Louie Belogenis Trio : Tiresias (Porter, 2011)
Le trio qu’emmène ici Louie Belogenis a été enregistré au printemps 2008. Comme l’avait fait jadis Rings of Saturn (duo avec Rashied Ali), Tiresias permet au saxophoniste d’estimer son entente avec un batteur ayant frayé avec l’une de ses grandes influences : Sunny Murray, cette fois, en présence du contrebassiste Michael Bisio.
Si l’identité de Belogenis s’est sensiblement affranchie de l’écoute de Coltrane et d’Ayler, Tiresias est, de son aveu même, une évocation du Spiritual Unity – augmentée d’une reprise concentrée d’Alabama. Dès l’ouverture, le ténor drague et ramène à la surface des fragments lourds de sens qui, mis bout à bout, composent un exercice de style inventif. L’art de dériver ensemble qu’ont Belogenis, Bisio et Murray, profite de la nonchalance inquiète du premier, des obsessions désemparées du second et des décalages hors-cadre du troisième. Trois personnalités qui se disputent le commandement des écarts pour mieux élaborer de concert un free dont la nostalgie se délite en faveur d’une verve autrement moderne.
EN ECOUTE >>> Blind Prophecy
Louie Belogenis : Tiresias (Porter / Orkhêstra International)
Enregistrement : 17 mai 2008. Edition : 2011.
CD : 01/ When Darkness Fell 02/ Blind Prophecy 03/ Divination 04/ Tiresias 05/ Alabama 06/ Seven Lines
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Joe Morris, Ivo Perelman, Louie Belogenis, Agustí Fernández, Taylor Ho Bynum, Sara Schoebeck...
Ivo Perelman Quartet : The Hour of the Star (Leo, 2011)
La critique virera peut-être à l’obsession : redire la flamme d'Ivo Perelman, l’indéniable talent de Joe Morris à la contrebasse et conseiller encore à Matthew Shipp d’arrêter de trop en faire. The Hour of the Star est un disque à l’écoute duquel on regrette que le piano ait été un jour inventé. Heureusement, sur deux improvisations, l’instrument est hors-jeu, pas invité, la démonstration n’est plus de mise, et The Hour of the Star y gagne.
Flow Trio : Set Theory, Live at Stone (Ayler, 2011)
Enregistré au printemps 2009, ce Flow Trio expose Morris, à la contrebasse, aux côtés de Louie Belogenis (saxophones ténor et soprano) et Charles Downs (batterie). La ligne rutilante bien qu’écorchée de Belogenis cherche sans cesse son équilibre sur l’accompagnement flottant qu’élaborent Morris et Downs en tourmentés factices. L’ensemble est éclatant.
Joe Morris' Wildlife : Traits (Riti, 2011)
En quartette – dont il tient la contrebasse – Morris enregistrait l’année dernière Traits. Six pièces sur lesquelles il sert en compagnie de Petr Cancura (saxophone ténor), Jim Hobbs (saxophone alto) et Luther Gray (batterie) un jazz qui hésite (encore aujourd’hui) entre hard bop et free. L’exercice est entendu mais de bonne facture, et permet surtout à Cancura de faire état d’une identité sonore en pleine expansion.
Agustí Fernández, Joe Morris : Ambrosia (Riti, 2011)
L’année dernière aussi, mais à la guitare classique, Morris improvisait aux côtés du pianiste Agustí Fernández. Plus souple que d’ordinaire, le jeu de Fernández dessine des paysages capables d’inspirer Morris : les arpèges répondant aux râles d’un piano souvent interrogé de l’intérieur. Et puis, sur le troisième Ambrosia, le duo élabore un fascinant jeu de miroirs lui permettant d’inverser les rôles, de graves en aigus.
Taylor Ho Bynum, Joe Morris, Sara Schoenbeck : Next (Porter, 2011)
En autre trio qu’il compose avec Taylor Ho Bynum (cornet, trompette, bugle) et Sara Schoenbeck (basson), Morris improvisait ce Next daté de novembre 2009. Les vents entament là une danse destinée à attirer à eux la guitare acoustique : arrivés à leur fin, ils la convainquent d’agir en tapissant et avec précaution. L’accord tient jusqu’à ce que le guitariste soit pris de tremblements : l’instrument changé en machines à bruits clôt la rencontre dans la différence.
Flow Trio: Rejuvenation (ESP - 2009)
Avec Rejuvenation, Flow Trio – soit : Louie Belogenis (saxophone ténor), Joe Morris (contrebasse) et Rashid Bakr (batterie) – signe un premier enregistrement qui en appelle au free jazz des origines.
Après que le saxophoniste aura, sur Reflection, laissé discourir son vibrato, le trio improvisera six pièces d’un jazz concentré et intense, titubant partout mais tenant bon aussi. Jusque-là opaque, la musique change de nature avec Two Acts, sur lequel Belogenis hurle avant d’installer une mélodie au creux des heurts provoqués par l’inspiration abrupte de ses partenaires. Pas loin des phrases d’Ayler, alors, jusqu’à ce que la contrebasse et la batterie parviennent peu à peu à circonscrire les plaintes, et même, les avalent.
Et si la question peut être posée de l’intérêt d’en revenir aux codes des premiers temps du free (une fois relativisée la curiosité de repérer, dans le catalogue d’ESP, autre chose qu’une réédition), l’expérience, faite par trois musiciens avertis, ne donne évidemment pas les mêmes résultats : Flow Trio tirant d’anciennes pratiques l’originalité de ses propositions.
CD: 01/ Reflection 02/ Slow Cab 03/ Pick Up Sticks 04/ Two Acts 05/ Succor 06/ Unfolding 07/ Rejuvenation >>> Flow Trio - Rejuvenation - 2009 - ESP Disk. Distribution Orkhêstra International.
Exuberance: Live at Vision festival (Ayler - 2004)
Quatre improvisations tout droit sorties du Vision Festival de New York, où le saxophoniste Louie Belogenis emmenait, en mai 2003, un quartette éclairé, voilà Live at Vision Festival, nouvel enregistrement radical et superbe proposé par le label Ayler records.
C’est au batteur Michael Wimberly qu’il revient d’introduire le concert, de vocalises incantatoires sublimant une Afrique lointaine que le groupe se chargera de célébrer, pleurer, remercier et croire encore possible. Sur Invocation, l’effort est soutenu et permet les excès : ceux de confrontations enthousiastes du ténor de Belogenis et de la trompette de Roy Campbell, comme ceux d’accrocs rythmiques et de chocs à conséquences.
Quelques vibrations échappées de la contrebasse d’Hilliard Greene, avant l’archet décadent, cherchant à déceler les limites du juste, et Procession que l’on mène. De conserve, ténor et trompette caressent des chapelets de notes tout juste enfilées, avant le répit des solos calmes, et l’emportement des phrases enlacées avec ferveur.
Plus courtes, deux improvisations se succèdent ensuite. Usage d’un vocabulaire cool de la part de Campbell face aux déclarations suaves de Belogenis (Evocation), puis explosion dernière, ou comment faire feu de tout bois, cuivre, cordes et peaux, en guise d’au revoir en flamme. Expressionnisme irrévocable emporté par l’énergie de Wimberly, Incandescence conclut la démonstration, inspirée et puissante.
CD: 01/ Invocation 02/ Procession 03/ Evasion 04/ Incandescence
Exuberance - Live at Vision Festival - 2004 - Ayler Records. Distribution Orkhêstra International.