John Tilbury, Marcus Schmickler : Variety (A-Musik, 2004)
Est-ce après avoir rencontré John Tilbury – à l’occasion du concert donné à Bologne en 2001 par ce MIMEO, dont il est membre depuis 1998, augmenté du pianiste (The Hands of Caravaggio) – que Marcus Schmickler envisagea ces quarante minutes à enregistrer en compagnie du maître ? Cela aurait pu aussi bien être avant : rêve de deux jours consacrés, au Loft de Cologne, à mettre en valeur les notes en peine de Tilbury et dont garder le souvenir sur un disque édité par ses propres soins – ici donc, sous étiquette A-Musik.
Avec circonspection, notez bien. Schmickler à l’intérieur d’un autre piano que celui du maître et à l’ordinateur : comment ne pas entendre le souffle de Feldman sur les épaules de Tilbury ? Ces épaules dont le mouvement accompagne la naissance des premières notes de Variety, et finalement de toutes les notes retenues en Variety. Comment ne pas les entendre, malgré leur discrétion, et comment faire autrement – d’autres que Schmickler n’auraient pas manqué de faire autrement, ceci dit – que de les envelopper de précautions ?
Et l’art que Schmickler a ici d’être délicat est fantastique : il peut suspendre une longue note parallèle aux accords miniatures de son partenaire ou distribuer avec parcimonie des craquements légers, des bruits de découpe, des larsens succincts. Tilbury, de son côté, est à la manœuvre abstraite : un arpège qu’il délaye en irrégulier, plus loin une répétition tenace, ailleurs encore un développement impossible et un abandon enchanteur. La jeune recrue de Keith Rowe et l’un de ses compagnons de longue date – le plus fidèle peut-être – étaient faits pour s’entendre. S’entendre sur Variety.
Marcus Schmickler, John Tilbury : Variety (A-Musik)
Edition : 2005.
CD : 01/ Variety
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
MIMEO : Wigry (Bôłt / Monotype, 2011)
La liste alphabétique des musiciens à trouver en ce MIMEO réuni à l’automne 2009 à Wigry : Phil Durrant (synthétiseur, sampler), Christian Fennesz (ordinateur), Cor Fuhler (piano), Thomas Lehn (synthétiseur), Kaffe Matthews (ordinateur), Gert-Jan Prins (electronics), Peter Rehberg (ordinateur), Keith Rowe (guitare), Marcus Schmickler (ordinateur), Rafael Toral (ordinateur).
Inutile – si ce n’est « pour le sport » et encore par goût de la défaite – de chercher à mettre un nom sur telle ou telle intervention si celles-ci ne donnent pas clairement d’elles-mêmes la nature de leur instrument. Autour d’une table rectangulaire disposée dans une église, d’imposants représentants d’une société secrète jouèrent à la Cène au son d’une improvisation inquiète.
La musique est entremetteuse, œuvrant avec patience de silences en artifices, de brondissements en stridulations, d’accalmies en dépressions. Son matériau est de métal ou de soie et son grand sujet un magnétisme qui fait de sillons disparates un grand chemin tortueux. Sous la brume, celui-ci laisse échapper des spectres sans autre motivation que celle de faire grand bruit. Voici l’église de Wigry pleine de clameurs nouvelles.
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MIMEO : Wigry (Bôłt / Monotype / Metamkine)
Enregistrement : 2009. Edition : 2011.
2 LP : A/ - B/ - C/ - D/ -
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Thomas Lehn, Marcus Schmickler : Live Double Séance (Mego, 2011)
Je me souviens de Thomas Lehn, au synthétiseur, et Marcus Schmickler, à l’ordinateur, avec Keith Rowe et Toshimaru Nakamura sur le label Erstwhile, mais j’ignorais le reste de leur collaboration née fin 1998 de leur rencontre dans MIMEO (Discogs parle de trois disques en duo avant ce Live Double Séance).
Sorti sous format LP et accompagné d’un DVD, cette captation de concert a un arrière-gout d’avant-garde d’hier (vous suivez ?) mais conserve un charme patent. Après s’être détachée de référents rythmiques, l’électronique du duo s'invente autant dans les rivalités que dans les conciliations. Leurs accélérations et décélérations d’engins de science-fiction et leurs sonorités d’un autre âge n’empêchent pas Lehn et Schmickler de faire des découvertes qui détonnent. En bataillant – attention : tous les coups sont permis ! –, le duo menace tout sauf notre curiosité et notre intérêt…
Thomas Lehn, Marcus Schmickler : Live Double Séance [Antaa Kalojen Uida] (Mego / Metamkine)
Enregistrement : 14 novembre 2010. Edition : 2011.
LP : Live Double Séance [Antaa Kalojen Uida]
Pierre Cécile © Le son du grisli
Thomas Lehn jouera à Mulhouse le 26 août, dans le cadre du festival Météo, en 6IX avec Dorothea Schurch, Jacques Demierre, Urs Leimgruber, Okkyung Lee et Roger Turner.
Masterisé par Marcus Schmickler (et ce n’est nullement un hasard), Dunno est la première étape discographique de Lorenzo Senni, jeune (27 ans) producteur italien fondateur du label Presto!? – maison qui a déjà accueilli en son sein des noise heroes aussi prestigieux que Lasse Marhaug, Lawrence English ou Carl Michael Von Hausswolff.
Sans ambiguïté ni compromission, les dix pièces proposées par l’artiste milanais offrent un pendant actuel – et cependant daté – aux premières heures de l’officine autrichienne Mego, avant sa reconversion en Editions (en gros la période tournant du millénaire de la structure fondée par Peter Rehberg). Parmi tous les radicaux libres ayant eu droit de cité en la boutique viennoise, celui de Yasunao Tone & Hecker ou de Gert-Jan Prins sont les plus évidents à l’écoute d’une majorité de titres (dont Glowsticking ou http://www.youtube.com/watch?v=epBgHEFbrlg&feature=re..., cliquez sur le lien, il fonctionne !) Toutefois, au-delà de la réelle abstraction bruitiste manifestée par l’électronicien transalpin, d’autres atours pointent le bout de leur nez – à commencer par quelques clins d’œil discrets (mais réels) à des musiques cosmiques que le duo KTL aurait revisitées pour un ballet de Gisèle Vienne (Pumping Geometries, In High Places). Non que vous vous surprendrez à sautiller gaiement en prenant votre douche mais le plaisir coupable de se replonger dans les heures anciennes des musiques inspirées par Xenakis n’a guère de prix.
Lorenzo Senni : Dunno (Presto!?)
Edition : 2011.
CD : Dunno
Fabrice Vanoverberg © Le son du grisli