Phill Niblock : Working Title (Les Presses du Réel, 2012)
Si Phill Niblock a fait œuvre (voire vœu) de bourdons (ou de drones), le livre épais – que gonflent encore deux DVD de vidéos – qu’est Working Title n’en propose pas moins d’autres pistes de description, certaines balisées à peine. Sur enregistreur à bandes hier et Pro Tools aujourd’hui, l’homme travailla donc, au choix : musique microtonale, minimalisme fâché avec la répétition, interactions harmoniques, sons continus et overtones, ou encore : « musique multidimensionelle » et « partitions audio » (dit Ulrich Krieger) et « flux en constante ondulation » (dit Susan Stenger).
Ecrites avec l’aide de Tom Johnson, de Joseph Celli et de la même Stenger, les notes des pochettes (ici retranscrites) de Nothing to Look at Just a Record et Niblock for Celli / Celli Plays Niblock, édités par India Navigation au début des années 1980, en disaient pourtant déjà long. Avec certitude, y est expliqué de quoi retourne – et de quoi retournera désormais – le propos musical d’un compositeur qui refuse à se dire musicien. A la richesse de ces informations, le livre ajoute une poignée d’entretiens et d’articles publiés dans Paris Transatlantic, Positionen, FOARM (plume de Seth Nehil), Organized Sound… ainsi que des éclairages signés Krieger et Stenger, mais aussi Guy de Bièvre et Richard Lainhart, tous proches collaborateurs de Niblock.
Expliquant les tenants et aboutissants de l’art du compositeur, Krieger signe un texte intelligent que l’on pourra lire au son de Didgeridoos and Don’ts, première pièce écrite par un Niblock « sculpteur de son » pour un Krieger obligé d’abandonner ses saxophones (Walls of Sound, OODiscs). Avec l’idée d’en apprendre aux musiciens qui aimeraient un jour jouer Niblock sans forcément l’avoir rencontré – même si l’on sait que l’homme écrit à destination d’instrumentistes particuliers –, Krieger explique, conseille et met en garde : « leur défi, c’est de travailler en dehors des sentiers battus de la mémoire mécanique de leurs doigts. »
Plus loin, c’est de l’art cinématographique de Niblock qu’il s’agit : de The Magic Sun (présence de Sun Ra) et Max (présence de Max Neuhoff) au projet-fleuve The Movement of People Working, ce sont-là des « images de la réalité » dont on examine les origines – des entretiens avec Alan Licht révèlent ainsi l’importance du passage de Niblock par l’Open Theater de New York – et les rapports à la photographie et la musique. Voilà qui mènera l’ouvrage à aborder enfin, sous la plume de Bernard Gendron, le rôle joué par Niblock dans l’Experimental Intermedia Foundation d’Elaine Summers : là, d’autres musiciens concernés (Philip Corner, Joseph Celli, Peter Zummo, Malcolm Goldstein ou Rhys Chatham) guident le lecteur à une dernière proposition d’étiquetage : minimalisme radical ou radicalisme minimal ? L’art de Phill Niblock aura en tout cas créé des interférences jusque dans le domaine du langage.
Phill Niblock, Bob Gilmore, Guy De Bièvre, Johannes Knesl, Mathieu Copeland, Jens Brand, Rob Forman, Seth Nehil, Raphael Smarzoch, Richard Glover, Volker Straebel, Ulrich Krieger, Susan Stenger, Richard Lainhart, Juan Carlos Kase, Erica King, Rich Housh, Alan Licht, Bernard Gendron, Arthur Stidfole : Working Title (Les Presses du Réel)
Edition : 2012.
Livre : Working Title
Guillaume Belhomme © le son du grisli
David First : Privacy Issues (XI Records, 2010)
Il n’est pas le premier (David) à avoir succombé aux charmes du drone, mais David First a un passif original : guitariste, il a par exemple joué au Carnegie Hall avec Cecil Taylor avant de se produire en rocker arty dans les clubs new yorkais les plus réputés.
Depuis 1996, sa musique est électronique et linéaire, ce dont la présente anthologie témoigne. Des milles feuilles sonores dont les drones gagnent souvent en épaisseur et des orgues aux sonorités ondulantes font les principales caractéristiques de son œuvre. Des pièces font deux minutes et d’autres plus d’une vingtaine et il arrive que First y ajoute quelques épices : une évocation tintinnabulante du zen, des basses profondes, une mélodie simplissime, etc. Sur la longueur, c’est réussi et pas rébarbatif pour un fou, mais il faut quand même oser programmer plusieurs moments d’écoute pour venir à bout de l’anthologie.
David First : Privacy Issues (droneworks 1996-2009) (XI Records)
Enregistrement : 1996. Edition : 2010.
CD1 : 01/ Zen Guilt/Zen Blame 02/ A Bet on Transcendence Favors the House 03/ My Veil Evades Detection; My Veil Defies Exhaustion; My Veil and I Divorce - CD2 : 01/ Tell Tale 02/ The Softering Door 03/ aw! / Drawline Spout / Holi SPank 04/ Belt 05/ Happy Beatday - CD3 : 01/ Pipelines Witness Apologies to Dennis
Pierre Cécile © Le son du grisli
Steve Swell's Nation of We: Live at the Bowery Poetry Club (Ayler Records - 2006)
Comme le Celestrial Communication Orchestra mené jadis par Alan Silva, le Nation of We de Steve Swell – ici enregistré début janvier 2006 à New York – rassemble quelques musiciens de premier ordre le temps d’un projet ambitieux. Mais l’époque demande plus de fougue encore, et conseille à chacun de soigner ses sursauts d’individualisme.
Trompettes de Roy Campbell, Lewis Barnes et Matt La Velle, en façade, l’ensemble tombe sans attendre dans les excès amusés d’un free ravageur. 16 musiciens, donc, partis à la recherche de gestes expiatoires enfouis, qu’ils provoquent dissonances ou emportements plus dramatiques - à l’image des phrases de saxophones de Rob Brown, Sabir Mateen, Ras Moshe, Saco Yasum et Will Connell (First Part).
Sonnant l’heure des trombones – de Swell, donc, Dave Taylor, Peter Zummo et Dick Griffin -, Second Part poursuit sur le même rythme et avec les mêmes intentions, auxquelles désobéiront pourtant l’intervention extatique des contrebassistes Matthew Heyner et Todd Nicholson, puis le piano de Chris Forbs, s’occupant en compagnie du batteur Jackson Krall d’imposer un passage plus déconstruit. Anéanties aussi par de nouveaux emportements collectifs, joyeusement coupables de cacophonies disposées à distances régulières, mais aussi de pauses lascives et de phases inquiètes.
Car le Nation of We répète l’éternel dilemme, vacillant entre phrases lâches et assauts vindicatifs (Third Part) - les trombones faits avocats de la mesure quand les saxophones n’en pourront plus de tout se permettre (Fourth Part). Jusqu’à la conclusion unanime scellant la réconciliation inévitable.
CD: 01/ First Part 02/ Second Part 03/ Third Part 04/ Fourth Part
Steve Swell's Nation of We - Live at the Bowery Poetry Club - 2006 - Ayler. Téléchargement.