Jean-Marie Massou : La citerne de Coulanges (Vert Pituite, 2018)
Suite d'une semaine française, à l'occasion de la parution du deuxième volume d'Agitation Frite de Philippe Robert. Après Richard Pinhas, Romain Perrot et Jean-Jacques Birgé, c'est Jean-Marie Massou.
Pour ne pas faire offense aux lecteurs du son du grisli qui ignorent encore Jean-Marie Massou – une rapide présentation de l’homme et de son art a été faite chez nous, ici et là –, accélérons la chose : l’écoute de ce nouveau disque estampillé Vert Pituite.
Quatre faces (encore), dont les enregistrements datent de la fin des années 1970, époque à laquelle Massou avait pris l’habitude d’« interpréter » dans une citerne de Coulanges-la-Vineuse (Lot). Quelques cassettes ont gardé le souvenir de ce temps-là, dont le label en question a fait un double vinyle, deuxième volume du projet « Sodorome » qui délivre les témoignages d’un art assez unique pour (surtout) ne rien attendre d’un quelconque public.
Dans cette citerne qu’il a changée en Oreille de Denys, Massou interprète donc, et à sa manière : des odes à la Madone qui devra accepter le voisinage de nombreuses insultes, des airs populaires – ‘O Sole Mio, Le tourbillon de la vie, Le temps des cerises, La Mamma ou encore le générique de Thierry La Fronde –, des animateurs radio qui crachotent et n’ont pas peur des menaces (« Saloperie, vaurien, j’te casserai la gueule, moi »…).
S’exprimant en citerne, Massou, quand il ne converse pas avec quel démon ?, excave une expression populaire enfouie qui, entre Antonin Artaud et Henri Chopin, crache à la gueule du peuple – pour ne pas parler de la bourgeoisie qui s’est un jour « entichée » d’art brut. Alors « Prends ça, saloperie ! », même si tu l’as pas mérité.
Jean-Marie Massou
La citerne de Coulanges
Vert Pituite, 2018
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Jean-Marie Massou : Sodorome (Vert Pituite, 2017)
Pendant quarante ans, dans une forêt du Lot, Jean-Marie Massou a creusé, aménagé et décoré des puits, des galeries, des salles. Un homme sans collier, plus encore qu’un homme des bois, dont l’un des loisirs est aujourd'hui d’enregistrer sur cassettes des airs qu’il fredonne ou des suppliques adressées à un panthéon de vierges à même – pour combien de temps encore ? – de tenir le monde à distance de l’Apocalypse qui lui est promise. En 2010, Antoine Boutet lui avait consacré un documentaire, Le Plein Pays.
En août 2015, Olivier Brisson, du label Vert Pituite (sous l’étiquette, on se souvient du Maison.House II.V de Jean-Luc Guionnet et Eric La Casa), est allé trouver Massou, chez lui. Cette première rencontre sera suivie de trois autres, qui permettront à Brisson d'écrire un article et de composer Sodorome, double vinyle et première référence de la collection « La Belle Brute ». C’est donc là une rétrospective ; un concentré d’art burt ou naïf, en somme, de « surréalisme spontané » et d’ « art immédiat », pour reprendre la belle invention de Bruno Montpied du Poignard subtil, dont il faudra aller lire les articles à Massou consacrés.
De centaines d’heures de cassettes « noircies », Brisson – aidé de Julien Bancilhon et Matthieu Morin – a arrangé quatre faces saisissantes, d'un art musical forcément à la marge, fait de rengaines entonnées à même le disque (La Paloma, La Marie, Douce Nuit…) ou sur vidéo (Mary Poppins, dont il connaît les airs sur le bout des ailes), de confessions (sur la troisième face, c’est bien le début d’une autobiographie à la Wölfli) et de diatribes qui cachent sous la vindicte la recherche angoissée d’un bien inquiétant « bien-être ».
Faux, inquiet, en peine, oublieux, interrompu même – « ça gueule comme un putois, c’est pas la peine », le chant de Massou porte encore et toujours, attestant chez l’homme une poésie sonore en butte à une littérature analphabète. Un des fous d’André Blavier qui gueulerait à la lune, dont cet ajout tardif (et apocryphe) à la Nurse With Wound List apaise peut-être l’angoisse. D’autant que La Belle Brute assure vouloir lui revenir bientôt : T'en fais pas la Marie j'reviendrai, lui chante-t-elle, Nous aurons du bonheur plein la vie.
Jean-Marie Massou : Sodorome
Vert Pituite / Metamkine
Edition : 2017.
2 LP : A/ Les complaints à la citerne – B/ Massou chante avec – C/ Le goût des jouets – D/ La médecine à couler et les petits oiseaux
Guillaume Belhomme © Le son du grisli