Larry Ochs : The Fictive Five (Tzadik, 2015) / Larry Ochs, Don Robinson : The Throne (Not Two, 2015)
Ces gens-là (Larry Ochs, Nate Wooley, Ken Filiano, Pascal Niggenkemper, Harris Eisenstadt) se croisent, s’entrecroisent, dissertent, discernent, réactivent une Ascension de fraîche mémoire (et l’on sait Larry Ochs très attaché à la composition de Trane). Puis ils dégrafent les tempos, baissent la garde, font plier les lamentations. Et le sopranino de s’élever en de brusques hauteurs. Ceci pour les vingt-cinq minutes de Similitude.
Ensuite, les tableaux s’enchaînent, la composition ne se cache plus. Et subitement, ils éteignent leurs paroles (A Market Refraction). Ensuite, encore, ils espèrent. Ils espèrent l’oasis proche, l’eau essentielle. Maintenant, ils pivotent et survolent, les contrebasses grondent, Wooley charrie un solo inspirant-important et tous désertent leur verbe pour mieux s’unir (By Any Other Name). Ensuite, et enfin, ils défient le silence de leurs souffles frêles. Et drapent de fines mélodies (Translucent). Et le tout est extrêmement convaincant.
Larry Ochs' Fictive Five : The Fictive Five (Tzadik / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2014. Edition : 2015.
CD : 01/ Similitude 02/ A Market Refraction 03/ By Any Other Name 04/ Translucent
Luc Bouquet © Le son du grisli
Avec Don Robinson, batteur du genre direct, Larry Ochs enregistra neuf titres en juillet et septembre 2011. Epais en conséquence, le saxophoniste (aux ténor et sopranino) n’en perd pas son sens du swing sur des échanges qui pourront rappeler le duo Jackie McLean / Michael Carvin : ici les mêmes fulgurances, là des longueurs similaires.
Larry Ochs, Don Robinson : The Throne
Not Two
Enregistrement : 2011. Edition : 2015.
CD : 01/ Open to the Light 02/ Red Tail 03/ Push Hands 04/ Song 2 05/ El Nino 06/ Breakout 07/ Failure 08/ Muddy on Mars 09/ The Throne
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Alon Nechushtan : Ritual Fire (Between the Lines, 2013)
La clarinette ouvre et referme le bal de ce Ritual Fire. Ici, comment ne pas penser à Jimmy Giuffre quand s’invitent les dissonances acides chères au clarinettiste texan ? Musicien discret, remarqué chez Jean-Claude Jones, Harold Rubin est un personnage singulier de la jazzosphère. Né en 1932 à Johannesburg, l’Afrique du Sud le condamna pour blasphème. Il s’installa alors à Tel-Aviv, devint architecte, exposa ses dessins et peintures dans les plus grandes galeries puis, après une vingtaine d’années d’abstinence, renoua avec le jazz en 1979. Sa clarinette est une clarinette des recoins. C’est une clarinette sans principe autre que celui de la marge. Son souffle s’étreint, s’étrangle, refuse modes et certitudes, s’ouvre à la microtonalité.
On en oublierait presque Alon Nechushtan, Ken Filiano et Bob Meyer. Se réclamant de l’Action Painting de Pollock (la chose est discutable), le pianiste retrouve les free forms de Jimmy Giuffre. Il y a dans ce jazz (ou plutôt dans ce free jazz) des coulées piquantes, des tensions fulgurantes. Et, surtout, une démarche (ne rien cloisonner, inviter l’aléatoire) qui ne peut que nous ravir.
Alon Nechushtan : Ritual Fire (Between the Lines)
Enregistrement : 2011. Edition : 2013.
CD : 01/ Hover 02/ Ritual Fire 03/ Psalmonody 04/ Profusion 05/ Ruah Kadim 06/ Free Falling 07/ Aureoles 08/ Across the Ocean like a Seagull 09/ Hamsin 10/ Soliloqui
Luc Bouquet © Le son du grisli
Erika Dagnino : Signs (Slam, 2013)
Le grain de sable (ici Erika Dagnino) ne peut faire taire la force du trio formé par Ras Moshe (flûte, saxophones), Ken Filiano (contrebasse), John Pietaro (vibraphone, percussions). Chez le saxophoniste (par ailleurs poète) : un black phrasé, un saxophone ténor large et granuleux, un saxophone soprano alerte. Soit dit en passant : une découverte. Chez le contrebassiste : des pleurs d’archets, du bois crissant, un désir d’irriguer des terres qu’il devine fertiles. Chez le percussionniste : un vibraphone coureur, une armada percussive posée à bon escient.
Quelques mots sur le grain de sable : la poésie forte et profonde d’Erika Dagnino n’est pas en cause, mais son phrasé et sa diction en droite ligne d’une Violeta Ferrer (mais avec Violeta, l’émotion nous submerge) ne passent pas la rampe. Soit la couronne d’épines sur le fleuve intranquille.
Erika Dagnino Quartet : Signs (Slam Productions)
Enregistrement : 2012. Edition : 2013.
CD : 01/ Preludio 02/ Prima Improvvisazione 02/ Seconda Improvvisazione 03/ Terza Improvvisazione 04/ Quarta Improvvisazione 05/ Intermezzo 06/ Quinta Improvvisazione 07/ Improvvisazione Finale
Luc Bouquet © Le son du grisli
Vinny Golia : Take Your Time (Relative Pitch, 2011)
Avant d’inviter Bobby Bradford à enregistrer pour lui, Vinny Golia sera souvent passé au Little Big Horn, club que le cornettiste dirigeait à Pasadena. Take Your Time, de profiter d’une complicité évidente en plus d’une section rythmique irréprochable.
On sait l’amour de Golia pour les graves de contrebasse : aussi doué à l’archet qu’au pizzicato, Ken Filiano doit ici le ravir, tant il embrasse la musique du quartette : mariage de swing et de bop, d’improvisation libérée de tout schéma et free léger. Au soprano (Golia dit avoir été bouleversé par le son de celui de Coltrane), est servi un jazz étonnement découpé qui peut rappeler Braxton (qui donna jadis quelques leçons d’instruments au meneur) ; au ténor et à l’alto, ce sont des pièces d’un swing gouailleur et sophistiqué à la fois qui prennent forme. La prise de son, un peu claire, n’y peut rien : l’enregistrement fait référence dans la discographie de Golia.
Vinny Golia Quartet : Take Your Time (Relative Pitch)
Enregistrement : 3 juillet 2007. Edition : 2011.
CD : 01/ That Was For Albert 10 02/ Otolith 03/ On The Steel 04/ That Was For Albert 11 05/ Welcome Home 06/ Parambulist 07/ A Guy We All Used To Know 08/ Even Before This Time
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Taylor Ho Bynum : Apparent Distance (Firehouse 12, 2011) / Bill Dixon : Envoi (Victo, 2011)
Entendues ici et ailleurs, ces suites constituées de thèmes, d’enchevêtrements et de déstructuration free attirent presque toujours les impasses. Et ici, il n’y a aucun génie à déclarer, aucune imposture à épingler. Juste la précautionneuse mise en place d’une musique qui ne dit rien du brûlant, parfois repéré chez Taylor Ho Bynum, Bill Lowe, Jim Hobbs, Mary Halvorson, Ken Filiano et Tomas Fujiwara en d’autres occasions.
L’aventure tourne court faute de spontanéité et d’intensité rarement dévoilée. On se raccroche donc aux détails surgissant ça et là et que l’on imagine et espère plus longuement explorés / exploités en concert : l’alto vrillant de Jim Hobbs, la guitare canaille de Mary Halvorson, le solo introductif du leader sous forte influence Dixon, l’archet lacérant de Ken Filiano. Moments forts mais n’arrivant pas à dissiper une trop lourde impression de déjà-entendu.
Taylor Ho Bynum Sextet : Apparent Distance (Firehouse 12 / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2011. Edition : 2011.
CD : 01/ Part I : Shift 02/ Part II : Strike 03/ Part III : Source 04/ Part IV : Layer
Luc Bouquet © Le son du grisli
Un mois avant de disparaître, Bill Dixon emmenait un nonette à Victoriaville, et donnait son dernier concert. A ses côtés, les musiciens déjà présents sur Tapestries for Small Orchestra : Taylor Ho Bynum, Stephan Haynes, Rob Mazurek, Graham Haynes et Michel Côté, Glynis Loman, Ken Filiano et Warren Smith. En deux temps, Envoi arrange des parallèles et provoque quelques perturbations qui interrogent leur résistance : l’ouvrage de traîne est captivant, que rehausse en plus les incursions qu’y taille la clarinette contrebasse de Côté.
Bill Dixon : Envoi (Victo / Orkhêstra International)
Enregistrement : 22 mai 2010. Edition : 2011.
CD : 01/ Envoi, Section I 02/ Envoi, Section II 03/ Epilogue
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Bill Dixon : Tapestries for Small Orchestra (Firehouse 12, 2009)
De ce free jazz qui n’en était déjà plus quand Cecil Taylor engagea Bill Dixon pour l’enregistrement de Conquistador (Blue Note – 1966), il reste ici toute l’intensité, la trame, la force. Bill Dixon partageait alors avec quelques autres (rares) musiciens (Anthony Braxton et les trop souvent oubliés Marzette Watts et Jacques Coursil) le souci d’entrer en résonance avec autre chose que la fulgurance du jazz. Et ici, on pense bien sûr à Schoenberg, à Webern et à Cage dans la gestion des espaces et des silences. Soit une correspondance imaginaire et pourtant si prégnante entre toutes les musiques chercheuses et questionnantes qui irriguèrent le XXème siècle.
A l’incandescence du free et à ses plus hautes convulsions, Dixon préféra toujours assembler des matériaux vifs et colorés (Dixon est un peintre de grand talent, ne l’oublions jamais), relier et construire un vrai tissu de relations pour ceux qui en acceptaient le risque. Aujourd’hui ce sont les souffles croisés des trompettistes Taylor Ho Bynum, Rob Mazurek, Graham et Stephen Haynes qui prolongent et amplifient le souffle déchiré et griffé de Dixon d’une douce complicité. Une contrebasse (Ken Filiano), une clarinette basse ou contrebasse (Michel Côté), un violoncelle (Glynis Lomon) et un batteur-vibraphoniste (Warren Smith) complètent admirablement le tableau.
Cette musique est avant tout collective. Elle s’accomplit en de larges unissons ; entre drame et quiétude, densité et épaisseur, timbres et énergies. Elle peut s’amuser à la confrontation des contraires (les lents unissons de cuivres de Phyrgian II vs la scansion soutenue de la batterie) avant de s’unir et de ne plus se lâcher. Ainsi, de chaque composition-énigme, émerge une histoire forte et aux si fluides contours qu’il ne viendrait à personne l’idée d’en contester la moindre seconde.
Bill Dixon : Tapestries for Small Orchestra (Firehouse 12 / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2008. Edition : 2009.
CD1 : 01/ Motorcycle ’66 02/ Slivers 03/ Phyrgian II 04/ Adagio - CD2 : 01/ Allusions I 02/ Tapestries 03/ Durations of Permanence 04/ Innocenza - DVD : 01/ Going to the Center 02/ Motorcycle ’66 03/ Phyrgian II 04/ Durations of Permanence 05/ Motorcycle ’66 (alternate take)
Luc Bouquet © Le son du grisli
Jim McAulay: The Ultimate Frog (Drip Audio - 2008)
Membre discret d’un Acoustic Guitar Trio dans lequel évoluait aussi Nels Cline, le guitariste Jim McAuley voit aujourd’hui paraître un double-album composé de titres qu’il enregistra en duo avec son ancien partenaire, ainsi qu’avec le violoniste Leroy Jenkins, le contrebassiste Ken Filiano et le percussionniste Alex Cline.
Souvent improvisées, les rencontres ont pour point commun un mélange de genres assumé : pièces déconstruites et anguleuses élaborées avec Jenkins (Improvisation #12) ou Filiano (Escape Tone), épreuves d’un minimalisme répétitif (Improvisation #5) ou expérimental (Froggy’s Magic Twanger), morceaux de folk atmosphérique (November Night) ou d’un blues quelques fois insipide (Jump Start). L’ensemble, de receler quelques moments de grâce.
Jim McAuley, Leroy Jenkins, A Ditty for NC (extrait). Courtesy of Drip Audio.
CD1: 01/ Improvisation #12 02/ Nika’s Love Ballad 03/ Improvisation #5 04/ November Night 05/ Improvisation #1 06/ Escape Tones 07/ A Ditty for NC 08/ Improvisation #6 09/ The Zone of Avoidance 10/ Froggy’s Magic Twanger 11/ Huddie’s Riff 12/ Il Porcelino – CD2: 01/ Jump Start 02/ Improvisation #9 03/ Bullfrogs and Fireflies 04/ Successive Approximations 05/ Improvisation #11 06/ Five’ll Get Ya’ Ten 07/ Work with Sharp 08/ ‘’No Snarel” 09/ Improvisation #10 10/ Angie Moreli Truly Confesses 11/ Okie Dokie 12/ For Rod Poole >>> Jim McAulay - The Ultimate Frog - 2008 - Drip Audio.
Alípio C. Neto: The Perfume Comes Before The Flower (Clean Feed - 2007)
Sur The Perfume Comes Before The Flower, trouver auprès du saxophoniste brésilien Alípio Neto : le trompettiste Herb Robertson, le tubiste Ben Stapp (sur trois titres), le contrebassiste Ken Filiano et le batteur Michael Thompson. Quartette ou quintette d’un jazz cosmopolite.
Et accrocheur : qui installe crescendo un étrange climat sur le déhanchement inquiétant de petites flûtes et du tuba (The Flower), impose directement un free jubilatoire tirant profit des phases improvisées davantage que des phases écrites (The Perfume Comes Before, The Pure Experience), ou se partage entre quelques hésitations traînantes (The Will) et le loisir accommodant d’une réalité éléphantesque. Spontané et percutant.
CD: 01/ The Perfume Comes Before – Early News 02/ The Will – Nissarana 03/ The Flower – Aboio 04/ The Pure Experience – Sertão 05/ La réalité – Dancing cosmologies
Alípio C. Neto - The Perfume Comes Before The Flower - 2007 - Clean Feed. Distribution Orkhêstra International.