Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

Joe Morris, Simon H. Fell, Alex Ward : The Necessary and The Possible (Victo, 2009)

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On commence à mieux connaître la guitare acoustique de Joe Morris depuis l’indispensable Elm City en duo avec Barre Phillips. On la retrouve aujourd’hui en trio aux côtés de Simon H. Fell et d’Alex Ward, deux improvisateurs que l’on ne présente plus.

C’est une musique où cordes et souffles s’entortillent, se bousculent, se juxtaposent pour ne (presque) jamais se quitter. Quelle est donc cette mathématique à la fois si complexe et si naturelle ? Tensions-détente, furie-accalmies ; on connaît cela par cœur mais, ici, quelque chose de plus s’interpose. Entre strangulation et longs phrasés enchevêtrés, la clarinette étonne. Mais tout autant, la guitare et la contrebasse. L’élan se fendille, les sons s’épuisent et s’en vont mourir abruptement. La phrase se casse, ressurgit et exige un ultime crescendo. Le jazz de Morris est vif, rugueux dans ses harmoniques (on songe à Bailey). Il est encore très vif mais sans l’arrête vive quand arrive le contrepoint. Un contrepoint qui, jouant avec des figures plus cisaillantes, éloigne la musique des habituelles formules du genre. Un possible renouvellement de la forme, alors ? Pourquoi pas.

Joe Morris, Simon H. Fell, Alex Ward : The Necessary and The Possible (Victo / Orkhêstra International)
Enregistrement : 18 mai 2008. Edition : 2009
Cd : 01/ Ils improviseront 02/ Ils auront improvisé 03/ Ils improvisaient 04/ Ils improvisèrent 05/ Ils eurent improvisé
Luc Bouquet © Le son du grisli



Joe Morris : Today on Earth (AUM Fidelity, 2009)

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Today on Earth fait suite à Beautiful Existence (Clean Feed, 2005) pour lequel Joe Morris officiait déjà en tant que guitariste aux côtés de Jim Hobbs (saxophone alto), Timo Shanko (contrebasse) et Luther Gray (batterie). Dans ce nouvel opus, le prolifique musicien (il est apparu sur plus de 20 albums depuis début 2008 !) poursuit sa recherche d’un groove lumineux et sensible. A la différence de certaines des projets où le style se fait plus expressionniste (par exemple au sein du Flow Trio), le discours se construit ici avec tranquillité et limpidité, conférant à l’album une tonalité presque classique.

Cet aspect apparemment apaisé ne signifie pas pour autant que la musique manque d’inventivité. Durant le thème d’Animal, saxophone et guitare s’entremêlent pour ne former qu’une seule ritournelle, puissante et presque liquide tant elle s’écoule naturellement. Dans Today on Earth, les intentions panthéistes du guitariste sont plus que jamais manifestes, par le titre du morceau, mais aussi et surtout par les subtiles variations de son jeu, dominant une assise rythmique mouvante. Souvent, il sait s’éclipser, laissant s’exprimer avec brio ses coreligionnaires, comme sur une bonne partie d’Observer, ballade tendue et semée d’embûches. Mais toujours, ce magnifique son clair d’une guitare maniée avec précision revient pour dominer l’ensemble sans se forcer.


Joe Morris, Animal (extrait). Courtesy of AUM Fidelity.

Joe Morris Quartet : Today on Earth (Aum Fidelity / Orkhêstra International)
Enregistrement : 17 juin 2009. Edition : 2009.
CD : 01/ Backbone 02/ Animal 03/ Today on Earth 04/ Observer 05/ Embarrassment of Riches 06/ Ashes 07/ Imaginary Solutions.
Jean Dezert © Le son du grisli


Joe Morris : Wildlife (AUM Fidelity, 2009)

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Avec Petr Cancura – saxophoniste (alto et ténor) tchèque installé à New York – et le batteur Luther Gray, Joe Morris (contrebasse) s’adonna pour Wildlife à une séance d’improvisation dont les quatre mouvements redisent son actuelle inspiration.

D’un bout à l’autre de ceux-là, le trio fait front avec une facilité tenant de l’évidence : sur le swing chaleureux de Geomantic ou de Nettle aussi bien que sur la ballade trompeuse de Crow et l’air caribéen déviant de Thicket. Le développement réinterrogé sans cesse des interventions de Morris pour unique fil conducteur, Cancura et Gray n’ont plus qu’à suivre en comptant sur leur à-propos respectifs : Wildlife, d’attester aussi de ceux-là.


Joe Morris, Crow (extrait). Courtesy of AUM Fidelity.

Joe Morris : Wildlife (AUM Fidelity / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2008. Edition : 2009.
CD : 01/ Geomantic 02/ Thicket 03/ Crow 04/ Nettle
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

Archives Joe Morris


MVP: LSD (Riti - 2009)

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Sous-titré The Graphic Scores of Lowell Skinner Davidson, LSD donne à entendre Joe Morris (guitare), John Voigt et Tom Plsek (MVP, donc), inspirés par les notations personnelles d’un musicien qu’ils ont tous les trois fréquentés.

Auteur, dans les années 1960, d’un seul et unique enregistrement élaboré aux côtés de Gary Peacock et Milford Graves pour ESP, Davidson trouve là – certes, à titre posthume – ses conceptions singulières réinvesties et son œuvre prolongé. Donnant son interprétation de compositions graphiques couchées sur le papier par Davidson dans les années 1980, le trio installe une suite de progressions mélodiques souvent empêchées par une implication personnelle intense : découpées toutes, les conversations se font brutes et souvent lasses, ou développements sans cesse contrecarrés par la découverte probable d’une sonorité nouvelle. Extatiques en équilibre, Morris, Voigt et Plsek, tiennent sur le fil distandu qui court d’un bout à l’autre de l’ouvrage. Avec, qui plus est, un aplomb remarquable.

CD: 01/ Blue Sky and Blotches 02/ Particles 03/ Separate Blue X’s 04/ Gold Drop #2 05/ Orange Cards 06/ Index Cards #3 07/ Index Cards #1 08/ Index Cards #2 09/ Double Sheet 10/ Gold Triptych 11/ Gold Drop #1 >>> Joe Morris, John Voigt, Tom Plsek - LSD, The Graphic Scores of Lowell Skinner Davidson - 2009 - Riti. Distribution Orkhêstra International.

Joe Morris déjà sur grisli
Elm City Duets 2006 (Clean Feed - 2008)


Flow Trio: Rejuvenation (ESP - 2009)

FlowGrisli

Avec Rejuvenation, Flow Trio – soit : Louie Belogenis (saxophone ténor), Joe Morris (contrebasse) et Rashid Bakr (batterie) – signe un premier enregistrement qui en appelle au free jazz des origines. 

Après que le saxophoniste aura, sur Reflection, laissé discourir son vibrato, le trio improvisera six pièces d’un jazz concentré et intense, titubant partout mais tenant bon aussi. Jusque-là opaque, la musique change de nature avec Two Acts, sur lequel Belogenis hurle avant d’installer une mélodie au creux des heurts provoqués par l’inspiration abrupte de ses partenaires. Pas loin des phrases d’Ayler, alors, jusqu’à ce que la contrebasse et la batterie parviennent peu à peu à circonscrire les plaintes, et même, les avalent.

Et si la question peut être posée de l’intérêt d’en revenir aux codes des premiers temps du free (une fois relativisée la curiosité de repérer, dans le catalogue d’ESP, autre chose qu’une réédition), l’expérience, faite par trois musiciens avertis, ne donne évidemment pas les mêmes résultats : Flow Trio tirant d’anciennes pratiques l’originalité de ses propositions.

CD: 01/ Reflection 02/ Slow Cab 03/ Pick Up Sticks 04/ Two Acts 05/ Succor 06/ Unfolding 07/ Rejuvenation >>> Flow Trio - Rejuvenation - 2009 - ESP Disk. Distribution Orkhêstra International.



David S. Ware: Shakti (AUM Fidelity - 2009)

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Sous prétexte de dédicace à l’une des figures du panthéon indien, David S. Ware inaugure le travail d’un nouveau quartette : qui convoque, outre William Parker, le (sis) guitariste Joe Morris et le batteur Warren Smith.

S’il donne d’autres couleurs au thème d’Antidromic, l’enregistrement s’occupe ailleurs d’imposer de nouvelles compositions : Crossing Samsara, sur lequel un ténor vrombissant redit toute l’intensité du jeu de Ware ; Nataraj, jouant des paraphrases ; ou Reflection, progression instable et sans référent sur laquelle Morris intervient avec acuité.

Passé aux percussions, le guitariste emboîte le pas d’un Ware intervenant au kalimba sur l’introduction de Namah : impression d’Afrique en dérive chassée bientôt par un saxophone multipliant les propositions sombres, sur les invectives de Parker à l’archet. En conclusion, les trois parties de Shakti – inspirations élevées sur motifs répétitifs, soignés par Morris dès que Ware se laissera aller aux charmes de la divagation – finissent de convaincre de la qualité de frasques attendues, et puis nouvelles et changeantes.

CD: 01/ Crossing Samsara 02/ Nataraj 03/ Reflection 04/ Namah 05/ Antidromic 06/ Skahti : a) Durga b) Devi c) Kali >>> David S. Ware - Shakti - 2009 - AUM Fidelity. Distribution Orkhêstra International. [Ecoute]

David S. Ware déjà sur grisli
Renunciation (AUM Fidelity, 2007)
Balladware (Thirsy Ear, 2006)

Interview


Joe Morris, Barre Phillips : Elm City Duets 2006 (Clean Feed, 2008)

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Après avoir rencontré Anthony Braxton, Joe Morris (ici à la guitare classique) improvisait en compagnie d’un autre musicien d’importance : Barre Phillips.

Elm City Duets, de partir au son de l’archet frénétique du contrebassiste, avant de faire état de pratiques percussives conjointes, capables d’imposer l’allure de l’improvisation – précipitations puis ralentissement de Recite. Aussi réfléchi qu’habité, Phillips reçoit avec superbe les interventions d’un Morris évoluant sur une boucle d’arpèges (Saved Stones) ou tirant parti d’un lot de cordes défaites ; pour les accueillir toujours différemment : pizzicatos abrupts ou grand archet baroque.

Ailleurs encore, la paire se débat sous des montagnes de cordes étouffées puis, prise de frénésie, trouve un peu de réconfort au creux d’une mélodie. Une fois n’est pas coutume.

Joe Morris, Barre Phillips : Elm City Duets 2006 (Clean Feed / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2006. Edition : 2008.
CD : 01/ Ninth Square 02/ Recite 03/ Saved Stones 04/ June Song 05/ Normal Stuff 06/ Spirals 07/ Translate 08/ Got Into Some Things
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Matthew Shipp: Right Hemisphere (Rogue Art - 2008)

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Prolongeant sa collaboration avec le saxophoniste Rob Brown en quartette – là, trouver aussi le contrebassiste Joe Morris et le batteur Whit Dickey –, Matthew Shipp enregistrait en 2006 Right Hemisphere, disque forcément intuitif, et puis : décisif.

Pour donner dans une noirceur inspirante, Shipp parvient dès le premier titre à éloigner son propos des tentations lyriques qui l’animent habituellement, aidé aussi par la forte présence de Brown, dont l’alto ne cesse de perturber des développements là justement pour cela. Sur Ice, le propos déjà anguleux de Shipp est ainsi interrompu par ses partenaires, qui donnent au pianiste autant d’occasions de chercher à s’en sortir autrement, d’inventer encore, voire : de laisser le champ libre à un trio qui le satisfait au point de lui laisser toute la place.

Une ballade traînante – The Sweet Science, pas à l’abri des effets du doute, elle non plus –, et une conclusion sur grand free peuvent refermer Right Hemisphere, désormais favori au titre de magnum opus de Matthew Shipp.

CD: 01/ Right Hemisphere 02/ You Rang 03/ Bubbles 04/ Ice 05/ Hyperspace 06/ Dice 07/ Incremental 08/ Falling In 09/ The Sweet Science 10/ Lava 11/ Red in Gray >>> Matthew Shipp - Right Hemisphere - 2008 - Rogue Art.


William Parker : Double Sunrise Over Neptune (AUM Fidelity, 2008)

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En 2007, au Vision Festival de New York, William Parker emmenait un ensemble de seize musiciens au son des mouvements d’un Double Sunrise Over Neptune plaidant la cause d’une réconciliation universelle à provoquer en musique.

Des musiciens affiliés au jazz (le trompettiste Lewis Barnes, les saxophonistes Rob Brown, Sabir Mateen et Dave Sewelson, le guitariste Joe Morris ou les percussionnistes Gerald Cleaver et Hamid Drake), quelques cordes (dont le violon de Jessica Pavone) et la chanteuse indienne Sangeeta Bandyopadhyay emboîtent ainsi le pas à Parker, qui, intervenant au doso n’goni, laisse la contrebasse aux soins de Shayna Dulberger : chargé d'ouvrir Morning Mantra, pièce appelée à prendre de l’ampleur qui mêle musique classique indienne à des dissonances arabo-andalouses.

Ailleurs, Parker se donne des airs de gnawa et soulève un autre fantasme d’amalgame musical avec une conviction efficace : lyrisme insistant des instruments à vent sur répétitions entêtantes : Lights of Lake George et Neptune’s Mirror, qui enrichissent encore l’exposé altier de musiques du monde réinventées par William Parker, excusant à lui seul des décennies de pauvres tentatives faites par d'autres dans le même domaine.


William Parker, Morning Mantra (extrait). Courtesy of AUM Fidelity.

William Parker : Double Sunrise Over Neptune (AUM Fidelity / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2007. Edition : 2008.
CD : 01/ Morning Mantra 02/ Lights of Lake George 03/ O’Neal’s Bridge 04/ Neptune’s Mirror
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Daniel Levin: Blurry (Hat Hut - 2007)

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A la tête de son quartette, Daniel Levin gravait en 2006 un second album pour HatOLOGY : Blurry, qui applique, entre autres,  ses vues de musique de chambre au jazz d’Ornette Coleman et de Charlie Parker.

Deux reprises, donc : Law Year et Relaxin’ With Lee, avec lesquelles le violoncelliste impose une texture sonore dense et délicate, née du mariage de mouvements d’archets appuyés et des résonances du vibraphone de Matt Moran, disposant des strates décoratives pour permettre ensuite aux musiciens d’intervenir comme bon leur semble.

Ailleurs, Nate Wooley expose les facettes multiples d’une pratique interne de la trompette sur un autre emportement de Levin (Improvisation II), le leader mène sur un gimmick de contrebasse dont se charge Joe Morris une charmante progression cinématographique (Untitled). Et lorsqu’il arrive au groupe de sonner précieux (209 Willard Street Jazz), c’est pour rapidement rectifier le tir, et revenir plus efficacement encore à la défense d’une musique singulière d’où filtrent des audaces baroques.

CD : 01/ Law Years 02/ Improvisation II 03/ 209 Willard Street 04/ Cannery Row 05/ Untitled 06/ Relaxin' With Lee 07/ Sad Song 08/ Blurry

Daniel Levin Quartet - Blurry - 2007 - Hat Hut. Distribution Harmonia Mundi.



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