Michel Chion : Musiques concrètes 1988-1991 (Brocoli, 2016)
« Le même procédé de crayonné » : voilà, de l’aveu même de Michel Chion, le point commun de ces trois œuvres – dont deux sont rendues pour la première fois dans leur intégralité – conçues dans les studios de l’Ina-GRM à la fin des années 1980 et au début des années 1990. « Dépoussiérées » il y a dix ans en compagnie de Geoffroy Montel et de Lionel Marchetti, ces trois pièces font, disons-le, bon ménage.
Ce n’est pas 5, comme Pierre Schaeffer, mais 10 études de musique concrète que Chion entreprend d’abord : objets qui semblent traîner, sifflements sortis d’où, manipulations grinçantes et autres bruits tordus – métamorphosés, parfois – y révèlent, le long de cette succession de pièces réalistes qui n’en ont pas l’air, le combat qui oppose le compositeur et les bruits d’un quotidien qu’il aimerait soumettre en plus de faire chanter comme il l’entend.
Après quoi, le voici démembrant sur Variations une valse dont les derniers éléments seront avalés par une batucada puis répondant à l’Étude aux chemins de fer du même Schaeffer au son de Crayonnés ferroviaires dont il explique l’origine : trains de nuit enregistrés en France, Italie et Etats-Unis. Le compositeur y donne de la voix et révèle même ses « trucs » au son, par exemple, d’un engin miniature sifflant sur les cordes d’un piano. Malgré l’explication, la magie opère encore, quand sa poésie atteste à distance que la bande a, toujours, de l’avenir.
Michel Chion : Musiques concrètes 1988-1991
Brocoli
Edition : 2016.
CD : 01-10/ 10 études de musique concrète 11/ Variations 12/ Crayonnés ferroviaires
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Michel Chion, Lionel Marchetti, Jérôme Noetinger : Filarium (Vand'Oeuvre, 2016)
Le livret qui accompagne ce disque double – fruit d’une commande que le CCAM passa à Michel Chion, Lionel Marchetti et Jérôme Noetinger : improvisation à trois dans un premier temps, composition de six pièces dans un second – donne une idée de ce que l’on trouve dans ces enregistrements « maison » : bandes renversées, soupçons de voix et parfois râles, soupirs d’instruments concassés, déguisés ou défaits… Tout peut être trouvé beau, tout peut rentrer dans une esthétique.*
Si les compositeurs ont œuvré chacun « dans leur coin », Filarium renferme un travail commun qu’on pourra entendre sans chercher à savoir lequel des trois musiciens s'exprime au nom de l'association à tel ou tel moment donné. La raison est toujours celle des autres / La seule révolte individuelle consiste à survivre.
Au chevet d’une « nouvelle » musique concrète, Chion, Marchetti et Noetinger expérimentent donc ensemble, dans le même temps qu'ils s'expriment individuellement, dans un même décor de théâtre : de l’absurde, celui-ci, qu’aguiche ici le noise, là un soudain besoin de vérité, ailleurs une ironie fatale. Et si le théâtre en question connaît quelques longueurs, il est aussi capable de beaux moments « panique ». Tout raisonnement logique est destiné à faire accepter à un individu la volonté des autres.
* En italiques : 4 X Topor, Petit Mémento Panique.
Michel Chion, Lionel Marchetti, Jérôme Noetinger : Filarium
CCAM / Metamkine
Enregistrement : 2014-2015. Edition : 2016.
2 CD : CD1 : 01/ L’épaisseur de la nuit 02/ Les vers luisants 03/ Nostalgie du Cyclope – CD2 : : 01/ Archaeoptéryx 1 02/ Archaeoptéryx 3 03/ Archaeoptéryx 2
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Lionel Marchetti : Une saison (Monotype, 2011)
Il me faut bien avouer, penaud, que de Lionel Marchetti je ne connaissais jusqu’alors que le duo qu’il forme avec Jérôme Noetinger (on les retrouve, au disque, tant avec Voice Crack qu’avec Sophie Agnel), et que je n’avais écouté le musicien live qu’à une occasion – circonstance en laquelle il sculptait des larsens avec deux talkies-walkies.
La publication par la maison Monotype de ce double volume qui regroupe quatre pièces composées entre 1993 et 2000 (et précédemment éditées, sur différents labels) arrive donc à point nommé pour le néophyte ; plus encore qu’une initiation – éclairée par un texte de Michel Chion intitulé Ponts suspendus – à cette fine musique concrète, elle offre les conditions d’une véritable conversion.
Voix, sourds ébranlements, lacérations ou froissements, l’auditeur est conduit (et parfois laissé à la contemplation) non pas dans un « paysage sonore » mais dans un univers hautement musical et dramatique, hanté, cinétique, feuilleté, comme marqueté, tout simplement passionnant dans ce qu’il dévoile de cet autre versant du monde où l’existence intime se déroule. Le clin d’œil à Kenneth White, dans la dédicace de La Grande Vallée, advient alors comme une évidence géopoétique. Plus loin, c’est une vraie brèche (comme une crevasse dans Le Champ de glace du roman de Thomas Wharton) que ménage le Portrait d’un glacier, ouverte dans le temps.
Lionel Marchetti : Une saison (Monotype / Metamkine)
Enregistrement : 1993-2000. Edition : 2011.
CD1 : 01/ La Grande Vallée 02/ Portrait d’un glacier (Alpes, 2173m) - CD2 : 01/ Dans la montagne (Ki Ken Taï) 02/ L’œil retourné
Guillaume Tarche © Le son du grisli