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Andrew Cyrille : The Complete Remastered Recordings On Black Saint & Soul Note (CAM Jazz, 2013)

andrew cyrille the complete remastered recordings on black saint and soul note

C’est sur Metamusicians’ Stomp (dont on pourra lire ici une évocation publiée en Free Fight) que l’on tombe en ouvrant The Complete Remastered Recordings On Black Saint & Soul Note, coffret enfermant sept enregistrements d’Andrew Cyrille jadis publiés par les deux labels italiens annoncés.

Si Metamusicians’ Stomp célèbre l’association du batteur, de David S. Ware et de Ted Daniel, c’est auprès d’un autre souffleur qu’on le retrouve sur Nuba et Something In Return : Jimmy Lyons. Vibrionnant, au fluet magistral, le saxophoniste alto tisse en compagnie de Cyrille, sur peaux souvent lâches, le cadre dans lequel s’épanouira la poésie écrite et chantée de Jeanne Lee (Nuba, enregistré en 1979). Sans elle, c’est à un exercice plus conventionnel mais néanmoins bouleversant que s’adonnent Cyrille et Lyons : en duo, ils découpent Take the ‘’A’’ Train, y aménageant plusieurs aires de solos avant de s’opposer sur des compositions personnelles (Lorry, J.L., Nuba) qui recèlent d’interventions courtes et d’intentions diverses (Something In Return, 1981). Indispensable, cette réédition nous fait regretter l’absence (l’oubli ?) dans le coffret de Burnt Offering, autre duo que Cyrille et Lyons enregistrèrent pour Black Saint en 1982.

Datant de 1980, Special People est la première des quatre références Soul Note ici rééditées. Cyrille y retrouve Maono (Daniel, Ware et le contrebassiste Nick DiGeronimo) le temps de l’interprétation de trois titres de sa composition et de deux autres signés Ornette Coleman (A Girl Named Rainbow) et John Stubblefield (Baby Man). Ne parvenant déjà pas à remettre la main sur l’harmonie qui fit de Metamusicians’ Stomp ce si bel ouvrage, le batteur se plie en plus aux codes naissant d’une ingénierie sonore adepte de lissage, glaçage et vernis – dont The Navigator (1982) pâtira encore davantage (impossible son – et même jeu – de piano de Sonelius Smith).

La décennie suivante, Andrew Cyrille accompagnera sur références Soul Note le pianiste Borah Bergman ou le violoniste Billy Bang. Dans la boîte, on le retrouve en meneur d’un quartette (X Man, 1993) et d’un trio (Good to Go, 1995) dont le souffleur est flûtiste : James Newton. Clinquant, encore, et un répertoire fait pour beaucoup de morceaux signés de ses partenaires (Newton, Anthony Cox, Alix Pascal, Lisle Atkinson) qui nous incite à retourner aux disques que Cyrille enregistra à la même époque en d’autres formations – avec Oliver Lake et Reggie Workman en Trio 3, notamment : Live in Willisau, par exemple.

C’est dire la puissance des notes emmêlées d’Andrew Cyrille et de Jimmy Lyons : dès les premières, voici relativisées la qualité toute relative des références Soul Note et les quelques impasses de l’anthologie – David Murray voyant paraître ces jours-ci un second volume de ses Complete Remastered Recordings On Black Saint & Soul Note, peut-être est-il réservé à Cyrille le même et enviable sort.  

Andrew Cyrille : The Complete Remastered Recordings On Black Saint & Soul Note (CAM Jazz)
Réédition : 2013.
7 CD : CD1 : Metamusicians’ Stomp CD2 : Nuba CD3 : Something In Return CD4 : Special People CD5 : The Navigator CD6 : X Man CD7 : Good to Go, with A Tribute to Bu
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



James Newton : Paseo del mar (India Navigation, 1978)

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Ce texte est extrait du troisième des quatre fanzines Free Fight. Retrouvez l'intégrale Free Fight dans le livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié par Camion Blanc.

Musicien créatif plutôt que de jazz : ainsi se voyait James Newton vers le fin des années soixante-dix, quand il arriva de la Côte Ouest des Etats-Unis jusqu’aux oreilles des amateurs européens. C’est exclusivement à la flûte qu’il choisit de s’exprimer, fort de l’expérience acquise au sein d’une scène riche en fortes personnalités dont firent entre autres partie Arthur Blythe, Bobby Bradford, Charles Tyler, Stanley Crouch ou Walter Lowe

Mais plus qu’aucun autre, c’est le clarinettiste John Carter, du même coin, qui l’aura marqué à jamais. Tous deux ont en commun de jouer d’un instrument assez peu usité, et pas vraiment puissant en matière de volume sonore, comparé à un saxophone ténor ou à une batterie. Un langage doit donc être développé, qui permette de tenir le choc : ce sera chose faite pour James Newton, une fois ouverte la porte de l’après-Dolphy

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John Carter, pour revenir à lui, aura aussi une influence spirituelle profonde sur le jeune instrumentiste. Et quant aux disques des autres, ils l’aideront également à trouver le chemin à suivre : ce seront en premier lieu ceux d’Ornette Coleman, pendant longtemps écoutés en boucles, telles les premières productions du label Contemporary comme l’ambitieux Skies Of America par trop méconnu. Braxton, sur cette route, finira par incarner une autre figure tutélaire d’importance, ne serait-ce que parce qu’il démontra qu’un autre jazz était possible, et que Berg et Webern pouvaient s’y faufiler. En ce qui concerne Dolphy, James Newton y voit un père sans qui rien pour lui n’aurait vu le jour. 

Les historiens avancent Wayman Carver chez Chick Webb comme premier flûtiste de jazz. Sauf que le dit Carver, à l’instar de ses futurs confrères, ne se cantonnait pas à la flûte qu’il assortissait d’un intérêt tout aussi grand pour le saxophone. En feront de même James Moody, Yusef Lateef, Roland Kirk, Joe Farrell, Sam Rivers, Henry Threadgill. Alors que d’autres, plus rares, au contraire, s’y consacreront, tels Herbie Mann, Hubert Laws ou Jeremy Steig. Ceux que rappelle le plus James Newton sont Buddy Colette et Eric Dolphy, un certain feeling que l’on qualifiera de « californien » obligeant. 

A la flûte, des techniques particulières peuvent pallier au manque de puissance sonore : James Newton ne s’en privera pas en contexte free avec rythmique puissante, comme ici sur « Lake ». Ces techniques consistent généralement dans le recours à la voix, afin de générer plus d’ampleur : « La voix représente quelque chose comme la main gauche d’un pianiste, confiait James Newton à Laurent Goddet en 1979, ce qu’on peut faire sur la flûte à partir des clefs s’apparentant au contraire à la main droite. » Chanter une mélodie et improviser en même temps ne lui poseront jamais problème, pas plus qu'à Roland Kirk ou Ian Anderson du groupe de rock Jethro Tull ; d’autres, dans le jazz, ayant d’ailleurs déjà exploré cette voie consistant à envisager l’instrument de manière orchestrale – des trombonistes notamment. Sauf que la force nécessaire, insiste James Newton, est à chercher en soi et non dans l’instrument lui-même. Et qu’il ne s’agit pas non plus d’en abuser. 

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De Paseo del mar se dégagent des climats peu communs, si l’on excepte Other Aspects d’Eric Dolphy (pourtant antérieur d’une bonne quinzaine d’années). L’album enchante par la sorte d’inventaire proposé, où se mêlent écrit et improvisé, dans un digne prolongement de Flute Music, autoproduction également signée Newton et réalisée en solo, abstraction faite de la diffraction générée par endroits par le re-recording. Palliatif d’ailleurs rapidement abandonné au profit du solo absolu, voire, dans le champ de la multiplication des voix, par le recours au quintette flûte / clarinette / tuba / basson / hautbois (ou cor anglais) constitué de Newton, John Carter, Red Callender, John Nunez et Charles Owens (Music For Wind Quintet, même label, 1980). 

Chez James Newton la perméabilité aux influences intègre le free jazz, les musiques classique, contemporaine, folklorique, ethnique et pour sakuhachi. Et dans le pianiste Anthony Davis, celui-ci aura rencontré un véritable alter-ego. Chez l’un comme l’autre une même fraîcheur surprend, l’émotion ne cédant jamais à la technique. 

Des échos d’Ellington, Mingus, Ornette, Dolphy, Bach se font entendre et constituent ici l’épine dorsale. Tout comme dans Of Song For The World d’Anthony Davis, enregistré la même année pour la même maison de disques, et à écouter en parallèle.

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