Le son du grisli

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Interview de Giovanni Di Domenico

giovanni di domenico

Pour l’avoir entendu auprès d’Akira Sakata (Iruman), on suit – certes peut-être pas aussi rapidement que la publication de ses disques devrait nous l’imposer – le parcours de Giovanni Di Domenico. Au piano, à l’orgue ou à l'électronique, il s’est ainsi récemment fait entendre auprès de Peter Jacquemyn et Chris Corsano (A Little Off the Top), de Jim O’Rourke et Tatsuhisa Yamamoto (Delivery Health, chronique à suivre) ou encore à la tête de Going (II). Assez, donc, pour qu’on le passe à la question. 

... Mes premiers souvenirs de musique sont les mélodies et les rythmes que j'écoutais dans les rues de Yaoundé, au Cameroun, et ceux que chantait Marie-Thérèse, notre employée de maison africaine. J’ai vécu en Afrique les onze premières années de ma vie, d’abord en Libye, puis de 5 à 8 ans au Cameroun, et enfin en Algérie.

Est-ce indiscret de te demander pour quelle raison tu as, enfant, vécu en Afrique ? Ce n’est pas indiscret, non : mon père y travaillait, comme ingénieur civil dans une boîte de construction italienne ; il a décidé d’emmener sa famille avec lui.

A quel instrument as-tu commencé à faire de la musique et quelles sont tes premières expériences de musicien ? Ça a été la guitare, ensuite le piano puis, vers 14 ans, j’ai commencé à jouer de la basse, de la batterie, de la guitare électrique et des claviers dans différents groupes de la scène « underground » de Rome, notamment dans le réseau anarchiste / punk / hardcore / vegan, etc. Autour de 20 ans, je me suis impliqué avec toute mon énergie dans la composition classique (j’ai passé un an au Conservatoire de Santa Cecilia, à Rome, mais j'ai rapidement compris que ce n’était pas pour moi…) et le piano jazz en autodidacte. En 2001, à l’âge de 24 ans, j’ai suis parti en Hollande pour étudier plus sérieusement le piano, et cinq ans plus tard je suis arrivé à Bruxelles. On peut trouver toute ma biographie à cette adresse.

Quelles étaient tes influences musicales à tes débuts et quelles sont celles qui ont façonné la musique que tu défends aujourd’hui ? Mis à part l'Afrique et ses sons, qui sont impressionnants et qui résonnent en moi à un degré que je ne pourrais même pas estimer, c’est le jazz qui m’a fait tomber amoureux de la musique : Miles, Bill Evans, Coltrane, puis les disques des années 1970 de Stevie Wonder (Innervisions, Music Of My Mind, Talking Book). Quand j'étais adolescent, au lieu de traîner avec mes copains, si ce n’est pour jouer dans de petites caves malodorantes, je me promenais dans les rues de Rome (qui n’était pas encore envahie par le tourisme de masse) avec mon walkman Sony sur les oreilles et beaucoup de cassettes de Stevie, du Miles électrique et des premiers disques du chanteur Italien Pino Daniele… Il y avait aussi Stravinsky, le Schoenberg atonal (pas dodécaphonique), Ravel et Ornette…. Puis, j'ai découvert Paul Bley, Cecil Taylor, les seventies (le premier Jan Garbarek et quasiment les 20 ou 30 premiers titres sortis sur ECM), Jon Hassell et son Fourth World, puis le minimalisme (de Tony Conrad) et l'électronique (celle des raves illégales, et ensuite le GRM et tout ce que suit). En parallèle, j’écoutais aussi des choses plus entraînantes quand la qualité y était, comme Led Zep, le rock progressif (le premier Franco Battiato !), la pop de qualité (celle de Jim O'Rourke en est le meilleur exemple). Je dirais que, au niveau du son, ce sont les années 1970 qui me procurent le plus de plaisir, même si mes influences sont assez grandes, du jazz en passant par (presque) toute la musique « noire » jusqu'à la musique contemporaine, et ce que les premiers enregistreurs multipistes ont amené (encore et toujours les seventies !)



C’est ce qui explique sans doute la variété des musiques que tu produis. Tu revendiques par exemple l’influence du son ECM et, dans le même temps, peux t’acoquiner avec Akira Sakata ou Jim O’Rourke Voilà, on en revient à la largeur du spectre… Je crois que je dois toujours aller voir au-delà de l’endroit où je me trouve tout en gardant des points d’ancrage auxquels je suis émotionnellement attaché. Si je devais dresser la liste de mes disques à emporter sur une île déserte, j’aurais beaucoup de mal : à part quelques références qui ne bougent pas, ça change très vite… Jim et Sakata, par exemple, je les ai découverts assez tard (Jim il y a une dizaine d'années et bien moins pour Sakata, que j’ai en fait découvert directement en jouant avec lui) et ils ont eu tous les deux une énorme influence sur mon développement de musicien. Jim m’a ouvert une grande porte vers la subtilité et l'importance de la « forme », il m’a révélé l'importance de la MUSIQUE et la passion qu’il faut lui consacrer, je me sens très proche de lui là-dessus. Akira Sakata a la même importance mais d’un point de vue plus « spirituel », il a l’âge de mon père et il est en quelque sorte mon « père musical »… Il joue de la même façon depuis plus de quarante ans mais son attitude est tellement pure et libre de tous désirs qui n’ont rien à voir avec la musique qu’il est très inspirant d’être et de jouer avec lui. Une fois, il m’a raconté avoir voulu faire de la musique (ce type de musique « libre ») afin de devenir un meilleur être-humain, ça dit bien toute la profondeur de cet homme. L’un et l’autre sont en plus devenu de vrais amis, et ça a une importance énorme pour moi.

Ta collaboration avec O’Rourke semble en effet assez solide… Comment l’as-tu rencontré ? (même question pour Akira Sakata…) L'histoire de mes rencontres avec eux est liée à un événement fondamental de ma vie : la découverte du Japon et de sa culture. Depuis 2008, je me rends chaque année au Japon, et j’ai établi une magnifique relation avec ce pays. Je pourrais dire que si mon enfance est en Afrique, ma maturité s’est faite au Japon (dans un peu toute l’Asie d’ailleurs). Comme je l’ai dit, ma rencontre avec ces deux musiciens a été provoquée par le fait de jouer avec eux, et puis nous avons passé du temps ensemble (des repas incroyables arrosés d’un saké divin…). Avec Jim, je pourrais passer des heures à simplement écouter de la musique, et j’ai de la chance qu’il ait compris mes vraies motivations de musicien, l’idée que sans musique la vie serait impossible. Même si l’on vit très loin l’un de l’autre, j’ai sans cesse en tête des choses que je voudrais faire avec lui, certainement trop de choses, en fait ! Mais c'est une collaboration que va durer, j'en suis sûr!

Comme O’Rourke, tu t’es donc essayé à plusieurs choses, musicalement parlant. Ton jeu au piano – souvent fougueux, proche de Cecil Taylor mais aussi très classique parfois (et très ECM dans le son) – est en outre assez différent de ton jeu aux claviers électroniques – que je préfère, pour être honnête, dans des groupes comme Going ou Kalimi dont j’aimerais aussi que tu nous parles… Fais-tu une différence lorsque tu passes d’un instrument à un autre ? Non, je ne fais pas de différence entre piano, rhodes, composition ou quoi que ce soit, au moins pour ce qui est de l’importance que je donne à ces aspects de ma vie musicale. Par contre, le rhodes est entré dans ma vie un peu en force : pour un pianiste, trouver un instrument que l’on peut emporter partout est très important si son besoin de jouer est vital ; j’aurais bien sûr pu choisir un clavier plus petit (et moins lourd, ça oui…) mais comme je l’ai déjà dit je suis amoureux du son des années 1970 et le rhodes en est un des éléments essentiels… c'est un véritable instrument électroacoustique (la mécanique d'un piano avec l'amplification d'une guitare électrique) et j'ADORE le grain et les harmoniques qu'il génère, surtout lorsqu’on le combine avec des boîtes à effets. Depuis dix ans que je l’utilise de façon régulière, j’ai collecté beaucoup d’effets différents et j’aime tester ce que tel effet particulier peut apporter aux teintes du rhodes. Chaque son amène une interprétation différente des milliers d’idées musicales que j’ai en permanence. C’est ce qui pourrait amener quand même une différence : quand je joue du rhodes (ou de l’électronique pure, ou de l’orgue, ou quoi que ce soit…), je dois m’imposer un projet compositionnel ou une raison d’être qui va voir au-delà de l’instrument même. Par exemple, dans ma vie, j’ai beaucoup pratiqué le piano, travaillé la technique pianistique, et cela fait cinq ans que je ne le fais plus : je pratique autre chose, et jouer du rhodes ou de l'electronique m’aide en ce sens. J’ai maintenant cette idée de faire sonner les instruments pas pour eux-mêmes mais pour moi… En ce qui concerne Going et Kalimi (deux projets dont je suis très fier),  les deux groupes sont nés d'exigences précises. Going est né pour donner une dimension orchestrale au groove, à la (aux) pulsation(s) des deux batteurs : en fait, c'est un groupe fait pour « faire sonner » les batteries (et les batteurs bien évidemment, hé hé) : j'ai toujours eu une relation très particulière avec les batteurs, peut-être parce que la batterie est un de mes premiers instruments, que j’en ai beaucoup joué dans mon adolescence… je suis toujours très attaché aux batteurs (Jóao Lobo et Mathieu Calleja, les batteurs de Going, mais aussi Oriol Roca et Marek Partrman, Tatsuhisa Yamamoto, Chris Corsano…) et je veux en conséquence bien les faire sonner, c’est un vrai plaisir pour moi de les écouter ! Le concept de Kalimi est plus profond, et il y  a composition derrière, que Mathieu et moi travaillons depuis longtemps, que l’on joue à chaque fois que l’on répète et que l’on donne un concert : c’est une idée du son (qui vient de moi) liée au drone, aux graines du son, et une autre (plus de Mathieu) de construction qui nous  jette directement dans le bain. On sait exactement ce que nous avons à faire mais nous pouvons le faire de manières très différents à partir du moment où l’on garde cette idée de « construction » en tête, comme une partition.



Tu publies la plupart de tes enregistrements sur ton propre label, Silent Water. Qu’est-ce que cela a changé dans ta pratique musicale ? J'ai toujours acheté des vinyles. Même dans les années 1990, quand on disait le vinyle mort, je me rendais à Porta Portese (un marché aux puces dans lequel on trouvait plein de choses intéressantes à l’époque) et achetais de tout ; j’ai jamais arrêté d’en acheter : je savais qu’un jour je monterais un label. Et puis, en 2012, il a fallu sortir le premier LP de Going et ça ne s’est pas bien passé avec le label qui devait le sortir, je me suis donc dit que c’était le bon moment. J’ai toujours apprécié les musiciens qui sortent leurs propres disques s’ils le font avec tact et avec goût (Derek Bailey et Paul Bley ont été les précurseurs, et puis il y en a eu plein d’autres). T’occuper de ton label peut être un énorme boulot (je suis seul à m’en occuper, alors le garder low-profile, ce n’est pas seulement voulu mais nécessaire) mais c’est très gratifiant quand, par exemple, des gens comme toi lui montrent de l’intérêt ainsi qu’aux musiciens qu’il édite. Je suis aussi un peu control-freak, d’autant qu’il s’agit de ma musique : enregistrer, mixer, m’occuper de l’artwork et sortir mes disques nourrit mon narcissisme ! J’aime aussi beaucoup faire partie de cet « houmous » culturel de petits labels qui font leur truc de leur côté ; je trouve important d’aller contre le « statu quo » socio-politico-culturel que l’on nous impose et de défendre, en musique, notre vision des choses.

Giovanni Di Domenico, propos recueillis en janvier et février 2016.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



Going : II (Silent Water, 2015)

going II machinery

Difficilement déchiffrable, la pochette du second disque de Going signifie peut-être II dans le langage de celui qui emmène le projet, Giovanni Di Domenico (ici au Fender Rhodes). Avec lui, une jeune femme aux claviers (Pak Yan Lau) et puis deux batteurs (João Lobo et Mathieu Calleja).

D’allure plutôt lente, l’improvisation joue de simples répétitions puis de séquences qui se fondent lorsqu’arrive le moment d’une diversion instrumentale (ici une fioriture à l’orgue, là une accélération d'une des batteries…). Un new age à la Tangerine Dream – sur le premier disque de Going, l’influence du krautrock était plus marquée – que vient chahuter l’écho du premier post-rock : c’est en somme la première face du disque.

Sur la seconde, plus enlevée, le groupe se fait plus bavard, tourne un temps en rond sur un prétexte modal, puis lâche un peu de lest pour revenir à un minimalisme répétitif plus convaincant : à force de nouvelles répétitions, Going perce la matière et s’y engouffre : c’est alors là qu’il faut l’entendre.

going ii

Going : II (Machinery)
Silent Water
Enregistrement : 2013. Edition : 2015.
LP : A/ Red Machinery – B/ Blue Machinery
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Musiques Innovatrices #22, Saint-Etienne, Musée de la Mine, 5-8 juin 2014.

musiques innovatrices 22 2014

Le festival intermittent – mais il s’agit tout de même de sa 22e édition ! – Musiques Innovatrices de Saint-Etienne est un peu parallèle à celui qui se tient en juillet, depuis 2001, à Marseille (MIMI). Il partage aussi avec lui le fait de se dérouler dans un lieu particulier. Les îles du Frioul pour ce dernier, le cadre du Musée de la Mine pour le Stéphanois. Se déroulant pendant les derniers jours d’une année scolaire, un peu avant les épreuves du bac, il m’a rarement été possible de m’y rendre. La configuration d’un emploi du temps combiné au weekend de la Pentecôte fut favorable à une troisième visite à ces Musiques Innovatrices.

Une programmation alléchante, sans être toutefois des plus avant-gardistes, motiva aussi ce déplacement de Strasbourg à Saint-Etienne. Certes, j’ai dû faire l’impasse sur la première soirée, qualifiée par l’organisateur de « soirée du souffle », souffle animé à la fois par les effluves issues du fado et de la bossa nova (Norberto Lobo et João Lobo) et les vents des Appalaches (Josephine Foster). Soirée qui suscita une forte adhésion.

La seconde se voulut plus aérienne, et servie avec un peu de psychédélisme, au fil de deux prestations. Celle du guitariste nîmois Thomas Barrière, suivie par celle que concoctèrent les deux italiens de My Cat Is An Alien. Devant un public quelque peu clairsemé, le premier sut remplir l’intéressante salle des pendus de la mine par des sons provenant d’une guitare à deux manches (douze et six cordes) et usant de divers procédés (frottages, dissonances, effets électroniques, ceux de la voix directement sur les cordes…) pour recréer une musique libre issue de détournement d’influences rock, blues voire arabisantes. Un peu plus tard, le concert de My Cat Is An Alien fut peut-être en-deçà des attentes. Fort d’une  bonne cinquantaine d’enregistrements sous tout format (et sans compter les albums solos et ceux parus sous d’autres noms), la formation des deux frères piémontais Maurizio et Roberto Opalio opère dans un style qu’elle qualifie de Psycho-System (coffret de six CD qui en détaille les divers aspects, sous les termes de delirium, catharsis, hallucination, enlightment…), une sorte de musique cosmique, générée ici principalement par les sons électroniques, offrant dans le déluge sonore quelques variations aux sonorités plus métalliques, parfois percussives et saccadées, mais qui rapidement semblent lasser une partie du public, laissant les autres sur leur faim.

my cat   konk

La troisième soirée s’annonça plus tellurique. Ce qui sied justement à cet endroit ouvert sur le ventre de la terre. En prélude et en fin d’après-midi, les festivaliers, plus nombreux que la veille, purent suivre la prestation de Toma Gouband pour un solo de lithophones et percussions. De grosses pierres et des cailloux plus petits étaient posés sur des cymbales et une grosse caisse. Et avec l’une ou l’autre de ces pierres, le musicien frottait, frappait les autres, esquissant des rythmes décalés qui s’interpénétraient, créant une atmosphère envoutante et curieusement aérienne. Peut-être un peu trop longue, la prestation perdit un peu de sa magie avec l’usage de la pédale de grosse caisse.

Le trio germano-britannique Konk Pack ouvrit la soirée par un set époustouflant, qui marqua la plupart des auditeurs, lesquels le considérèrent comme le climax du festival. Il est vrai que Tim Hodgkinson, Thomas Lehn et Roger Turner pratiquent leur improvisation de haut vol depuis une quinzaine d’années, forte de leur empathie et sans en bannir l’imprévisible. Armés l’un de sa guitare lapsteel, et accessoirement de sa clarinette, le second d’un synthétiseur analogique, et mus en permanence par l’impressionnant et imaginatif batteur, les musiciens créent une musique convulsive, tourbillonnante, électrique, alternant sauvagerie déferlante et accalmie parfois mélodique, une musique finalement très éruptive (un paradoxe dans un site minier…).

Plus prévisible fut le concert donné (en soliste) par Richard Pinhas. Un premier set d’une trentaine de minutes, un second d’une dizaine. Déclinant tous les deux des envolées étourdissantes nées du croisement de la guitare avec les ressources de l’électronique. Des sonorités parfois célestes pour lesquels on quittait l’environnement tellurique, d’autres plus incandescentes, entre terre et feu (on retrouve le côté éruptif de la prestation précédente !), ou plus majestueuses, les sons résonnant dans cette salle des pendus comme dans une cathédrale, dans laquelle les vêtements pendant des mineurs faisaient office d’exvotos ou de statuaires originales.

La Morte Young conclut cette troisième soirée. Les cinq musiciens, grenoblois, niçois et stéphanois conjuguèrent une musique qui partit d’un lent crescendo faussement planant pour aboutir à une saturation sonore bruitiste et bestiale, notamment par les effets de larsen, le travail sur les guitares et les diverses pédales (Thierry Monnier et Pierre Faure) sous-tendus par le batteur d’Eric Lombaert (Talweg), et le thérémine survolté de Christian Malfray et la voix de Joëlle Vinciarelli (Talweg). Plus onirique et apaisée fut la courte seconde pièce, bien que, elle aussi, s’acheva dans maelstrom étourdissant.

la morte young  lucio

Plus difficile de trouver un dénominateur commun à la quatrième et dernière journée de ces Musiques Innovatrices. Peut-être le souffle, si l’on associe le premier concert de l’après-midi (Lucio Capece) et le dernier avec son saxophone baryton (Joe Tornebene) ? Mais les deux autres… Finalement ce sera la journée des déambulations. Entre les lieux, entre les types de musique. Entre les lieux effectivement puisque le festivalier passa successivement de la salle des énergies vers celle des machines, avant de passer à l’auditorium et à la salle d’exposition. Entre les musiques aussi. La plus poétique fut celle que proposa Lucio Capece dans la salle des énergies : partant d’un souffle minimal cher aux adeptes du réductionnisme, il insuffla à sa musique une dimension particulière par l’emploi d’archet, ou de divers gadgets propres à varier les vibrations, avec des installations diverses, couplées ou non avec le saxophone, usant de petite boule, d’un ballon en déambulation, concoctant une mise en son de l’espace.

La salle des machines accueillit, elle, le duo Baise en ville, pour une confrontation entre une voix grave, usant d’onomatopées, de cris, de grognements (Natacha Muslera) et d’une guitare transpirant de sonorités sombres, de trituration des sons (Jean-Sébastien Mariage), s’inscrivant dans un univers d’improvisations plutôt rock, proposant, très occasionnellement, des passages plus évanescents, mais plus globalement dissonants et torturés. Sonar fut tout à fait différent. Plutôt rock aussi, ce quartet helvétique est une jeune formation (deux, trois ans) de vieux routiers, soit deux guitaristes (Stephen Thelen, Bernhard Wagner), un  bassiste (Christian Kuntner) – qui hantent la scène zurichoise depuis plus de deux décennies, en particulier le bassiste (Brom, Fahrt Art Trio, Kadash…) – et le batteur Manuel Pasquinelli, plus jeune et parfois en-deçà de la maitrise instrumentale de ses partenaires. Comme le suggère le nom de la formation, les quatre musiciens livrèrent une musique aux architectures sonores finement travaillées et ciselées, aux rythmes complexes, une musique percutante marquée par le sceau d’un rock progressif (Stephen Thelen aurait travaillé avec Robert Fripp !), aux lignes assez minimales et identifiables par l’usage d’accordages particuliers des deux guitares, une musique qui, au-delà de quelques riffs virevoltants, de quelques effets sur les cordes et de l’énergie qu’elle dégage, reste marquée par une approche calme, une sorte de lenteur suisse (cliché !), propre à illustrer le titre de leur troisième opus, Static Motion.

Un saxophoniste baryton quasi-inconnu eut la tâche de clore ces quatre journées de Musiques Innovatrices. Américain d’origine et lyonnais d’adoption, Joe Tornabene investit l’espace de la salle d’exposition en se déplaçant régulièrement, en proposant un travail sur le souffle continu et les sons multiphoniques. Un espace d’exposition qui fut, les trois premiers jours, investi par les installations de Thomas Barrière, faites de divers module, mobiles, avec des squelettes, répliques de bateaux à voile, mus par des ventilateurs et générant, bien sûr, des sons.

Musiques Innovatrices #22, Saint-Etienne, Musée de la Mine, 5-8 juin 2014.
Photos : Bruno Meillier © Les proliférations malignes & Pierre Delange © Merzbow-Derek.
Pierre Durr © Le son du grisli


Hugo Antunes : Roll Call (Clean Feed, 2010)

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Jusqu’à la semaine dernière, je ne savais rien d’Hugo Antunes, ce contrebassiste portugais fier comme un rock qui en appelle au roll (le jeu de mots est tout trouvé parce que Roll Call est un disque de jazz musculeux !).

Pas de romantisme en vogue et jamais d’exagération chez Antunes. Plutôt des rondeurs généreuses qui vont bien au jazz qu’il joue avec Daniele Martini et Toine Thys aux saxophones & Joao Lobo et Marek Patrman aux batteries. Le secret est-il dans la présence de ces deux batteurs ? Peut-être, le tout est que cette musique coule de source, est agréable à entendre et si l’on veut intéressante à décortiquer. Antunes met sa jeunesse et sa fougue au service du jazz et le résultat est surprenant…

Hugo Antunes : Roll Call (Clean Feed / Orkhêstra International)
Edition : 2010.
CD : 01/ Dukkha 02/ Roll Call 03/ Holy Spenning 04/ Anfra  05/ Einfach 06/ Anfra (alternate take)
Pierre Cécile © Le son du grisli



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