Pierre-Yves Macé : Musique et document sonore (Les Presses du Réel, 2012)
C’est une thèse de doctorat désormais publiée que son auteur, Pierre-Yves Macé, aurait pu (pourrait) poursuivre à vie : l’utilisation du document sonore dans le contexte musical est son sujet. Partant d’Edison, voici donc l’histoire d’un « document » – la notion, démonstrative et laissant derrière elle quelque trace, sera brillamment expliquée dans un chapitre – qui abandonne les rayonnages de l’archive pour l’univers plus exaltant de la création sonore.
Si l’exercice, formaté, connaît quelques impératifs (exposés d’esthétique convoquant inévitablement Adorno, Benjamin, Barthes, Deleuze…, citations zélées, organisation rigoureuse – à laquelle échappe toutefois ce bel interlude par lequel John Cage passe une tête), il profite de la diversité des écoutes auxquels il renvoie. Plus encore, il passionne par l’entendement déductif de Macé.
Traité de mille manières (amplifié, manipulé, traité, transformé, digéré…), le document finira souvent par adopter les contours d’arts hétéroclites pour être ceux de Ferrari, Nono, Reich, Bayle, Curran, Bryars, mais aussi Panhuysen, Matmos, Kyriakides, Kerbaj, Onda… A chaque fois, c’est un imaginaire augmenté par le « fourmillement du réel » que Macé envisage en chercheur éclairé avant d’en disposer les références dans une luxuriante toile de sons, aussi panorama saisissant : Musique et document sonore.
Pierre-Yves Macé : Musique et document sonore (Les Presses du Réel)
Edition : 2012.
Livre : Musique et document sonore, 336 pages.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Philipp Schmickl, Jim Denley, Marzen Kerbaj : Theoral 5 (Theoral, 2012)
Les numéros de Theoral sont, de Philipp Schmickl, les carnets de voyages et de rencontres. L’homme est amateur de transport, d’arts et de musique, de sciences humaines… En conséquence, ses publications célèbrent Marco Eneidi et Andre Gingrich (Theoral 1), Mira Sidawi et Xavier Charles (Theoral 2), Paul Lovens (Theoral 3), Nicole Brooks et Clayton Thomas (Theoral 4)… Quant à la cinquième livraison de Theoral, elle raconte le séjour de Schmickl à Beyrouth en 2012, où l’homme a pu croiser Jim Denley (le 7 avril) et Mazen Kerbaj (le 14 avril).
A chaque fois, Schmickl et son acolyte prennent le temps, improvisent en mots, passent par l’anecdote pour dire de belles et parfois essentielles choses, perdent le fil de la conversation pour en attraper un autre, qui la rafraîchira. Ainsi, Denley aborde-t-il ses liens avec l’Australie, sa découverte de Beyrouth, lorsqu’il ne se souvient pas plutôt de Derek Bailey qu’il côtoya à domicile au début des années 1990 ou ne recommande la lecture d’un livre de Trevor Wishart. Comme toute improvisation valable, la conversation est faite d’expérience et d’instant même.
Avec Kerbaj, le même principe opère : faire le parallèle entre l’angoisse de la page blanche du dessinateur et celle du son à découvrir de l’improvisateur, pour parler ensuite des chanteurs français qu’il écouta beaucoup – Gainsbourg, Brassens, Lapointe –, de son partenaire et alter ego Sharif Sehnaoui et de leur éducation musicale commune, puis de ses rencontres avec Raed Yassin, Charbel Haber, Evan Parker… L’écho de la guerre civil, enfin, et c’est déjà les dernières pages. Au sommaire du sixième Theoral, sont annoncés Franz Hautzinger et Hans Falb…
Philipp Schmickl, Jim Denley, Marzen Kerbaj : Theoral 5 (Theoral)
Edition : 2012.
Revue : Theoral
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
"A" Trio : Music to Our Ears (Al Maslakh, 2012)
Présentations faites hier de l’ ‘‘A’’ Trio, entrons dans le vif de l’improvisation consignée en Music to Our Ears. Le titre, d’ailleurs, pourrait être un credo qui relativiserait l’importance de tout étiquetage d’une réunion de sons naturellement attrapés au vol.
Ainsi donc Mazen Kerbaj (trompette), Sharif Sehnaoui (guitare) et Raed Yassin (contrebasse), composent-ils sur l’instant selon les usages du jour – faisant grand cas du silence, ne s’interdisent pas le plaisir des rafales expressionnistes – en se référant au passé (The Shape of Jazz That Came) ou en pariant sur le futur (Tomorrow, I’ll Make Breakfast). La forme actualise les recettes d’AMM en comptant sur l’érosion des discours et adresse quelques clins d’œil au free jazz des origines (ainsi Kerbaj peut invectiver quand Sehnaoui martèle manche et cordes).
Intense bien que tremblant, cet instant disparaîtra à l’orée d’un second, que se disputent déjà l’attente et la réflexion. Le troisième saura se souvenir et associera râles, parasites et harmoniques. Au bottleneck enfin, Sehnaoui taille dans les reliefs plus tôt élevés de Music to Our Ears pour peaufiner un ouvrage de beautés fragiles.
"A" Trio : Music to Our Ears (Al Maslakh / Instant Jazz)
Enregistrement : 29 et 30 septembre 2010. Edition : 2012.
CD : 01/ Textural Swing 02/ Three Portraits in No Color 03/ The Shape of Jazz That Came 04/ Tomorow, I’ll Make Breakfast
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Scrambled Eggs, “A” Trio : Beach Party at Mirna el Chalouhi (Johnny Kafta’s Kids Menu, 2011)
Voici de qui sont faites les deux formations à entendre sur Beach Party at Mirna el Chalouhi : Charbel Haber (guitare électrique, électronique), Tony Elieh (basse) et Malek Rizkallaf (batterie) pour Scrambled Eggs : Mazen Kerbaj (trompette, voix), Sharif Sehnaoui (guitare acoustique) et Raed Yassin (contrebasse et voix) pour “A” Trio. L’enregistrement s’est fait en studio début 2009, qui scelle l’entente possible d’un groupe de post-rock et d’un trio d’improvisateurs inspirés.
Au son de deux pièces longues que sépare un interlude écrit – Koji Kabuto, chanson amusée qui doit autant à Primus qu’à Rashied Taha (le jeune). Sur le morceau-titre, l’association arrange revendications bruitistes et besoins de silences avec habileté. Alors la musique est lente, aride aussi comme doit l’être tout folk en perdition ; ensuite, la voici colossale pour avoir tout à coup cédé aux bruits. Sur l’autre grande pièce, Uninterruptible Power Supply, Scrambled Eggs et “A” Trio mettent en branle une mécanique grinçante mais capable encore d’accorder avec intensité grognements, larsens et inserts hors-normes. Beach Party at Mirna el Chalouhi : où l’on entend l’“A” Trio sous influence tonitruante et Scrambled Eggs sur conseil musical avisé.
Scrambled Eggs, “A” Trio : Beach Party at Mirna el Chalouhi (Johnny Kafta’s Kids Menu)
Enregistrement : 5 et 6 janvier 2009. Edition : 2011.
CD : 01/ Beach Party at Mirna el Chalouhi 02/ Koji Kabuto (Ya Akruto) 03/ Uninterruptible Power Supply
Guillaume Belhomme © Le son du grisli