Ochibonoame : Ochibonoame (Homo Sacer, 2021)
Ici chroniqué il y a quelques jours, Ochibonoame a sa place dans la sélection de 10 disques japonais récents à écouter d'urgence qu'a établie Michel Henritzi à l'occasion de la parution de son livre, Micro Japon...
Nouveau projet de Makoto Kawashima qui regarde vers la free music, qui ne se veut pas une répétition scolaire, mais son prolongement, peut-être son dépassement. Louis Inage (Majutsu No Niwa) y tient la basse, Naoto Yamagishi les drums. On ne peut s'empêcher de penser à Kaoru Abe, sa façon de creuser dans le son des squelettes de mélodies fissurées, là où Yamagishi et Inage installent des ambiances polyrythmiques désarticulées.
Il ne faudrait pourtant pas réduire leur musique à celle de leurs aînés, à celle des Masahiko Togashi, Motoharu Yoshizawa… même si on peut y entendre une mélancolie de cette free music, il joue bien aujourd'hui en 2021, à Tokyo, dans ce réel angoissant, dans l'urgence et le cri. Les mains plongées dans la matière sonore, à tordre, assembler, désassembler, fracturer, lisser, caresser, aimer. Un geste d'amour.
Ochibonoame : Ochibonoame
Edition : 2021.
Homo Sacer / An'archives
Michel Henritzi © Le son du grisli
Ochibonoame : Ochibonoame (Homosacer, 2021)
Makoto Kawashima fait partie de cette nouvelle génération de saxophonistes free japonais, apparue spontanément sur les scènes d’improvisation tokyoïtes, entre beauté convulsive et violence inflammable, explique Michel Henritzi dans son livre Micro Japon.
Le titre du disque reprend celui du trio que forment le saxophoniste Makoto Kawashima, le bassiste Luis Inage et le batteur Naoto Yamagishi. Ce sont là trois-quarts d’heure d’une improvisation que l’on dirait inspirée par quelques anciens (AMM, Spontaneous Music Ensemble…) mais qui, à mesure que défilent les minutes, se détache de toute influence.
La mise en place est résolument lente et puis survient un balancement de graves et de percussions mêlées que les trois musiciens auront bientôt à cœur d’abandonner. Du bout des lèvres, le saxophoniste dépose ses notes éparses ; le batteur, lui, ose encore à peine remuer. Forcément, chacun des trois éléments se lève : les rauques du saxophone en démontrent aux soubresauts des percussions quand la basse électrique tente d’envelopper l’ensemble de graves profonds.
Alors c’est le déferlement attendu. La vingtième minute passée, le trio s’exprime avec une ferveur qu’il communique… Dans la stupéfaction, il suffira d’applaudir à la naissance d’Ochibonoame.
Ochibonoame : Ochibonoame
Edition : 2021.
Homo Sacer / An'archives
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Kawashima Makoto : Homo Sacer (PSF, 2015)
Makoto Kawashima fait partie de cette nouvelle génération de saxophonistes free japonais, apparue spontanément sur les scènes d’improvisation tokyoïtes, entre beauté convulsive et violence inflammable, explique Michel Henritzi dans son livre Micro Japon.
Les silences sont parfois longs, déstabilisants même, à l’écoute d’un disque. Encore faut-il que le disque en question estime le silence. Sur celui-ci, le silence se fait entendre comme en opposition, non comme un des éléments d’une quelconque esthétique.
Un silence aspiré. Un silence expiré. Jamais de silence entre deux expressions. Bien après Kaoru Abe (Makoto Kawashima est né en 1981, qui en conserve cependant le bec), le saxophoniste baguenaude entre ligne pure et virevolte. Le blues est là, bel et bien là, mais lui n’en dira rien. N’en soufflera rien, ni ne sifflera.
Le petit (grand, pourquoi pas : à trop rêver, on prend des centimètres) occidental rêvera encore, malgré les kilomètres, du jeune saxophoniste improvisant fort aux abords de quel minuscule cours d’eau. C’est beaucoup de silence, et aussi beaucoup de bruit, de sifflements, pour un seul cours d’eau. C’est peut-être aussi trop de musique, pour le monde entier.
Kawashima Makoto : Homo Sacer
Editions : 2015.
PSF / An’archives
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Makoto Kawashima & Harutaka Mochizuki : Free Wind Mood (An'archives, 2018)
Depuis quelque temps, un truc se réveille dans les clubs du Japon, de jeunes gens enragés redécouvrent l'histoire de la free music, se l’approprient et la bousculent, enfilant les fringues trouées de Kaoru Abe. Makoto Kawashima et Harutaka Mochizuki apparaissent aujourd'hui comme deux échos sublimes de ces lointains orages disparus.
Makoto Kawashima est apparu sur le label mythique PSF, adoubant ce jeune sax alto qui reprend le free là ou Abe l’avait laissé dans sa sauvagerie dernière, pour sa façon aussi de désosser de poisseuses mélodies, les écorcher littéralement. C’est juste beau, si la beauté peut être de mourir dans le son, par le son. Ca joue, entrant toute sa rage et sa désespérance dans le corps de métal, les poumons avec, ectoplasme errant entre les couacs, les crachats soniques, les mélodies blessées, les chorus avortés dans la vibration d'un air chargé de particules métalliques.
Harutaka Mochizuki semble moins dans la fascination de cette insurrection sonique des sixties, free, lui joue comme un autiste sourd aux bruits des modes et du temps. Son jeu est comme tourné vers l'intérieur, ce qui hante nos vies, la sienne. Il ne cherche pas à cacher les bruits de l'instrument, alto patiné, mais au contraire à exhiber, faire entendre, monstration du cirque intime du sax, souffles, salives sonores, jeu asthmatique, mélodies comme crachées dans l’air. Il y a une vraie fragilité dans son jeu, comme un fil tendu dans l’air où s’accrochent des notes maigres, tremblantes, susurrées. Il écrit de foutues mélodies sur le vent, poésie de l'écart, le son comme un bateau ivre, on tangue et putain c'est beau.
Makoto Kawashima & Harutaka Mochizuki : Free Wind Mood
An'archives
Edition : 2018.
Michel Henritzi © Le son du grisli