Le son du grisli

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Joe McPhee : en conversation avec Garrison Fewell

joe mcphee garrison fewell conversation mars 2013

Cette conversation est extraite de De l'esprit de la musique créative, ouvrage dans lequel Garrison Fewell converse avec vingt-cinq musiciens improvisateurs, parmi lesquels, outre Joe McPhee, on trouve Wadada Leo Smith, John Tchicai, Steve Swell, Han Bennink, Irène Schweizer, Oliver Lake, Milford Graves, Henry Threadgill... Le livre paraîtra début 2016 aux éditions Lenka lente.

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GARRISON FEWELL : Au cours de ces conversations, je me rends compte que je discute souvent avec les musiciens du sens du mot « spiritualité ». Il est possible que des ambiguïtés existent autour de ce mot et ont fini par lui donner mauvaise réputation. Certains préfèrent ne pas en parler et laisser la musique l’exprimer seule. Selon moi, la racine de la spiritualité est « l’esprit », et je pense qu’on peut l’aborder et la vivre différemment, selon les individus, au cœur même de la musique créative.

JOE McPHEE : Et bien, quand vous parlez « d’esprit », je ne l’aborde pas de façon religieuse mais plus en envisageant le cœur, l’âme de la musique. Je ne sais pas d’où il vient mais il est là, quelque part autour de nous. L’ « esprit » est une sorte de force qui, en tant que telle, conduit la musique, il en est la source. Je ne conçoit pas de façon religieuse le terme d’ « esprit ».

GF : Je suis d’accord, même si c’est la connotation qu’on lui donne généralement. La spiritualité est partout, qu’elle soit en nous ou au-dehors, elle est là où on trouve l’inspiration.

JMP : Bien sûr. Elle peut avoir une connotation religieuse si on le souhaite, mais ce n’est pas obligatoire.

GF : Quelle est l’importance de l’esprit dans votre créativité ? Quel rôle joue-t-il dans votre approche de la composition ou du jeu ?

JMP : C’est la connectivité ou la continuité de l’être humain, de qui nous sommes et d’où nous venons, de notre histoire et de ce que sera peut-être notre futur. C’est un continuum. Je dirais que c’est également une possibilité d’aller de l’avant.

GF : Avez-vous une habitude ou un entraînement spécifique qui vous permette d’entretenir et de développer vos compétences créatives ?

JMP : Si je me lève le matin et que je suis capable de bouger et de prendre mon instrument afin de jouer, c’est tout ce qui m’importe. Je n’ai pas d’entraînement spécifique. L’habitude qui me pousse à répéter, c’est en général le prochain concert que j’ai de programmé ou la prochaine conversation, le prochain dîner que j’aurais avec mes amis et les musiciens avec qui j’ai la chance de faire de la musique. J’attends avec impatience le prochain moment, la prochaine fois. J’ai soixante-treize ans aujourd’hui, alors, le moment à venir est exaltant. (rires)

GF : Avez-vous déjà ressenti les pouvoirs thérapeutiques de la musique pendant un concert ?

JMP : J’aimerais pouvoir. Vous connaissez la citation d’Albert Ayler qui dit que « la musique est la force qui guérit l’univers » ? J’essaye de garder cela en tête. Et si il existe un moyen de projeter ce genre d’énergie à travers la musique et bien j’espère que c’est le cas car je crois sincèrement que c’est possible. Je pense que la musique a cette capacité. C’est une force très mystérieuse. C’est une vraie force éternelle, selon moi.

GF : Une force mystérieuse éternelle, j’aime cette image. Vous avez récemment enregistré un hommage à Albert Ayler (13 Miniatures For Albert Ayler, RogueArt). Je me suis demandé si vous aviez eu la chance de le rencontrer ou de l’entendre jouer.

JMP : J’ai eu la chance d’entendre jouer Albert plusieurs fois. Je ne l’ai jamais rencontré mais j’ai vécu une expérience le concernant. Je lisais un article à propos de sa musique dans Downbeat alors que je faisais mon service militaire, en Allemagne. Et je l’ai cherché. Le groupe de l’armée dans lequel je jouais est allé à Copenhague et je savais qu’Albert était passé par le club Montmartre. J’y suis alors allé, mais Albert et Don Cherry étaient déjà partis pour Paris, où ils devaient jouer au Chat Qui Pêche. Je ne l’ai donc jamais rencontré. Mais quand je suis rentré à la maison, je me suis lancé dans une véritable quête de sa musique. Quelques jours après ma sortie de l’armée, en 1965, je suis allé dans un magasin de disques sur la Huitième rue à New York et j’y ai trouvé une copie de son disque Bells, ce qui était fantastique pour moi. Enfin ce vinyle était devant moi ! Il y avait sur la couverture une peinture à la soie d’un coté, et alors que je le regardais, une voix au dessus de mon épaule m’a dit : « que pensez-vous de cette musique ? ». J’ai répondu : « Je ne sais pas mais je suis impatient de l’écouter, ça a l’air génial. » Et la voix a dit : « Et bien, c’est mon frère ». C’était Donald Ayler ! Il continue : « Je suis trompettiste » et moi je lui réponds : « Waouh ! Moi aussi je suis trompettiste ! » (à cette époque je ne jouais que de la trompette). Je lui ai alors expliqué que je venais de terminer mon service militaire et que j’étais très impatient d’entendre la musique d’Albert Ayler. Il a alors inscrit une adresse sur un bout de papier et il m’a dit « écoute, nous faisons une répétition, tu n’as qu’a venir », ce à quoi j’ai répondu : « Je n’ai pas ma trompette, et puis je dois vraiment prendre mon train, j’habite Poughkeepsie. » Je ne suis donc jamais allé à cette répétition !

GF : Il me semble que vous ayez choisi une autre route, ce jour-là.

JMP : Oui, mais j’ai entendu Albert plusieurs fois par la suite. Aux funérailles de John Coltrane, notamment. J’étais dans l’église, il y a joué, ainsi que le trio d’Ornette Coleman.

GF : Ayler est souvent cité comme musicien inquiet de spiritualité, ce qui se ressent sur « Spiritual Unity », par exemple. D’autres artistes sont certainement aussi concernés par la spiritualité mais ne tiennent pas à le montrer. Qu’est ce qui, selon vous, fait que dans la musique d’Albert Ayler, ou dans sa sonorité, nous reconnaissions cette veine spirituelle ?

JMP : En fait, la musique d’Albert, comme celle de John Coltrane, m’a touché. J’ai vu Coltrane en concert, en 1962, je crois, au Village Gate, et cela m’a remué au plus profond de moi-même. Il y avait avec lui McCoy Tyner, Evin Jones et Jimmy Garrison, c’était un peu comme être dans un avion, l’avion est sur la piste et au moment où il décolle vous avez une nette sensation, c’est ce qui s’est passé quand Coltrane est arrivé sur scène. Je n’arrivais plus à respirer, j’ai cru que j’allais mourir sur le moment. Je ne pouvais plus bouger. C’est ce que la musique d’Albert m’a fait également. Le son de son saxophone ténor est la raison pour laquelle je me suis mis à jouer de cet instrument. Bien évidemment, le son de Coltrane a joué un rôle aussi mais celui d’Albert m’a saisi d’une telle façon que je me suis dit : « Je veux essayer ». C’est la raison pour laquelle je joue du ténor, aujourd’hui encore.

GF : Merci pour cette confidence. Pour ma part, je vois la musique comme un cercle où l’inspiration inspire la création, et tout tourne en rond, tout étant connecté avec tout. Prenons par exemple « Old Eyes », l’un de mes morceaux préférés dans votre répertoire. Si je l’ai écouté de nombreuses fois, je n’ai réalisé qu’hier, en lisant les notes du livret, que vous l’avez dédié à Ornette Coleman. Il y a de cela cinq ans, je composais pour mon ensemble Variable Density Sound Orchestra, et l’ambiance émotionnelle de ce morceau m’a poussé à écrire une composition pour Albert Ayler intitulée Ayleristic. C’est là que le cercle de connectivité trouve son sens... Il me faut ainsi vous remercier pour cela.

JMP : C’est un cercle extensible, vous savez. Comme quand vous faites un ricochet dans l’eau. Vous jetez la pierre et observez ces cercles qui s’étendent à l’infini. C’est la même chose. Ca vous atteint de l’intérieur et ça touche tout le monde, ça touche tout.

GF : Quel rôle, selon vous, jouons-nous dans la société en tant que musiciens d’improvisation, compositeurs, ou joueurs de musique créative ? Y a-t-il eu des événements spécifiques, qu’ils soient sociaux ou politiques, qui vous ont un jour inspiré des créations ?

JMP : Pour moi, c’est dans le titre du morceau que se passent souvent les choses. Je compose, j’improvise et parfois le titre vient plus tard. Par exemple, l’un des premiers enregistrements que j’ai fait pour CJR s’intitulait Underground Railroad. Quand j’ai commencé à jouer du saxophone, je n’ai pas attendu plus de quelques jours pour me rendre avec lui dans le club où j’avais l’habitude de jouer de la trompette. J’ai essayé de jouer et, bien évidemment, Albert était présent dans mon esprit. Ce qui est ressorti de l’instrument n’était probablement pas quelque chose de très sacrée. (rires) Les types qui étaient là m’ont demandé de ne jamais revenir avec ce truc, me suppliant : « S’il te plaît, c’est notre concert. On ne peut pas se permettre ce genre de chose ici ». Donc, pendant un an, je me suis bien gardé de revenir avec mon saxophone, mais après j’ai engagé tous ces musiciens pour Underground Railroad. Et bien sûr, les titres de l’album ont tous une explications : « Harriet », c’est pour Harriet Tubman, Denmark, ce n’est pas pour le pays mais pour Denmark Vesey qui était un esclave révolutionnaire. Et puis il y a « Underground Railroad », bien sûr. J’ai toujours pensé que si j’avais la possibilité de faire quelque chose, ce serait quelque chose dont les gens chercheraient la signification, et même qu’ils enquêteraient pour comprendre ce que ces titres veulent dire dans l’histoire Africaine-Américaine. Nous étions en 1969, c’était l’époque du Mouvement des droits civiques. J’espérais à ma façon jeter une bouteille à la mer en espérant qu’elle puisse attirer l’attention.

GF : Dans les années 1960, une vraie lutte se déroulait sur tous les fronts afin d’offrir l’égalité, les droits, la justice et la paix pour tous, peut-être que cette musique n’aurait pas existé sous la même forme si l’histoire avait été différente. Avez-vous rencontré des obstacles sur votre route de musicien créatif ? Quelles sont les choses qui vous aident à maintenir votre créativité face à l’adversité ?

JMP : Vous savez, il y a toujours des obstacles. J’ai travaillé pendant dix-huit dans une entreprise de roulements à billes automobiles pour payer mes factures. Cela m’a permis de jouer la musique que je voulais sans avoir à faire de compromis. Je faisais ce que je voulais ! Des obstacles et des batailles à mener, il y en aura toujours. Aujourd’hui encore, la lutte pour les droits civiques n’est pas terminée. C’est une notion qui sera toujours d’actualité. C’est une lutte qui a un peu changé aujourd’hui, surtout avec le mariage pour tous et ce genre de choses, mais ça reste un problème de droit civique et c’est tout aussi important. On retrouve parfois cette notion dans les titres de morceaux de musique, d’autres fois dans ce qui se passe sur le moment, mais il faut toujours aller de l’avant, toujours essayer de franchir les obstacles quels qu’ils soient.

GF : Y a t-il, selon vous, un lien entre la musique créative improvisée et la tradition du jazz et du blues américain ?

JMP : Absolument. Je ne vois même aucune différence entre les deux. Je pense que c’est la même chose, cela vient du cœur, de l’âme. Les concernant, on dit souvent « jouer à l’oreille » ou « avec le cœur », je pense que c’est tellement vrai, tout est vrai. Le blues et la chanson sont liés sont des exemples de la connectivité dont vous parliez. Ca me rappelle un morceau, « Voices », que j’ai enregistré avec un ami guitariste en France, Raymond Boni.

GF : Je connais bien le jeu de Raymond Boni...

JMP : Et bien, nous avons joué « Voices » dans de nombreux pays, devant de nombreuses cultures différentes et tout le monde réagit à ce morceau comme s’il était fait pour lui.  Et c’est exact. C’est un morceau fait d’un peu de blues mais qui vient aussi de la musique gitane, tout le monde y trouve donc son compte. Il y a une universalité dans ce morceau dont je suis fier.

GF : Vous avez joué sur l’enregistrement de Clifford Thornton Freedom and Unity en 1967. C’était un excellent musicien et leader. L’un des buts de ces conversations est de rappeler à quel point les artistes qui ne sont plus là aujourd’hui ont contribué au développement de cette musique. Pouvez-vous me parler de votre expérience avec lui ?

JMP : Clifford a été d’une grande aide à mes débuts de musicien de jazz. C’est lui qui m’a amené la première partition écrite de jazz que j’ai jamais jouée. Avant, j’écoutais et je jouais sur les disques, mais avec lui je me suis mis à la lecture des partitions : nous avons travaillé Four de Miles Davis. Plus tard, j’étais avec lui quand il a acheté un trombone à pistons qu’il a utilisé sur certains enregistrements. Sur la couverture de Freedom and Unity, je crois qu’il y a un dessin de lui et de son trombone. En 1971, il enseignait à Wesleyan University et je l’ai invité à jouer en concert au WBAI. Il est venu sans son trombone mais avec un cor baryton, il m’a expliqué que son trombone avait été volé dans sa voiture. En 1979, alors que j’étais à New York, je me suis rendu dans un magasin d’instruments d’occasion et j’ai dit au vendeur : « Je cherche un trombone à pistons ». J’imaginais que l’instrument de Clifford était un King ou un Conn, et le vendeur m’a répondu : « Je n’en ai pas ». Mais dans la vitrine, il y avait des éléments d’un trombone et, dès que j’ai vu l’instrument, j’ai su que c’était celui qu’on avait volé à Clifford en 1971. Un ami était avec moi et je lui ai dit : « Je n’ai pas d’argent sur moi mais pourrais-tu l’acheter ? Peu importe le prix, je te le rembourse ». J’ai ajouté : « Il a une housse grise avec un tour marron, c’est l’instrument de Clifford. » Et c’était bien son instrument. Je savais que Clifford était à Genève à l’époque, je l’ai donc appelé et lui ai demandé : « Le numéro 872, ça te dit quelque chose ? » Il m’a répondu : « non, c’est quoi ? » J’ai annoncé alors : « C’est le numéro du trombone qu’on t’a volé ». Lui et moi étions probablement les deux seules personnes au monde capables d’identifier cet instrument car j’étais avec lui quand il l’avait acheté et c’était un modèle spécial. En fait, il n’a pas voulu le récupérer, il m’a donc dit : « Garde-le, tu n’a qu’à en jouer ». Je l’ai donc gardé et depuis je joue avec. Dans le Chicago Tentet, par exemple, et j’ai aussi enregistré avec.

GF : C’est une belle histoire.

JMP : Ca, c’est spirituel ! Je l’ai trouvé ou lui m’a trouvé, je ne sais pas !

GF : C’est le cercle de la créativité.

JMP : Ouais…

GF : Une autre question : pensez-vous approcher l’improvisation de façon différente selon que vous jouez seul ou en groupe ?

JMP : Oui, la différence est énorme. En groupe, je réalise que je ne suis pas seul et que je dois partager l’espace. C’est ce qu’il y a de plus important. Tout devient démocratique et, en même temps, cela demande un effort de groupe. Il ne s’agit pas de moi, il s’agit de la musique. Quand je joue seul, je peux manipuler le temps et l’espace comme je veux, mais en groupe, il ne s’agit plus de moi mais de nous tous.

GF : Il y a quelque chose de magnifique aussi dans votre façon d’écrire. Sur Tales and Prophecies avec André Jaume et Raymond Boni, vous avez écrit à propos de l’improvisation collective : « Dans le contexte d’improvisation de groupe, où rien n’est  prédéterminé, c’est un peu comme poser des feuilles sur un courant. »

JMP : Je travaille actuellement sur un recueil de poèmes. Peter Brötzmann va faire les illustrations et j’espère sincèrement qu’il sera publié assez rapidement. Son titre est A Leaf in the Stream of Time (une feuille sur le courant du temps). J’ai eu cette image d’une feuille qui flotte sur le flot de l’eau, nous la regardons aller à différents endroits, de façon aléatoire, et la suivons peu importe sa destination, découvrant de nouvelles choses au gré de sa route.

GF : Votre biographie fait référence au livre d’Edward de Bono intitulé Lateral Thinking: Textbook of Creativity, qui présente des concepts permettant de régler des problèmes en « perturbant un cycle apparent et en trouvant la solution en envisageant un autre angle ». Vous avez dit avoir appliqué cette façon de penser dans votre improvisation, notamment avec « Po Music ». Avez-vous encore quelque chose à ajouter à tout ce que vous avez dit ou écrit à propos de cela ?

JMP : Je travaille toujours sur la possibilité de voir les choses de l’intérieur vers l’extérieur, de bas en haut, et même tout autour, et je cherche toutes les possibilités possibles car plus je le fais plus je réalise que je ne sais rien, qu’il y a tant à découvrir encore rien qu’en regardant dans chaque petit recoin. Cela passe même par les instruments dont je joue. J’essaie actuellement de jouer de la clarinette, ce qui est très compliqué pour quelqu’un qui vient du saxophone. En fait, c’est surtout compliqué parce que j’ai commencé par le saxophone, je pense. Mais peu importe la difficulté, j’y arriverai. Je ferai quelque chose avec, même si l’approche sera peu orthodoxe, j’en tirerai quelque chose. Je peux faire de la musique avec n’importe quoi, je pense... j’espère.

GF : Votre palette de son est incroyable et vous avez joué avec tant d’artistes de renom dans la musique créative, qu’ils soient américains ou européens. Vous avez enregistré avec des musiciens français comme Raymond Boni, André Jaume, des improvisateurs anglais comme Evan Parker, Barry Guy, Paul Lytton et, bien sûr, avec l’allemand Peter Brötzmann. S’ils sont très différents les uns des autres, vous êtes capables de vous adapter en toutes circonstances. Est-ce un phénomène que vous avez cherché à acquérir ou qui a évolué naturellement ?

JMP : Je pense que c’est venu naturellement. Ce n’est pas quelque chose que j’ai particulièrement recherché. Mais, encore une fois, tout est lié à la notion de partage, d’écoute. Savoir écouter est selon moi très important dans ce voyage musical. J’ai appris de Pauline Oliveros et de sa philosophie du « Deep Listening » qu’il faut vraiment écouter en profondeur. Ecouter avec la totalité de soi-même, garder à l’idée que les bébés sont les meilleurs auditeurs et improvisateurs. Les jeunes enfants dés-aprennent peu à peu à  écouter, à improviser, à être libre... Une fois qu’ils vont à l’école, c’est fini. Au final, il faut écouter avec la totalité de soi-même.

GF : Concernant l’éducation des jeunes enfants, l’éducation cosmique me semble intéressante. Il s’agit de prendre en compte la vie de l’individu dans sa globalité plutôt que de lui apprendre telle ou telle habitude ou de lui faire mémoriser des informations. Pensez-vous que l’improvisation devrait être inclus dans l’éducation des enfants ?

JMP : Absolument ! Et tout de suite ! Le système éducatif de Poughkeepsie, où nous sommes, m’a appris la musique, mais mon père était trompettiste et j’ai d’abord appris avec lui puis ai fait partie du groupe du lycée public. Aujourd’hui, ils veulent retirer la musique de l’enseignement scolaire, c’est incompréhensible pour moi. A quoi pensent-ils ? Au contraire, laissons les jeunes improviser, essayer de nouvelles choses. Quand j’étais enfant, la plupart du temps on nous disait : « Non, non, il faut jouer ce qu’il y a sur le papier ! ». Tout le reste, je l’ai appris seul parce que je le voulais, mais ça ne faisait pas partie du programme. L’improvisation était reléguée à la dernière place. Quand j’ai joué dans la formation de l’armée, on nous disait encore : « Contentez-vous de jouer ce qu’il y a d’écrit ». On cherchait à nous contrôler.

GF : J’ai vécu une situation similaire à l’école, où j’étais inhibé par la façon dont l’improvisation était présentée. Il ne fallait pas être ouvert à la sonorité et écouter pour réagir à ce qui se passait. Hier soir, j’ai joué pour la première fois avec Jim Hobbs et Luther Gray en trio. Nous avons improvisé deux sets durant et sommes passés par toutes sortes d’ambiances, du minimalisme abstrait à de profonds grooves que nos cultures respectives semblent avoir en commun – qui sait d’où cela provient ? Quand on vit une telle connexion, improviser devient une expérience très forte. C’est compliqué à expliquer, mais c’est magnifique.

JMP : Et très libérateur. On ressent les choses même si on ne peut pas forcément les verbaliser. Mais croyez-moi, ça s’entend dans la musique, et très clairement. C’est également un sentiment universel puisque tout le monde, quelle que soit sa culture, quelle que soit sa langue, le ressent immédiatement.

GF : Avez-vous des idées qui permettrait de faire connaître davantage la musique créative dans la culture américaine ?

JMP : Nous devons simplement continuer à jouer et accroître notre présence. Il devient de plus en plus difficile de trouver des lieux de concert, mais je pense que ce n’est pas un obstacle si difficile à surmonter. On en trouve au bon moment, et on trouve quelqu’un avec qui partager ces choses-là, voilà tout. Il s’agit de partage, de contact humain. Nous n’avons pas besoin de grands événements. Je ne jouerai jamais au Yankee Stadium, ça ne m’intéresse pas de toute façon. J’aime les petits endroits, j’aime partir à la recherche de musiciens et les trouver, et ce pas forcément dans les grandes villes. Comme Davey Williams, par exemple, vous connaissez Davey Williams, le guitariste ?

GF : Oui ! J’aime la pièce qu’il a enregistrée pour Guitar Solo 3, une compilation de solos de guitare improvisés où l’on trouve aussi Fred Frith et Eugene Chadbourne.

JMP : Et bien, j’ai rencontré Davey il y a des années de cela. C’est un improvisateur extraordinaire qui a une connaissance fantastique de la musique, qui va du blues à l’avant-garde, à tout en fait – et il y a des gens comme lui un peu partout dans le monde. Récemment encore, j’étais au Japon pour jouer avec des musiciens du pays et la semaine prochaine j’irai jouer avec un groupe qui s’appelle Universal Indians. Il y a là un saxophoniste du nom de John Dikeman et nous allons jouer avec des musiciens norvégiens, nous irons aussi aux Pays-Bas et en Autriche. Je prends les choses come elles viennent, et ça fonctionne. J’ai l’intention d’emporter avec moi plusieurs instruments différents... Ils n’en savent rien encore, et ils vont voir ce qu’ils vont voir !

Garrison Fewell : De l'esprit dans la musique créative (Lenka lente, 2015)
Traduction : Magali Nguyen-The
Photo de Joe McPhee : Luciano Rossetti



Pauline Oliveros, David Rothenberg, Timothy Hill : Cicada Dream Band (Gruenrekorder, 2014)

pauline oliveros david rothenberg timothy hill cicada dream band

Dans la besace de David Rothenberg, des animaux de toutes tailles (sauterelles, cigales, merles, grenouilles, une baleine à bosse même), auxquels le trio qu’il forme avec Pauline Oliveros (accordéon) et Timothy Hill (voix) devra répondre.

Naïf peut-être, le projet manque surtout d’inventivité : ainsi Oliveros se contente-t-elle de souffler quelques notes en improvisatrice nerveuse, Timothy Hill de donner dans le chant de gorge ou d’en appeler à jadis plus inspirés que lui (Stephan Micus, Nana Vasconcelos…) quand David Rothenberg (dont l’Ipad fantasme parfois le synthétiseur datant) verse sans mesure dans un folk naturaliste (& découverte souvent). Soit : comment une gentille idée devient, pour contrefaire le titre d’une des dix pièces de l’enregistrement, The Longest Disc in the World.
 
Pauline Oliveros, David Rothenberg, Timothy Hill : Cicada Dream Band (Terra Nova / Gruenrekorder)
Enregistrement : 2013. Edition : 2014.
CD : 01/ Who Said That? 02/ Arc Hive 03/ Room at the Inn 04/ Last Night in the Holocene 05/ Information National Forest06/ Several More Happened 07/ All Creatures Get It 08/ Three of a Mind 09/ As Many Inside as Outside 10/ The Longest Song in the World 11/ How We Got Here
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Jacqueline Caux : Les couleurs du prisme, la mécanique du temps (La Huit, 2012)

jacqueline caux les couleurs du prisme

On revient souvent au livre Le silence, les couleurs du prisme & la mécanique du temps qui passe. On peut se plonger désormais dans les images d’un film du même nom (ou presque) qu’écrivit Daniel Caux et qu’a réalisé Jacqueline Caux.

C’est d’abord la voix de John Cage : Je voudrais laisser les gens libres, il ne faut pas qu’ils soient disciples. La seule influence que je voudrais avoir c’est que les gens ne doivent pas influencer les autres. Le compositeur sera le fil rouge du film et l’entretien qu’il a donné le premier d’une série consacrée aux novateurs qui ont animé la passion de Daniel Caux. Ils parleront (certaines interviews sont récentes) : Cage (qui évoque Satie, Philip Glass), Pauline Oliveros (Tudor, Cage, le San Francisco Music Center…), La Monte Young (Webern, « l’âme du bourdon »), Terry Riley (la nouvelle musique, La Monte Young), Meredith Monk (New York, Philip Corner), Gavin Bryars (The Sinking of the Titanic, l’enseignement), Steve Reich (It’s Gonna Rain, Coltrane), Richie Hawtin (le beat de la Techno)…

Surtout il y a Daniel Caux, qui peut à l’occasion piocher dans sa collection de vinyles, qui raconte Variations IV de Cage, It’s Gonna Rain de Reich ou la transe ou l’extase possible par les notes tournantes de Riley. Là, à quelques centimètres, avec une simplicité et une science qui change du bavardage universitaire, Daniel Caux nous invite en ami à aller trouver tous les disques qui ont pu nous échapper.

Jacqueline Caux, Daniel Caux : Les couleurs du prisme, la mécanique du temps (La Huit / Souffle Continu)
Edition : 2012.  
DVD : Les couleurs du prisme, la mécanique du temps
Héctor Cabrero © Le son du grisli


Pauline Oliveros, Jesse Stewart : The Dunrobin Session (Nuun, 2011)

pauline oliveros jesse stewart the dunrobin session

Cette « session » pendant laquelle Pauline Oliveros et Jesse Stewart ont improvisé à l’accordéon Roland V, au synthé digital et aux percussions, est datée de mars 2011. Il est important de le noter parce que le Roland V peut ne pas « faire d’aujourd’hui ». On croit d’ailleurs d’abord entendre une flûte de pan géante puis une grande contrebasse ramper sur des objets coupants.

L’improvisation d’Oliveros & Stewart est (pourrais-je dire) cyclothymique : les drones côtoient des percussions qui gémissent sous le doigté de Stewart, des sons imitent la voix humaine quand d’autres s’opposent selon les tons qu’ils adoptent… En fond sonore, l’échange n’est pas désagréable (si ce n’est quelques vocalisations digitales d’un autre temps qui rappellent les plus belles erreurs de Laurie Anderson) mais, pour peu que l’on tende l’oreille, on a quand même du mal à se passionner pour la chose. Dommage dommage.

EN ECOUTE >>> The Dunrobin Session

Pauline Oliveros, Jesse Stewart : The Dunrobin Session (Nuun)
Enregistrement : 16 mars 2011. Edition : 2012.
CD : 01/ Drop 02/ Caress 03/ Breathe 04/ Lurch 05/ Touch 06/ Paint 07/ Pound 08/ Feel 09/ Sleep 10/ Leap 11/ Crawl
Pierre Cécile © son du grisli


Manuel Zurria : Loops4ever (Mazagran, 2011)

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Avec Repeat (trois CD sur Die Schachtel), Manuel Zurria avait mis sa flûte et ses electronics au service de compositeurs tels que John Cage, Arvo Part, Tom Johnson. Avec Loops4ever, il recommence et ses choix de partitions, autant d’ « œuvres ouvertes », sont tout aussi éclairés puisqu’on y remarque des pièces de Giacinto Scelsi, Pauline Oliveros, Alvin Lucier, Alvin Curran, John Duncan, Jacob TV, Eve Beglarian, Clarence Barlow, William Basinski, Frederic Rzewski, Terry Riley.

C’est peu dire que Zurria profita des libertés données à l’interprète par ces « classiques » du contemporain et du minimalisme. Il rafraîchit leur pensée même en mélangeant des drones et des ondes sinusoïdales à son jeu à la flûte. Par exemple, Madonna and Child de Curran échange son je-ne-sais-quoi de médiéval contre une traînée de poudre stellaire. Autres exemples, I Will Not Be Sad in This World d’Eve Belgarian et Variation #6 de William Basinski deviennent d’inoubliables morceaux de folk lunaire.

Mais Zurria n’est pas toujours sur la lune. La preuve avec les sifflements radicaux du Carnival de John Duncan (alors que j'écoutais ces sifflements encore hier, j'ai appris la mort de Tàpies ; ils me rappèleront maintenant toujours Tàpies) ou les délires musico-langagiers de Jacob TV, qui me font penser à l’art de Robert Ashley, bien qu’en moins abouties. Enfin, Zurria s’en va en interprète interprétant (Dorian Reeds de Riley est joué avec une exactitude qui n’a d’égale que l’amplitude de la partition) pour montrer une autre face encore de son talent. Louanges à Manuel Zurria !

EN ECOUTE >>> Casadiscelsi >>> The Carnival >>> Variation #6

Manuel Zurria : Loops4ever (Mazagran)
Edition : 2011.
CD1 : 01/ Giacinto Scelsi : Casadiscelsi 02/ Pauline Oliveros : Portrait 03/ Alvin Lucier : Almost New York 04/ Alvin Curran : Madonna and Child 05/ John Duncan : The Carnival – CD2 : 01/ Jacob TV: The Garden of Love 02/ Eve Beglarian : I Will Not Be Sad in This World 03/ Jacob TV : Lipctick 04/ Clarence Barlow : …UNTIL… 05/ William Basinski : Variation #6: A Movment in Chrome Repetitive 06/ Frederic Rzewski : Last Judgment 07/ Terry Riley : Dorian Reeds
Héctor Cabrero © Le son du grisli



Pauline Oliveros, Francisco Lopez, Doug Van Nort, Jonas Braasch : Quartet for the End of Space (Pogus, 2011)

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Au sortir de deux séances d’improvisation et d’un concert donné en septembre 2010 à New York, le quartette en place (Triple Point que forment Pauline Oliveros, Doug Van Nort et Jonas Braasch augmenté de Francisco López) aura glané assez de matériau pour permettre à chacun de ses membres d’en faire ici, par deux fois, sa propre chose sonore.

Les huit propositions électroacoustiques réunies sur Quartet for the End of Space, de varier en conséquence. Quand Doug Van Nort peint de volumineux espaces sous la menace de menaçantes espèces synthétiques (Outer) sinon ouverts aux quatre vents (Inner), Francisco López arrange toutes interventions en rafales-parasites (Untitled #270) ou en impérieux totems sifflants (Untitled #273).

Inquiets davantage qu’on n’oublie pas la nature des instruments au départ utilisés, Jonas Braasch s’adonne, lui, à des jeux de construction (Web Doppelgänger) qui pourraient lui permettre de décrocher une ou deux étoiles (Snow Drifts) tandis que Pauline Oliveros dispose des trajectoires de claviers transformés dans le sillage de Sun Ra (Mercury Retrograde) ou passe des bandes à la moulinette afin de mettre au jour une ode à la métamorphose (Cyber Talk). Ici ou là, quelques essoufflements : mais des essouflements de personnalités follement investies.

Pauline Oliveros, Francisco Lopez, Doug Van Nort, Jonas Braasch : Quartet for the End of Space (Pogus / Metamkine)
Enregistrement : 2010. Edition : 2011.
01/ Doug Van Nort : Outer. 02/ Jonas Braasch : Web Doppelgänger. 03/ Francisco Lopez : Untitled #270. 04/ pauline oliveros : Mercury Retrograde 05/ Jonas Braasch : Snow Drifts. 06/ Doug Van Nort : Inner 07/ Oliveros : Cyber Talk 08/ Francisco Lopez : Untitled #273
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Source Music of the Avant-Garde 1966-1973 (University of California Press, 2011)

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Quand est sorti Source Music of the Avant-Garde, l’espoir est né de voir réédités un jour les onze numéros de Source publiés entre 1966 et 1973. Voilà qui est fait, et en un seul et unique volume. Aidé de Douglas Kahn et Nilendra Gurusinghe, Larry Austin (l’éditeur historique, élève de Darius Milhaud et trompettiste du New Music Ensemble) raconte l’histoire d’un journal qui donnait la priorité… aux idées.

Dans sa préface au premier numéro, Kahn dit qu’il veut faire de Source un « outil de communication » pour le compositeur. Sans attendre, son vœu fut réalisé : dans ses pages, Robert Ashley y explique ses graphiques, Earle Brown parle de forme et de non-forme musicales, Pauline Oliveros et Morton Feldman rêvent de faire disparaître le compositeur, Gordon Mumma traite de Music for Solo Performing d’Alvin Lucier, John Cage offre sa partition de 4’33’’, Christian Wolff celle d’Edges, Cornelius Cardew des extraits de The Great Learning, etc., etc.

D’autres noms peuvent encore être cités : Annea Lockwood, Steve Reich, James Tenney, Anthony Braxton, Gavin Bryars, Max Neuhaus, Nam June Païk… Ce qui fait beaucoup de listes, mais elles ont un but : celui d'inciter le lecteur à aller fouiller dans cet ouvrage essentiel avant qu’il devienne aussi rare que les numéros originaux de Source (dont vous trouverez ci-dessous les onze couvertures originales, non reproduites dans le livre). 

Larry Austin, Douglas Kahn : Source Music of the Avant-Garde 1966-1973 (University of California Press / Amazon)
Edition : 2011.
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Héctor Cabrero © Le son du grisli

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Earth Music: Ten Years of Meridian Music (Innova, 2010)

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Dix ans de musique et pas de n’importe quelle musique : celle programmée par la galerie Meridian qui, si l’on n’a pas de penchant particulier pour les compilations ou les rétrospectives, pourrait vous faire changer d’avis. Au moins le temps de la durée de ce disque.

Parce qu’on trouve sur cette anthologie des musiciens fabuleux, qui s’activent dans des genres différents mais qu’il est possible de rapprocher malgré tout : Vinny Golia (à la clarinette basse), Matthew Sperry (ses élucubrations électroniques sont merveilleuses), Pauline Oliveros (& son drone d’accordéon), Frank Gratkowski (esprit frappeur de clarinette), Jon Raskin (baryton hors ROVA) ou bien encore Shoko Hikage (répétitive répétitive). Chaque plage du disque vous fait passer d’un monde à l’autre, les quelques secondes de silence entre les morceaux sont une porte dérobée donnant sur un ailleurs aussi fabuleux que l’était le précédent.

Earth Music : Ten Years of Meridian Music : Composers in Performance (Innova)
Edition : 2010.
CD : 01/ Vinny Golia : Steps 02/ John Bischoff : Quarter Turn 03/ Matthew Sperry : Improvisation 04/ Damon Smith, Hugh Livingston, Carla Kihlstedt : Lines for Trio 05/ Pauline Oliveros : Pauline’s Solo 06/ Ben Goldberg, John Schott : All Chords Stand for Other Chords 07/ Shoko Hikage : Improvisation 08/ Frank Gratkoswki : Improvisation 09/ Sara Schoenbeck, Ellen Burr : Improvisation 10/ Viv Corringham : Improvisation 11/ Jon Raskin : Sonic Coordinates 12/ Tim Bickley, Bob Marsh : Microtonic Meditations for Endings and Beginnings 13/ Philip Gelb, Jie Ma : Comp. 40 N and Comp. 110 A. 14/ Theresa Wong : Nightwatching
Héctor Cabrero © Le son du grisli


The San Francisco Tape Music Center (University of California Press, 2008)

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L’histoire du San Francisco Tape Music Center valait bien qu’on lui consacre un livre entier... Voilà qui est chose faite maintenant grâce au travail de David W. Bernstein  qui a collecté les études nécessaires à l'édition de : The San Francisco Tape Music Center 1960s Counterculture and the Avant-Garde.

C'est l'histoire d'une association née au Trips Festival en 1966, d'une association de musiciens pas comme les autres, de musiciens en avance sur leur temps, à la fois parce qu'ils sont doués d'oreille et d'esprit mais sont aussi parce qu'ils sont au fait des outils technologiques qui peuvent transcender leur(s) pratique(s) artistique(s). Parmi ces musiciens, les plus célèbres sont Pauline Oliveros, Ramon Sender, Morton Subotnick, Tony Martin, David Tudor, Terry Riley, Steve Reich, Philip Winson, Bill Maginnis... Les têtes pensantes et chercheuses d'une science musicale, en quelque sorte, dont ce livre retrace l'histoire commune et qu'il donne à entendre (ou presque) via des entretiens et à voir, même, sur un DVD qui complète l'ouvrage. Aux amateurs de mélanges (ici de la pop et du minimalisme, de la musique expérimentale et de la musique contemporaine), on ne peut que recommander la lecture de cette histoire de la contre-culture et de l'avant-garde américaine.

David W. Bernstein : The San Francisco Tape Music Center 1960s Counterculture and the Avant-Garde (University of California Press)
Edition : 2008.
Pierre Cécile © le son du grisli


Pauline Oliveros : Four Electronic Pieces 1959-1966 (Sub Rosa, 2009)

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Assemblées sur Four Electronic Pieces 1959-1966 pour être toutes inédites, de lointaines expérimentations électroniques de Pauline Oliveros mettent aujourd’hui à l’amende un bon nombre de suiveurs, fades et même inspirés.

Au son, déjà, de Time Perspectives, l’aînée de toutes, sur laquelle l’Américaine perturbe le silence en réservant quelques traitements déconcertant à un environnement sonore consigné sur bandes. Mnemonics III, élaborée en 1965 dans les locaux du San Francisco Tape Music Center, transforme, elle, en œuvre d’importance un amas de souffles et de sifflements contraint de subir les transformations auxquelles l’obligent une fréquence consciencieusement modulée.

Once Again / Buchla Piece, sortie ensuite d’un synthétiseur modulaire et faite d’aigus crachant à la dégradation programmée, alphabet morse donné à entendre tandis qu’il lutte contre les provocations ludiques d’Oliveros. Enfin, en pièce-maîtresse, V of IV tire son essence rare des soubresauts qui l’animent et des notes à se faire un place entre chacun d’eux. D’interférences naissent alors les dissonances, perturbations dont le processus de création donné à entendre ici ne se satisfait jamais s’il y trouve quand même l’origine de sa nouveauté. En quatre pièces électroniques, Pauline Oliveros épouse cet éclairage involontaire d’Henri Michaux après s'être soumise à « l’irrégulier et difficile apprentissage où les éléments d’un monde, d’une connaissance et d’un comportement nouveau, défilent devant qui saura les voir ou les reconnaître. »

Pauline Oliveros : Four Electronic Pieces 1959-1966 (Sub Rosa / Orkhêstra International)
Enregistrement : 1959-1966. Edition : 2009.
CD : 01/ Mnemonics III 02/ V of IV 03/ Time Perpectives 04/ Once Again / Buchla Piece
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



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