LDP 2015 : Carnet de route #7
Quelques jours d'absence, et c'est déjà la reprise pour Urs Leimgruber, Jacques Demierre et Barre Phillips (ou LDP Trio). Reprise de la tournée Listening ; reprise, alors, du carnet de route !
27 avril, Budapest, Hongrie
Voyage / Travel
Time to join up again with Jacques and Urs. How many days cleaning Black Bats' cage?
Are the strings still supple? What not to forget to put in the suitcase? Now all these damn meds. And a load of books, just in case someone's interested. Gonna be hot, cold, rainy? Take it all, use the huge suitcase. Now, where did I put those tickets and the senior cards? Ma, can you drive me to the station?
The usual place in the handicap car is available. No handis today. Pardon me, excuse me... there, the bass is fixed for the trip. Geneva, an easy station, no stairs. Roll'em all the way. And that good coffee shop just opposite quai 7. MMMMMM! Damn, going all the way to Budapest by train. Five of them. Thirty hours door to door. For just an hour's concert? Naw, there's a workshop too. Name of the game. Budapest - love it.
B.Ph.
Einen Monat später treffen wir uns um 07:15 Uhr am Bahnhof in Luzern wieder. In Zürich steigen wir in Richtung Wien um. Es gibt Tage wo wir nur reisen.
Heute ist ein solcher Tag. 12 Stunden sind wir im Zug unterwegs. In Wien steigen wir ein weiteres Mal in Richtung Budapest um. Am Zielort Keleti Palyaudvar sollten wir aussteigen, um vom Veranstalter abgeholt zu werden. Der Zug hält heute da nicht, sagt uns der Schaffner. Also steigen wir in Köbanya-Kispest aus und fahren mit dem Regionalzug zurück nach Kelenföld. Im neuen, grossräumigen Bahnhof angekommen, bringt uns ein Taxi nach Budapest zum Hotel. Mit der Fahrerin einer Ungarin, die lange Zeit vor der Wende in den USA gelebt hat unterhalten wir uns angeregt in perfekten Englisch. Nach einem Humus-Teller mit Bier geht es anschliessend ab in die Klappe. Das ist genug für heute.
U.L.
Le train est un espace mobile. Mobile et hétérotopique. Un lieu autre entre deux lieux, un espace où l'imaginaire se retrouve sans limite. C'est dans cet emplacement, où l'utopie loge, que les trois derniers pianos joués me sont apparus comme les caractères d'une écriture – chinoise ? – surgissant devant moi : le RIPPEN, bel canto, 211752, premier objet aperçu dans la trouée murale et zürichoise de Sieb & Brot, le Yamaha, G2, E 2522324, que j'ai préféré, pour les possibilités offertes par l'horizontalité de ses cordes, à un piano droit placé à l'arrière-scène du club Metro, à Beyrouth lors du festival IRTIJAL, et le paisible Schiedmayer & Soehne, sur lequel je travaille à la maison la lenteur du geste et la rapidité de l'écoute en me superposant aux voix radiophoniques de France Culture, aux chants des oiseaux du parc Geisendorf et aux cris des enfants montant du préau jouxtant mon immeuble.
Images déroulant une calligraphie pianistique, où chaque piano est un nouveau caractère, en noir et blanc, un bloc de temps cadré autour d'un son central, yin/yang sonore au sein d'une continuité sans fin. Jouer ces pianos, et tous les autres, l'un après l'autre, années après années, c'est déployer l'écriture de sa propre histoire dans un tempo lent, caractère après caractère, traçant son propre texte de vie et le découvrant tout à la fois. Récit qui reste à décrypter… comme il nous reste encore à comprendre pourquoi l'arrêt budapestois Keleti Palyaudvar, destination finale de notre voyage, avait subitement disparu, après 12 heures de rails, de la feuille de route du train hongrois dans lequel nous venions de monter à Vienne...
J.D.
28 Avril, Budapest, Hongrie
Master Class
The young lions of Buda. There is hunger here but some how it's soft, it's palette hunger not belly hunger. A lack of immediateness, urgency, life&deathness. Do you know that it doesn't get any better than today? Today's the last chance.
Good technical level in general. Alertness on the idea front. Quite interested in "how it works". Students and young professionals – about 50/50. One lady visual artist (very interesting approach to sounding). Beginnings of climbing out of a hole but even so, too comfortable.
B.Ph.
Patyolat ist ein neuer Kulturraum für Ausstellungen, Klanginstallationen und Konzerte in Budapest. Hier leiten Barre, Jacques und ich heute Nachmittag gemeinsam eine Masterclass zum Thema Solo in der freien Improvisation. Die Teilnehmer sind Musikstudenten und professionelle Musiker. Das technische Niveau ist erstaunlich hoch, wie oft bei ausgebildeten Musikern. Die Erfahrung im Umgang mit freier Improvisation im Sinne des instant composings ist beschränkt und unerfahren. Dennoch ist es äusserst interessant wie verschieden und individuell diese Aufgabe von den MusikerInnen gelöst wird. Die meisten präsentieren ihr Können mit Spielweisen die sie kennen und mit Ausschnitten ihres Repertoirs im Umgang mit Klang. Keiner von Ihnen improvisiert in dem Sinne frei, während des Spielens mit Klängen Unvorhergesehenes zu entdecken. Das ultimative Hören mit Körper und Seele wird von den wenigsten konsequent praktiziert. Loslassen, nach Gehör spielen, weniger denken und nicht komplett expandieren wäre ein sinnvoller Ansatz um weiter zu gehen.
U.L.
Sur la scène de Patyolat, lieu budapestois en devenir, deux instruments. Plaqué au mur, un piano droit Rösler, 10128, Opus no 11048, "très vieux, mieux vaut ne pas y aller trop fort", me conseille l'organisateur de la master-class. Se réfère-t-il au fait que ces pianos, qui affichent aussi, suivant l'inscription, un G. avant Rösler – G. pour Gustav – ont été anciennement conçus et réalisés dans l'usine Petrov, en République Tchèque, alors qu'aujourd'hui ils sont produits en Chine ? La question aussitôt posée est aussitôt abandonnée, car découvrant sur la droite du clavier une sorte de tirette dorée, à action mécanique, portant le nom de Moderator, j'actionne cette manette, et imagine instantanément son effet sur les relations en cours de jeu entre les différentes variables du son. Mais la tirette ne répond pas, l'effet reste imperturbablement muet. Quoi qu'il en soit, même s'il ne s'agit en fin de compte que d'une simple sourdine, ce piano Rösler reste, au sens propre du terme, une boîte à musique. Qu'un piano soit muet ou sonore, il est habité par un son qui demeure potentiellement et physiquement présent. Le piano à queue placé au centre de la scène et recouvert d'une couverture noire, en simili-cuir et matelassée, un Yamaha, NO. G7, NIPPON GAKKI S.K.K. semble confirmer mon intuition. Au moment d'ôter sa couverture, il me vient à l'esprit une oeuvre de Joseph Beuys, Infiltration homogène pour piano à queue, où un piano est entièrement recouvert de feutre gris et porte une croix en tissu rouge sur un de ses flancs. Protégé ainsi par un isolant thermique, le piano est de ce fait aussi isolé acoustiquement du reste du monde. Ce geste d'étouffement raconte paradoxalement le son à travers la mise en scène du silence : le son ne prend-il pas appui sur le silence pour apparaître et n'a-t-il pas besoin du silence pour concrétiser sa propre disparition ? La vision d'un piano calfeutré et isolé de son propre contexte acoustique a toujours fait naître en moi un sentiment étrange d'une grande solitude un peu nostalgique. C'est précisément ce sentiment qui a resurgit à l'écoute d'une des participantes à la master-class. Artiste visuelle, sans maîtrise technique de l'instrument piano, elle a réussi à montrer une adéquation rare entre ses dispositions personnelles, son écoute et sa réalisation sonore. Un équilibre qui n'existe que dans sa remise en jeu renouvelée.
J.D.
Photos : Jacques Demierre
LDP 2015 : Carnet de route #6
Après Schorndorf, c'est à Zurich qu'Urs Leimgruber, Jacques Demierre et Barre Phillips étaient attendus pour cause de Listening. Reprise du carnet de route : fin avril.
28 Mars, Zurich, Suisse
Seismogram im Sieb und Brot
And on we go - creating new spaces with sound that let our audiences live new experiences.
B.Ph.
„Seismogram“ – Konzertreihe für Experimentelles und Ungehörtes in Zürich.
Im Dezember 2011 haben junge Musiker die Reihe Seismogram zum Leben erweckt, um in Zürich eine Plattform zu bieten, die es den MusikerInnen ermöglicht ihre ganz neuen und frischen Projekte, die einem breiteren Publikum noch nicht bekannt sind, zu präsentieren. Seismogram ist eine Initiative, bei der sich die Besucher immer von neuem überraschen lassen können. Die Vielfalt an Musikrichtungen, Stimmungen und MusikerInnen ist gross und sehr abwechslungsreich. “Da wir keinen festen Ort fanden, in dem man die Reihe einsiedeln kann, haben wir bis jetzt jeweils immer die Lokalität gewechselt. Galeristen, Atelierbesitzer und Bewohner haben uns ihre Räumlichkeiten jeweils für einen Abend überlassen und zwischen den Musikern, unseren Gastgebern, unserem Stammpublikum und dem Publikum der jeweiligen Räume entstanden interessante und spannende Verbindungen“.
Die auftretenden Musiker stammen meist aus der experimentierenden und improvisierenden Szene Zürichs, aber auch aus anderen Teilen der Schweiz und Europa. So hat sich Seismogram seit 2011 zu einem wichtigen Treffpunkt und Austauschort für Musiker und Interessierte entwickelt.
Seit Februar 2014 ist Seismogram einmal im Monat im Sieb und Brot (Werkstatt für Siebdruck) an der Neugasse 145b, 8005 Zürich zu Hause. Anfahrt: Die Werkstatt befindet sich im Kreis 5 neben der Josefswiese am Ende der Neugasse im Hof hinter dem SBB-Backsteingebäude. Eine Treppe führt zum Eingang in den ersten Stock. Bus- und Tram-Haltestellen in der Nähe sind Hardbrücke, Schiffbau, Dammweg und Röntgenstrasse.
Das Konzert mit dem Trio „ldp“ findet in einem Raum der Werkstatt von „Siebundbrot“ zusammen mit einem hellwachen, mehrheitlich jungen Publikum statt. Eine besondere Begrüssung gilt der Pianistin Irene Schweizer, die als Überraschungsgast anwesend war.
Das Trio spielt einen langen Bogen, ein in der radikalsten Form gewähltes, einstündiges Konzert. Die Zuhörer sind begeistert.
U.L.
RIPPEN, bel canto, 211752. Sur le couvercle, RIPPEN, manufacture de pianos fondée à Ede, Pays-Bas, en 1926, s'affiche ainsi: RIPP N. Un vide entre sourde et nasale, une absence qui déjà fait son, une disparition qui pèse immédiatement sur ma décision de ne jouer aucun mi ce soir sur ce piano droit low cost (selon les mots de l'accordeur). Hommage lipogrammatique à la Perec pour une mécanique LANGER 80, qui, m'assure-t-il, bien que n'égalant pas les mécaniques RENNER, se laisse jouer sans problème. Un low cost qui assure, donc, mais qui ne fera pas oublier le fameux piano à queue Rippen à ceinture d'aluminium du début des années soixante.
Alors qu'aucun lyrisme ne se manifeste dans l'architecture solide et traditionnelle du piano droit de ce soir, surnommé abusivement bel canto et accueilli le jour même par Seismogram dans les locaux de Sieb und Brot, la série de cinq instantanés prise avant le repas dans le Werkstatt für Siebdruck à même la surface de la table servant de bar, comme autant de palimpsestes à forte abstraction, en dit long quant au bel canto réaliste du trio ldp et surtout à la possibilité "de penser l'art sans projet, ouvert à l'accident, à ce que l'on ne connait pas". Je cite là Pierre Soulages, cité lui-même par Richard Jean, alias Monsieur Jean, membre du collectif sédunois L'Oeil&L'Oreille, groupe informel et résultat d'une action spontanée qui amène des individus à travailler ensemble.
J.D.
Photos : Jacques Demierre
LDP 2015 : Carnet de route #5
Après Karlsruhe et avant un retour en Suisse (Zürich, Seismogram), Schorndorf. D'où Urs Leimgruber, Jacques Demierre et Barre Phillips nous adressent le cinquième chapitre de leur carnet de route.
27 mars, Schorndorf, Allemagne
Klub Manufaktur
Last night the sound was so special. Of course it has to do with my ears and perception, but the space, a medium sized other-time industrial space, was instantly available to sound. It reminded me of early peyote experiences when the sounds became palpable, like putty in the hand. Plus a very positive medium-sized group of people to share the moment with us. Older people. I didn't see one young person, yet there must have been at least one, hidden amongst the long-beards. "So nice to hear you again". Really long-spending applause at the end. The sharing very special, beyond the usual waves. And a great part of what makes this type of concert a success are the people who organize it. Club Manufaktur. Volunteer folk. Werner, Andrea and the others. Giving a not small part of their lives to making their passion shareable. The local organizer is so important to us, the traveling musician-performer. The warm welcome, the right hotel, good food at the right time, the com work that over the years adds up to a room full of people to share the sounds and vibrations. The continual entrepreneurial struggle to keep the funding in tact over the years. Elements so vital to the life of the music. So dear sponsors, know that we appreciate you beyond the veil. Hugs & donuts all around.
The Black Bat spent the night at the opera.
B.Ph.
Der Konzertort „Manufaktur“ befindet sich in einem ehemaligen Fabrikgebäude. Der Raum mit seinen akustischen Voraussetzungen eignet sich hervorragend für live Musik.
Gute Freunde und Bekannte und ein aufmerksames Publikum kommen zum Konzert. Die Stimmung im Raum ist höchst konzentriert. Das Trio spielt einen extensiven ersten Teil. Nach der Pause spielt Barre Phillips ein Solo. Anschliessend fügt sich das Trio wieder zusammen, bis zum Schluss.
Zitat:
Die Spieler beobachten sich gegenseitig, nehmen Motive untereinander auf, ergänzen diese, zerspielen sie und horchen praktisch in die sich umschleichenden Töne hinein. Alles bleibt dabei aggressiv und rau, ganz frisch wie improvisierte Musik sein sollte. Trotzdem gibt es auch immer wieder Stille, ein Zurücktreten von Zweien gegenüber einem Einzelnen, wodurch hier die Balance zwischen den drei Individuen wunderbar hergestellt wird. Und dem Hörer Raum gelassen wird, zuzuhören. JAZZTHETIK
U.L.
Yamaha, P121n-Silent, E334739. La première image en pénétrant l'obscurité de la salle fut, à part la forme reconnaissable d'un piano droit, une paire de sabots, mi-bois, mi-cuir rigide, comme abandonnée face à l'instrument. Elle appartenait à l'accordeur, un homme aux cheveux longs, sympathique, chaleureux et édenté, qui semble aimer porter des chaussures de cuir souple dans ses sabots quand ceux-ci ne gisent pas de part et d'autre des pédales forte et una corda de l'instrument. "J'aime les résonances" me dit-il, " et les harmoniques", je comprends, moi aussi. Dans un geste contradictoire un peu tragique, il tenta de me convaincre que ce Yamaha vertical sonnait aussi bien qu'un piano à queue, mais qu'on ne pouvait de toutes façons pas demander l'impossible à un piano droit. J'ai tout de suite senti, au jeu, au partage des sons, que pour en avoir plus, il fallait en chercher moins. Il fallait élaguer le son du piano vers le silence et non lui ajouter une pression sonore qui allait très rapidement l'étouffer. (Je parle là de la version Yamaha P121n en mode acoustique et non en mode SILENT, où le pianiste porte un casque stéréophonique et où les marteaux ne frappent plus les cordes, mais où le mouvement des touches et d'autres paramètres performatifs sont captés par des senseurs optiques et convertis en données numériques. L'expérience d'écoute d'un concerto de Rachmaninov en mode SILENT, mais perçu depuis l'extérieur, c'est-à-dire en n'écoutant que la structure rythmique de la pièce rendue à travers la mécanique bruitiste des marteaux, est tout à fait enthousiasmante, rendant du coup parfaitement dérisoire l'espace sonore pianistique numérique proposé par la firme japonaise.)
Changer d'instrument chaque soir, comme sont amenés à le faire les pianistes, et quelque soit le type de piano envisagé, à queue, droit, toy, pose moins la question de l'instrument et de sa qualité intrinsèque, que celle du processus de perception et de la primauté qu'on lui accorde. Je dirais, avec David Dunn, que l'organisation de la perception est plus fondatrice que la manipulation des éléments matériels de base de la production du son. A chaque nouveau piano, une nouvelle stratégie d'écoute: primauté de l'esprit sur la matière ?
J.D.
Photo : Jacques Demierre.
LDP 2015 : Carnet de route #4
En Allemagne, désormais : Karlsruhe, pour être précis, d'où Urs Leimgruber, Jacques Demierre et Barre Phillips nous adressent la quatrième impression de leur carnet de route.
26 mars, Karlsruhe, Allemagne
Jazzclub Karlsruhe e.V. im Zentrum für Kunst und Medientechnologie, ZKM_Kubus
Black Bat flew into the space and swirled round and around. Cawing, brawling, in his silent way. No mind, you all.
Kubus - Over-write. A new layer of paint on top of the old. Like when you change the lino on an old kitchen floor.
Why we re-struct,
again the question to rephrase,
leaving the spaces between to define themselves,
their ears & bones to contemplate.
Does everything come next?
Kubus - In isolation a breath is yet a wind.
B.Ph.
Das ZKM | Zentrum für Kunst und Medientechnologie ist eine weltweit einzigartige Kulturinstitution, denn es ist ein Ort, der die originären Aufgaben des Museums erweitert. Es ist ein Haus aller Medien und Gattungen, ein Haus sowohl der raumbasierten Künste wie Malerei, Fotografie und Skulptur als auch der zeitbasierten Künste wie Film, Video, Medienkunst, Musik, Tanz, Theater und Performance. Als Museum wurde das ZKM 1989 gegründet mit der Mission, die klassischen Künste ins digitale Zeitalter fortzuschreiben. Deshalb wird es gelegentlich auch das »elektronische bzw. digitale Bauhaus« genannt – ein Ausdruck, der auf Heinrich Klotz zurückgeführt wird. Darüber hinaus beherbergt das ZKM aber auch Institute und Labors, in denen wissenschaftlich geforscht, entwickelt und produziert wird. Neben dem klassischen Leitgedanken des Museums, dafür zu sorgen, dass Kunstwerke nicht verschwinden, hat das ZKM auch die Aufgabe übernommen, die Bedingungen dafür zu schaffen, dass Kunstwerke entstehen – zum einen durch GastkünstlerInnen, zum anderen durch die MitarbeiterInnen des Hauses. Deswegen heißt es Zentrum und nicht Museum.
Heute Abend auf Einladung des Jazzclub Karlsruhe e.V. im Studio Saal des ZKM Konzert Leimgruber_Demierre_Phillips. Haarmonie 255/101/305/407. Quadratisch. Praktisch. Gut. Mitschnitt SWR2.
U.L.
Yamaha, S6, 5515776. S'agit-il une nouvelle fois du syndrome de la müde Saite (lire 21 Mars, Sion) ? Malgré l'excellence du niveau de qualité apporté à chaque composant et le savoir-faire des artisans de l'atelier de fabrication Yamaha - dixit l'entreprise japonaise fondée par Torakusu Yamaha à Hamamatsu - la corde de mi bémol grave du Yamaha S6 joué ce soir s'est rompue brusquement peu avant la fin de la première partie. Cet incident n'a pas échappé au technicien du ZKM_Kubus, qui a profité de la pause pour récupérer discrètement la corde endommagée. Ne jetez jamais une corde de piano cassée ! Particulièrement les cordes de basse filées, qui sont commandées sur mesure, les anciennes cordes servant de modèle au fileur de cordes. Confus de la rupture de ce fil métallique sous tension - même si mettre la facture instrumentale à l'épreuve du matériau sonore est une partie essentielle de mon activité de pianiste improvisateur -, je suis rassuré par les paroles de l'organisateur: « ce n'est pas la première fois… ce piano est souvent utilisé pour la musique contemporaine… », il ajoute à ce dernier mot un mouvement du menton qu'il juge suffisamment explicite pour ne pas le commenter davantage. Qu'aurait compris Pierre Boulez de ce geste mandibulaire, lui qui aujourd'hui 26 mars célèbre précisément ses nonante ans ? Qu'aurait compris ce même Pierre Boulez, un des plus grands compositeurs et chef d'orchestre du siècle passé, de cette rupture de corde, lui qui est passé largement à côté de la musique improvisée tout au long de sa carrière exceptionnelle ? Questions sans réponse et surtout histoire d'une non-rencontre entre une musique improvisée non idiomatique et un compositeur qui a pensé la musique comme peu l'ont fait, mais dont la pensée elle-même semble l'avoir tenu à l'écart de cette expérience sonore essentielle.
J.D.
Photos : Jacques Demierre
LDP 2015 : Carnet de route #3
Une centaine de kilomètres séparent Saint-Gall et Baden, où jouaient ce lundi soir Urs Leimgruber, Jacques Demierre et Barre Phillips et dont se souvient la suite de leur carnet de route...
23 Mars, Baden, Suisse
VereinJazz in Baden im Stadtbistro Isebähnli
Monday Jazz - I always felt that Monday was washing day, you know, the laundry. Interesting in Baden. Black Bat flew into the joint on its knees (yes, bats have knees), had a look aorund and said "Yeahsssss, this is a different story". I remember in the 70's doing this gig one early winter morning with Michel Portal and René Koering. It was a shortish video shoot for some off-the-wall France Télévision program. René was playing an electric keyboard. We were set-up on the platform of a suburban commuter subway train. It was rush hour, early in the morning. It was really cold, deep February. I played with thick leather gloves on. We improvised freely. And it was the strongest of those times, where you are performing for a mixture of people who are interested to check you out, curious others who are looking to see who the star is cuz there is a film crew and all the trimmings and those who are a bit aggressive because you're slowing down their movement, that I've ever had.
Monday Jazz was just a bit in that bag. I've become so spoiled. So used to performing for an audience that is on my side from the get go that when it's not like that it feels a bit strange, but a good strange. You have to dig down into those materials in you that are entirely genuine, with no artifice. It's more of a life and death situation than usual. And it's hard work. As B.B. wailed the vibrations overlaid the cold and the gloves came off and the spirits lined up in a row. Yeahssss, and the train station was just down the block.
B.Ph.
Baden (in einheimischer Mundart: [ba:de]) ist eine Einwohnergemeinde im Kanton Aargau.
Die Geschichte Badens reicht bis ins 1. Jahrhundert n.Chr. zurück, als die Römer im damaligen Aquae Helveticae die warmen Thermalquellen zu nutzen begannen. Im Jahr 1297 erfolgte die formelle Stadtgründung durch die Habsburger.
In Baden wird bis heute weiterhin gebadet. Die Stadt hat hat sich kulturell bemerkenswert entwickelt. Es gibt auch eine Jazzszene. Es gibt den Verein Jazz in Baden, der jeweils montags Konzerte im Restaurant „Isebähnli“ anbietet. Eine gute Möglichkeit an einem Ort wo gegessen und getrunken wird, musikalischen Lärm zu machen. Den einen gefällts, die andern verlassen fluchtartig den Ort. Das Konzert von „ldp“ besteht aus zwei Teilen.
Jeder spielt als Solist ein intensives Solo – Pause. Anschliessend spielt das Trio. Die Musik setzt sich mit einer gewissen Leichtigkeit wieder als Trio zusammen. Die Leute sind jetzt erst recht gefordert. Volle Ladung im Dreierpack. That’s is it, now we have to catch the train.
Ein aufmerksamer Zuhörer zum Konzert: "Einen musikalisch derart vielfältigen Abend habe ich, glaube ich, noch nie erlebt. Meine Frau übrigens war tief beeindruckt und im besten Sinn sprachlos, aber so geht es mir ja auch immer wieder…"
U.L.
K. Kawai, KG-2D, 1498720. Une fois par semaine, au Isebähnli, le public se voit proposer un repas suivi d'une écoute. A partir de la verticale du trio ldp, où depuis une quinzaine d'années se superposent trois voix solistes, se déplie ce soir-là une horizontale de trois solos juxtaposés qui articulent la première partie du concert en trois paroles instrumentalisées, celle du saxophone, de la contrebasse, et du piano. Jouer à la suite de Urs et Barre n'est pas chose anodine. Un sentiment de responsabilité, responsable de maintenir cette hallucinante qualité de l'instant que tous deux délivrent à tour de rôle dans le lieu, et, en même temps, un sentiment de plaisir intense de percevoir en soi leur jeu imprimer une urgence que sans eux vous n'auriez peut-être jamais su convoquer.
Malgré que Koichi Kawai, né à Hamamatsu en 1886 et entré dans l'industrie du piano à l'âge de dix ans, n'ait pas été chinois, mais japonais par naissance, c'est dans le mouvement même de m'asseoir au piano, que m'est revenu en mémoire le vieil adage cité par Jean-François Billeter dans son Essai sur l'art chinois de l'écriture et ses fondements que je lisais deux heures auparavant dans le train menant de Zürich à Baden : "pour partir à droite, commencer par aller à gauche ; pour descendre, commencer par monter". Mon solo avait commencé.
J.D.
Photos : Jacques Demierre
LDP 2015 : Carnet de route #2
Après Berne et St. Johann in Tirol, Listening amenait le trio ldp à Sion et Saint-Gall. Les impressions suivantes constituent la deuxième partie du carnet de route qu'Urs Leimgruber, Jacques Demierre et Barre Phillips tiendront jusqu'en décembre pour le son du grisli.
21 Mars, Sion, Suisse
Oeil&Oreille, Eglise des Jésuites
This marvelous old church with a whomping great Bosendorfer resounding in a very clear sounding nave. The Black Bat joined us but was content to sit on my shoulder and just marvel at the sounds that came from the three of us. Sion-ness - the country folk - the great food - let your hair down - no squawking - What a marvel it is to live in the light.
B.Ph.
Heute sind wir in Sittu (Walliserdeutsch), Hauptort des Kanton Wallis.
Da gibt es magische Momente. Die trockene Hallakustik der l’église de jésuites bietet uns fast unbegrenzte Möglichkeiten Klänge in den Raum zu setzen. Die altgedienten Priester sind ausgeflogen, seitdem finden in den Räumen der Kirche Konzerte, Konzertinstallationen und Ausstellungen statt. Kunstschaffende nehmen die Räume in Beschlag.
Ungehörtes und Ungesehenes, andere Rituale finden statt. VIVA LA MUSICA.
U.L.
Bösendorfer, Wien, 47708, 290-97. J’observe la réverbération du do grave, noir contre noir, frapper les parois de l’église des jésuites. Comme transpercé par une flèche du temps, à double pointe, qui me ramène à la couleur blanche de ce Rud. Ibach Sohn, 73684, joué il y a trois jours à Zürich. Les musiciens sont-ils vraiment les élus des dieux, comme l’affirme mon voisin de table quatari? Peut-être: alors que je culpabilisais après avoir cassé une corde aigue du Steinway & Sons, D, 398761, avant-hier à Freiburg i. Br., Mr Yamamoto, accordeur, m’a tranquillisé en m’assurant qu’il s’agissait d’une fatigue du métal, eine müde Saite a-t-il précisé.
J.D.
22 Mars, Saint-Gall, Suisse
KAF (KleinAberFein)
The birthdays, les anniversaires, die geburtztagen -
It's getting to be rather amazing – Running into people, from the audience, that you somehow but not really recognize – "You know I heard you play with the George Russel Sextet in Lausanne in 1964".
Already 50 years ago. Older people, who still look at the newspaper and see that so & so is playing. And, amazed, come to see an old hero. Another errant knight from the bygone days who allows us to say "just maybe our era in the 60's and early 70's was a unique time that we won't see again on the planet ever". So many keepers of the faith, spread along the byways, popping up, not just to reminisce, but to reconfirm spirit meetings that were so important at that time and seem even more pertinent today. And the birthdays call up these old pledges. It is very touching. Fly me to the moon!
Black Bat was there again and did squawk here and there. But he-she's cool.
B.Ph.
Der Kanton St. Gallen (schweizerdeutsch Sanggale, französisch Saint-Gall, italienisch San Gallo, rätoromanisch Son Gagl) ist ein deutschsprachiger Kanton im Nordosten der Schweiz. Hauptort ist die gleichnamige Stadt St. Gallen. Eine Stadt mit historischem Hintergrund. Weltbekannt sind die Stiftsbibliothek und die St. Galler Strickereien. Bekannt ist die Stadt seit den 70er Jahre auch für improvisierte Musik. Hier findet heute unser nächstes Konzert statt. Ein neuer Ort, ein anderer Raum, neue Gesichter, ein anderes Konzert.
U.L.
Schimmel, 1885, 305.197. Une carte de visite soigneusement posée sur la gauche du clavier confirme ce que les oreilles avaient déjà pressenti: Stimmung auf 442 Hz. Un peu haut l'accord. Un son brillant pour une salle blanche. Déjà en jeu, Barre, de quelques pas, rebat les cartes, déploie le piano au centre du trio. Nouvelle topographie, le paysage est sonore, toujours, mais autre. La localisation initiale une fois retrouvée, rien ne sera plus comme avant. Ralentir la cadence, ralentir la fréquence.
J.D.
Photos : Jacques Demierre
LDP 2015 : Carnet de route #1
Cette année, le trio ldp célèbre sa quinzième année d'existence et son doyen soufflera quatre-vingt bougies. Deux anniversaires qu'Urs Leimgruber, Jacques Demierre et Barre Phillips fêteront en différents endroits du monde où les auront menés Listening, tournée entamée le 7 mars dernier à Berne. Jusqu'en décembre prochain (promesse non contractuelle), les musiciens tiendront pour le son du grisli un carnet de route polyglotte que composeront photos, impressions et textes libres...
7 March, Berne, Suisse
Sonarraum U64
A year, about that – Now about this, the story – Re-entering an old building, familiar from youth, what was that address? Ah, yes. And it's still warm in here. The windows aren't even dusty. Welcome welcome!
B. Ph.
Heitere Fahne is das es frächs Konzert gsi.
U. L.
Yamaha. Pas le meilleur, mais pas le pire, me lance-t-on. Aucune envie de répondre, juste observer. S’asseoir, me dire son architecture, arpenter ses cordes, prendre sa mesure. Laisser venir, croiser ma position verticale avec l’harmonie horizontale de sa table. Les premiers sons traceront le territoire.
J.D.
8 Mars, St. Johann in Tirol, Autriche
Artacts 15
A mountain with some holes
Fill'em with music
Crowd a crowd in there too
Festi-value you
Love it
Keep on flowing
B. Ph.
Hans Oberlächner, festival artacts, 15 Jahre Jubiläumsausgabe: Etwa jene nie versiegende Quelle, des Trio Leimgruber_Demierre_Phillips, seit 15 Jahren faszinieren die drei Charmeure an ihren Instrumenten mit ungebrochener Spontanität – welch andere Konstellation wäre wohl besser geeignet, als diese Band zu den Paten des Festivals zu erklären.
U.L.
Boston. Lassé de payer chaque fois le transport et la location, le festival l’a finalement acheté. Mais les pianos n’appartiennent à personne. J’ai l’impression que s’ils sonnent, s’ils acceptent de sonner, c’est qu’on leur a laissé leur indépendance. Méfiez-vous des “i’ sonn’ pas c’piano”.
J.D.
Photos : Jacques Demierre
Conversation avec Jacques Demierre
Cette conversation a été publiée, en anglais, dans le septième numéro de la revue Arcana (Tzadik, octobre 2014). Elle salue, en français, le proche départ en tournée du trio LDP (tournée au son de laquelle Barre Phillips fêtera ses 80 ans) ainsi que les sorties récentes de références de la discographie de Jacques Demierre (The Thirty and One Pianos, Voicing Through Saussure, Breaking Stone).
... Dans les années 1980, j’étais allé à la rencontre de Luciano Berio à l’occasion d’un entretien pour le premier numéro de la revue Contrechamps qui lui était consacré. C’est à Radicondoli, non loin de Sienne, que Berio nous a reçus autour d’un plat de pâtes préparé par ses soins. La demeure était magnifique, au sommet d’une colline et entourée de vignes. A la question de savoir si l’atmosphère harmonieuse et paisible du lieu l’avait inspiré, il nous a répondu que presque toute sa musique avait été écrite dans des chambres d’hôtel. Je comprends mieux aujourd’hui pourquoi la musique et la pensée de Luciano Berio furent si importantes pour moi. Je voyais mis en œuvre dans le travail de ce compositeur une grande partie de mes préoccupations d’alors – ces préoccupations n’ont d’ailleurs pas cessé et elles résonnent aujourd’hui encore sous des formes diverses dans ma musique. Mis à part la question de l’improvisation et des musiques liées au jazz et à la pratique de l’expérimentation, on y retrouve beaucoup d’éléments fondateurs de mon travail : l’intérêt pour la voix, le rapport entre la langue et la musique, le lien avec l’expérience de la linguistique, particulièrement avec les recherches scientifiques de Ferdinand de Saussure et, par-dessus tout, le rapport au sonore que sous-tend l’universalité de l’expérience du langage, qui ouvre sur un champ de possibles, où créer du sens, mettre en forme, composer avec des matériaux appartenant à des mondes différents, allait faire partie de mon activité de musicien.
Ton intérêt pour la parole et le langage, m’as-tu dit un jour, t’a amené à envisager la voix comme une « matière » un peu à part, parce qu’elle est capable de son autant que de sens. Berio disait que le langage était « la maison de la vie (…) et une merveilleuse machine qui produit inlassablement du sens » en ajoutant que « la musique est une autre machine qui amplifie et transcrit le sens sur un niveau différent de l’intelligence et de la perception. » Ton rapport au piano, ton premier instrument, a-t-il été modifié par ton intérêt pour la linguistique et l’œuvre de Saussure notamment ? As-tu dès lors ressenti la nécessité de l’aborder d’une autre manière afin qu’il puisse « dire » à son tour – voire, « chante les paroles », pour citer encore Berio, lorsqu’il parlait de l’effet que lui faisaient les instruments chez Debussy ? Le piano était déjà là, en construction, influencé par le blues, le rock, le jazz et la musique contemporaine quand j’ai découvert la linguistique. Ce fut comme une révélation, je découvrais un domaine où sens et son agissaient dans un espace de complémentarité. Un vrai choc, car plongé dans la musicologie d’un côté tout en jouant du jazz et de la musique contemporaine de l’autre, j’ai vu là un lieu absolument idéal, où pensée théorique et pratique du son pouvaient coexister. La réalité était bien sûr plus complexe, mais la rencontre a été radicalement déterminante. En fait, c’est surtout la rencontre avec Luis Prieto, linguiste et sémiologue argentin, dont j’ai suivi l’enseignement à l’université de Genève, qui fut déterminante. Paradoxalement, à travers un amour du tango argentin que nous partagions, il m’a ouvert à cette discipline par le biais d’une pensée très rigoureuse et en même temps, il a réussi à me faire renoncer, au profit de la musique et du piano, à suivre la voie de la linguistique sur laquelle j’envisageais éventuellement de me lancer. Pianiste amoureux du tango – il avait longtemps hésité entre piano et linguistique dans sa jeunesse – il me répétait à chacune de nos rencontres combien je ferais mieux de continuer la musique, où je trouverais sans aucun doute un espace intérieur plus enrichissant et essentiel. Inconsciemment, j’ai suivi son conseil. J’ai continué moi aussi à jouer des tangos, tout en gardant langue et langage au plus profond de ma musique et de mon piano. Mais il a fallu du temps pour que le piano « dise à son tour », comme dans Breaking Stone par exemple. C’est d’abord par l’entremise de la pure écoute que j’ai abordé le piano différemment. J’entendais la voix et le piano de bluesmen pianistes / chanteurs, tels Champion Jack Dupree ou Memphis Slim, comme un seul et unique son. Je n’y entendais pas une mélodie vocale et un accompagnement pianistique. Je voyais autant la projection de la parole à travers le corps, la bouche du musicien, avec tous les accidents linguistiques que la parole peut entraîner avec elle, que l’action du mouvement du corps libérant à travers les doigts les sons du piano. Leurs pianos parlaient en moi, leurs paroles jouaient le blues.
Je me souviens aussi, adolescent, que seul à l’harmonica, je rejouais des chansons de Sonny Terry et Brownie McGhee, où le son de mon unique instrument, par mon seul souffle, était à la fois l’expression de la voix et de celle des instruments. Mon piano se mettait aussi à dire lorsque, jouant un standard de jazz, ce qui m’est arrivé finalement que très rarement sur scène, je ne pouvais imaginer l’improvisation sans tenir compte des paroles originales du standard en question : j’entendais dans chaque hauteur de la mélodie initiale son origine vocalique et consonantique. Non seulement je voulais jouer une extension du sens de chaque mot, mais aussi tracer un prolongement de l’aspect purement sonore du texte de la chanson. J’essayais de dire, au moyen des douze demi-tons que j’employais alors, la réalité bruitiste et indéterminée des consonnes et voyelles entremêlées. Plus tard, il y a eu des réalisations comme Fabrik-Songs, un projet en piano solo basé sur des chansons de Kurt Weill et Hanns Eisler. Chansons dont tous les textes ont sans exception été écrits par Bertolt Brecht. C’était une musique sans parole, où le piano, au sens propre du terme, prenait la parole. Mais il la prenait pour mieux la rendre ensuite, une fois passée au filtre pianistique sonore et gestuel. Plus tard encore, le projet Avec, pour piano préparé, sur des poèmes du poète français Guillevic donnait une nouvelle fois au seul piano le soin de dire la parole poétique. Cette fois-ci, c’était la tension entre chaque poème réparti spatialement sur la partition et le blanc de cette même page associé au graphisme de la typographie, qui était en jeu. Tracé de diagonales de sens entre points d’articulations buccales imaginaires, localisation des poèmes sur l’espace de la page et distribution au public en cours de jeu des partitions une fois interprétées.
Je suis ravi d’apprendre ton goût pour le tango (qui fut d’abord instrumental, et puis chanté, comme ta musique en quelque sorte…). L’écrivain Ramón Gómez de la Serna a écrit que le tango tenait « à la fois de la danse, du chant et d’une musique funèbre (que l’on joue discrètement autour du cercueil où se trouve le corps du défunt). » Cela te paraîtra peut-être étrange, mais je retrouve ces trois choses dans ta musique… Etrange, non, au contraire, je vois dans ce rapprochement une continuité entre des éléments toujours très pertinents dans mon travail. J’envisage en grande partie le mouvement du corps comme base de mon son instrumental, car les deux s’inscrivent dans un rapport au temps, à la durée. Le chant, lui, surtout dans le tango, n’est jamais loin de la parole, même en creux. Et de ce meuble noir au cercueil le pas est vite franchi. Le corps du son repose dans la vibration de cette fragile feuille d’épicéa qu’est la table d’harmonie. Longtemps j’ai commencé ma journée de pianiste en jouant des tangos, sans me rendre compte que j’étais là, encore et toujours, au centre de cette dynamique sonore et linguistique de sons et de sens. Je me souviens d’un concert de Roberto Goyeneche à Buenos Aires, il était déjà très vieux, malade, décharné mais élégant, et sa voix, entourée d’un bandonéon, d’une guitare et d’une contrebasse, n’était plus que la trace d’elle-même, mais racontait plus que jamais cette force de la parole. Il n’y avait plus d’un côté une mélodie et de l’autre un texte dit, même savamment réunis. J’étais comme les tout jeunes enfants qui, jusqu’à un certain âge, à l’écoute d’une chanson, ne distinguent pas encore le texte de son mouvement mélodique. Ils ne peuvent dire le texte sans sa mélodie, ni chanter la mélodie sans le support du texte. La parole portègne de Goyeneche me faisait cet effet, c’était un équilibre hallucinant de sons et de sens à l’intérieur d’un espace de parole poétique en performance. Evidemment, simultanément à cette admiration d’un équilibre inouï, existait également en moi la tentation de l’utopie d’une « musique du sens » comme l’écrit Roland Barthes, d’une langue qui « serait élargie, (…) même dénaturée, jusqu’à former un immense tissus sonore dans lequel l’appareil sémantique se trouverait irréalisé : le signifiant phonique, métrique, vocal, se déploierait dans toute sa somptuosité, sans que jamais un signe s’en détache (…) » Mais je pense aussi, à la suite du théoricien français, qu’ « il reste toujours trop de sens pour que le langage accomplisse une jouissance qui serait propre à sa matière ». Si l’on veut se confronter à un matériau tel que celui de la langue et du langage, la voie du travail d’écriture sonore et d’improvisation sur la qualité des rapports entre sons et sens, davantage même que celui sur la quantité, me semble plus intéressante que l’autonomie absolue de l’un par rapport à l’autre.
Nous pourrions grossièrement résumer cette dernière citation de Barthes : « lourd de sens », le langage ne saurait être trop « sensuel ». Malgré tout, tu continues de t’en inquiéter, de travailler à la « qualité des rapports entre sons et sens », comme tu dis, et le fait, à mon avis, – tu voudras bien excuser ce périlleux rétablissement – « autour du cercueil où se trouve le corps du défunt ». N’est-ce pas en faisant le deuil de cette « musique du sens » que tu parviens à composer en prenant en considération et la musique du sens et le sens de la musique ? Tes expériences dans le domaine pourraient-elles d’ailleurs être assimilées à la construction d’un nouveau langage ? Il y a eu à un moment donné la tentation, un peu naïve, de penser que la musique pouvait être envisagée comme une langue. Les travaux de sémiologie musicale, influencés par les avancées de la linguistique d’alors, traçaient des pistes dans cette direction. L’ethnolinguistique et l’ethnomusicologie me semblaient proposer des voies intéressantes, puisque confrontées à des systèmes linguistiques ou musicaux inconnus, elles étaient amenées à en proposer des descriptions qui pour moi sonnaient souvent comme des structures compositionnelles. Mais assez vite cela m’a semblé être une impasse. L’écoute de la musique de John Cage et la lecture de ses textes m’ont plutôt conduit à penser et à accepter une autonomie des éléments en jeu, où l’écoute permet un travail d’équilibre et de complémentarité au sein d’un espace de continuelles transformations. Prendre en considération et la musique du sens et le sens de la musique, plutôt que de me guider vers l’utopie d’un nouveau langage, m’a davantage poussé à travailler sur un équilibre entre des éléments opposés. Des éléments que je ne cherche pas à assimiler à la construction d’une nouvelle réalité sonore, mais dont je travaille le positionnement et les interactions à l’intérieur d’un ensemble d’objets complémentaires et en mouvement. Cette notion d’équilibre et de complémentarité en mouvement s’est progressivement installée dans mon travail. Et cela continue. Des rencontres improbables m’ont aussi influencé dans ce sens : je travaillais en Bolivie sur un projet musical lorsque j’ai rencontré un vieil homme, assis sur un banc, dans un parc de Sucre. La conversation s’étant engagée, je lui ai parlé en détail de mes activités autour du son. Il a écouté, n’a d’abord rien répondu à mes mots, puis a commencé à raconter d’une voix qui me semblait venir de très loin. Philosophe, ancien militaire, chamane, il me disait – en maniant habilement autant la réflexion philosophique, où pensée européenne et mythologie des hauts plateaux andins cohabitaient, que le récit de multiples remontées de fleuves amazoniens en pirogues, ponctuées par des attaques de piranhas et la découverte d’anciens nazis cachés dans des clairières inaccessibles – comment « la loi de l’équilibre » s’était petit à petit imposée à lui, et combien sa propre vie autant que celle du monde actuel devaient à cette loi fondamentale. Au milieu d’un silence, il s’est levé, a fait trois pas et s’est retourné vers moi en me disant : « no te olvides : la ley del equilibrio… ». Je n’ai pas oublié.
Tu concédais tout à l’heure qu’en Breaking Stone, le piano « disait » en effet. Cette pièce est-elle, selon toi, un exemple « parlant » de cette quête d’équilibre ? La différencies-tu de ces « chansons sans paroles », si je puis dire, que tu as signées en adaptant Weill et Eisler sur Fabrik-Songs, en transformant les textes de Guillevic en partitions sur Avec ou encore en évoquant les Alpes de ton enfance sur Sumpatheia ? Dans Breaking Stone, la situation est celle d’une recherche d’équilibre entre le corps, le texte dit et le piano. Il ne s’agit pas d’un équilibre totalement « équilibré », où la tension globale serait égalitairement et constamment répartie entre ces trois entités. Un système homogène qui ne subirait aucune transformation au cours du temps ne me paraît pas particulièrement convaincant. Il existe pour moi une zone d’équilibrisme, dans laquelle je pratique précisément un travail d’équilibre. Une zone qui va de l’équilibre absolu, jamais réalisé, jusqu’au déséquilibre avéré, que j’essaye d’éviter, à l’intérieur de laquelle le corps, le texte dit et le piano sont en constantes réévaluations de leurs interactions mutuelles. Ces interactions sont multiples : le son de la voix amplifiée est projeté contre la table d’harmonie de l’instrument, la mettant en résonance et me permettant ainsi de jouer de la voix avec les moyens techniques du piano ; je joue de la voix et le piano devient bouche à son tour, le spectre vocal colorant mes propositions pianistiques. Ce n’est pas spectaculaire, mais intimement organique. Le texte dit et le piano se retrouvent unis par l’entremise du corps. La voix articule le texte, le corps articule la voix en agissant sur l’espace du piano comme autant de points d’articulation. Breaking Stone prend la mesure de ces trois territoires. Ces « chansons sans paroles » que tu évoques aussi, Fabrik-Songs et Avec, pour piano solo, se différencient de Breaking Stone par leur accent mis sur le texte comme générateur de musique et de sons. La relation d’équilibre est davantage au niveau de la construction. Dans Fabrik-Songs, je joue et improvise des musiques, des Songs, que Weill et Eisler ont écrites sur des textes de Bertolt Brecht. L’idée était d’étendre, à travers l’improvisation, la portée poétique des textes en prenant appui sur cette notion de prédétermination rythmique de la musique par rapport au texte dont parle Kurt Weill, lorsqu’il écrit sur le caractère gestuel de la musique (« La musique a la possibilité d’écrire les accents de la langue, la répartition des syllabes brèves et longues, et surtout les pauses […] Il est d’ailleurs possible d’interpréter rythmiquement une phrase de toutes sortes de manières […] Cette fixation rythmique que l’on obtient à partir du texte ne forme cependant que la base d’une musique gestuelle. Le travail spécifique du musicien ne commence réellement que lorsqu’il réalise le contact entre le mot et ce qu’il veut exprimer par les autres moyens d’expression de la musique »). Ainsi, la dimension orale et performative, qui reste enfouie dans ce projet dans les structures mélodico-rythmiques du piano, nourrit les Songs de son empreinte en creux. Dans Avec, les poèmes de Guillevic se retrouvent agencés tels une partition graphique, où espace sur la page et signification poétique deviennent texte musical. Les poèmes sont d’abord lus et simultanément interprétés au piano, puis, les pages de la partition sont au fur et à mesure de l’avancée de la pièce distribuées au public et lues silencieusement par chaque spectateur. L’espace d’écoute se remplissant progressivement de lectures poétiques silencieuses et de sons de piano sans paroles. Hommage au poète Guillevic, l’inscription du texte demeure sur la page-partition et ne rejoint pas la pleine oralité, laissant la scène au duo corps et piano. En ce sens, Breaking Stone est la première rencontre live entre ces trois territoires que sont la parole, le corps et le piano. L’aspect performatif est crucial, c’est là que se joue le véritable texte, poétique et musical, de cette pièce et non dans les mots sur la page ou les indications sur la partition. Le texte poético-musical n’existe et ne prend corps que dans cette rencontre, au moment même de la performance, entre la parole, le corps et le piano. C’est une écriture en tant que telle, qui s’inscrit dans l’instant à travers ces trois territoires.
De quelle manière la « chose écrite » influe-t-elle en général sur ton travail de compositeur – que celle-ci perde ensuite toute signification établie, ou même disparaisse, comme diluée en musique ? Tes lectures tiendraient-elles du souvenir qui infuse dans beaucoup de tes compositions ? Les rapports entre la « chose écrite » et mon travail de compositeur ont d’abord été de l’ordre de la mise en musique. Une approche somme toute assez traditionnelle, mais qui prenait en compte les acquis des expérimentations contemporaines et des musiques concrètes et électro-acoustiques dans leur utilisation de la voix parlée et chantée (des pièces comme Thema (Omaggio a Joyce) par exemple furent déterminantes). L’écriture de certains poètes, e.e. cummings, James Joyce, m’a aussi beaucoup marqué, en m’ouvrant à des espaces textuels autres. Simultanément à ce travail compositionnel de mise en musique de textes, s’est opéré en moi un déplacement du lieu du texte. Il y a eu des révélations, comme celle du poète allemand Gerhard Rühm, performant ses textes ou les jouant au piano, dans une traduction purement sonore...
... Ou encore cette rencontre téléphonique avec le poète Ghérasim Luca, dont j’admirais beaucoup l’écriture. Ne le connaissant pas, je l’ai appelé afin de lui demander son accord pour une « mise en musique » d’un de ses poèmes. Il a bien sûr refusé, mais il a surtout pris le temps de la réponse. Nous avons parlé très longuement de cette problématique du son et du texte. Il m’a expliqué son intention en détail, combien il prenait soin d’introduire une dimension explicitement sonore au sein de son matériau poétique, qui se retrouverait ainsi, en fin de compte, sans besoin de mise en musique : une mise en son ayant déjà été réalisée, la face sonore se révélerait pleinement au moment de la performance parlée.
Dans mon travail de compositeur, de « mise en musique », le texte s’est donc, petit à petit, trouvé un autre lieu : de la page, de la partition, il est passé à la bouche. Mais il a fallu aussi me mettre moi-même ce texte dans le corps, il a fallu me le mettre dans la bouche, le faire sonner, arriver à l’écouter se déployer à l’intérieur. Ce n’est que progressivement que la poésie sonore a creusé son espace en moi, s’est installée dans mon corps, dans mon territoire buccal, s’étendant bientôt à la totalité de l’appareil respiratoire. Le mouvement s’est surtout accéléré avec la collaboration en duo avec Vincent Barras, performeur, poète et historien de la médecine. Nous avons travaillé, et travaillons toujours, sur la matérialité de la langue, de la parole, dans une écriture/composition à quatre mains. Après avoir écrit des poèmes anatomiques, nous avons poursuivi sur plusieurs années un projet autour de Ferdinand de Saussure, fondateur de la linguistique contemporaine. Le texte de Breaking Stone trouve d’ailleurs son origine dans voicing through saussure, où les fragments de langues analysés par le linguiste genevois sont réélaborés et recomposés, puis performés dans leur réalité concrète et corporelle en une parole libérant un flot langagier de petites particules de matières verbales. Dans Breaking Stone, ce flot de parole est en quelque sorte traité, comme quand on parle de traitement de signal, en direct, par le jeu pianistique et les mouvements qui lui sont nécessaires. Notre prochain projet en duo fait suite à ce travail au long cours de poésie sonore sur l'origine des langues indo-européennes. Il s'agit de partir de ces moments de conversation, qui contiennent, en même temps que le discours clair portant le « contenu » ou le sens, toute la masse des événements sonores « parasites » (accents, bégaiements, soupirs, hésitations, ratés, bruits…). La pièce, qui se fonde sur la conversation comme genre et comme matériau, racontera la poétique du duo. Le travail de poésie sonore avec Vincent Barras joue un rôle de miroir, essentiel à mon travail musical au piano et à la voix. Grâce à cette proximité, à cette généalogie poétique et sonore, j’envisage avec davantage de clarté et de distance l’aspect éminemment musical de Breaking Stone. Les respirations, par exemple, font d’un côté partie du système d’organisation et de construction de Breaking Stone, et de l’autre, elles organisent le système poétique du duo Vincent Barras & Jacques Demierre. Un même acte physique, appartenant, dans un cas ou dans l’autre, à des systèmes compositionnels radicalement séparés.
Si elle peut faire écho aux préoccupations de quelques compositeurs contemporains (Cage ou Globokar, pour n’en citer que deux), cette bienveillance envers « les événements sonores parasites », nous la retrouvons dans un autre de tes champs d’action : l’improvisation. Saussure, qui a inspiré ton travail de compositeur, fut aussi le père de la sémiologie moderne. T’es-tu intéressé à ce domaine du savoir en tant qu’improvisateur ? Et, lorsque tu improvises, comment gères-tu ce rapport complexe entre ce qui s’entend et ce qui signifie ? Je crois que mon travail de poésie sonore sur la parole, c’est-à-dire, selon la distinction saussurienne, sur la face privée, personnelle, non-codifiée, non-nettoyée, de l’expression langagière, qui s’opposerait à la langue, à la face sociale, collective, nettoyée et codifiée de cette même expression, a eu une forte influence sur ma manière d’envisager l’improvisation musicale. La parole poétique performée permet d’englober « démocratiquement » tous les événements de la production sonore, non seulement ceux qui renvoient directement au sens, à la langue, mais aussi tous ceux qui donnent à entendre la dimension fondamentalement concrète et matérielle du parler, résidus sonores, chuintements, respirations, bruits collatéraux au discours, « autrement dit, selon l’heureuse expression de Michel de Certau, les « herbes entre les pavés », qui ponctuent le langage ordinaire et la conversation. » Dans mon travail d’improvisation, je me suis progressivement approprié les « herbes entre les pavés » de mon jeu pianistique. Le mouvement ne s’est pas opéré en un seul jour, car pour que ces bruits « absurdes » fassent sens, il m’a fallu les faire mien à chaque concert, à chaque performance. Je ne pouvais les travailler hors scène, impossible de vouloir, en temps différé, trouver une pertinence à leur dimension accidentelle, leur sens m’échappait, seul le contact avec le live m’ouvrait, et m’ouvre toujours, à l’inscription de leur sens en moi. Toutefois, le couple linguistique langue-parole n’est pas complètement opérationnel en musique, il ne peut être transposé tel quel. Si le travail poétique sur la parole permet d’ajouter à ce qui renvoie à la langue tout ce qui fait bruit, le travail improvisateur en général, et en particulier pour moi au piano, ne renvoie à aucune « langue » musicale codifiée et partagée socialement. Les frontières sont ici plus instables entre ce qui fait sens et ce qui relèverait de l’absurde. L’action de dégager des pertinences purement sonores relève d’un autre type de relation entre l’organisation sémantique et la matière sonore. Et comme la sémiologie m’avait convaincu, parfois a contrario, que la musique n’était pas une langue, la comparaison s’est arrêtée là, un peu brusquement. Comment comprendre alors le geste improvisateur et sa tentative de signifier un monde sonore en constant changement ? J’ai écrit dans un précédent article que « l’improvisation sonore est le résultat d’une rencontre : celle d’un corps et d’un son. Tous deux partagent le même espace ». De cette affirmation découle une idée de mouvement, un mouvement que nous percevons par l’écoute : le mouvement du son d’abord, qui se propage sans cesse, mais aussi, à travers lui, le mouvement de la vie elle-même, qui est en perpétuelle transformation. C’est grâce à l’écoute que nous entrons en contact avec le mouvement vital continu qui nous enveloppe sans cesse. On ne peut ni échapper à ce mouvement primordial, ni échapper à son écoute. Sauf à se crever les tympans, sorte de suicide sonore, on ne peut pas ne pas écouter. C’est au corps improvisant que l’écoute transmet cette propension au mouvement que la vie manifeste, et c’est ce même corps improvisant qui entre directement en résonance avec le flux vital. L’improvisation, à chaque concert, remet en jeu la relation première au mouvement de vie. Le corps rejoue à chaque fois sa présence au monde en intégrant cette activité essentielle au sein de son activité motrice personnelle. Le corps improvisant réélabore autant ce geste rythmique initial, situé en amont de tout concept, que ses infinies transformations. L’improvisateur est un corps en mouvement traversé par des poussées, des secousses, des tremblements, des libérations brusques d’énergie, il est un lieu de transmutation, au sens alchimique du terme. Mais aucune solitude dans ce déferlement sismique. La vibration, le phénomène ondulatoire propre à l’écoute, relie le corps improvisant aux autres corps qui partagent le même champ de perturbation sonore. Nous sommes tous soumis au mouvement de l’énergie vitale et à celui du son se propageant : le corps sonore de l’improvisateur engage un geste vibratoire avec l’espace acoustique l’enveloppant et les tympans de l’auditeur partagent les fluctuations sonores qui affectent au même instant les tympans du musicien improvisateur. Processus quasi mimétique, non seulement les corps, mais les objets eux aussi, membranes de haut-parleurs, micros, matériaux de notre environnement construit, tous participent de ce mouvement global constamment alimenté et transformé par les particularités de chaque corps, animé ou inanimé. Ce qui s’entend et ce qui signifie, au moment de l’improvisation sonore, est essentiellement construit et pensé par le corps écoutant en mouvement. Le sens musical surgit de la pratique, et s’exprime à chacune de ses occurrences dans ce qui est une expérience à la fois farouchement individuelle et profondément collective.
De l’improvisation, Berio disait qu’elle « présente des problèmes, avant tout parce qu’il n’y a pas, entre les participants, une véritable unanimité de discours, mais plutôt, quelquefois, une unanimité de comportements. » Qu’en est-il lorsque tu improvises avec d’autres musiciens ? Prenons par exemple ton association (remarquable, disons-le) avec Urs Leimgruber et Barre Phillips : s’agit-il alors pour vous trois de « faire corps », ce corps unique qui rencontrera le son, pour reprendre ta définition ? Préconcevez-vous de la même manière cette expérience et en espérez-vous la même chose ? Pour les musiciens du trio LDP, il ne s’agit pas du tout de « faire corps », au contraire, mais d’accueillir dans leur jeu l’expérience d’un « corps sonore» qui est le résultat de la situation improvisatrice elle-même, et dont la somme des composants caractérise l’instant improvisé en terme d’espace instrumental, architectural et aural. Ce qui n’est peut-être après tout rien d’autre que ce qu’on appelle le son du trio, ou de tout groupe qui aurait développé un son propre. Au moment du concert, à chaque geste musical, correspond instantanément un changement dans la relation entre les conditions particulières de production instrumentale, la propagation sonore dans l’espace acoustique, et la réception du signal sonore joué par les musiciens. Dès qu’il y a improvisation, tout s’entend, tout s’éprouve, tout s’écoute, autant les circonstances du jeu instrumental de chaque musicien, que les caractéristiques de l’environnement physique, architectural ou naturel, que la construction sonore personnelle, à la fois subjective et objective propre à chaque individu percevant au même instant cette musique et ces sons. Au moment crucial du jeu, tous les éléments de production, de propagation et de réception sonores, qui constituent le flux continu improvisateur et qui sont simultanément pris dans son mouvement, tous ces éléments sont intimement et organiquement conditionnés les uns par rapport aux autres, mais ne sont pas pour autant totalement dépendants les uns des autres. On pourrait même parler de « coproduction conditionnée des phénomènes » en empruntant à la terminologie bouddhique, en ce sens qu’il n’existe aucun phénomène sonore qui ne soit composé de multiples conditions et qui ne devienne à son tour condition d’un nouveau phénomène. L’improvisation est un devenir en perpétuelle transformation, une suite d’actes de connaissance qui ne cessent de se succéder et de se conditionner mutuellement. Il en va également ainsi des musiciens du trio plongés au cœur de ce concours de circonstances transitoires et sonores. Chaque musicien est conditionné par les deux autres, sans pour autant en être dépendant. Le trio avec Barre et Urs a été – et est toujours – un lieu incroyable de confiance et d’expérimentation. Une confiance qui m’a aidé à accepter un certain état de confusion mentale et de vide au moment d’improviser, afin d’aller vers une plus grande réceptivité à ce qui se passe. Et une expérimentation qui a mis l’accent dès le début sur la notion de responsabilité plutôt que sur celle de liberté. Aucun improvisateur n’est totalement libre de son improvisation, mais par contre chacun peut être complètement responsable de la façon dont il assume les effets sonores continuels qui affectent le « corps sonore » issu de la présence réunie des musiciens, de leur jeu et du lieu. Le jeu improvisé, ou composé dans l’instant, c’est comme on veut, car on écrit aussi en agissant, oscille entre dépendance et indépendance, entre cause et effet. Un instant improvisé est le résultat d’autres instants improvisés et concourt à produire de futurs instants improvisés. Le travail avec le trio m’a aussi fait ressentir une sorte d’intelligence perceptive qui serait en jeu dans l’improvisation, et qui, en nous incitant à ne pas être dans l’appropriation, nous faciliterait le lâcher de la pensée pour être davantage présent à l’expérience. Quant à l’écoute, elle est absolument centrale au jeu entre Barre, Urs et moi. Une écoute qui permet de nous approprier le présent, une écoute qui est construction, qui met en forme le réel sonore et qui matérialise le flux sonore temporel. Car la musique est avant tout durée, et l’improvisation est étendue et altération. Le trio travaille beaucoup avec l’accidentel, avec le fortuit et l’inopiné. L’imprévu dit l’écoulement du temps en agissant tel un outil à produire et à transformer le flux jamais silencieux de notre monde sonore. Chaque musicien traque l’imprévu, mais sans en être à la recherche. Chacun demeure disponible à sa propre surprise. Toutefois, cette disponibilité à ce qui se passe au moment du jeu ne signifie pas non plus que les musiciens « fassent corps ». Aucun ne maîtrise l’activité des deux autres, et ces deux autres sources sonores vont agir sur sa propre activité, sur sa propre source sonore. Le son de chaque musicien est réfléchi, dans tous les sens du terme, par l’activité des autres. C’est une approche de la musique et de l’improvisation qui suppose un rapport particulier à nos facultés individuelles, non seulement à la conscience, mais aussi à toutes les ressources de notre corps. L’attitude du musicien au sein de ces réflexions sonores collectives n’est pas sans rappeler les écrits de Tchouang-tseu, figure tutélaire de la pensée taoïste, traduits et commentés par le sinologue Jean-François Billetter : « L'homme accompli se sert de son esprit comme d'un miroir – qui ne raccompagne pas ce qui s'en va, qui ne se porte pas au-devant de ce qui vient, qui accueille tout et ne conserve rien, et qui de ce fait embrasse les êtres sans jamais subir de dommage » . Le musicien improvisateur joue de ce miroir, il reçoit ce qui s’offre à lui sans pour autant perdre le contact avec ses facultés les plus spontanées et les plus complètes. Comme il ne retient rien, « il réagit chaque fois de façon nouvelle ». La maîtrise instrumentale et improvisatrice provoque une sorte d’oubli, un retour à la confusion et au vide. L’improvisateur doit faire confiance à son corps, sa conscience doit faire confiance au corps, pour qu’il puisse « intégrer les forces de la nature qui agissent en lui. » La conscience de l’improvisateur est comme le témoin surpris et réjoui de ce qui se passe. Ce que Billeter nomme, pour mieux appréhender la pensée de Tchouang-tseu, les différents régimes d’activité, résonne profondément dans ma pratique d’improvisateur et de compositeur, car il propose une conception du corps « comme l'ensemble de nos facultés, de nos ressources, de nos forces, connues et inconnues de nous, donc comme un monde sans limites discernables où la conscience tantôt disparaît, tantôt se détache à des degrés variables selon les régimes de notre activité. »
Dans un entretien au son du grisli, toujours à propos de LDP, tu disais jouer « aussi avec la mémoire, car paradoxalement sans mémoire il n'y a pas d'improvisation. Chaque nouveau concert se construit aussi à partir du souvenir du dernier concert joué. Et j'aime l'idée que ce trio soit un vrai groupe, avec un son de groupe, et qu'entre les tournées la musique du groupe continue (…) » Si nous convenons, toi et moi, de l’influence d’une musique passée sur la musique en train de se faire, nous voici revenus à la notion de souvenir… Depuis tes premiers pas à l’instrument, ton piano en serait comblé – de compositions qui se nourrissent de souvenirs en improvisations qui en créent de nouveaux. Que garde-t-il de toi dont tu puisses avoir conscience ? Ce n’est pas tant le souvenir qui m’intéresse que le mécanisme de la mémoire. Travailler avec le souvenir n’a pour moi rien de nostalgique, mais a au contraire à voir avec l’instant actuel : c’est précisément là que se trouve mise en évidence l’articulation de mon présent par le mécanisme mémoriel. Que ce soit avec le trio Leimgruber-Demierre-Phillips, en solo ou simplement dans ma vie de tous les jours, l’identité de ce que je produis acoustiquement relève autant de ce dont je me souviens que de ce que j’ai oublié. C’est le mécanisme de la mémoire qui me permet de dire que le trio LDP joue un unique concert qui continue depuis bientôt quinze ans. Le silence entre chaque performance est simplement d’une durée un peu plus longue que celle des silences joués sur scène. Car l’écoute que nous avons du trio ne cesse pas le concert une fois terminé, elle se prolonge, elle tisse sans cesse un lien dynamique avec la mémoire, jusqu’à la prochaine rencontre live des trois musiciens. D’un côté, l’écoute se renouvelle continuellement et déplace infiniment une fenêtre ouverte sur le présent, instant après instant. D’un autre, la mémoire agglutine des fragments de ce parcours irréversible en poursuivant le travail d’intégration déjà commencé par l’écoute, laquelle modifie la réalité temporelle de chaque instant sonore. La pratique de l'écoute est fondamentalement intégratrice. Elle étend l'instant présent, elle laisse résonner en lui ce qui a pu survenir au cours de l'instant précédent et elle dévoile déjà ce dont sera fait l'instant à venir. Elle produit une matière de l’instant perçu bonne à être mémorisée. Lorsque par exemple j’ai réalisé le projet Fabrik-Songs, j’avais décidé de laisser la mémoire jouer sur le matériau initial, c’est-à-dire les Songs de Weill et Eisler. Concert après concert, ma mémoire agissait comme un filtre, comme un plug-in traitant en temps réel la musique originale. Je jouais avec ce qui me revenait en mémoire au moment du concert, donc aussi, en creux, avec ce que le mécanisme de la mémoire avait choisi de ne pas conserver. Tout ce qui était audible portait à la fois la trace du souvenir et celle de l’oubli. Mais l’objet-souvenir ou l’objet-oubli en tant que tel est beaucoup moins fascinant que la manière de s’en souvenir ou celle de l’oublier. Si je pense au piano aujourd’hui, à l’instrument piano, je ne l’envisage ni comme un lieu de souvenir, ni comme un lieu d’oubli, mais comme un lieu vide, un vide qui serait susceptible de tout accueillir. Au début, le piano a été une sorte d’interface entre mon monde intérieur et le monde extérieur, il jouait parfois le rôle de sas de décompression entre l’un et l’autre. Longtemps le son du piano a porté une forte charge émotionnelle, il m’était difficile que l’on entende mes sons de travail, trop intimes, trop ouverts, trop risqués. Mais paradoxalement à ce rapport d’intimité, j’ai toujours aimé jouer en solo. Malgré l’exposition extrême que représentait le fait d’être seul en scène, je savais aussi que je me trouvais dans un espace quasi sacré que personne n’allait profaner. Le piano solo devint ainsi un lieu d’une grande tranquillité, de solitude choisie et d’échange avec le public. Un lien de présence à présence s’est imposé petit à petit avant que le rapport physique à l’instrument ne se révèle pleinement comme matériau de jeu. L’écriture et l’interprétation de pièces de « théâtre musical » ont peut-être encore accéléré ce mouvement en mettant l’accent sur l’extension du territoire sonore du piano et du pianiste. L’élargissement du domaine du jeu s’est accompagné d’un repositionnement en regard de l’instrument : je ne jouais plus du piano, mais je jouais avec le piano. L’instrument mis en quelque sorte à distance, j’ai pu l’observer, le voir dans sa totalité, ne plus l’envisager exclusivement à travers son clavier, mais le considérer comme un champ de possibles, où deux corps se trouvent réunis et confrontés, celui de l’instrumentiste et celui de l’instrument. Ce corps à corps a eu pour conséquence positive de me pousser à aimer tous les pianos que je serais amené à rencontrer. Chaque piano est unique, il n’y a pas de bons ou de mauvais pianos. C’est une question de point d’écoute, car il est toujours possible d’engager un rapport sonore et musical avec n’importe quel instrument. En outre, tout piano porte en lui toutes les musiques, tous les sons déjà joués dans l’histoire du piano. Jouant un do, d’une certaine manière, je me glisse dans les traces de tous les do joués par tous les pianos ayant jamais existés. Pratiquer le piano c’est aussi jouer avec ces strates de sens multiples, agencées en couches profondes et superficielles, qui sont autant de matériau d’accroche pour un travail sonore. La métaphore géologique trouve son prolongement aujourd’hui dans un projet en cours intitulé The Well-Measured Piano, où la musique produite résulte d’un travail de mesurage, celui de la géométrie de l’instrument à partir de laquelle le pianiste construit son discours. Lignes, surfaces, volumes, tous se donne à entendre progressivement dans un corps à corps sonore et architectural, où le pianiste arpenteur extrait les rythmes, les matières et les formes musicales du territoire piano.
Certains se sont fait une spécialité de jouer sur des pianos « en ruine ». Cette pratique pourrait-elle t’intéresser ? Enfin, sans piano, pratiquerais-tu encore la musique en pianiste ? Je ne suis pas particulièrement fétichiste ni de l’épave ni du piano flambant neuf. Tout peut être objet d’adoration, mais je préfère me concentrer sur ce que je fais et pas sur quel type de piano j’utilise. Certaines idées préconçues, comme préférer un instrument sortant de l’usine à un piano en ruine, ou l’inverse, pourraient interférer négativement dans mon activité pianistique. J’aurais l’impression, en catégorisant ainsi, d’être limité par mes propres restrictions, de réduire les possibilités qu’offre une activité de jeu qui repose sur un espace vide, ouvert à tout. Il y a l’envie de comprendre l’expérience du piano en tant qu’expérience directe, envie d’entrer directement dans le phénomène. Lorsque je joue avec un piano, je l’observe et je m’efforce d’abandonner toute idée préconçue. J’essaye juste de l’écouter, j’observe juste sa manière d’être. Une attitude que l’on peut d’ailleurs pratiquer dans n’importe quelle situation, avec ou sans piano…
Jacques Demierre, propos recueillis début 2014.
Photo : Peter Gannushkin / DownTownMusic.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Urs Leimgruber, Jacques Demierre, Barre Phillips : Montreuil (Jazzwerkstatt, 2012) / 6ix : Almost Even Further (Leo, 2012)
Ensemble, Urs Leimgruber, Jacques Demierre et Barre Phillips, ont enregistré quelques références incontournables de leurs discographies respectives. Enregistré le 15 décembre 2010 aux Instants Chavirés, Montreuil est de celles-là. Remarquable, d’autant qu’il s’agissait de succéder à un imposant Albeit – paru en 2009 sur le même label.
Quatre temps. Et la mesure, d’abord. Suite d’accrochages d’éléments épars qui finissent par former une composition de fraction et d’ordre inversé. Au point que voici le piano tirant sur le clavecin et le soprano fait machine à bourdons. Une esthétique du démembrement dont les fuites et brisures sont rattrapées au vol par l’archet de Phillips. Sur le filet de voix de celui-ci, Northrope peint un ciel lourd aux éclaircies retentissantes sous lequel va le délire d’un piano-harpe : derrière lui, ce sont des frappes multipliées et des bruissements amassés jusqu’à ce qu’ils forment un épais rideau derrière lequel tout disparaîtra.
Après quoi, Leimgruber, Demierre et Phillips, entament une marche et puis une danse : le soprano cherchant l’équilibre avant de se plaire à cabrioler ; le piano et la contrebasse allant de frappes toujours décisives en incartades aptes à déstabiliser l’improvisation, « simplement » par jeu. Au ténor, Leimgruber passe enfin : le trio déboîte une nouvelle fois, du chant qu’il entame s’échappent les derniers éclats sonores, fantastiques excédents d’une imagination en partage.
Urs Leimgruber, Jacques Demierre, Barre Phillips : Montreuil (Jazzwerkstatt / Amazon)
Enregistrement : 15 décembre 2010. Edition : 2012.
01/ Further Nearness 02/ Northrope 03/ Welchfingar 04/ Mantrappe
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Faire résonance de tout. Sans violence, libérer les sons enfouis. Animer le si fin qu’il en devient insupportable de beauté. Laisser scintiller tout son. Ne jamais stopper sa course. Maintenir la tension. Faire du silence un complice. Racler, encore plus profonde, la résonance. Maîtriser le geste et son rebond. Faire de l’improvisation un éveil. Laisser la crispation au vestiaire. Se délester, entièrement et totalement. Soigner la blessure. Faire oubli des dogmes. Imprimer l’oasis dans le songe. Toujours, solliciter l’inouï. Toutes choses, inestimables et inépuisables, glanées et saisies par les six (Jacques Demierre, Okkyung Lee, Thomas Lehn, Urs Leimgruber, Dorothea Schürch, Roger Turner) de 6ix.
6ix : Almost Even Further (Leo Records / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2011. Edition : 2012.
CD : 01/ Almost Even Further 02/ As Now 03/ Faintly White 04/ Gorse Blossom
Luc Bouquet © Le son du grisli
Urs Leimgruber, Jacques Demierre, Barre Phillips : Albeit (Jazzwerkstatt)
Au départ, le soprano et le piano accrochent leurs notes multiples sur la « partition » que dessine la contrebasse. Urs Leimgruber, Jacques Demierre et Barre Phillips, inaugurent ainsi leur nouvelle réalisation sur disque.
Or de la « partition », ne reste bientôt plus rien, Phillips ayant pris soin de confondre les sons nés de ses mouvements d'archet aux voix de ses partenaires. Suivent alors les harmoniques et notes en peine du soprano, la danse sur chant diphonique à laquelle se laisse aller le contrebassiste. L'échange retombe : derrière un mur de silences, la musique finit presque par disparaître : un aigu encore, un souffle aphone ; Leimgruber, Demierre et Phillips, sont-ils jamais allés autant ensemble et en silences ?
Quelques notes de piano, légères mais de plus en plus nombreuses, avant que le trio envisage la conclusion du nouvel échange, développement sonore lent devant beaucoup aux tensions – au point qu'à un carrefour, les uns se ruent sur les autres, exception virulente qui fait d'Albeit un ouvrage complet. Leimgruber au ténor maintenant, les graves s'alignent sur l'horizon.
Urs Leimgruber, Jacques Demierre, Barre Phillips : Albeit (Jazzwerkstatt / Codaex)
Enregistrement : 19 février 2008. Edition : 2009.
CD : 01/ Albeit 02/ Tiebla 0/ Eatlib 04/ Itable 05/ Baleti 06/ Etabli 07/ Abteil 08/ Ilbeat
Guillaume Belhomme © Le son du grisli