir des standards avec insouciance, animés non par le désir de bien faire, mais par celui de le faire, tant qu’il leur plaira.
Alors, avec Jump for Joy, on entame une sélection ouverte, prônant la diversité la plus libre : Ellington, donc, se trouve ici repris, mais aussi Sonny Clark (le swing brillant de Sonny’s Crib), Misha Mengelberg (A Bit Nervous, Rollo II), ou quelques thèmes issus du répertoire de Dolphy (Jitterbug Waltz) ou Billie Holiday (Getting Some Fun Out of Life). A chaque fois, la section rythmique, assurée par Normand Guilbeault (contrebasse) et Pierre Tanguay (percussions), est irréprochable – classique, certes, mais efficace.
Quant à Derome, il pose sans paraître concéder le moindre effort son saxophone, sa flûte, ou sa voix. Car le jazz n’est pas qu’instrumental, et comme le trio l’apprécie dans sa globalité, il lui faut aborder la sous-section vocale. Faisant peu de cas de ce qu’on pourrait facilement lui reprocher, Derome frotte ses cordes à un thème de Cole Porter (Five O’Clock Whistle), repeint en noir You’d Be So Nice To Come Home To, ou inocule un peu de rock – voire, de punk – au mille fois ressassé I Won’t Dance. Sur les paroles défendues jadis par Billie Holiday, le trio persiste : « May be we do the right thing, May be we do the wrong », répétant qu’il ne sert à rien de chercher à estimer la valeur des résultats.
C’est d’ailleurs dans cette certitude qu’il faut repérer la pièce maîtresse de la mécanique de The Feeling of Jazz, d’où aura découlé toute la qualité. Générant le plus souvent quelques gènes porteurs de tares abîmant l’oreille, la priorité du désir sur tout le reste trouve chez Derome, Guilbeault et Tanguay, l’exception confirmant sa règle dommageable.
CD: 01/ Jump for Joy 02/ The Feeling of Jazz 03/ Sonny’s Crib 04/ Five O’Clock Whistle 05/ You’d Be So Nice To Come Home To 06/ Jitterbug Waltz 07/ A Bit Nervous 08/ It’s You or No One – It’s You 09/ I Won’t Dance 10/ Rollo II 11/ Getting Some Fun Out of Life
Trio Derome Guilbeault Tanguay - The Feeling of Jazz - 2005 - Ambiances magnétiques. Distribution Orkhêstra International.