Harris Eisenstadt : Old Growth Forrest (Clean Feed, 2016)
En bons frères de souffles qu’ils sont, Jeb Bishop et Tony Malaby s’amusent de la complexité rythmique des partitions d’Harris Eisenstadt. Il est vrai que leur facilite la tâche le jeu tout en suavité et en bienveillance de Jason Roebke : la contrebasse gravite, dissimule le quart de mesure en plus (ou en moins : on m’excusera de n’avoir pas fait de relevés ici).
Souvent, la partition s’effrite en milieu de plage pour ouvrir la voie à des entrelacs de cuivres. Les réseaux ainsi ouverts, on découvre un ténor sinueux (rien de neuf chez Malaby mais toujours la même présence) et un trombone au lyrisme juteux. Il faudra dire ici le sens de la danse et du zigzag constant. Entre décalages et rapprochements, tous vont relâcher la pression, assumer la souplesse de leur art et, ainsi, réactiver un trio (le saxophoniste, ici, s’ajoutant) de très bonne mémoire.
Harris Eisenstadt : Old Growth Forest
Clean Feed / Orkhêstra International
Enregistrement : 2015. Edition : 2016.
CD : 01/ Larch 02/ Pine 03/ Hemlock 04/ Redwood 05/ Spruce 06/ Fir 07/ Big Basin 08/ Cedar
Luc Bouquet © Le son du grisli
Larry Ochs : The Fictive Five (Tzadik, 2015) / Larry Ochs, Don Robinson : The Throne (Not Two, 2015)
Ces gens-là (Larry Ochs, Nate Wooley, Ken Filiano, Pascal Niggenkemper, Harris Eisenstadt) se croisent, s’entrecroisent, dissertent, discernent, réactivent une Ascension de fraîche mémoire (et l’on sait Larry Ochs très attaché à la composition de Trane). Puis ils dégrafent les tempos, baissent la garde, font plier les lamentations. Et le sopranino de s’élever en de brusques hauteurs. Ceci pour les vingt-cinq minutes de Similitude.
Ensuite, les tableaux s’enchaînent, la composition ne se cache plus. Et subitement, ils éteignent leurs paroles (A Market Refraction). Ensuite, encore, ils espèrent. Ils espèrent l’oasis proche, l’eau essentielle. Maintenant, ils pivotent et survolent, les contrebasses grondent, Wooley charrie un solo inspirant-important et tous désertent leur verbe pour mieux s’unir (By Any Other Name). Ensuite, et enfin, ils défient le silence de leurs souffles frêles. Et drapent de fines mélodies (Translucent). Et le tout est extrêmement convaincant.
Larry Ochs' Fictive Five : The Fictive Five (Tzadik / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2014. Edition : 2015.
CD : 01/ Similitude 02/ A Market Refraction 03/ By Any Other Name 04/ Translucent
Luc Bouquet © Le son du grisli
Avec Don Robinson, batteur du genre direct, Larry Ochs enregistra neuf titres en juillet et septembre 2011. Epais en conséquence, le saxophoniste (aux ténor et sopranino) n’en perd pas son sens du swing sur des échanges qui pourront rappeler le duo Jackie McLean / Michael Carvin : ici les mêmes fulgurances, là des longueurs similaires.
Larry Ochs, Don Robinson : The Throne
Not Two
Enregistrement : 2011. Edition : 2015.
CD : 01/ Open to the Light 02/ Red Tail 03/ Push Hands 04/ Song 2 05/ El Nino 06/ Breakout 07/ Failure 08/ Muddy on Mars 09/ The Throne
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Nate Wooley : (Dance to) the Early Music (Clean Feed, 2015)
Ce n’est pas un retour au jazz « à l’ancienne » qu’opère ici Nate Wooley, mais un retour au revival : sur six compositions de Wynton Marsalis et trois autres personnelles, qui composent (Dance to) the Early Music.
C’est une histoire de souvenirs – ceux d’un temps où l’oreille de Wooley était encore en formation – qui, avec Hesitation, débutait bien : la trompette et la clarinette basse de Josh Sinton (dont le jeu sait se faire remarquer) menant de conserve, et avec force, une réécriture plus qu’un hommage. On ne peut guère oublier les années et les circonstances où l’on s’est défini, qui nous ont défini, écrivait Boulez. Sans doute est-il difficile d’y retourner sans une certaine tendresse.
Une faiblesse, voire. Sacrifiant au compositeur qu’il a choisi de réinterpréter, le trompettiste abandonne ici beaucoup de l’invention qu’on lui connaît et les structures complexes de Post-Hesitation (NW), comme les motifs répétés de Phryzzinian Man (WM), ne parviennent pas à faire qu’on relativise facilités et broderies : avec les vents, le vibraphone de Matt Moran s’adonne à des unissons qui lassent : quant à la contrebasse et à la batterie (Eivind Opsvik et Harris Eisenstadt), elles soulèvent à distance un soufflet qui toujours retombe.
Dans les notes de pochette, Nate Wooley souligne que c’est l’âge (40 ans) qui le pousse aujourd’hui à revoir ses manières. On aurait seulement préféré qu’il cherche à inventer sur un souvenir plus inspirant.
Nate Wooley Quintet : (Dance to) The Early Music (Clean Feed / Orkhêstra International)
Edition : 2015.
CD : 01/ Hesitation 02/ For Wee Folks 03/ Blues 04/ Delfeayo’s Dilemna 05/ Phryzzinian Man 06/ On Insane Asylum 07/ J Mood 08/ Skain’s Domain 09/ Hesitation/Post-Hesitation
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Convergence Quartet : Owl Jacket (NoBusiness, 2015)
Sur ces deux faces qui ne se répondent pas mais qui se font écho, le Convergence Quartet – Taylor Ho Bynum (cornet), Alexander Hawkins (piano), Dominic Lash (contrebasse) et Harris Eisenstadt (batterie) – balance, certes, mais éprouve aussi quelques difficultés à s’entendre sur les bons réglages.
Ici, le thème est faible et l’engagement minimal (Ghana, sur lequel plane le fantôme de Monk) ; là, le free est obligatoire et verni par le piano (Jacket) ; ailleurs, le tissage est stérile (Azalpho) et le traditionnel contrarié (Mamady Wo Murado Sa), par le piano encore. Ainsi, l’équilibre est rare, qui opère sur deux titres seulement : Coyote, dont la marche défaite doit beaucoup aux efforts d’Eisenstadt, et Owl, exercice hard bop sur lequel le cornet s’enferre avec charme. Reste maintenant au Convergence – comme à la plupart des projets d’Ho Bynum – à travailler sa constance.
Convergence Quartet : Owl Jacket (NoBusiness / Improjazz)
Enregistrement : 9 octobre 2013. Edition : 2015.
LP : A1/ Dogbe Na Wolo A2/ Jacket A3/ Coyote – B1/ Owl B2/ Azalpho B3/ Mamady Wo Murado Sa
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
The Convergence Quartet : Slow and Steady (NoBusiness, 2013)
Le désir de renouveler les formes, le besoin de chercher de nouvelles pistes est au centre du Convergence Quartet (Taylor Ho Bynum, Alexander Hawkins, Dominic Lash, Harris Eisenstadt). Et ainsi, chacun à tour de rôle, d’y chercher solution. Les pistes proposées ici ne font que récidiver des schémas mille fois rabâchés ailleurs. L’idée de laisser l’harmonie indemne et de diversifier les mouvements rythmiques n’est pas nouvelle et n’apporte rien de neuf. De même les accélérations et ralentissements ne surprennent plus personne.
Restent malgré tout quelques vives fulgurances : les interventions solistes d’un cornet et d’un piano, parfaitement aiguisés et gourmands d’irrévérence et l’une des compositions du contrebassiste (Oat Roe + Three by Three) qui, trouvant un centre à travers des sombres unissons, permet au pianiste de dérouler quelques volutes cinglantes. La prochaine fois, peut-être…
EN ECOUTE >>> Equals - Understand (Totem) >>> The Taf End
The Convergence Quartet : Slow and Steady (NoBusiness)
Enregistrement : 2011. Edition : 2013.
CD : 01/ Assemble - Melancholy 02/ Third Convergence 03/ Remember Raoul – Piano Part Two 04/ Equals – Understand (Totem) 05/ Oat Roe + Three by Three 06/ The Taff End 07/ Slow and Steady
Luc Bouquet © Le son du grisli
Nate Wooley Sextet : (Sit In) The Throne of Friendship (Clean Feed, 2013)
En se découvrant peu à peu, les cuivres (Josh Sinton, Dan Peck) libèrent les composites compositions de Nate Wooley. On oublie facilement ces dernières (un fort air de déjà entendu) pour s’agripper à tel tuba salivaire, à tel barbare baryton ou à telle clarinette basse en pleine crise convulsive.
Il y a alors lieu de se détacher du labyrinthe compositionnel et de se laisser aller au souffle cassant, fractionné, frictionné et métallique du leader, ici dresseur de souffre, ailleurs astre de tendresse. Et ainsi oublier une peu vibrante section rythmique (Eivind Opsvik, Harris Eisenstadt) quand le calme et inspiré Matt Moran vient offrir ampleur et inspiration à une partition qui ne demandait que cela.
EN ECOUTE >>> Make Your Friend Feel Loved
Nate Wooley Sextet : (Sit In) The Throne of Friendship (Clean Feed / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2012. Edition : 2013.
CD : 01/ Old Man on the Farm 02/ Make Your Friend Feel Loved 03/ The Berries 04/ Plow 05/ Executive Suites 06/ My Story, My Story 07/ Sweet and Sad Constitency 08/ A Million Billion Btus
Luc Bouquet © Le son du grisli
Nate Wooley : The Almond, [8] Syllabes, Amplified Trumpets, Trumpet/Amplifier...
Nate Wooley : The Almond (Pogus, 2011)
Voici donc Nate Wooley parti à la recherche de sons rares, troublants pourquoi pas : le 24 avril 2010, il enregistrait à la trompette et à la voix cette Almond de qualité. Les deux instruments s’y passent un relai lourd de significations qu’harmoniques, sifflements, drones et ronflements se disputent. La voix est de fausset, la trompette d’endurance : leur union d’un minimaliste joliment perturbé. Nate Wooley : [8] Syllabes (Peira, 2011)
Enregistré le 18 août 2011, [8] Syllabes est un autre ouvrage de trompette et de vocalises. Wooley y dit les tremblements légers du souvenir de notes longues et rythmées (silences et interventions véhémentes se succèdent) avant de faire tourner un motif de quatre notes que l’écho finira par avaler. Les syllabes promises varient donc, dévient même au gré des intentions. Peter Evans, Nate Wooley : Amplified Trumpets (Carrier, 2011)
Les trompettes amplifiées sont celles de Nate Wolley et Peter Evans, qui s’amusent de la situation. Le duo joue de feedbacks ou d’interventions brèves, dompte un larsen ici, glisse sur proposition bruitiste ailleurs. Il peut encore faire œuvre de déflagration, modulation ou saturation, avant d’investir avec la même impatience un atelier de frappe inspirant : dans lequel il refermera l’exercice.
Jeremiah Cymerman : Fire Sign (Tzadik, 2011)
Sur Fire Sign de Jeremiah Cymerman – clarinettiste et électronicien inquiet d’atmosphères ombreuses –, Wooley est deux fois convoqué. D'abord, Collapsed Eustachian l'oppose à Peter Evans : coups de trompettes et de machines suivis d'une paix établie sur une électroacoustique plus expérimentale. En sextette (avec Cymerman, Sam Kulik, Christopher Hoffman, Tom Blancarte et Harris Eisenstadt), il suit les méandres de Burned Across the Sky, ballade répétitive et profonde que corsète l’archet de violoncelle. Nate Wooley : Trumpet/Amplifier (Smeraldina-Rima, 2011)
En 2007 et 2009, Wooley faisait déjà seul oeuvre de cuivre et d’électricité. Trumpet/Amplifier, d’appeler les travaux de The Almond tout en leur promettant une résonance au son de nonchalance et d’abstraction conjuguées. Révélateur.
Harris Eisenstadt : Canada Day (Clean Feed, 2009)
Ici, une indiscutable esthétique Blue Note. Mais quid de l’énergie, de l’originalité, du tranchant, de la conviction des originaux ? Parfois, ailleurs, quelques décalages made in M’Base (Halifax, Kategeeper). Et puis, souvent, un jazz qui frôle le convenu et le cliché (le duo saxophone-batterie in Keep Casting Rods).
D’un quintet dont on attendait beaucoup, que retenir ? Les brouillages et souffles embrasés de Nate Wooley, un chorus de ténor inspiré de Matt Bauder (After an Outdoor Bath), la belle distance que s’impose le vibraphoniste Chris Dingman, la parfaite interaction du couple Eivind Opsvik – Harris Eisenstadt ? Voici une réponse évidente. Mais la sage construction des compositions du batteur, son application extrême et cette empoisonnante sensation de déjà-vu ferme bien des portes. Et en premier lieu, celle du plaisir d’écoute. On l’aura compris : pour le vertige, on repassera.
Harris Eisenstadt : Canada Day (Clean Feed / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2008- 2009. Edition : 2009.
CD : 01/ Don’t Gild the Lilly 02/ Halifax 03/ After an Outdoor Bath 04/ And When to Come Back 05/ Keep Casting Rods 06/ Kategeeper 07/ Ups & Downs 08/ Every Day is Canada Day
Luc Bouquet © Le son du grisli