Solos Expéditives : Peter Brötzmann, Claudio Parodi, Alessandra Eramo, Claudia Ulla Binder, Erik Friedlander...
Naoto Yamagishi : Hossu no Mori (Creative Sources / Metamkine, 2015)
Peau sur peaux, tiges sur peaux, archet sur peaux, ongles sur peaux, Naoto Yamagishi indispose le silence de ses crissements et grincements. Inlassablement, il râcle les futs, écartèle doucement les périphéries et s’abandonne à quelques ricochets sur percussions sensibles. Se risque parfois à coordonner le désordre et à impulser quelque drone accidenté. Mais, trop souvent, passe et repasse par le même chemin. (lb)
Lucie Laricq : Poèmes enviolonnés / Violonisations (Coax, 2015)
Dans un premier temps (CD 1), Lucie Laricq embarque son violon baroque en de virulentes virées... baroques, déclame sa propre et forte poésie, soutient son violon d’une basse-garage, expose sa voix aux hautes fréquences, arpente un blues dégueulasse (c’est elle qui le dit, et on souscrit), ferait presque du Bittova trash. Dans un second temps (CD 2), la violoniste fait grincer cordes et ne crisse jamais pour rien, délivre la mélodie de sa noire prison. Pour résumer : il fait bon être violon entre les mains de Lucie Laricq. (lb)
Erik Friedlander : Illuminations / A Suite for Solo Cello (Skipstone, 2015)
L’ombre du cantor ne semblant pas avoir impressionné Erik Friendlander durant l’enregistrement de cette suite pour violoncelle solo en dix chapitres, le violoncelliste se déploie en archet très baroque ou en pizz libéré. Prélude, madrigal, chant, pavane : autant de clins d’œil nécessaires aux lumières baroques auxquels s’immiscent quelques épices des Balkans ou quelque banderille arabo-andalouse. Dans cette suite, souvent mélancolique, on ne trouvera aucune dissonance ou technique étendue : juste une claire et directe beauté. (lb)
Claudio Parodi : Heavy Michel (Creative Sources / Metamkine, 2015)
Sur clarinette turque et en mode méditatif, Claudio Parodi explore, recherche, n’abandonne jamais l’étude de l’instrument quitte à passer plusieurs fois par les mêmes chemins. En quatre longues plages, il explore-dissèque techniques étendues et clarté des lignes. Vont ainsi se succéder, s’enchâsser, se retrouver : unissons et modulations, souffles-murmures, harmoniques douces ou amères, sifflements et vibratos, fins caquetages, tentation du cri, polyphonies et molles stridences. Ni singulier, ni fastidieux. Mais intime et tout à fait convaincant. (lb)
Peter Brötzmann : Münster Bern (Cubus, 2015)
Seul à la Collégiale de Berne : Peter Brötzmann, le 27 octobre 2013. L’espace alloué permet qu’on y disperse les vents et les méthodes sont nombreuses : frappe à l’ancienne, secouage, propulsion, enfouissement, dérapage, citation (Dolphy au côté de Mingus, ou Coleman)… Car l’air n’est pas en reste : jouant de l’épaisseur de l’instrument qu’il porte comme il le ferait de celle d’un pinceau japonais, Brötzmann trace une ligne mélodique qui impressionne par l’histoire qu’elle raconte et celle, plus longue, qui l’enrichit. (gb)
Alessandra Eramo : Roars Bangs Booms (Corvo, 2014)
Désormais (semble-t-il) affranchie du pseudonyme d’Ezramo, Alessandra Eramo s’empare de huit travaux onomatopéiques – assez pour un quarante-cinq tours – de Luigi Russolo. Inspirant jusqu’à l’électronique moderne, le Futuriste commande ici des bruits de bouche capable aussi de chuintements ou d’interjections quand elle n’est pas occupée à rendre des chants de machines imitées. Si ce n’est sa lecture des fantaisies de Russolo, c’est le culot d’Eramo qui touche. (gb)
Claudia Ulla Binder : Piano Solo II (Creative Sources / Metamkine, 2015)
Des Quatre Têtes, une ici dépasse : celle de Claudia Ulla Binder, entendue aussi auprès de John Butcher. Enregistrée en février 2014, elle envisage une autre fois son piano en compositrice égarée entre soucis de classique contemporain et envies d’autres sonorités (le polissage d’It Takes Two to Tango ou les grattements de Polyphony III). Ici ou là, on imagine même des espoirs de chansons en négatif : Room for a Sound luttant deux fois contre les ritournelles « à la » Songs From a Room. (gb)
Naoto Yamagishi : Toyomu (Maruhachi Yabuki, 2020)
On a récemment entendu le batteur Naoto Yamagishi dans cet Ochibonoame qui l’associe au saxophoniste Makoto Kawashima et au bassiste Luis Inage. Nourrissant son art musical de ce même quotidien qui l’oblige, Yamagishi s’est exprimé en compagnie de musiciens (sur disques : Ernesto & Guilhermo Rodrigues, Anton Mobin, Rhys Butler…) et aussi des danseurs, poètes, calligraphes…
Mais Naoto Yamagishi est ici seul (pour la deuxième fois sur disque) : quatre pièces, enregistrées toutes le 7 janvier 2018, à entendre le temps d’une heure à peine. Le disque ne donne pas le nom des instruments de Yamagishi ; alors, outre ces éléments de batterie qu’on est en droit d’attendre, il nous faudra imaginer.
C’est qu’à la grosse caisse qu’on pense caressée puis déplacée comme un meuble lourd, à la caisse claire que l’on soupçonne amplifiée, aux toms qui tonnent, aux cymbales qui sinussent… on pourrait préférer ce bout de métal qui grince, les voix d’un au-delà qui chante et enfin ce monstre hirsute qui paresse en faisant grand bruit. L’art de Naoto Yamagishi est une construction de papier dont les faces délivrent plus de sons que l’oreille n’en demande. Le problème étant qu’ensuite l’oreille en demande davantage.
Naoto Yamagishi : Toyomu
Edition : 2020
Maruhachi Yabuki
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Ochibonoame : Ochibonoame (Homo Sacer, 2021)
Ici chroniqué il y a quelques jours, Ochibonoame a sa place dans la sélection de 10 disques japonais récents à écouter d'urgence qu'a établie Michel Henritzi à l'occasion de la parution de son livre, Micro Japon...
Nouveau projet de Makoto Kawashima qui regarde vers la free music, qui ne se veut pas une répétition scolaire, mais son prolongement, peut-être son dépassement. Louis Inage (Majutsu No Niwa) y tient la basse, Naoto Yamagishi les drums. On ne peut s'empêcher de penser à Kaoru Abe, sa façon de creuser dans le son des squelettes de mélodies fissurées, là où Yamagishi et Inage installent des ambiances polyrythmiques désarticulées.
Il ne faudrait pourtant pas réduire leur musique à celle de leurs aînés, à celle des Masahiko Togashi, Motoharu Yoshizawa… même si on peut y entendre une mélancolie de cette free music, il joue bien aujourd'hui en 2021, à Tokyo, dans ce réel angoissant, dans l'urgence et le cri. Les mains plongées dans la matière sonore, à tordre, assembler, désassembler, fracturer, lisser, caresser, aimer. Un geste d'amour.
Ochibonoame : Ochibonoame
Edition : 2021.
Homo Sacer / An'archives
Michel Henritzi © Le son du grisli
Ochibonoame : Ochibonoame (Homosacer, 2021)
Makoto Kawashima fait partie de cette nouvelle génération de saxophonistes free japonais, apparue spontanément sur les scènes d’improvisation tokyoïtes, entre beauté convulsive et violence inflammable, explique Michel Henritzi dans son livre Micro Japon.
Le titre du disque reprend celui du trio que forment le saxophoniste Makoto Kawashima, le bassiste Luis Inage et le batteur Naoto Yamagishi. Ce sont là trois-quarts d’heure d’une improvisation que l’on dirait inspirée par quelques anciens (AMM, Spontaneous Music Ensemble…) mais qui, à mesure que défilent les minutes, se détache de toute influence.
La mise en place est résolument lente et puis survient un balancement de graves et de percussions mêlées que les trois musiciens auront bientôt à cœur d’abandonner. Du bout des lèvres, le saxophoniste dépose ses notes éparses ; le batteur, lui, ose encore à peine remuer. Forcément, chacun des trois éléments se lève : les rauques du saxophone en démontrent aux soubresauts des percussions quand la basse électrique tente d’envelopper l’ensemble de graves profonds.
Alors c’est le déferlement attendu. La vingtième minute passée, le trio s’exprime avec une ferveur qu’il communique… Dans la stupéfaction, il suffira d’applaudir à la naissance d’Ochibonoame.
Ochibonoame : Ochibonoame
Edition : 2021.
Homo Sacer / An'archives
Guillaume Belhomme © Le son du grisli