Giacinto Scelsi : The Works for Violin / John Cage : The Works for Piano 9 (Mode, 2013)
Dixième publication de la série Giacinto Scelsi chez Mode, et Weiping Lin au violon. Rassemblées, ce sont cinq œuvres pour violon datées de 1954 à 1973, qui exposent en conséquence des us et des humeurs changeants.
Déjà, alors qu’écrits à la même époque, les divertimenti contrastent-ils : berceuses récréatives (Divertimento No. 4), contemporain prompt au sentiment, voire à la mélancolie (Divertimento No. 2, pour la première fois enregistré), sinon folklore piqué (Divertimento No. 3). Weiping Lin peut alors servir des compositions qui démontreront sa virtuosité de façon moins évidente : Xynobis, qui rêverait d’opposer deux violons sur l’étrange bande-son de western expérimental qu’un seul rend à coups d’aigus distants et à force de cordes pincées ; L’âme ailée et L’âme ouverte, dont un archet miniature mais double ne cesse de confondre les lignes pour accorder leurs nuances sur un soupçon musical commun. Derrière lequel sont retenus tous les mystères de Giacinto Scelsi.
Giacinto Scelsi : The Violin Works (Mode)
Edition : 2013.
CD : 01-04/ Divertimento No. 4 I-IV 05-06/ L’âme ailée - L’âme ouverte 07-10/ Divertimento No. 2 I-IV 11-13/ Xnoybis I-III 14-17/ Divertimento No. 3
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Sur Mode toujours, c’est la neuvième publication des œuvres pour piano de John Cage. Sous les doigts de Jovita Zähl (accompagnée par le percussionniste Thomas Meixner sur les deux dernières plages), ce sont les créations sur disque de pièces datées de 1950 et 1951 : Sixteen Dances (transcrites par Walter Zimmermann) et Haiku (sept pièces-ébauches qui donneront les plus célèbres Seven Haiku). De tonalité en atonalité, ces morceaux de musique sous influence (du maître Daisetz Teitaro Suzuki, des talas indiens, de Pierre Boulez et évidemment de Merce Cunningham) composent ensemble une fresque éclatée que se disputent couleurs et mouvements.
John Cage : The Works for Piano 9 (Mode)
Edition : 2013.
CD : 01-07/ Haiku 08-23/ Sixteen Dances 24-25/ Alternate Versions for Piano & Percussion
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
John Cage : Variations V (Mode, 2013)
Quarante-huitième publication de la série, estampillée Mode, The Complete John Cage Edition, Variations V – dont c’est la première édition commerciale – consigne deux versions de la pièce du même nom : l'une, avec images, illustrée en 1965 à Hambourg par la Merce Cunningham Dance Company ; l'autre, sans images, enregistrée l'année suivante à Paris. A chaque fois, Cage est associé à David Tudor et Gordon Mumma.
Hallucinante, la version filmée associe une composition d'un concret tapageur et des visions de Stan VanDerBeek et Nam June Paik. Sous une pluie de sons hétéroclites – électronique bruitiste jouée sur l’instant pour instruments de création (magnétophones, antennes et cellules photo-électriques) –, les danseurs se déplacent, évitant les éléments d’un décor lui aussi en mouvement. Sur quelques câbles électriques, les corps en surimpression rivalisent de turbulence avec la musique et le jeu des lumières. En 1966 à Paris, Cage, Tudor et Mumma, précisent leurs gestes, les ralentissent, décidant d’un repli dans les graves. C’est donc une autre Variations V, comme rendu en négatif, mais qui captive à son tour.
John Cage : Variations V (Mode / Metamkine)
Enregistrement : 1965-1966. Edition : 2013.
DVD : Variations V
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
John Cage : Silence (Contrechamps / Héros-Limite, 2012)
« Conférences et écrits de John Cage », voici ce que renferme Silence – à l'origine publié en 1961, ici traduit (de brillante manière) par Vincent Barras pour les éditions Contrechamps et Héros-Limite. Plus qu'une pensée, un traité, un diktat..., c'est là un précis d’écoute que clarifie un savoir-faire hors du commun – Nouvelle musique : nouvelle écoute, écrit le compositeur dans le texte « Musique expérimentale ».
Vingt années d'articles et de conférences, et aussi d'expériences, de tentatives de dire voire d'expliquer ce qui peut s'écouter et se jouer même – ainsi Cage précise-t-il qu'il a pu employer pour ces fragments de théorie des moyens de composition analogues à mes moyens de composition dans le champ de la musique, comme mettre en usage un féroce « souci de la poésie » ou faire appel au Zen ou au hasard. Comme pour ses œuvres musicales, le compositeur ne cache rien de ses procédés.
Tout comme son statut de novateur ne l’oblige en rien à revêtir l’habit d’iconoclaste fiévreux : si la fièvre monte en Silence, c’est d’ingénuité, de trouvailles et d’humour – les unes à l’autre scellés parfois, comme dans « Indétermination », dont la police d’écriture est d’une petite taille choisie pour ajouter au caractère intentionnellement pontifiant de la conférence. Ainsi Cage converse-t-il avec Erik Satie, dont il reprend l’idée de « musique d’ameublement (…) qui fera partie des bruits ambiants, qui en tiendra compte », parsème-t-il son propos de références nombreuses (Maître Eckhart ou maîtres Zen, Morton Feldman, …) et d’anecdotes légères (collage de bandes avec Earle Brown, visite d’un parc en compagnie d’enfants avec Merce Cunningham…).
Parfois, les articles ont valeur d’explication (Imaginary Landscapes IV, Music of Changes) ; d’autres fois, comme dans « Communication », ils posent davantage de questions qu’ils n’apportent de réponses ; toujours, Cage conserve une distance qui profite à l’art qu’il a de la parole. C'est pourqoi au terme de sa lecture – qu’il prendra soin de fractionner –, le lecteur pourra dire avec John Cage : Nos oreilles sont maintenant en excellente condition.
John Cage : Silence (Contrechamps / Héros-Limite / Metamkine)
Edition : 2012.
Livre : Silence
Guillaume Belhomme © Le son du grisli