Le son du grisli

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Interview de Jonas Kocher

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L'impressionnante actualité de Jonas Kocher – publication de nouveaux enregistrements (Koch / Kocher / Badrutt, Skeleton Draft, Rotonda et le tout récent Kocher / Manouach / Papageorgiou) et d'un livre augmenté d'un film (Quiet Novosibirsk) – valait bien qu'on s'arrête aux interrogations qui, aujourd'hui, influencent son esthétique. De quoi soumettre son instrument, l'accordéon, à un  perpétuel bougement...

Quel est ton premier souvenir de musique ? Difficile d'évoquer un souvenir en particulier, il s'agirait plutôt de quelques impressions diffuses : mon père jouant quelquefois de l'accordéon le soir dans le salon familial, le cahier de la « Méthode Rose » sur le piano droit de ma mère, les chants de la chorale du village. Et je me rappelle aussi un disque dans la collection de mes parents : Movements d’Isaac Hayes. Ce LP me paraissait complètement incongru entre les disques de musique traditionnelle suisse, d’Elvis Presley et de Joe Dassin. Je n'ai jamais compris ce qu'il faisait là.

A quel instrument as-tu débuté ? Quelle musique écoutais-tu à cette époque ? J'ai commencé à jouer de l'accordéon à l'âge de 7 ans. Il y avait aussi un piano et une flûte à bec à la maison mais je n'ai jamais vraiment touché à ces instruments. J'écoutais la musique que mes parents écoutaient : variété française et musique traditionnelle suisse ; et, depuis l'adolescence, rock, pop et un peu de musique classique.

Comment es-tu arrivé aux musiciens qui ont influencé la pratique instrumentale qui est aujourd'hui la tienne ? C'est un long chemin... A l'âge de 14 ans, un prof d'accordéon m'a fait découvrir que l'on pouvait jouer de la musique classique avec cet instrument : des transcriptions de Bach, Mozart et aussi de la musique contemporaine ; cela a été une révélation pour moi. Jouer de la « vraie musique » a été un moyen de m'affirmer dans le milieu rural dans lequel j'ai grandi et où l'accordéon est vraiment réservé à la musique populaire. Tout en continuant de jouer dans  l'orchestre d'accordéons local et de me produire lors de fêtes et autres soirées dansantes avec un accordéon (MIDI !) pour gagner quelques sous, j'ai commencé à travailler plus sérieusement des pièces baroques et de musique contemporaine. Puis j'ai fait le concours d'entrée au Conservatoire à 19 ans et j'ai été pris. Faire des études de musique professionnelles n'a jamais été un but, c'est arrivé un peu par hasard car mon prof de l'époque m'y a poussé et que ça me plaisait de jouer, mais jamais je n'imaginais devenir musicien. La rencontre avec le monde de la musique classique a été un choc ; j'ai écouté des heures d'enregistrements et assisté à de nombreux concerts, déchiffré toutes sortes de partitions ; je n'avais aucune idée de cet univers-là, tout était à découvrir. Très vite, j'ai été attiré par la musique contemporaine et spécialement par la musique écrite pour accordéon ainsi que par les partitions graphiques, le théâtre musical, etc. En 1998, j'ai participé à une performance in situ dans une vieille fabrique, avec d'autres musiciens. Cette performance a été composée et mise en scène par Daniel Ott, un compositeur suisse vivant à Berlin. Cela a été une expérience déterminante pour la suite et m'a clairement orienté vers le théâtre musical : Mauricio Kagel, Dieter Schnebel, John Cage... Puis, au tout début des années 2000, j'ai commencé à réaliser mes propres compositions scéniques. En 2000-2002, la rencontre avec Ruedi Häusermann, musicien et metteur en scène suisse allemand a été très importante aussi. Il vient de la scène improvisée des années 1980 et a été un collaborateur très proche du metteur en scène Christoph Marthaler. Avec lui j'ai travaillé sur des dynamiques extrêmement précises quelquefois proches du silence, des situations scéniques et des déplacements réglés au millimètre ainsi que sur une musicalité et un rythme global intégrant sons, musique, texte et mouvements. Juste après j'ai également côtoyé Georges Aperghis et travaillé régulièrement avec lui pendant une année. Mon intérêt pour l'improvisation s'est développé en parallèle au théâtre musical, laissant peu à peu de côté toutes les musiques écrites et tout naturellement j'ai fait connaissance et ai collaboré avec les musiciens qui m'intéressaient. Un bref passage par la musique électronique (un set-up analogique) m'a donné l'occasion de travailler le son d'une autre façon à un moment où je me trouvais dans une impasse avec l'instrument et en conflit avec mon bagage de musicien classique. Cela aussi a été une expérience déterminante qui m'a permis de revenir à l'accordéon avec une vision complètement renouvelée de mon instrument. Au même moment, en 2006, la rencontre avec Urs Leimgruber a eu lieu et un peu plus tard, en 2008, j'ai rencontré Michel Doneda avec qui j'ai beaucoup joué et voyagé et avec qui je collabore encore aujourd'hui. Ces deux rencontres ont été déterminantes dans la formation de mon langage en tant qu’accordéoniste et improvisateur. Mon chemin a été une sorte de longue dérive partant des rengaines d'accordéon dans les fêtes campagnardes pour arriver à l'improvisation et aux musiques expérimentales ; musiques qui m'ont permis de vraiment m'approprier un instrument avec lequel j'ai toujours eu une relation d'amour / haine.



Saurais-tu mettre des mots sur ce que t’ont chacun apporté et Leimgruber et Doneda ? Urs Leimgruber m'a fait découvrir l'intérieur du son et la façon dont on peut le faire évoluer au travers d'infimes variations. Ce focus extrême m'a permis d'épurer le son de mon instrument, d'aller vers son essence en laissant de côté les gestes instrumentaux et autres traits typiques à l'accordéon. Michel Doneda, de son côté, m'a apporté la culture du silence et de l'espace, de la fragmentation et des dynamiques extrêmes. Et aussi celle d'un engagement du corps dans la musique ; non pas au travers d'un jeu hyper actif mais dans un ancrage fort et terrien. Et enfin, Michel m'a transmis le goût des voyages et des rencontres ainsi qu'une ouverture et un intérêt marqué pour les contextes traversés.

Avec Doneda, tu as aussi pu interroger un autre de tes intérêts : l’exploration de l’espace de jeu. C’est ce que donne à entendre le disque Le belvédère du rayon vert, que Guillaume Tarche a ici joliment décrit comme un « travail in situ des phénomènes vibratoires »… Tu parles d’ailleurs de cet intérêt dans le livre Quiet Novosibirsk, mais cette fois envisagé avec Gaudenz Badrutt Oui, la notion d'espace, dans le son et la musique mais aussi l'espace en tant que lieu du concert est très important dans ma pratique. J'ai certainement développé cela en premier lieu avec mon travail sur le théâtre musical dans lequel le corps et la présence sont primordiaux, puis avec le travail sur le son et sa projection dans l'espace ainsi que l'intégration intuitive des qualités de l'espace dans le jeu avec mes collaborations avec Doneda. Ces dernières années cet aspect s'est encore intensifié au travers de mon travail régulier avec des danseurs et des plasticiens. Le son, les corps, l'architecture et l'espace devenant des éléments structurants à part égale dans une performance. La réalisation de bandes-son pour le théâtre et la danse ainsi que le mixage du son m'ont également beaucoup permis de travailler le son dans l'espace. Aujourd'hui, en concert, j'utilise beaucoup de dynamiques extrêmes afin de créer des effets de profondeur ou de proximité avec le son de mon instrument. Couplé à une écoute globale et intégrative du contexte, cela permet de jouer de façon très connectée avec l'endroit ; chaque concert devenant en soi une performance in situ. Ce travail sur l'espace est fait de façon très intuitive et empirique, il demande une vraie ouverture mentale et physique au contexte. Bien plus que d’être « seulement » un travail sur le son, cette ouverture représente aussi pour moi une attitude par rapport à la vie et aux événements en général.



Je crois avoir ressenti l’influence de ton travail en lien avec le théâtre une fois sur scène, à l’occasion de cette improvisation que tu as donnée à Mulhouse avec Jacques Demierre et Axel Dörner… Tu adoptais parfois de grands mouvements qui pouvaient perturber l’équilibre de votre association.  Envisages-tu toute improvisation comme une performance, de musicien mais pourquoi pas aussi d’ « acteur » ? Je vois la pratique de l'improvisation comme un acte performatif intégrant de nombreux paramètres et éléments qui dépassent le jeu instrumental. Par contre, je ne la vois pas comme une performance d’acteur mais bien comme quelque chose de plus large. Il y a des corps en action avec différents niveaux d'activités liés à la production du son, tout comme il y a un espace, une acoustique et la présence du public. Quant à mes mouvements du corps, ils sont la résultante d'une certaine façon de produire du son, d'une envie de projeter le son de l'instrument – ce qui ne va pas forcément de soi avec l'accordéon. À l'autre extrême, je peux aussi devenir complètement immobile tout en produisant des sons très linéaires ; la concentration et la présence générée par le rapport son-corps-instrument seront ainsi complètement différentes. Ces extrêmes sont pour moi comme autant de possibilités de variations d’un langage afin d'avoir un spectre de jeu le plus étendu possible allant du silence au son projeté dans l'espace avec force. Pour revenir à mon influence issue du théâtre musicale, celle-ci a plutôt été de l'ordre de la découverte essentielle que tout peut devenir signifiant dans la musique et non pas seulement le jeu instrumental. Quand j'ai réalisé cela, ma façon d'approcher la musique, l'instrument, la scène, l'écoute, etc. a pris une toute autre direction et plein de portes se sont ouvertes, dont l’improvisation.

Dans un échange avec Jacques Demierre et Gaudenz Badrutt, que l’on peut lire dans Quiet Novosibirsk, tu dis justement : « Quoi que tu fasses, tu es toujours confronté à ta propre façon de jouer. » Les habitudes, les tics voire les trucs du musicien, sont-ils selon toi des handicaps ? Portes-tu un intérêt majeur au renouvellement de ton « langage », si ce n’est à celui de ta musique ? Je considère ma pratique comme quelques chose en évolution permanente ; qui s'enrichit constamment des rencontres avec de nouveaux musiciens comme du travail régulier avec d'autres, des échanges, expériences et découvertes en tous genres et ne provenant pas uniquement du domaine musical. Au départ, il y a une certaine vision de l'instrument, de la façon dont j'ai envie qu'il sonne et qu'il s'anime et il y a ensuite toutes ces influences qui font bouger cette base, voire qui la remettent parfois en question. J'aime les situations qui me poussent à aller ailleurs, à aller plus loin que ce que je ferais habituellement ;  j'aime aller là où ce n'est pas toujours confortable pour voir ce qui se passe et comment je m'en sors, comment je m'adapte ou quel aspects de mon langage se modifient au contact du contexte. Je ne pense pas que les « trucs » du musiciens soient des handicaps, du moment qu'ils restent des outils flexibles et qu'ils sont remis en question. Si ces « trucs » sont figés, alors là ça peut très vite devenir stérile et la musique va se vider de sa substance. Il me semble qu'il y a un équilibre constant à trouver entre ce qui est acquis et ce qui nous pousse à nos limites et à les dépasser. Il y a quelques années, j'avais un jeu très réduit, voir réductionniste. J'avais besoin de passer par cela à ce moment là pour faire sonner l'instrument autrement ainsi que pour expérimenter le silence. Puis des rencontres avec d'autres musiciens ainsi qu'une réflexion sur l'instrument et sur une façon de faire un peu dogmatique qui me semblait s'établir dans certaines scènes de la musique improvisée, m'ont amené à revenir à un jeu plus accordéonistique , soit plus dans le médium de l'instrument, les accords, voir presque à des traits mélodiques quelques fois. Je constate que mon langage s'est ainsi passablement modifié ces dernières années, sans pour autant changer fondamentalement. Je vois ces changements comme autant de variations qui enrichissent mon jeu. Un jeu actif et direct ne m'empêche pas de rester soudainement suspendu sur un filet de son très aigu et pianissimo, tel une onde sinusoïdale. Je ne me mets pas trop de limites stylistiques mais j'essaie de rester ouvert et d'être le plus honnête avec moi-même, quitte à aller certaines fois dans des impasses. J'aime les zones grises, les situations un peu instables là où les choses ne sont pas forcément clairement définies. Se mettre en danger, chercher, voire errer ou se perdre quelques fois, cela génère selon moi une énergie certaine et remet constamment les choses en question, rien n'est jamais acquis.

NN2015@Dimitris Mermigas

Les « trucs » dont je parle ne sont pas tous regrettables, certains peuvent par exemple être nécessaires à tel ou tel musicien pour aborder une improvisation moins « codifiée ». Mais ils peuvent aussi parfois nourrir et afficher une liberté fantoche – comme le disait Bacon de la peinture, on peut parfois avoir l’impression que la musique a été libérée mais que « personne ne sait quoi faire de cette liberté », impression que le grand nombre de documents publiés n’arrange pas. Comment envisages-tu l’objet-disque, toi qui es musicien et gères ton propre label ? Vois-tu chacun des enregistrements que tu publies comme un beau souvenir ou comme un document qui attesterait au moins un peu d’inédit dans ta manière de faire…  Je vois la publication d'enregistrements comme une façon de documenter régulièrement le travail et ses multiples variations, même si des fois je trouve cette masse de documents sonores qui a explosée ces dernières années un peu absurde... Quant à mon propre label, Flexion records, il est en stand-by pour le moment car je dois me concentrer sur mes activités plutôt que de produire celle des autres musiciens, l'énergie et le temps me manquant pour travailler pour les autres. Je publie donc de plus en plus de choses au travers de ma structure BRUIT avec laquelle j'organise un certain nombre de projets et tournées. Les publications peuvent être assez variées sous leurs formes mais elles sont toujours en rapport avec les activités organisées. Concerts, tournées, projets interdisciplinaires et publications, tout cela fait partie d'un tout.

Quand nous avons envisagé cette conversation, tu m’as dit que cela tombait assez bien car la dernière interview que tu avais donnée commençait à dater et que, depuis, « les choses avaient bougé ». Peux-tu me dire quelles sont ces choses, et comment tu ressens ce « bougement » ? Comment envisages-tu, aujourd’hui, la suite de ta pratique musicale ? Ce « bougement » correspond surtout aux diverses influences et rencontres de ces dernières années qui me font repenser ma relation à l'instrument et à ma pratique en général. Je suis de moins en moins intéressé par le fait de m'engager dans une seule et unique direction esthétique, comme j'ai pu le faire dans le passé. J'ai besoin de travailler de façon intégrative, d'élargir mon jeu et ma vision ; cela passe par des collaborations avec des musiciens et artistes d'autres provenances car je pense que les personnalités sont plus importantes que les différentes esthétiques que l'on aime bien catégoriser. Des rencontres avec des musiciens tels que Joke Lanz ou Ilan Manouach et des danseurs illustrent bien cette tendance. Je me pose aussi un certain nombre de questions quant à la scène dans laquelle j'évolue, ses limites, une forme d'épuisement par saturation et répétition de nombreuses choses identiques, voir même quelques fois une certaine complaisance de chacun dans son petit territoire. Quelle pertinence pour ces pratiques au sein d'une société plutôt que seulement au sein d'un petit cercle d'initiés où l'on se congratule régulièrement les uns les autres? Je me questionne aussi quant au système de subventions qui me permet de vivre en grande partie de ma musique et qui lui aussi à tendance à changer... Comment trouver sa place là-dedans ? Comment garder une pratique sur la durée sans faire de concessions et sans tomber dans la précarité ? Comment se renouveler et s'affirmer sans s'enfermer sur son propre univers ? Ma pratique et mon jeu changent aussi en fonction des questionnements et des changements que nous vivons actuellement aux niveaux sociaux, économiques et politiques. J'aime remettre les choses en question régulièrement tout en restant le plus possible ouvert ; je pense qu'il y a là une attitude générale qui me porte et me pousse en avant. J'envisage donc la suite de ma pratique musicale comme une chose en mouvement, transversale mais dont je ne sais pas où elle m'amène.

Jonas Kocher, propos recueillis en avril et mai 2016
Photos : droits réservés & Dimitris Mermigas

Guillaume Belhomme @ le son du grisli



Jonas Kocher, Gaudenz Badrutt, Ilia Belorukov : Quiet Novosibirsk (BRUIT, 2016) / Pascale Van Coppenolle : Dynamisch (2015)

jonas kocher quiet novosibirsk

De cette tournée faite en Russie en compagnie d’Ilia Belorukov – 31 août – 10 septembre 2014 – dont Rotonda documentait récemment encore la station pétersbourgeoise, Jonas Kocher et Gaudenz  Badrutt ont fait un livre et un film – le second étant à trouver, sur DVD, dans le premier.

Au début du film, long d’une demi-heure, des paysages défilent sur la musique du trio. L’improvisation est donc en train – de se faire (captations de concerts) ou sinon de se préparer (la musique n’est alors plus qu’un des éléments du voyage, au même titre qu’une bribe de conversation, qu’une image qui raconte un peu du pays, qu’une autre image qui n’en dit rien…).

Au résumé impressionniste, spontané et défait, qu’est le film, le livre oppose ses multiples facettes, qui renvoient des photos de Lucas Dubuis – lui aussi du voyage – intéressées autant par l’événement et ses à-côtés que par l’acte fortuit ou la rencontre imprévue, un lapidaire carnet de bord (date, endroit, musique de fond, ambiance) tenu par Belorukov, une conversation datée du 23 décembre 2015 entre Jacques Demierre, Kocher et Badrutt, enfin, un texte du musicien Alexander Markvart, qui démontrerait qu’en Sibérie on improvise aussi.  A la date du 5 septembre, Belorukov note : « Fine concert ». C’est justement ce qu’on était venu chercher.

quiet novosibirsk

Jonas Kocher, Gaudenz Badrutt, Ilia Belorukov
Alexander Markvart, Jacques Demierre, Lucas Dubuis

Quiet Novosibirsk. Spsan. Amplifier. Food. Long Day
BRUIT / AUS AM GERN
Edition : 2016.
Livre + DVD : Quiet Novosibirsk
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

pascale van coppenolle dynamisch

Comme le souligne le sous-titre de ce disque double, l’organiste Pascale Van Coppenolle profite là de l’exceptionnel – car à vent dynamique – instrument du Temple Allemand de Bienne. Interprétant une sélection de pièces classiques sur le premier disque, elle improvise sur le second : seule ou en duo avec Hans Koch (clarinette basse), Hannah E. Hänni (voix), Luke Wilkins (violon) et Jonas Kocher (accordéon). Autrement inventif, l’orgue rôde entre les graves tremblants de la clarinette, se fraye un chemin entre les souffles claquants de l’accordéon ou compose, avec Hänni, un air qui rappelle Bryars ou Pärt.

dynamisch

Pascale Van Coppenolle : Dynamisch. Die Orgeln der Stadtkirche Biel
Tulip Records
Edition : 2015.

2 CD : Dynamisch. Die Orgeln der Stadtkirche Biel
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Gaudenz Badrutt, Ilia Belorukov, Jonas Kocher : Rotonda (Intonema, 2015) / Kocher, Manouach : Skeleton Drafts (BRUIT, 2015)

gaudenz badrutt ilia belorukov jonas kocher rotonda

A l’été 2014, Jonas Kocher, Gaudenz Badrutt et Ilia Belorukov ont donné ensemble sept concerts en Russie. A Saint-Petersbourg, le 9 septembre, ils improvisèrent dans la rotonde de la bibliothèque Maïakovski : c’est ce que ce disque Intonema donne à entendre.

De longues notes de saxophone alto et d’accordéon ouvrent cette plage unique, longue de trois quarts d’heure, que l’électronique de Badrutt envisage déjà de déformer. Pour l’heure, celui-ci extirpe de ses fichiers des éléments sonores auxquels ses partenaires devront réagir. Et c’est dans ces réactions que des différences, dans le maintien ou dans l’approche, apparaîtront pour composer une œuvre de contrastes.

Ainsi, quand graves et aigus ne se mêlent pas avec délicatesse, ce sont des silences ou des emportements volontaires qui se chargent de l’humeur commune. Le 9 septembre, la tournée touchait à sa fin et les musiciens avaient eu le temps de s’accorder à son propos et même de s’y entendre : elle n’en est pas moins expressive.



rotonda

Gaudenz Badrutt, Ilia Belorukov, Jonas Kocher : Rotonda
Intonema / Metamkine
Enregistrement : 9 septembre 2014. Edition : 2015.
CD : 01/ Rotonda
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

jonas kocher ilan manouach skeleton drafts

C’est en compagnie d’un autre saxophone – le soprano d’Ilian Manouach – que Kocher enregistrait en duo en novembre de la même année. Volubile, celui-ci pousse l’accordéoniste dans des retranchements d’un contemporain bavard voire dramatique. Malgré les efforts constatés en troisième plage – les gestes sont apaisés et travaillent à un minimalisme autrement saisissant –, l’enregistrement peine à surprendre, et donc à plaire.



skeleton drafts

Jonas Kocher, Ilan Manouach : Skeleton Drafts
BRUIT
Enregistrement : novembre 2014. Edition : 2015.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Hans Koch, Jonas Kocher, Gaudenz Badrutt : Koch / Kocher / Badrutt (Bruit, 2015)

hans koch joans kocher gaudenz badrutt bruit

L’improvisation est retorse, qui demande aux musiciens – et aux trucs qu’on leur connaît – d’aller entre de longues notes, endurantes pour certaines, et des effets capables de dévier leur trajectoire.

Ainsi, la clarinette basse d’Hans Koch claque quand l’accordéon de Jonas Kocher et l’électronique de Gaudenz Badrutt tracent ensemble des lignes qui pourront disparaître derrière l’épaisseur d’un silence. Le bruit, bien gardé « pour après » : un bruissement, plutôt, que développent ici ou là, mais pour quelques secondes seulement, de grands emportements.

Mais ces effets de manche ne sont pas ce qui impressionne. La ferveur qui noie le discours du trio en fin de demi-heure n’efface d’ailleurs pas le souvenir de ces figures de clarinette qui tourne et même vrille, ou de ces longs aigus  qui se refusent presque à l’auditeur et l’intéressent d’autant.


bruit badrutt kocher koch

Hans Koch, Jonas Kocher, Gaudenz Badrutt : Koch / Kocher / Badrutt
Bruit
Enregistrement : 2 mai 2014. Edition : 2015.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


LDP 2015 : Carnet de route #36

ldp 2015 carnet de route 36 zurich 13 novembre 2015

Comme l'écrit Barre Phillips à la date du 8 novembre dernier : le contrebassiste du Trio ldp est de retour. Ce sont même deux textes qu'il signe ici, qui encadrent les souvenirs que gardent Urs Leimgruber et Jacques Demierre de la journée du 13 novembre, où l'on joua à Zurich No Alarming Interstice.

8 novembre 2015, Zurich

I decided some weeks ago that I was going "back to work" on the 2nd of November. First to ride the train up to Nancy and work there for a couple of rather easy days, the first leg of what could be a 3 week outing. My wife, Mary, has been very supportive of the idea and assured me that she could hold up her end, just like in the "old days", which go back to last spring. A friend accompanied me up to Nancy, to carry the bass, help out etc. Great.
I was going to be eating in restaurants for the first times since the Black Bat treatment and still had a lot of swallowing and mouth issues (problems). And I bring that off. The work was easy enough, 3 hours teaching one evening and the next night a one set concert in trio with two colleagues from our EMIR collective. Both the teaching and the concert went down well & I enjoyed them. The idea was that if it was really too early, I got overly tired from the exercise, then I'd cancel the rest and go home. But no, it all went fine, including the restaurants. First test passed, eating and all. Next test, ride the train, alone, bass and bag from Nancy to Zurich. You have to get to Basel and then it's easy. There used to be one train a day direct Nancy Basel but of course that one doesn't exist at the moment. OK. Train no. 1 to Metz (an hour). In Nancy the station is quite modern with escalators and elevators almost everywhere making getting out to the platform easy.
Almost everywhere, except platform 8, stairs only, and of course where is my little train leaving from? Right! Platform 8. But a nice young man asks "can I help you mister?" and carries the suitcase up the stairs and I can deal with the bass without keeling over. The train, all 3 cars of it, fills up in a big scurry but I battle my way to a place where I can put me, the bass, and the suitcase in such a way as I can protect them and myself. Saturday 10 AM and loads of people, students with huge bags, families with strollers and howling kids. I expected to see goats and chickens but they must have been in another car. Packed, but jovial. OK. We get to Metz on time and I have 40mns before my train to Basel comes. Only that train, originating in Brussels, has for some unknown reason been canceled. I can either wait 5 hours and hopefully get the next direct Metz-Basel train or go to Strasbourg (an hour & a half travel after waiting an hour to it to come) and get a Basel train (an hour travel after a 40 mn wait). OK, we'll do that. BUT, same deal, a 3 car train and "where am I going to put my goat"? But the Metz station is mechanized and I get out to the goat train easily early on and find a quite good place for the bass, bag and body, easily defendable. Off we go to Strasbourg and again arrive on time, puddle jumping the whole way. And what do you know, train number 3 of the day has 7 cars. I've got a first class ticket but it seems that the Alsace Lorraine trains are more democratic than elsewhere and either have no first class cars or since they don't mark the cars on the outside which class they are one can get sit anywhere. Bit of a battle as there is a very large crowd of students, military, families (without goats) all struggling to get two seats to themselves by piling their bags on the aisle seat. I leave the bass at the end of the car in a little space dedicated to two bicycles but which has only one already in place, securing the bass as best I can with my rope and bungie cord, prop my suitcase up against it hoping it will resist the crowd and get myself a seat where I can watch my stuff, more or less. And off we go. Straight down the eastern border of France, from Strasbourg to Mulhouse, stopping at a bunch of places in between the two and finally to Basel. Oh my Gawd, back to civilization. A really modern station. I get my ticket from a machine quite simply. Boom, onto a very comfortable and spacious modern train for the hour trip to Zurich, comfortable seat, big space for the bass and bag. Zurich haupt-bahnhof, the madness of 6 PM Saturday night crowds. I finally find the taxi rank and there are no taxis but a good sized line of customers waiting. And then I witnessed what I found to be very surprising, surprising for Switzerland, there were a lot of people not respecting the waiting line but bulldogging taxies as they pulled into the pickup lane. Within a half hour this situation had cooled out and finally a Malay driver with a Prius agreed to put down his back seat to be able to fit the bass in quite easily. But he was a gangster and gave me the joy ride to the hotel, Zurich by night, plus an extra 10 franc charge for the bass. I paid and drug myself up the last bit, the 8 stairs to arrive in the lobby of the hotel. So what was all that? The forces out there were telling me "OK, you want to go back to work? Well here's a healthy dose of the part of this job that is not fun. If you can hack it you're welcome back. If not, put your tail between your legs and limp on back home, come back another time, or not".
I made it, I made it. Bowl of soup in the Chinese café down the block and a good night's sleep and HEY!
B.Ph.

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13 novembre, Zurich
Tage für Neue Musik Tonhalle Grosser Saal

Am 7. November fliegen Jacques und ich zurück nach Zürich. Wir treffen Barre im Hotel Neufeld zu einer ersten Probe von No Alarming Interstice, einem Auftragswerk von Jacques Demierre für das Tonhalle Sinfonieorchester und das Trio Leimgruber-Demierre-Phillips im Rahmen des Festivals Tage Neue Musik Zürich. Jacques erklärt sein Stück;
„Wie ermöglicht man eine Begegnung zwischen einem Sinfonieorchester, das gewohnt ist, notierte Werke zu interpretieren, und einem Musikertrio, das Musik aus der Improvisation heraus komponiert? Anders gesagt: Wie bringt man in einer musikalischen Gegenwart Klangerfahrungen zusammen, die auf so unterschiedlichen Zugängen basieren wie der notierten Musik, der Unbestimmtheit und der Improvisation? Diese Grundsatzfragen von No Alarming Interstice haben mich veranlasst, mir einige Kommentare von Morton Feldman über dessen komposi-torische Arbeit mit graphischen Partituren erneut vorzunehmen. Darin beschreibt er seine hauptsächliche Enttäuschung: Seine graphisch notierten Stücke haben Makel, die Freiheit der Interpreten zu vergrössern, während er doch in erster Linie bestrebt war, den Klängen selber ihre Freiheit zu schenken. Das Ziel des amerikanischen Komponisten hatte also darin bestanden, die Klänge zu befreien, und sie nicht von Musikerinnen und Musikern durch deren verfehlte Art von egozentrischen Ausdruckswillen vernebeln zu lassen. Er erwähnt in seinem Kommentar noch, dass er die graphische Komposition nie als eine Improvisationskunst verstanden habe, sondern vielmehr als ein total abstraktes Klangabenteuer.
Selbst wenn freilich Morton Feldman zu sagen scheint, dass das Resultat einer schlechten Interpretation seiner graphischen Partitur zu einer Improvisation führen kann – was noch zu hinterfragen wäre -, geht es nicht um ein Problem der Improvisation als solche, die ja eine eigene Praxis kennt und kein Kollateraleffekt ist, sondern eher um eine Verwechslung, die im Moment der Interpretation entsteht: die Verantwortung, die eine unbestimmte Notation verlangt, wird vertauscht mit der oft falsch verstandenen Freiheit, ganz nach eigenem Belieben zu verfahren und den graphisch-musikalischen Text zu relativieren. Man findet dieselbe Verwechslung übrigens im Rahmen der experimentellen Improvisationspraxis, bei der die Rolle des musikalischen Texts vom akustischen und klanglichen Kontext bestimmt wird. Insofern sehe ich die Unbestimmtheit und die Improvisation eher als eigenständige Positionen, als spezifische Kategorien mit ihren eigenen graphisch-musikalischen sowie klanglichen, text- und kontextuellen Strategien.
Die Sichtweise – oder die Hörweise –, die in No Alarming Interstice eingeflossen ist, ist jene, bei der die drei erwähnten Verfahren Unbestimmtheit, Improvisation und notierte Komposition nicht-hierarchisch angegangen werden, wobei alle drei von Moment zu Moment eine besondere Beziehung zu einem eigenen Text unterhalten und entwickeln: musikalisch, graphisch, akustisch. Was für mich gleichzeitig extrem interessant und inspirierend war, ist das Paradoxon zwischen Feldmans Reflexion über das Scheitern einer graphischmusika-lischen Notation, die ihr Ziel verfehlte, weil sie eine gewisse Form von improvisatorischer Freiheit zuliess, und der Tatsache, dass Feldman zu jenen Komponisten gehört, auf die sich die experimentelle Improvisationsszene heutzutage besonders häufig beruft. Es ist viel Zeit vergangen, und die Hörweisen haben sich in den letzten sechzig Jahren verändert, und wenngleich Feldman die Improvisation meiner Meinung nach negativ bewertet hat, haben sich die improvisierenden Musikerinnen und Musiker die Feldmansche Hörweise zu eigen gemacht. Die Improvisationspraxis wurde indes weniger durch die Ironie der Geschichte grundlegend verändert, als vielmehr durch klangliche Erfahrungen und die Reflexion über den Klangraum und dessen Umfeld, in dem die Position des improvisierenden Subjekt weniger egozentrisch ist als in der Zeit des aufkommenden Freejazz’. Gleichzeitig näherte sich die Improvisationspraxis damit der ästhetischen Position und der komposi-torischen Grundhaltung Feldmans. Es war die zugleich instinktive wie extreme Beachtung, die dieser dem Klang und den auf gehörten Klangmustern basierenden Abfolgen schenkte, die bei den improvisierenden Musikerinnen und Musikern in deren ästhetischen und musikali-schen Fragestellungen auf Resonanz stiess.
In gewisser Weise verfolgt die experimentelle Improvisation mit den heutigen Mitteln und Ausdrucksmöglichkeiten die Tradition dessen, was Morton Feldman mittels seiner graphischen und unbestimmten Notation anstrebte, um den Klängen eine gewisse Freiheit zu schenken. Indem No Alarming Interstice mit der improvisierten Musik verbunden ist, die Urs Leimgruber, Jacques Demierre und Barre Phillips seit rund 15 Jahren zusammen entwickeln, und auf Marginal Intersection, einem Stück, das Morton Feldman 1951 für grosses Orchester geschrieben hat, basiert, ist es eine anagrammatische Hommage an den amerikanischen Komponisten und vereinigt Unbestimmtheit, notierte Komposition und Improvisation als Klangerfahrung im Augenblick."
Jacques Demierre (Übersetzung René Karlen)
Nach Jacques Einführung spielen wir das Stück im Vereinssaal der Tonhalle ein erstes mal durch. Anschliessend findet eine Probe zusammen mit dem Dirigenten Sylvain Cambreling und dem Trio im grossen Konzertsaal statt. Als wir Sylvain treffen äussert er sich leicht skeptisch. Er wisse zwar aufgrund der Partitur wie das Orchester im Stück zum Einsatz kommen soll, jedoch wisse er nicht wirklich was von unserem Trio zu erwarten sei. Wir erklären ihm, dass das Trio, in Berücksichtigung der vorgegebenen Anweisungen, die in der Partitur festgelegt sind, auf der Basis freier Improvisation, spontan aus dem Augenblick heraus agieren wird. Jacques macht auf ein paar Stellen in der Partitur aufmerksam, erklärt und weist auf wichtige Aspekte hin wie unser Trio funktioniert. „Let’s try“. Wir spielen das Stück einmal ganz von Anfang bis zum Schluss. Das Trio positioniert sich wie in der Komposition vorgeschrieben im Halbkreis. Ich sitze vor Sylvain zum ihm gerichtet, direkt ihm gegenüber. Die Chronometer sind aufgeschaltet. Das Trio spielt wie in der Partitur vorgegeben die ersten Klänge. Sylvain dirigiert das imaginäre Orchester, wir proben das Stück zu viert. Ich bin beeindruckt wie gut Sylvain die Partitur kennt, und wie er dem abwesenden Orchester die Einsätze erteilt, Dynamiken bestimmt und Klänge abbricht. Wir die Solisten improvisieren im Rahmen der zeitlichen Vorgaben. Sylvain ist ein zusätzlicher Improvisator. Sein Instrument ist das Orchester. Er improvisiert im Einsatz der vorgegebenen Partitur. Er agiert konzentriert, intensiv und mit seinem ganzen Körper, sein imaginäres Orchester spielt zusammen mit uns. Es ist beeindruckend. Ich höre das Orchester. Ich höre das Trio, und ich höre das Stück. Einer der ersten Höhepunkte mit No Alarming Interstice, ein grosser Moment.
Am darauf folgenden Tag proben wir zusammen mit dem Orchester, 33 Musiker und Musikerinnen in folgender Besetzung: 2 Flöten, 2 Oboen, 1 Englisch Horn, 2 Klarinetten, 1 Bassklarinette, 2 Fagott, 1 Kontrafagott, 2 Hörner, 2 Trompeten, 2 Posaunen, 1 Bassposauene, 1 Tuba, 3 Perkussionisten, 1 Harfe, 1 Celesta, 2 Elektroniker, 6 Cellos, 4 Kontrabässe. Sie stimmen sich ein. Das Einstimmen eines  Orchesters hat eine ganz eigene Qualität. Jeder spielt für sich unabhängig von den andern und doch entsteht ein Gesamtklang. Ich höre von einzelnen Musikern Abläufe aus andern Partituren, Einspiel Übungen, Klänge und andere Töne. Das Orchester klingt sehr befreit. Was ich höre klingt wie eine spannende Improvisation.
Die Chronometer sind aufgeschaltet. Das Stück beginnt in der Stille, ist dynamisch, eruptiv und führt immer wieder in die Stille zurück. Das Trio setzt ein. Die Elektroniker bilden einen eigenen Klangraum. Die Hölzbläser spielen Lufttöne, Flatterzungen und Glissandi. Aufeinmal spielt das ganze Orchester in den vorgegebenen Parametern. Einzelne Solisten spielen abwechselnd kurze Solo Kadenzen. Das Orchester fügt sich ein. Das Stück baut sich auf,  das Material verdichtet sich, und es wird zwischendurch auch mal richtig laut und wieder leise. Das Stück nimmt seinen Fortlauf, und wir spielen es bis zum Schluss. Der erste Anlauf ist gelungen. Der Dirigent scheint sichtlich zufrieden. Das Orchester wirkt begeistert. Das war ein moderater, erster Durchlauf. Silvain Cambreling macht auf bestimmte Stellen aufmerksam, er kritisiert, gibt Anweisungen und macht Empfehlungen bestimmte Teile anders zu spielen. Wir probieren einzelne Stellen noch einmal. Nach einer kurzen Pause setzen wir erneut ein. Beim zweiten Durchlauf klingt das Orchester entschiedener und kompakter. Der Bogen ist gespannt.
Am darauf folgenden Tag proben wir das Stück von neuem. Der Dirigent und sein Orchester und die Solisten fordern und verschränken sich. Sie entwickeln einen organischen Aufbau, die Einsätze sind präziser und haben nun eine klare Absicht, die Richtung ist bestimmt. Am Konzerttag gibt es noch eine General- und Kostümprobe. Der Dirigent und die Männer im Frack, die Damen elegant in schwarz, die Solisten ebenso in schwarz. Die Mikrofone für die Radio Aufnahme sind positioniert und getestet. Die Spannung wächst. Der Nachmittag ist selbstverständlich für alle Musiker und Musikerinnen frei. Jeder bereitet sich individuell auf das Abendkonzert vor. An Konzert Tagen pflege ich in der Regel einen nachmittags Schlaf, um meinen Geist zu leeren und mich für das Konzert neu aufzubauen. Wir sitzen in der Garderobe. Jeder beschäftigt sich auf seine Art. In diesem Stück spiele ich ausschliesslich das Sopran Saxofon. Ich spiele einzelne Klänge in verschiedenen Tonhöhen. Ich höre Musiker aus dem Orchester, die spielen schnelle Läufe und ganze Abfolgen, die nichts mit dem Stück zu tun haben. Ein anderer raucht noch eine letzte Zigarette oder trinkt einen Kaffee. Die einen sind still, andere reden, unterhalten sich und lachen. Barre spielt die tiefe E-Saite und bringt seinen Kontrabass in Schwingung, Jacques sitzt am Klavier, legt seine Hände, seine Finger auf einzelne Tasten, bewegt sie kaum ohne anzuschlagen. Jeder ist in seinem Element, jeder ist konzentriert und spürt seinen Adrenalin Spiegel steigen. Silvain schaut noch kurz vorbei. Ready? Let’s go! Zuerst das Orchester, dann die Solisten und der Dirigent. Das Publikum applaudiert. Die Chronometer sind aufgeschaltet. Das Stück beginnt. Es ist wie im Strassenverkehr. Die Richtungen sind gegeben, die Verkehrstafeln sind einzuhalten, die Ampeln sind auf grün, gelb oder rot. Für uns Solisten gibt es viel Freiraum ohne bestimmte musikalische Vorgaben, unsere einzelnen und gemeinsamen Einsätze sind jedoch in Echtzeit klar strukturiert. Das Orchesters manifestiert sich klingend im Raum. Das Trio spielt, schreitet vor, setzt Akzente, intensiviert musikalische Zustände, klingt aus. Es entstehen Crescendi und Decrescendi. Die Musik ist leise und laut, verdichtet sich eruptiv im Kollektiv und führt zurück in die Stille. Ich bin konzentriert in einem wachen Traumzustand, ich beobachte hörend was jetzt passiert. Ich agiere nach den Regeln des Stücks, frei. Ich intensiviere meine Wahrnehmung. Der Dirigent gibt Einsätze und Anweisungen, führt das Orchester und die Solisten in Richtung vorgesetztem Ziel; 20:20, auf der Zielgeraden geht es mitunter darum den vorausbestimmten Ausklang als einem langen Crescendo so spannend wie möglich herbei zu führen. Nach der gehaltenen Stille tosender Applaus und ein begeistertes Publikum. Die Uraufführung von No Alarming Interstice hat stattgefunden, das Stück ist bereitsVergangenheit.
Beim Frühstück erfahre ich durch die Zeitung über die schrecklichen Attentate der letzten Nacht in Paris. Ich bin schockiert. Die Greueltaten todesüchtiger Fanatiker verurteile ich auf das Schärfste. Ich bin mir bewusst, dass jetzt alles anders sein wird als vorher, weitere Attaken überall in der westlichen Zivilisation werden folgen und zukünftig werden wir mit dieser Art von Bedrohung leben müssen. Ich denke es ist nicht der richtige Weg wenn Politiker jetzt diesen Mördern den Krieg erklären. Selbstverständlich sollen Terroristen verfolgt und verurteilt werden, jedoch sollten wir dem Übel auf den Grund gehen. Wir sollten endlich aufhören Kriege zu unterstützen, indem Wirtschaftsnationen Waffen an Kriegstreiber liefern und Geschäfte machen. Wir sollten endlich aufhören verlogene Diplomatie zu führen, und wir sollten aufhören Menschenrechte zu verletzen. Die zivile Bevölkerung in Kiregs-ländern soll endlich vor Massenmord, Vergewaltigung und Vertreibung geschützt werden. Selbstverständlich muss der Bevölkerung in unserer Gesellschaft durch Polizei und Militär Schutz und Sicherheit gewährleistet sein. Vorallem steht jetzt die französische Regierung in der Pflicht viel mehr zu tun, um junge, französische Muslime im eigenen Land zu erfassen, sie aufzuklären, zu schulen, zu integrieren, ihnen Arbeit zu vermitteln, um eine andere Basis für ein demokratisches Zusammenleben in der Gesellschaft zu schaffen. Religiöse, islamis-tische Institutionen sind aufgefordert zum aktuellen Geschehen kritisch Stellung zu beziehen, und Muslime sind in ihrer Verantwortung herausgefordert radikal umzudenken und den Islam in ihrer Praxis endlich zu reformieren, kritisches Denken, das Bilden von eigener Meinung zu fördern, andernfalls steht die Demokratie in Gefahr.
U.L.

Entre le concert du 13 novembre au soir et l'écriture de ce texte se sont intercalés les événements tragiques de Paris. Alors qu'à Zurich nous étions en train de jouer No Alarming Interstice, une pièce que j'ai écrite pour le trio et l'orchestre symphonique de la Tonhalle, tout à la joie de retrouver Barre et ldp au complet, à quelques centaines de kilomètres de là, au même moment, des dizaines de personnes écoutant de la musique ou partageant un verre avec des amis étaient froidement abattues par des djihadistes appartenant à l'organisation terroriste Etat islamique. Si la superposition temporelle et la proximité géographique ont encore accentué l'onde de choc de ces attentats – notre réaction est souvent et malheureusement moins aiguë lors de drames semblables ayant lieu hors territoire européen –, il n'en demeure pas moins que c'est aussi une culture qui a été visée. En tuant ces gens, ces djihadistes ont également voulu tuer leur culture. Usant d'une idéologie de l'apocalypse et d'une volonté de restaurer un régime autoritaire et politico-religieux « pur » à un niveau planétaire, ces intégristes entendent aussi imposer par la force brutale leur manière de vivre la culture. Comment puis-je me positionner en tant que musicien, et musicien improvisateur en particulier, face à une idéologie qui refuse à l'Homme le droit d'être créateur, même quand c'est dans le but de chanter les louanges de Dieu ? Dans un geste profondément puritain, ils disent non à la musique, comme à la représentation figurative, toutes deux susceptibles d'être des chemins menant au désir et à l'autonomie. Comme l'écrit Edwin Prévost, No Sound Is Innocent. Nos sociétés marchandes, par un effet de lissage et d'érosion sémantique, nous font croire à l'équivalence de tous nos gestes culturels. Tout pourrait être substituable à tout, rien ne serait plus réellement significatif, et ne ferait véritablement sens que ce qui est immédiatement consommable et rentable. Plus que jamais réaffirmons aujourd'hui la force politique de nos sons. Politique, non pas dans le sens d'une pratique du pouvoir, mais dans le sens de l'effet que ces sons peuvent ou pourraient avoir sur le fonctionnement et l'organisation de la vie en collectivité. Pourquoi le jouer ensemble de certaines musiques n'est-il pas plus souvent envisagé comme un lieu de réflexion pour le vivre ensemble ? Ces questions parmi d'autres, aujourd'hui cruciales, ont également surgi lors d'une discussion-interview que j'ai eue avec l'accordéoniste Jonas Kocher (JK) et le musicien électronique Gaudenz Badrutt (GB). J'aimerais ici, afin d'élargir mes propos, citer la fin de cet entretien* :

JD : Dernièrement, j'ai joué à Chicago et je suis allé voir une exposition consacrée aux mouvements artistiques des années soixante liés aux 50 ans de l'AACM et aux arts plastiques. Il y avait trois éléments qui revenaient tout le temps : l'improvisation, l'expérimentation et le rapport à la collectivité. Dans ce que vous me dites, il y a un peu de ça aussi. Mais est-ce un engagement clair pour vous ? Improviser, expérimenter et en même temps intégrer cela dans un rapport aux collectivités et aux communautés que vous êtes amenés à rencontrer dans les différents endroits que vous traversez.
JK : Être improvisateur est indissociable d'une vision globale dans laquelle se place cette pratique. Je ne parle pas de filiation historique mais bien du positionnement de cette  pratique dans le contexte social et politique actuel. Et que signifie un tel engagement pour et avec cette pratique ? Car c'est vraiment d'un engagement qu'il s'agit, pour une musique dont il est pratiquement impossible d'en vivre, qui se trouve dans les marges de la vie musicale et qui en plus n'apporte qu'un succès très relatif. Il doit bien y avoir quelque chose d'autre... Ce quelque chose est peut-être une attitude générale par rapport à l'expérimentation, la recherche, l'accident, le fait de devoir gérer de l'inattendu en permanence, mais aussi d'être maître de ses sons, de ses décisions, de construire et partager avec les autres. Tout cela est extrêmement nourrissant et en constant renouvellement. Pour moi c'est quelque chose dont je ne peux pas me passer et qui fait que je ne peux m'arrêter de chercher, de jouer, de questionner.
JD : Il y aurait une dimension politique, au sens large, dans l'organisation de vos sons ?
JK : Oui, absolument. Notre musique est de l'ordre de l’insaisissable, c'est ce qui fait sa force et en même temps ce qui la marginalise complètement car tout ce qui n'est pas contrôlable, tout ce qui peut brusquement changer, une musique dans laquelle les musiciens ont une liberté totale dans leurs choix, cela n'a pas sa place aujourd'hui dans un monde où tout est formaté.
JD : Est-ce qu'une tournée pourrait être envisagée comme une sorte de laboratoire utopique de pensée politique ? Est-ce que les rapports qu'on développe dans l'improvisation pourraient servir de modèle à une pratique sociale ? Ou est-ce que tout cela est condamné à ne rester qu'une pratique musicale ?
GB : Oui, c'est un modèle, une façon de vivre, d’appréhender les choses. C'est un microcosme avec des relations entre individus basées sur le partage, la solidarité, l'écoute et une non-hiérarchisation des rôles. Il y a une très grande transparence dans les échanges organisationnels, humains et sonores. Dans ce sens-là, c'est un modèle de société utopique.
JK : Ce modèle est réalisable à petite échelle, à l'intérieur d'un réseau de gens autour d'une même pratique, après, au niveau de la société, c'est une autre histoire... . Tout cela fait appel à des compétences humaines de base, c'est une attitude par rapport à la vie, au travail et à l'échange. Finalement, c'est une question de responsabilité et de solidarité.
J.D.

P.S. et quant aux pianos joués à la Tonhalle de Zürich...

Vereinssaal :
un piano STEINWAY & SONS, B, portant le numéro 541586, toujours à l'intérieur, en relief noir, STEINWAY, puis en arrondi convexe, STEINWAY & SONS, au centre, la lyre, puis en arrondi concave, NEW YORK HAMBURG, enfin, près de la queue, au feutre noir, le numéro 583, jouxtant MADE IN HAMBURG GERMANY.

Solist-Soloist Garderobe :
un piano à queue, non recouvert, sur lequel repose une feuille A3 plastifiée, où l'on peut lire: Steinway piano owned by the Tonhalle-Gesellschaft. Please do not leave anything lying on the uncovered piano and treat the instrument with utmost care. Thank you    Tonhalle-Gesellschaft

Grosser Saal :
un piano STEINWAY & SONS, D, portant le numéro 530155, toujours à l'intérieur, en relief noir, STEINWAY, puis en arrondi convexe, STEINWAY & SONS, au centre, la lyre, puis en arrondi concave, NEW YORK HAMBURG, enfin, près de la queue, au feutre noir, le numéro 490 suivi d'un point.

* extrait d’un entretien réalisé en décembre 2015 avec les musiciens Jonas Kocher et Gaudenz Badrutt, à paraître dans Quiet Novosibirsk, ouvrage édité par l’association Bruit.

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16 Novembre, Lucerne

I'm settled into the hotel in Zurich, after my horrendous trip Nancy-Zurich, and my dear friends, Urs and Jacques arrive, even ahead of schedule, from their long flight Chicago-Zurich, direct. If they are a bit wrecked they don't show it. We go back to the Chinese Take Away restaurant I've found and have a meal then collect our various music bits and head for the Tonhalle, an easy tram ride from the hotel. In the Tonhalle we've been designated a nice room in which we can work and we set to it. Jacque's piece depends on a spiffy computer program to co-ordinate 4 chronometers (iPhones & iPads) with which we three perform the piece and the conductor can follow where we are. Jacques sets it up and we go through the piece a couple of times to make sure that the system works and that we understand it. It all works a treat. And that's it for day 1. The next day we meet with Sylvain Cambreling, our conductor. A wonderful, open, sensitive musician who announces at the very start of our first meeting "je suis inquiet", "je ne sais pas quoi faire". I loved it. He was so honest and out in front. We subsequently went through the piece several times (with a stop watch reading for Sylvain) and he then said "OK, I've got it".
The piece is very dependent not only on what the trio, as soloists, play but also just how far the orchestra members become implicated and involved in being creative with their parts plus the extent of development the conductor can achieve. At our first  rehearsal with the orchestra we played through the piece twice, with, obviously, lots of commentary before and between the readings. The next day it was possible for Jacques and Sylvain to work with just a part of the orchestra (7 musicians) for an hour or so – This work was critical to the success of the piece. Later that day we had another rehearsal with the full orchestra once again going through the piece twice. Between the two run-throughs Jacques was able to explain to the orchestra some very important aspects of the piece which had not been up to that moment really understood by them. The 2nd run through was really good and we all left feeling confidant for the next day, which was the 13th, the performance day with a dress rehearsal at 10 AM. The dress rehearsal went just great, reinforcing our mutual good feelings of how the evening performance would go. Swiss radio was there and recorded the evening performance, as well as the dress rehearsal and for my part I will hold judgement on how the performance went until I've heard the recording. I mean, it felt just fine. But between what it felt like and what's on the tape there can be an important difference.    
The next day we loaded up our gear and headed for the Zurich Haupt-Bahnhof, Jacques with a train home to Geneva and Urs, Sulla (Urs' missus) and me loading onto the Lucerne train. Even though there were some days off between the concert in Zurich and the next concert, in Munich, during which time I could have gone home, I had opted when I was planning the trip in October that if I made it as far as Zurich that I'd probably be quite tired and better to stay in Switzerland and rest rather than spend one day to get home followed by a very long travel day to get back up to Munich after a very short time at home (the south of France, not far from Toulon). Urs very generously offered the guest room at his home and here I am. Resting, practicing, a bit of writing and giving my eating methods a rest from restaurant food.
B.Ph.

Photos : Jacques Demierre & Anouk Genthon

> LIRE L’INTÉGRALITÉ DU CARNET DE ROUTE

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Benjamin Bondonneau : Phonolites / Les cartographes du son : RadioDordogne#1 (Le Châtaignier Bleu, 2015/2014)

benjamin bondonneau phonolites

C’est Roger Caillois, son Écriture des pierres, qui inspira Phonolites à Benjamin Bondonneau. Un travail d’empreintes et de correspondances qui lie le clarinettiste et peintre à des camarades chargés de composition : dessins, textes, mises en demeure… inspirées tous par la lecture de Caillois.

De l’écrivain, on recommandera aussi les deux tomes de l’indispensable Anthologie du fantastique. C'est que les deux ouvrages soudain se rejoignent : les pierres, leur témoignage, commandent comme par enchantement aux invités (Maurice Benhamou, Jean-Yves Bosseur, Michel Doneda, Jean-Luc Guionnet, Jonas Kocher, Christian Rosset et Matthieu Saladin – et puis Ly Than Tien, plusieurs fois). A Bondonneau d’interpréter alors ces visions qui mêlent nature et fantastique – à lire dans un grand jeu de cartes que l’objet qu’est Phonolites renferme – avec un aplomb concret.

Ainsi naissent ces « suites sonores et picturales » : clarinettes confondantes sublimées par les créations (sans titre, toutes deux) de Rosset (sa partition est à elle seule une impressionnante œuvre graphique) et de Guionnet, puis par celle de Bondonneau en personne : Pierres 1966, qui retourne à la voix de Caillois pour ancrer dans le son cette épatante « manifestation des forces élémentaires ».

Benjamin Bondonneau : Phonolites. Autour de Roger Caillois 2014-2015 (Le Châtaignier Bleu / Metamkine)
Edition : 2015.
CD : 01/ Stones’ Museum1 02/ Eboulis 03/ Stones’ Museum2 04/ S’aposter à l’obscur 05/ Stones’ Museum3 06/ Le souffle des pierres 07/ Stones’ Museum4, 08/ Sans titre 09/ Les pierres n’ont pas de langue 10/ Sans titre 11/ Stones’ Museum5 12/ Pierres 1966 13/ Stones (broken version)
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

les cartographes du son radiodordogne#1

Six pièces radiophoniques sont ici réunies, « cartographies sonores » du Périgord signées Benjamin Bondonneau et Wilfried Deurre. Des témoignages y côtoient des bruits d’un quotidien fait de chants d’oiseaux ou d’amphibiens, de vieilles rengaines, de fables exotiques (mine de rien), de poésie, de politique, de philosophie… Dans le paysage, on croit entendre passer le fantôme de Luc Ferrari. Comme une caution qui viendrait fortifier ce travail de patrimoine et de création.

Les cartographes du son : RadioDordogne#1 (Le Châtaignier Bleu / Metamkine)
Edition : 2014.
CD : 01/ De l’épaisseur de la Dordogne 02/ La nuit, on pense mieux 03/ De la servitude 04/ Des voyages en enfance 05/ Work Sounds 06/ Des sons pour John
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Jacques Demierre, Jonas Kocher, Axel Dörner : Mulhouse, 27 août 2014

jacques demierre jonas kocher axel dörner festival météo 2014

Invité par le festival Météo à dispenser un stage organisé sur plusieurs jours au profit de musiciens motivés (et pas seulement pianistes), carte blanche était offerte à Jacques Demierre pour la composition de la formation qui ouvrirait la soirée de concerts donnés au Noumatrouff ce 27 août dernier.

A sa gauche (vu du public), Jonas Kocher, brillant accordéoniste de ses compatriotes qui travailla avec lui à Öcca ou en Insub Meta Orchestra ; à sa droite (du même point de vue), Axel Dörner, trompettiste qu’Urs Leimgruber, partenaire de Demierre en ldp, aura donc essayé avant lui (disque Creative Sources). Sera-ce Demierre qui composera ? Dörner qui concèdera ? Kocher qui s’adaptera ? Ou alors l’inverse ? – mais allez chercher l’inverse d’une formule à trois inconnues…

Le mystère reste entier, qui aurait pu expliquer l’équilibre trouvé par le trio : aux frasques et embardées du pianiste, à l’implication avec laquelle il assène des gifles sèches à son instrument – dans un rapport auquel Joke Lanz fera écho le lendemain soir, à Bâle (Sud), lorsque, à l’affût derrière ses platines, il trouvera matière à la fabrication d’un autre ouvrage sonore d’équilibre et d’expression instantanée – ou en explore l’intérieur, Kocher et Dörner répondent dans l’urgence (heurts provoqués, autres emportements) en prenant soin de revenir aux sources du langage qui les travaille habituellement (ligne inquiète de discrétion, voire de circonspection, sinon de silence).

Ainsi les aigus ou graves tenus de l’accordéon font bientôt le lien entre un monde et un autre. Et voilà la scène renversée : les musiciens s’immobilisent, prennent et tiennent la pause – s’ils bougent encore un peu, c’est alors un théâtre au ralenti, l’image est à la traîne, comme parasitée par les sons, même les plus infimes (souffles minces ou blancs, cordes effleurées, sourdine ou knatterboot-gerücht). Le trio prendra plaisir à renverser d’autres fois cette même scène, avec une entente égale et un équilibre rare, qui forcent une triple estime. 

Jacques Demierre, Jonas Kocher, Axel Dörner : Mulhouse, Noumattrouff, Festival Météo, 27 août 2014.
Photos : François, Quelques Concerts
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Michel Doneda, Jonas Kocher : Le belvédère du rayon vert (Flexion, 2013)

michel doneda jonas kocher le belvédère du rayon vert

La part que prend l'environnement d'enregistrement dans le processus musical a toujours compté chez Michel Doneda (saxophone soprano, radios) [de la forêt de Brame au Tarn d’Éclipses ; de la Montagne Noire à la chapelle du Solo Las Planques ; mais certainement aussi de tel studio à telle salle de spectacle] – que le musicien l'intègre simplement ou l'exploite ouvertement. Ces nuances trouvent à s'illustrer avec le disque qui paraît aujourd'hui et qui vient justement faire pendant au concert bulgare de 2009 (publié par le même label sous le titre d'Action mécanique) donné par le souffleur avec Jonas Kocher (accordéon).

Cette fois, ce sont deux jours passés, en avril dernier, à explorer l'étonnant Hôtel Belvédère du Rayon vert de Cerbère – un édifice de béton des années 30, paquebot chargé d'histoire, surplombant mer & montagne – qui ont permis de collecter la matière de ce recueil sensible. Il serait simpliste de prétendre que la déambulation musicale « révèle » l'endroit, et tout aussi hasardeux de considérer que le lieu seul confère son intérêt à la musique : l'affaire se trame plutôt dans un échange, une découverte d'espaces (plus ou moins actifs) de jeu, un travail in situ des phénomènes vibratoires.

Au seuil de l'émission sonore parfois, en mouvement souvent, rehaussant de leurs propres expirations le souffle du bâtiment traversé d'oiseaux et de trains, Kocher & Doneda ne colonisent pas ; ils griffent l'air et y disparaissent, après l'escale.

écoute le son du grisliMichel Doneda, Jonas Kocher
Le belvédère du rayon vert (extrait)

Michel Doneda, Jonas Kocher : Le belvédère du rayon vert (Flexion)
Enregistrement : 4 et 5 avril 2013. Edition : 2013.
CD : 01/ Chambre 11 02/ Cinéma 1 03/ Cinéma 2 04/ Cinéma 3 05/ Patio
Guillaume Tarche © Le son du grisli


Cyril Bondi, D’incise, Jacques Demierre, Jonas Kocher : Öcca (Bocian, 2013)

bondi demierre kocher dincise occa

Les bourdons et sifflements périssables, multipliés en conséquence, de l’accordéon de Jonas Kocher agiront une fois encore comme autant d’aimants. A eux, viendront dans un ordre ou un désordre que seul peut permettre l’improvisation de groupe – pas aussi fourni que l’Insub Meta Orchestra, celui-ci, mais imposant quand même –, le bruissement des cordes de piano que pince ou frôle Jacques Demierre, les rumeurs des caisses graves de Cyril Bondi, les ornements électroniques de D’incise.

C’est bientôt le battement d’un cœur que l’on soupçonne puis que l’on authentifie. Entre ses silences – courts mais parfois pesants, qui plusieurs fois en tout cas nous font craindre l’abandon –, il chante à force de tremblements orageux, de larsens contrits, de carillons presque éteints, d’harmoniques intimidées par leurs propres possibilités, voire formules… toutes sonorités qui, après avoir exploré tout l’espace, s’en reviendront droit au cœur large qui jadis les nourrit.

Cyril Bondi, D’incise, Jacques Demierre, Jonas Kocher : Öcca (Bocian / Metamkine)
Enregistrement : 29-31 août 2011. Edition : 2013.
LP : A1/ Telllre A2/ Scrae A3/ Rssac(s) – B1/ Iln Acynn
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Hans Koch, Gaudenz Badrutt : Social Insects (Flexion, 2012) / Jonas Kocher, Gaudenz Badrutt : Strategy of... (Insub, 2012)

hans koch gaudenz badrutt social insects

Qui sont ces insectes sociaux (sociables ?) qui sifflent sous nos têtes ? Voilà la question de Gaudenz Badrutt (electronics) et Hans Koch (clarinette basse) : l’un frissonne et l’autre siffle mais les deux donnent dans le sempiternel parallèle entre infiniment petit et difficilement audible…

Et il y a quelque chose d’organique dans ces sons. De petites bêtes passent en soufflant, sifflant, gueulant aussi de temps en temps, et l’instrumentarium est leur terrain de jeu (ils peuvent entrer dans la clarinette et y caracoler). Leur musique peut être concrète, abstraite ou ambient. On pourra qualifier cette ambient de « scientiste » pour parler de la grande découverte que Badrutt et Koch ont faite sur ce CD. Au diable la terminologie, c’est là qu’ils sont le plus original !

EN ECOUTE >>> Social Insects (extrait)

Hans Koch, Gaudenz Badrutt : Social Insects (Flexion)
Enregistrement : 2011-2012. Edition : 2012.
CD : Social Insects
Pierre Cécile © Le son du grisli

jonas kaucher gaudenz badrutt strategy

Enregistré à Berlin le 13 octobre 2011, Strategy of Behavious in Unexpected Situations (qui peut être téléchargé ici) pourra être écouté avant ou après Social Insects, dont l’écoute se sera faite avant ou après celle des Duos 2011 de l’accordéoniste Jonas KocherBadrutt et lui y posent une autre question : lequel des deux souffle électronique, et lequel des deux siffle grave à ce point ? Mais on se rend compte que cette question est moins importante que cette autre : comment le rapprochement de deux instruments que tout oppose peut-il faire muer le minimalisme en noise corrosive ?

Gaudenz Badrutt, Jonas Kocher : Strategy of Behavious in Unexpected Situations (Insubordinations)
Enregistrement : 13 octobre 2011. Edition : 2012.
CD : Strategy of Behavious in Unexpected Situations
Pierre Cécile © Le son du grisli



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