News from the Shed : News From The Shed (Emanem, 2006)
Enregistré en 1989 à Londres, News From The Shed est le fruit d’une hospitalité réservée à Radu Malfatti et John Russell par un trio constitué cinq ans plus tôt. Celui du saxophoniste John Butcher, du violoniste Phil Durrant et du batteur Paul Lovens, qui s’octroient par la même les services d’un trombone et d’une guitare pour mieux servir une musique improvisée enthousiaste.
Qui se plaît à enfiler les mouvements de différentes natures, comme on se penche sur la confection de collages. A entendre, d’abord, la nervosité rendue par les grincements collectifs et les fulgurances sèches. Tenant d’un minimalisme éclaté, News from the Shed perce le mystère du chaos, quand Kickshaws ou The Clipper s’amusent à briser les élans agités sans parvenir à les faire disparaître.
Interrogeant ailleurs les dissonances à force d’entrelacs du saxophone et du trombone (The Gabdash), le quintette glisse parfois jusqu’aux plages sereines, mais peu rassurantes : Butcher arrange ainsi le mirage d’une mélodie orientale sur l’immixtion électronique pour l’élaboration de laquelle Durrant a lâché son violon (Everything Stops for Tea) ; l’ensemble progresse le long d’un Coracle fait évidence, pour dévoiler enfin l’atmosphère singulière d’un monde en perdition (Crooke’s Dark Space, Inkle).
Ainsi, News from the Shed aura suivi le cours d’une improvisation rageuse ou déliée, combinant toujours avec grâce les interventions individuelles, et interrogeant subtilement l’effet d’une électronique encore timide sur une musique acoustique aux résolutions brutes. Autant d’avantages qui autorisent aujourd'hui cette réédition.
News from the Shed : News from the Shed (Emanem / Orkhêstra International)
Enregistrement : 1989. Réédition : 2006.
CD : 01/ News from the Shed 02/ The Gabdash 03/ Reading The River 04/ Kickshaws 05/ Everything Stops for Tea 06/ Sticks and Stones 07/ Weaves 08/ Whisstrionics 09/ Mean Time 10/ Pepper’s Ghost 11/ The Clipper 12/ Coracle 13/ Crooke’s Dark Space 14/ Inkle
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Dieter Scherf : Inside-Outside Reflections (Atavistic, 2005)
Enregistré en 1974, Inside-Outside Reflections aurait pu chercher dans la précipitation à combler un peu le retard du free européen. Mais l’œuvre a plutôt profité du sang froid de Dieter Scherf, multi instrumentiste éclatant et leader ingénieux d’un trio dans lequel on pouvait retrouver le contrebassiste Jacek Bednarek, et un tout jeune Paul Lovens à la batterie.
Introspectif et délicat, Scherf pose d’abord sa clarinette basse sur les percussions nerveuses de Lovens (Innen-Außenspielgelungen) avant d’entamer à l’alto une conversation épicée avec Bednarek - le saxophoniste insistant jusqu’à la colère pour emporter tout à fait la joute (Daijededa). Courent ensuite quelques répétitions bousculées au besoin par la virulence obligatoire (Atemzirkulation), une progression atmosphérique menée au son des basses lugubres sorties d’un piano derrière lequel s’est posté Scherf sur Klänge über linie, ou des accalmies que l’on ménage entre des interventions criantes de ressemblance avec le vibrato d’Albert Ayler (Drum und dran).
Drum und dran, encore, pour sa sonorité impressionnante, novatrice, faite de cymbales insatiables bien qu’étouffées et des aigus extrêmes d’un saxophone baryton. Prozess, lui, nous permet de découvrir l’effet de telles décisions sur un public distrait. Martyrisée, la contrebasse introduit une pièce exutoire, provocatrice sûrement. Une musique propulsée, mais tirant partie, une fois de plus, des pauses concédées.
Si le free jazz, en Europe, avait valeur de contre-culture que des musiciens pas tout à fait comme les autres prenaient plaisir à convoiter, celui du trio de Dieter Scherf offre un quelque chose en plus pour avoir été serti de nuances. Jusqu’à trouver son meilleur dans les mouvements lents. L’indéniable force dans l’approche sereine du probable chaos ; qui arrive bientôt ; pour enfin s’effacer tout à fait devant les douces excuses.
Dieter Scherf : Inside-Outside Reflections (Atavistic / Orkhêstra International)
Edition : 2005.
CD : 01/ Innen-Außenspielgelungen 02/ Daijededa 03/ Atemzirkulation 04/ Drum und dran 05/ Prozess 06/ Klänge über linie
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Grydeland, Kluften, Lovens: These Six (Sofa - 2003)
Avant d’entreprendre l’exploration d’un monde de cordes exclusives aux côtés de Yumiko Tanaka, Ivar Grydeland avait testé ses façons improvisées en compagnie de son compatriote Tonny Kluften, contrebassiste, et de l’excellent batteur allemand Paul Lovens. These Six, ou six improvisations sereines, presque camouflées.
Un Livre d’aigus est ouvert : coulants, les coups portés aux cymbales par Lovens accréditent les stridences de la guitare de Grydeland (01) ; ailleurs, les grincements divers se laissent gagner par la torpeur de musiciens fiévreux (05, 06). Supportant à elle seule toute la résistance, la contrebasse de Kluften opte pour des glissandos amenés à calmer les accents prononcés du banjo de Grydeland (02).
Révélé somme d’intersections de phrases envolées - assez intelligentes pour ne pas faire de l’autonomie des musiciens un prétexte aux propositions renfermées -, le jeu du trio (04). Jusqu’à obtenir plus de 14 minutes de félicité sur 03, où se bousculent échantillonnages rythmiques, répétitions efficaces et mouvements à peine audibles.
Porteuse du projet, la guitare éloignée du micro d’ambiance rappelle les exercices de Derek Bailey institués en leur temps en compagnie du percussionniste Cyro Baptista. Formant une section arythmique modèle d’inventivité, Lovens et Kluften comblent le reste d’une qualité différente. Autant dire encore la grâce de l’ensemble.
CD: 01/ 01 02/ 02 03/ 03 04/ 04 05/ 05 06/ 06
Ivar Grydeland, Tonny Kluften, Paul Lovens - These Six - 2003 - Sofa.
Irène Schweizer: Live at Taktlos (Intakt - 2005)
Ah, Zürich, dans les années 1980... Et en février... Derrière les promesses évidentes d'une époque et d'un lieu, fallait-il soupçonner, pour tout bonus, la bande-son remarquable élaborée méthodiquement par le Festival de Taktlos, 1984 ? Là, Irène Schweizer avait été conviée à investir le champ improvisé, sur trois jours, en compagnie d'acolytes qu'elle aura pris soin de choisir elle même.
Premier élu, George Lewis, multi instrumentiste ici au trombone, qui a fait ses classes au sein de l'A.A.C.M. Sur First Meeting, il doit lutter contre les illuminations cycliques du piano de Schweizer lorsqu'il n'accompagne pas ses fuites fantasques. Irréprochable, il installe une pause en sourdine, décide sur l'instant de cantabiles, clôt enfin le débat à grands coups de vibrato obscur.
Roulements sur toms de Günter Sommer et incantations angoissées de Maggie Nicols - chanteuse au savoir-faire exubérant - inaugurent Lungs And Legs Willing ? Invitée à servir sans se poser de question l'intensité dramatique qui la caractérise, Irène Schweizer emmène le trio jusqu'au chaos lumineux, avant de suivre ses inspirations ironiques au son d'une fantaisie latine virant au ragtime éclaté.
Aux côtés de Joëlle Léandre et de Paul Lovens, le discours n'attend pas pour se montrer virulent (Trutznachtigall). L'archet grave de la contrebassiste - même si, en retrait - allié aux coups rèches que reçoit la batterie de Lovens, révèle à Schweizer une autre direction, la précipitant bientôt à la recherche du cri primal. Par dessus les thèmes minuscules du piano, heureusement imbriqués sans cohérence, elle lance quelques appels à destination de ses accroches à la Great Black Music, avant de singer un air fantasmé d'opéra français.
A bout de souffle, sans doute, elle cède sa place au duo Maggie Nicols / Lindsay Cooper, sur Every Now And Then, combinaison d'un peu plus d'une minute d'un récitatif grinçant et d'un (autre) piano désaxé. Soit, un My Fair Lady sous acide, en guise de conclusion de près de 45 minutes d'improvisation forcenée, démontrant comment un piano classique peut, avec un peu d'imagination, décrêter un punk. Alors, à la place de Londres, en 1984, Zürich, pourquoi pas...
CD: 01/ First Meeting 02/ Lungs And Legs Willing ? 03/ Trutznachtigall 04/ Every Now And Then
Irène Scwheizer - Live at Taktlos - 2005 - Intakt Records. Distribution Orkhêstra International.