Haino, O’Rourke, Ambarchi : Now While It’s Still Warm... (Black Truffle, 2013) / Ambarchi : Audience of One (Touch, 2012)
Au jeu des classements (top 50 ou pourquoi pas 500), on décernera au trio Haino / O’Rourke / Ambarchi (enregistré le 30 janvier 2012 au SuperDeluxe de Tokyo et accompagnés sur un titre par Charlemagne Palestine et Eiko Ishibashi) la plus passionnante intro entendue depuis des lustres. Le groupe s’est-il fixé pour but de donner dans l’expérimental grégorien ? Et pourquoi pas ? d’autant que le pari est réussi.
La voix d’Haino (qui joue aussi de la flûte en plus de la guitare qu’on lui connaît) et la (quasi) neutralité d’O’Rourke (à la basse) et Ambarchi (à la batterie, qu’il privilégie toujours sur Black Truffle), pour le moins inattendues, surprennent en effet. La poésie d’Haino, aussi sombre soit-elle, nous intrigue, nous caresse, avant de nous rompre quand il reprend la guitare et qu'Ambarchi frappe fort. C’est dire que ce à quoi on s’attendait dès le départ (une improv’rock musclée) finit bien par arriver : mais ce n’est pas non plus tout dire encore.
Parce que la seconde partie du CD (ou LP) arrive et avec elle un genre de post no-wave forcenée, follement nipponisée, chantante et dansante, à deux accords, puis un noise foutraque et foudroyant… Quelques semaines après la parution d’Imikuzushi (pas encore chroniqué ici, c’est qu’on ne peut pas tout faire), le trio Haino / O’Rourke / Ambarchi signe avec ce disque au titre long comme un manche de guitare une de ses plus belles réussites.
Keiji Haino, Jim O’Rourke, Oren Ambarchi : Now While It’s Still Warm Let Us Pour In All the Mystery (Black Truffle / Kompakt)
Enregistrement : 30 janvier 2012. Edition : 2013.
CD / LP : 01/ Once Again I Hear the Beautiful Vertigo… Luring Us to ‘’Do Somethingn Somehow” 02/ Who Would Have Thought This Callous History Would Become My Skin 03/ Only the Winding ‘’Why’’ Expressess Anything Clearly 04/ A New Radiance Springing Forth From Inside the Light…
Pierre Cécile © Le son du grisli
De la pop chantée (Salt) à l’instrumental poppy (Fractured Mirror) mais aussi du minimalisme vaporeux (Passages), Audience of One déçoit par trois fois. Pourtant épaulé par d’excellents musiciens (comme James Rushford, Elizabeth Welsh, Eyvind Kang, Jessika Kenney), Ambarchi va jusqu’à commettre des fautes de goût (le son d’un rythme en boîte ou des arpèges soporifiques). Pour les rattraper, il faut compter sur la plus longue pièce, Knots : une demi-heure d’électricités ravivées par la batterie de Joe Talia dans l’esprit de Sagitarrian Domain. Ouf, Ambarchi sauvé des eaux (de mars, d’avril…) !
Oren Ambarchi : Audience of One (Touch)
Edition : 2012.
CD : 01/ Salt 02/ Knots 03/ Passage 04/ Fractured Mirror
Pierre Cécile © Le son du grisli
Pop Expéditives : Oren Ambarchi, Lawrence English, Yoshida Tatsuya...
Oren Ambarchi : Sagitarrian Domain (Editions Mego, 2012)
Un gimmick de basse, une batterie, une guitare et un moog : voilà Sagitarrian Domain d’Oren Ambarchi. Rien à voir avec l’imagerie clinique de la pochette : le disque, aux élans krautrock (en plus réfléchi et plus entêtant) accumule les solos de guitares avant que les superbes envolées d’un trio de cordes (Elizabeth Welsh, James Rushford et Judith Hamann) calment les ardeurs de l’Australien qui conclut en douceur cet enthousiasmant Sagitarrian Domain.
Lawrence English : For/Not for John Cage (LINE, 2012)
Entre 2011 et 2012, Lawrence English a tenu à rendre hommage au John Cage qui l’inspire depuis des années. Si ce n'est sur la couverture du CD (un champignon flou), le mycologue s’y serait-il retrouvé ? English a accouché de vagabondages dans l’espace qui rappèleront aux aventuriers la consommation de champignons… hallucinogènes… Quant à nous, le résultat, s’il n’est pas d’une originalité remarquable, nous va.
Mutamassik : Rekkez (Ini Itu, 2012)
Le monde du Mutamassik de Giulia Loli tourne à la vitesse des volutes orientales (sur son site internet, elle parle de « pan-afrabic immigrant sound sources ») que l’on trouve sur ce LP, Rekkez. De ce monde, s’échappent des voix qui se superposent, des cordes qui les mettent en valeur à tel point qu’on a d’abord l’impression d’écouter un disque Ocora retouché malicieusement par Fennesz. Face B, la musique perd un peu en envergure au profit d’un travail expérimental d’un foutraque simpliste ou jubila-toire.
Uchihashi Kazuhisa, Yoshida Tatsuya : Barisshee (Tzadik, 2012)
Power rock ? Psyché noise ? Post-rock explosé ? Sur Barisshee, une guitare-electronics et une batterie en mettent partout = Uchihashi Kazuhisa (Ground Zero) et Yoshida Tsunoda (Ruins), qui n’en sont pas à leur premier méfait en duo. Le médiator convulsif et la baguette sèche comme un coup de trique donnent dans la chansonnette expé, le psychédélisme hargneux et, grâce à l’apport de l’électronique, l’ambient décalquée. Pas toujours du meilleur goût, mais assurément jubilatoire !
Adern X : Ink Spots called Words (Xevor, 2012)
Des expérimentations en tous genres (réutilisations de disques classique qu’il prend un malin plaisir – en tout cas on l’espère pour lui – à faire grésiller, sons de synthèse qui cherchent tout sauf la pureté du son et de la clarté de la synthèse, effets stéréophoniques à vous couper ce que vous voudrez…) : voilà la travail d’Adern X, Italien montreur de samples qui réunit ici une sélection de travaux qui l’occupent depuis 2007.
Electric Electric : Discipline (Africantape, 2012)
Electric Electric est un trio de Strasbourg, Alsace : Eric Bentz, Vincent Redel et Vincent Robert. Un peu de rock mâtiné d’électro et sûrement de grands rêves de Battles. Le tout n’est pas bien bon.
Anthony Pateras : Collected Works 2002-2012 (Immediata, 2012)
Lorsque l'on a découvert Anthony Pateras au son de Chasms, on n’est pas fâché de retrouver la pièce, importante, sur cette rétrospective longue de cinq disques, mis en boîte étiquetée Immediata. De son propre aveu, Pateras tenait avec elle à dire qu’il improvise autant qu’il compose – et lorsqu’il compose, que les instruments capables de l’inspirer sont nombreux.
Ainsi Chasms revient-il sur son usage du piano préparé avec un aplomb que ne trahissent pas de plus récents travaux, Block Don’t Bleed et Bleed Don’t Block, consignés sur le quatrième disque de la boîte : fantaisies d’artifices fiévreux qui se chevauchent ou s’interpellent. Sur piano à lamelles, Delirioso pousse au vice et fait du pianiste décadent un percussionniste affranchi. Assez pour que Pateras abandonne bientôt, et tout à fait, son instrument de prédilection pour faire autrement œuvre de frappe.
Ce sont alors cinq pièces, pour le bien desquelles le musicien accueille du renfort (Vanessa Tomlinson seule ou Eugene Ughetti à la tête de bataillons de six ou douze percussionnistes) qui battent la mesure et même la partition. Leurs structures peuvent être répétitives ou paysagères, luxuriantes ou clairsemées : ici un théâtre d’ombres et de silences se met en place sous les tintements parfois étendus par l’usage de l’électronique, là un élément perturbateur retouche le parcours des ondes.
La collecte est ensuite celle de travaux d’orgue et d’électronique : le drone d’Architexture, porté par le son de Byron Scullin, soumis aux changements sur le conseil d’expérimentations minimalistes ; le jeu de dupe de Keen Unknown Matrix, fait planète interdite à tout réfractaire au caprice musical. Un retour au classique, enfin : quatuor à cordes aux archets fuyants rendant hommage à John Zorn (en 2008, Pateras publiait Chromatophore sur Tzadik) ; association, percussive encore, avec James Rushford (piano préparé), Samuel Dunscombe (clarinette basse) et Judith Hamann (violoncelle) ; grand orchestre lâchant prise sur Fragile Absolute, composition traînante qui évoque Scelsi sans parvenir toutefois (la chose est difficile) à atteindre ses profondeurs.
La conclusion est alors à trouver en Lost Compass, pièce d’électroacoustique qui résume les vues et desseins d’Anthony Pateras : classique mis à mal par l’expérimentation, l’expérimentation gagnant au savoir-faire classique (musique et théâtre tout à la fois) que l’Australien tord et adapte à ses propres codes chaque jour un peu plus.
Anthony Pateras : Collected Works 2002-2012 (Immediata / Metamkine)
Enregistrement : 2002-2012. Edition : 2012.
CD1 : 01/ Crystalline 02/ Broken Then Fixed Then Broken 03/ Fragile Absolute 04/ Lost Compass 05/ Immediata CD2 : 01-03/ Chasms 04/ Delirioso CD3 : 01/ Architexture 02-04/ Keen Unknown Matrix (2009-2011) CD4 : 01/ Block Don’t Bleed 02/ Bleed Don’t Block CD5 : 01/ Refractions 02-05/ Mutant Theatre Act 2 06/ Hypnogogics 07-17/ Mutant Theatre Act 3 18/ Flesh & Ghost
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
James Rushford, Joe Talia : Paper Fault Line (Bocian, 2011)
Sur Paper Fault Line, un duo d'Australiens – James Rushford (violon, piano, synthétiseur, orgue…) et Joe Talia (batterie, percussions, synthétiseur…) –, un moment augmenté par la présence d’Anthony Pateras, amalgament des improvisations enregistrées entre Melbourne et Rotterdam.
L’amalgame tient de la fusion : d’un archet vif et de bruissements d’ailes, d’innombrables instruments mis au service d’un projet sombre et de corps chantant qui se laissent endormir par un horizon qui bientôt se referment sur eux. Approche alors une machinerie gigantesque aux bruits qui en disent long : la seconde face sera leur aire de jeux.
Au son de graves hybrides, Rushford et Talia concassent là tout ce qu’on trouvait en A. La musique est nourrie de souvenirs transformés par l’inspiration du moment : terrible, celle-ci, jusqu’à ce qu’elle sacrifie sa virulence aux promesses de repos d’une électroacoustique atmosphérique calquant son allure sur celle de cordes délicatement pincées. Comme beaucoup, Rushford et Talia aiment contrarier leurs pratiques bruitistes au gré de retours au calme, voire de berceuses. Le duo ayant ceci de peu commun qu’il agit avec un passionnant sens de l’intrigue.
James Rushford, Joe Talia : Paper Fault Line (Bocian / Metamkine)
LP : Paper Fault Line
Edition : 2011.
Guillaume Belhomme © le son du grisli