Fabric Trio : Murmurs (NoBusiness, 2013) / Grid Mesh : Live In Madrid (Leo, 2013)
La radiographie n’est pas claire, sa lecture pas évidente. Tout de même, ses blancs et gris disent un peu des préoccupations du Fabric Trio – saxophones alto et soprano de Frank Paul Schubert, contrebasse de Mike Majkowski et batterie de Yorgos Dimitriadis.
Ainsi, cinq improvisations enregistrées le 30 novembre 2010 à Berlin accordent les intervenants sur une musique de contrastes : pointant, piquant, brassant, Majkowski donne toujours consistance à l’improvisation, qu’elle rampe pour prendre discrètement possession de tout l’espace (Decomposer), attise les rivalités afin de contrarier le plan rythmique (Jaw) ou au contraire revient à l’éternelle combinaison soliste / section rythmique pour permettre à Schubert de faire entendre ses influences (Coleman, Ayler, Ware) et même quelques qualités.
Malgré celles-ci et celles, non moins remarquables, de Dimitriadis, c’est bien la contrebasse qui guide le trio dans l’ombre. Elle, qui dessine la voie que le groupe doit suivre pour, six stations plus loin, admettre avoir changé l’épreuve en beau parcours.
Fabric Trio
Jaw
Fabric Trio : Murmurs (NoBusiness Records)
Enregistrement : 30 novembre 2010. Edition : 2013.
LP : A1/ Jaw A2/ The Salt of Pleasure A3/ Hook A4/ Bristles B1/ Decomposer B2/ Acorn/Tongue
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Formé en 2006, Grid Mesh associe le même Frank Paul Schubert à Johannes Bauer (trombone), Andreas Willers (guitare électrique) et Willi Kellers (batterie). Point d’archet, donc, et moins de subtilité dans le jeu du saxophoniste : alors l’improvisation de ce Live in Madrid court après un lyrisme rocailleux, parfois bruitiste (cependant, les devices de Willers manquent de corps), et frise le brouillon quand Bauer n’y intervient pas.
Grid Mesh : Live in Madrid (Leo /Orkhêstra International)
Enregistrement : 17 février 2011. Edition : 2013.
CD : 01/ Part I 02/ Part Iia 03/ Part IIb
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Johannes Bauer, Isabelle Duthoit, Luc Ex : Bouge (CCAM, 2013)
Cette chronique inaugure une semaine dédiée aux bassistes à l'occasion de la parution, mardi prochain, du onzième hors-série papier du son du grisli : sept basses.
Pour vérifier que Luc Ex bouge encore, on peut le suivre en Bouge (ah !) avec la vocaliste Isabelle Duthoit et le tromboniste Johannes Bauer. L’expérience promet, je vous l’assure, en promet même de toutes les couleurs (sur vingt-et-un petits morceaux).
Ça commence par des sirènes et un morceau brut de décoffrage à la Ex (The)… la basse qui crache un motif accidenté, la voix qui aboie aigu et le trombone qui gronde saccadé. Impressionnant, et si la suite l’est un peu moins, elle l’est tout de même assez pour qu’on applaudisse le trio pour sa performance…
Car quand les deux hommes sont moins vaillants, Madame les pique au nerf. Pour ce faire elle siffle, s’insurge, gémit, râle, théâtralise, ou encore – pour citer des verbes qui ne tarderont pas à rentrer dans le Larousse – elle asiatise (japonise ou coréane), boise (à la clarinette) et même il arrive qu’elle talwègue… De quoi relancer la machine mâle, qui canarde pour faire front quand elle n’y va pas de main morte ave trombone-hache et médiator-cisailles !
Enfin, je ne vous quitterais pas sans avouer (quitte à laisser toute la parole à la Cécile qui est en moi) que la mélodie que Bauer a inventé « sur » Rosa a bien failli me tirer des larmes. Voilà pourquoi Bouge, croyez-moi, j’y reviendrai.
Johannes Bauer, Isabelle Duthoit, Luc Ex : Bouge (CCAM)
Enregistrement : Avril-Mai 2012. Edition : 2013.
CD : 01/ Krapplack 02/ Alizarine 03/ Capucine 04/ Cinabre 05/ Pourpre 06/ Ocer 07/ Amarante 08/ Sang 09/ Lava 10/ Vermillon 11/ Zinnoberrot 12/ Tomaat 13/ Carmin 14/ Coquelicot 15/ Rosa 16/ Roest 17/ Vuurrood 18/ Scarlet 19/ Ruby 20/ Aniline 21/ Kirsch
Pierre Cécile © Le son du grisli
Luc Ex emmènera ce vendredi 22 novembre à Nantes, Pannonica, un autre de ses projets, Assemblee, dans lequel entendre aussi Ingrid Laubrock, Ab Baars et Hamid Drake. Le samedi 23, le groupe se produira à Avignon, AJMI La manutention.
Peter Brötzmann Chicago Tentet : Concert for Fukushima (Pan Rec / Trost, 2013)
Assez solides, les planches du Stadttheater de Wels, Autriche, pour accueillir, le 6 novembre 2011 à l'occasion d'un hommage aux victimes de la catastrophe de Fukushima, le Chicago Tentet de Peter Brötzmann augmenté de quatre Japonais de poids (Toshinori Kondo, Michihiyo Yagi, Otomo Yoshihide et Akira Sakata).
Les caméras de Pavel Borodin montrent tout de même qu'un invité chasse l'autre auprès de l'épaisse formation : Kondo, d'abord, se ralliant sur l'instant à la fougue qui emporte un hymne que l'on croirait illustratif ; Yagi, dont les kotos encouragent les vents à redoubler d'ardeur, et qui se recueillera seule sur les deux notes d'une berceuse, parenthèse refermée par un Tentet alarmant ; Yoshihide, cinglant d'abord à la guitare, puis occupé à de patientes recherches sur l'harmonie des lignes à l'invitation de Brötzmann, Vandermark et Gustafsson – un motif de trois notes qu'il mettra au jour et fera tourner relancera la furieuse machine ; Sakata, pour conclure, sur une pièce qui double souvent tel instrument privilégié : course d'alto entamée avec Brötzmann à laquelle feront écho Bishop et Bauer, puis clarinette couplée à celle de Vandermark, combinaison qui attirera tous les musiciens à elle.
Ce sont-là quatre paysages jouant d'éléments différents mais d'une force partagée, et de caractéristiques nées de leur rencontre : méditative, habile, espiègle, ardente.
Peter Brötzmann Chicago Tentet : Concert for Fukushima, Wels 2011 (PanRec / Trost / Metamkine)
Enregistrement : 6 novembre 2011. Edition : 2013.
DVD : 01-04/ Japanese Landscapes 1-4
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Brigantin : La fièvre de l'indépendance (Bloc Thyristors, 2012)
Sur le pont du Brigantin en question, quatre hommes se disputent : Johannes et Conny Bauer, Barry Guy et Jean-Noël Cognard. La fièvre de l’indépendance à l’ordre du jour : l’épaisse boîte jaune qui renferme trois disques vinyle et un cahier de photographies signées Philippe Renaud est là pour raconter les contrecoups de l’effervescence.
Les échanges datent des 20 et 21 février 2012 – l’ordre des pièces (dont les titres disent l’amour de Cognard pour le film Aguirre, la colère de Dieu) respectant celui de leur enregistrement. Fruits d’un passage en studio, les deux premiers disques jouent de combinaisons multiples mais d’intentions accordées sur une improvisation vive qui ne se refuse rien. Ainsi, l’archet baroque ou assassin de Guy peut suivre les volutes de trombones passeurs d’hymnes, Cognard exercer une pression martiale dont se dépêtreront les mêmes trombones en canardant avec superbe, les Bauer feindre les éléments de fanfare et même le télescopage avant d’inciter le quartette à soigner des obsessions qu’il a nombreuses – tirs à blanc, harmoniques contre sourdine, harcèlements percussifs : l’équipe fait grand bruit.
Aux Instants Chavirés le soir du second jour, le groupe réitère : Bauer et Bauer fomentent l’anicroche et troquent télescopage contre interférences : voilà bientôt remplis le ventre de la contrebasse et les caisses de la batterie de trésors trouvés à quatre – à cinq même, si l’on considère les effets de la brillante prise de son de Patrick Müller. Trésors qu’il faudra se partager et qui offriront à Bauer, Bauer, Guy et Cognard, d’autres occasions de grandes disputes.
Brigantin : La fièvre de l’indépendance (Bloc Thyristors / Souffle Continu)
Enregistrement : 20 et 21 février 2012. Edition : 2012.
LP : La fièvre de l'indépendance
Guillaume Belhomme © Le son du grisli 2013
London Jazz Composers Orchestra : Harmos (Intakt, 2012)
Des contours flous et quel autre effet détachent étrangement la musique de l’image dans cette captation d’Harmos du London Jazz Composers Orchestra, donné en 2008 au festival de jazz de Schaffhausen.
Qu’importe. Le temps pour Barry Guy de présenter la pièce – enregistrée déjà en 1989 pour Intakt – et de la dédier à Paul Rutherford, disparu quelques mois plus tôt, et voici trois trombones (Conny Bauer, Johannes Bauer, Alan Tomlinson) entamant la partition. Celle d’une composition aux airs de vaisseau d’envergure que dirige Guy avec le concours d’Howard Riley : mélodies lustrées à l’unisson, progressions dramatiques, morceaux de classique sévère ou d’opéra bouffe, convocations de jazz – orchestral, swing (dont l’éclat peut parfois décontenancer : intervention de Pete McPhail), free… – et inévitables charges héroïques (Mats Gustafsson, Phil Wachsmann, Evan Parker).
Au jeu des comparaisons, si cet Harmos n’atteint pas les sommets de son prédécesseur – vingt ans plus tôt, Howard Riley, Barre Phillips, Paul Lytton, Evan Parker, Trevor Watts et Phil Wachsmann donnaient déjà de leur personne auprès de Guy, en présence de Paul Rutherford, Paul Dunmall et Radu Malfatti –, sa hauteur n’est pas non plus à négliger : qui le fait dépasser tout autre orchestre du genre d’au moins une quinzaine de têtes.
Barry Guy London Jazz Composers Orchestra : Harmos, Live at Schaffhausen (Intakt / Orkhêstra International)
Enregistrement : 21 mai 2008. Edition : 2012.
DVD : 01/ Harmos
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Barry Guy New Orchestra : Amphi + Radio Rondo (Intakt, 2014)
L’agencement de passages solos au sein des rigoureuses compositions de Barry Guy n’est pas chose nouvelle. Homme de fluidités et de tuilages, le contrebassiste britannique creuse à nouveau ce sillon avec son New Orchestra (Agustí Fernández, Maya Homburger, Evan Parker, Jürg Wickihalder, Mats Gustafsson, Hans Koch, Herb Robertson, Johannes Bauer, Per-Ake Holmlander, Paul Lytton, Raymond Strid).
Aux avant-postes d’Amphi, contrebasse et violon prennent le parti de lier et de relier dans un même mouvement ce qui ne le fut que rarement : les deux cent ans séparant la musique baroque de la musique contemporaine, l’effervescence d’un trio saxophone-trompette-piano opposé aux effets contrapunctiques de ces mêmes cordes.
Radio Rondo régénère quelques dissonances titubantes avant de débrider la masse orchestrale. Terrain plus connu ici et où solos brûlants, clusters, vagues et crescendos retrouvent les justes effusions de jadis. Soit deux figures bien connues de l’ami Barry Guy. Bien connues, mais toujours autant appréciées.
Barry Guy New Orchestra
Amphi + Radio Rondo (extraits)
Barry Guy New Orchestra : Amphi. Radio Rondo (Intkat / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2013. Edition : 2014.
CD : 01/Amphi 02/ Radio Rondo
Luc Bouquet © Le son du grisli
Volume : Tungt Vand (Nith World, 2011)
A Volume, rajouter fort plutôt que faible. Ecrire de Mikolaj Trzaska qu’il fait de l’éructation un principe premier et conclure qu’entre Brötzmann et Zorn, il restait une petite place.
Souscrire, à nouveau, aux joyeux barrissements de Johannes Bauer. Prendre les gazouillis soniques de la basse électrique de Peter Friis Nielsen pour ce qu’ils sont : des assauts chroniques. Ne pas oublier qu’un batteur de la trempe de Peter Ole Jorgensen peut trouver de nouveaux codes à la rébellion. Mais aussi s’enchanter des duels-disputes de deux souffleurs irréconciliables. Et à l’arrivée, prendre part et plaisir à leurs gargantuesques agapes.
Volume : Tungt Vand (Ninth World Music)
Enregistrement : 2009. Edition : 2011.
CD : 01/ Washing Time 02/ Diving in Sound 03/ Megasus 04/ Light Shinning on a Black Surface 05/ Tungt Vand (Deuterium Oxide)
Luc Bouquet © Le son du grisli
Kris Wanders : In Remembrance of the Human Race (Not Two, 2011)
Entendu jadis au sein du Globe Unity de Schlippenbach ou sur la seconde face du Requiem for Che Guevara de Fred Van Hove, le saxophoniste Kris Wanders a dû attendre qu’un millénaire se termine pour poursuivre son œuvre enregistré. Si ce concert anversois daté de 2009 le regrette avec force, c’est que Wanders y redit toute la puissance de son souffle.
En compagnie de Johannes Bauer (trombone), Peter Jacquemyn (contrebasse) et Mark Sanders (batterie), le ténor fait d’abord tourner un motif en boucle – voire en bourrique – qui contraste avec la langueur affichée par le tromboniste. Plus loin, ce-dernier décidera plutôt d’un contrepoint ou de croiser le fer avec les éclats de rocailles projetés par Wanders. In Remembrance of the Human Race est né d’un art sombre et impétueux : Uwaga sera, pour sa part, une mélodie quiète (Bauer encore) sur reliefs abrupts (Wanders toujours).
Brötzmann pour toute facilité, Ayler ou Gayle pour aller plus loin : Wanders aurait pu seulement grossir la liste longue des saxophonistes récitant le dialecte d’anciennes références. Or, l'homme fait lui-même, et presque autant que ces trois-là, preuve de singularité. A Man’s Dream est la pièce qui ici le dit pour la troisième fois : Bauer, Jacquemyn et Sanders, élevant en machinistes le beau décor dans lequel chancèle ce ténor d’exception.
Kris Wanders' Outfit : In Remembrance of the Human Race (Not Two / Instant Jazz)
Enregistrement : 16 mai 2009. Edition : 2011.
CD : 01/ In Remembrance of the Human Race 02/ Uwaga 03/ A Man’s Dream
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Doppelmoppel : Outside This Area (Intakt, 2008)
Née en 1982, Doppelmoppel est une formation réunissant deux guitaristes (Uwe Kropinski et Joe Sachse) et deux trombonistes (Conny et Johannes Bauer), qui enregistraient en 2007 leur troisième disque seulement.
Caractéristiques rares, donc, comme celles de la musique improvisée à laquelle renvoie Outside This Area, faite de réminiscences éclatées : swing autant que déconstruction, rock bruitiste et sérénade carioca. Grâce à l’intensification des échanges et au choix de plus en plus affirmé d’abandonner peu à peu un lyrisme qui le rassure mais le perd aussi, Doppelmoppel parvient à édifier un mélange original et opérant.
CD: 01/ Walk 1 02/ Walk 2 03/ Walk 3 04/ Walk 4 05/ Walk 5 06/ Walk 6 07/ Walk 7 08/ Walk 8 09/ Walk 9 10/ Walk 10 11/ Walk 11
Doppelmoppel - Outside This Area - 2008 - Intakt Records. Distribution Orkhêstra International.
Peter Brötzmann: Berlin Djungle (Atavistic - 2004)
Vingt ans après son enregistrement au JazzFest de Berlin, le label Atavistic ressortait Berlin Djungle du saxophoniste Peter Brötzmann, édité à l’origine par Free Music Production.
Le temps d’un concert unique, 11 musiciens servirent le fantasme du Brötzmann Clarinet Project, certains devant laisser leur instrument de prédilection au profit de la clarinette : parmi eux, les saxophonistes Tony Coe (transfuge de l’orchestre d’Henry Mancini) et John Zorn. Au nombre des intervenants, compter aussi Louis Sclavis, Toshinori Kondo (trompette), Johannes Bauer et Alan Tomlinson (trombones), quand William Parker et Tony Oxley assurent la section rythmique.
Et Brötzmann, bien sûr, qui adresse un clin d’œil à Dolphy avant de conduire son ensemble le long des deux parties de What A Day, pièces sans concessions évoluant au gré des emportements : mouvements saccadés, cris, sifflements, pizzicatos de Parker surpris en pleine transe nihiliste. Espacés, des solos sont ensuite plus à même d’instaurer des pauses obligatoires avant l’unisson ultime et suraigu auquel résiste, seul, le barrissement d’un trombone (First Part). L’épreuve est extrême, et la seconde partie nous apprendra que le bout du bout de la fougue bruyante peut encore changer d’allures. Les contraintes presque toutes anéanties, les trombones dressent leurs sirènes plaintives au milieu desquelles Brötzmann installe au tarogato (saxophone en bois d’origine hongroise) un blues badinant avec la Rhapsody In Blue de Gershwin. Incursion démesurée dans le champ du free jazz et de l’improvisation contestataire, Berlin Djungle est, en plus, un document d’importance, au générique singulier. Prometteur à l'époque ; confirmé aujourd'hui.
CD: 01/ What A Day / First Part 02/ What A Day / Second Part >>> Peter Brötzmann - Berlin Djungle - 2004 (réédition) - Atavistic. Distribution Orkhêstra International.