Bobby Bradford / Frode Gjerstad Quartet : The Delaware River (NoBusiness, 2015)
La veille du concert que documente Silver Cornet, le Bradford/Gjerstad Quartet – dans lequel on trouve le contrebassiste Ingebrigt Håker Flaten et le batteur Frank Rosaly, remplaçant Paal Nilssen-Love – donnait un autre concert, à Philadelphie. Que The Delaware River documente à son tour.
La prise de son prête main-forte à Bradford : elle rapproche en effet ses partenaires d’un free d’antan. Quelque peu étouffée, la batterie (Rosaly jouant là de nuances que Nilssen-Love a désormais tendance à décliner) n’en impose pas moins sur Sailing Up The, premier titre que cornet et alto se partagent selon la tradition : motifs mélodiques pour Bradford, saillances pour Gjerstad.
L'équilibre trouvé (assez rapidement), les musiciens inventent une musique libérée de (presque) toutes contingences. Certes, mais cérébrale aussi. C’est d’ailleurs là le charme de l’association Bradford / Gjerstad : son jazz d’improvisation est funambule, dont la force ne se joue pas dans la vitesse, ni l’intensité dans l’épaisseur.
Bradford/Gjerstad Quartet
River In
Bobby Bradford / Frode Gjerstad Quartet : The Delaware River (NoBusiness / Improjazz)
Enregistrement : 29 mars 2014. Edition : 2015.
LP : A1/ Sailing Up The – B1/ Delaware B2/ River In B3/ 1965 Was Amazing
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Bobby Bradford/Frode Gjerstad Quartet : Silver Cornet (Nessa, 2014) / Frank Rosaly : Cicada Music (Delmark, 2013)
Depuis l’arrivée en 1987 de Bobby Bradford en Detail – trio John Stevens / Frode Gjerstad / Johnny Dyani qui en deviendra Detail Plus –, Bradford et Gjerstad n’ont cessé de se retrouver dans d’autres conditions : récemment dans le Circulasione Totale Orchestra du second ou en formations réduites qui les associent à Ingebrigt Håker Flaten et Paal Nilssen-Love.
Après Kampen, Silver Cornet documente donc la longue collaboration en changeant quelque peu la formule : l’absence, au printemps dernier alors que le quartette tournait aux Etats-Unis, de Nilssen-Love permettant à Frank Rosaly – sur invitation du contrebassiste qu’il côtoie notamment dans le Rempis Percussion Quartet – de jouer pour la première fois avec Bradford et Gjerstad. Et même, de donner un autre allant au quartette qu’ils emmènent ensemble : le swing modeste mais la frappe précise, Rosaly travaille la sonorité en batteur inquiet de sonorités déconcertantes. Qui plus est, son application convient à l’idée que se fait sans doute Håker Flaten d’une section rythmique, ici duo capable d’accompagner les souffleurs les plus turbulents tout en glissant dans son jeu quelques motifs qu’un solo n’aurait peut-être pas mieux mis en valeur.
Assurés, Bradford et Gjerstad retournent alors à ce jazz « hésitant entre un bop poussé dans ses derniers retranchements (en date) et les phrases brèves d’un free commis d’office » pour regonfler l’improvisation qu’ils ont toujours – et exclusivement – servie ensemble. Après quoi le cornettiste pourra conclure : On n’a toujours pas trouvé de nom pour ce genre de musique. (…) Souvent, les gens me demandent « est-ce que c’est du jazz ? », ce à quoi je réponds : « en tout cas, ce n’est pas du classique… Si vous avez une autre idée...»
Bradford/Gjerstad Quartet : Silver Cornet (Nessa / Orkhêstra International)
Enregistrement : 30 mars 2014. Edition : 2014.
CD : 01/ Silver Cornet Tells 02/ A Story about You 03/ And Me, Me and You
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Les quelques secondes de la berceuse exaltée d’Adrian n’y feront rien : Cicada Music, nouvel ouvrage de Frank Rosaly, malgré la qualité éprouvée des musiciens du sextette (Jason Stein, Jason Roebke, Keefe Jackson, James Falzone, Jason Adasiewicz), ne se montre que rébarbatif, sans invention... Certes l’envie d’y aller, mais un retour aux mêmes choses : bop de contrebande, électroacoustique paresseuse…
Frank Rosaly : Cicada Music (Delmark)
Enregistrement : 2008-2011. Edition : 2013.
CD : 01/ The Dark 02/ Wet Feet Splashing 03/ Yards 04/ Babies 05/ Adrian 06/ Driven 07/ Tragically Positive 08/ Bedbugs 09/ Typophile/Apples 10/ Credits
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Bobby Bradford/Frode Gjerstad Quartet : Kampen (NoBusiness, 2012)
Pour changer peut-être de leurs travaux en Circulasione Totale Orchestra, Bobby Bradford, Frode Gjerstad, Ingebrigt Håker Flaten et Paal Nilssen-Love donnèrent ce concert à quatre : Kampen, enregistré le 17 novembre 2010 à Oslo – ce que redisent les titres des quatre morceaux du vinyle : This Is / A Live / Recording From / Kampen, Oslo.
Le cornet seul, puis à la clarinette opposée : Bradford et Gjerstad en inventifs retors profitent de l’entente de la paire rythmique – sur la solidité de Nilssen-Love, Håker Flaten élabore un jeu de contrebasse singulier qui accompagne et relance les vents tout en chantant en filigrane sa propre partition. Sur une aire de tempérance, Bradford passe à la sourdine moqueuse avant d’oser un air amusé qui fera le motif principal d’un jazz hésitant entre un bop poussé dans ses derniers retranchements (en date) et les phrases brèves d’un free commis d’office – tout recours agissant.
EN ECOUTE >>> A Live
Bobby Bradford, Frode Gjerstad, Ingebrigt Håker Flaten, Paal Nilssen-Love : Kampen (NoBusiness)
Enregistrement : 17 novembre 2010. Edition : 2012.
LP : A1/ This Is A2/ A Live B1/ Recording From B2/ Kampen, Oslo
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Frode Gjerstad / Paal Nilssen-Love Project : Hasselt (Not Two, 2014)
Depuis leur premier duo, Day Before One, Frode Gjerstad et Paal Nilssen-Love ont mené ensemble tant de projets qu’en baptiser un nouveau tient de la gageure. Enregistrés le 23 septembre 2006 à Hasselt, ils optent alors pour la simplicité : Frode Gjerstad / Paal Nilssen-Love Project, quartette dans lequel on trouve Sabir Mateen – recrue du Circulasione Totale Orchestra – et le bassiste Peter Friis-Nielsen – Danois entendu auprès d’Hasse Poulsen, notamment.
Qui ne craint la fièvre (ni la basse électrique) trouvera en ce concert en cinq temps de quoi éprouver sa résistance à un free sur palette étendue : experts en sifflements comme en sonorités épaisses, Gjerstad et Mateen passent de saxophones (alto et ténor) en clarinettes et flûte avec une urgence et un aplomb capables de résister aux coups portés par Nilssen-Love et à l’affect électricité de Friis-Nielsen. Aussi impressionnante soit-elle – on aura, tout de même, relevé ici et là quelques convulsions –, la fièvre ne déclarait qu’une indisposition bénigne.
Frode Gjerstad / Paal Nilssen-Love Project : Hasselt (Not Two)
Enregistrement : 23 septembre 2006. Edition : 2014.
CD : 01/ Hasselt #1 02/ Hasselt #2 03/ Hasselt #3 04/ Hasselt #4 05/ Hasslet #5
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Frode Gjerstad Expéditives
Frode Gjerstad, Paal Nilssen-Love : Side by Side (CIMP, 2012)
Après Day Before One et Gromka, Frode Gjerstad et Paal Nilssen-Love se retrouvent en duo sur Side by Side, souvenir d’une tournée dans le Nord de l’Amérique datée de 2008. L’enregistrement est celui d’un concert donné au Spirit Room de Rossie : la paire y fut une autre fois efficiente : rapide, âpre, sèche, l’alto s’accrochant au cadre d’une caisse claire ou dérapant sur peaux. La clarinette basse, de prendre plus de place encore, jouant de ses peines ou arborant des sonorités hybrides que la batterie invective avec un panache égale.
Frode Gjerstad Trio : MIR (Circulasione Totale, 2011)
Dans le Frode Gjerstad Trio, le contrebassiste Jon Run Storm a succédé à Øyvind Storesund. MIR revient sur la première rencontre de Gjerstad, Storm et Nilssen-Love, enregistrée au Café MIR à Oslo en septembre 2010. Là, le contrebassiste réussissait à se faire une place entre deux vigueurs complices : les débuts de la nouvelle mouture du trio sont en conséquence féroces.
Frode Gjerstad Trio : East of West (Circulasione Totale, 2011)
9 avril 2011 à Stavanger : à la veille de partir en tournée, le même Frode Gjerstad Trio invente en espérant trouver quelques « trucs » : la prise de son est lointaine mais la verve du saxophoniste, la dextérité de Storm et la frappe de Nilssen-Love relativisent rapidement la chose. Bondissant, l’alto s’appuie en outre sur un duo rythmique qui fait désormais sa source d’inspiration de tout éclatement. A la clarinette, Gjerstad se réserve même un solo qui convainc des bienfaits de l’expression libre et isolée. Circulasione Totale Orchestra : PhilaOslo (Circulasione Totale, 2011)
Dates des concerts donnés par le Circulasione Totale Orchestra à trouver sur ce disque double : 30 janvier 2010 pour Philadelphie, 9 mars 2011 pour Oslo. Ici et là, le grand orchestre de Gjerstad impressionne encore : l’électroacoustique jouant avec les codes de la musique libre et même bruyante (présences de plus en plus affirmées de Lasse Marhaug et John Hegre), le swing corrompu par des élans individualistes (cet air de blues perdu que chante Bobby Bradford à Philadelphie), l’opposition envisagée comme manière de faire lorsque ce n’est pas le tour de la provocation (Anders Hana et Per Zanussi convertissant la musique d’Oslo au tout électrique). Monumental. Calling Signals : From Cafe Sting (Loose Torque, 2011)
Enregistré en 2007 au Café Sting de Stavanger, le Calling Signals de Frode Gjerstad et Nick Stephens était aussi celui d’Eivin Pederssen et de Louis Moholo-Moholo. L’accordéon changeant la donne, l’improvisation fait avec quelques tensions mais presque autant de subtilités. De hauts reliefs en atmosphères nonchalantes, le quartette profite d’ententes ponctuelles : celle de l’accordéon et de la contrebasse sur Rogaland ; celle du saxophone alto et des cymbales sur Trekkspill Blues. De l’enregistrement se dégage un mystère qui en fait une des références de la discographie du groupe. Sekstett : Sekstett (Conrad Sound, 2010)
Dans ce Sekstett, Gjerstad n’intervient qu’aux clarinettes. Ses partenaires ont pour noms Håvard Skaset (guitares), Lene Grenager (violoncelle), Hilde Sofie Tafjord (cor d'harmonie), Børre Mølstad (tuba) et Guro Skumsnes Moe (contrebasse). Enregistrée en 2009, la rencontre est acoustique : les instruments à vent s’y emmêlent tout en s’y accordant, les cordes y glissent des pièges minuscules mais inévitables, et la musique infuse.
Stine Janvin Motland, Fred Lonberg-Holm, Ståle Liavik Solberg, Frode Gjerstad : VC/DC (Hispid, 2011)
Sur VC/DV (pour Voice, Cello, Drums et Clarinet), Frode Gjerstad, Fred Lonberg-Holm et Ståle Liavik Solberg se penchent sur le cas de Stine Janvin Motland, chanteuse chez qui loge une rare pierre de folie qu'ils se sont décidés à extraire.
Coûte que coûte, même : la clarinette entame la perforation tandis que les sifflements et saturations du violoncelle se chargent de faire diversion et les coups défaits du batteur d’endormir tout bonnement la patiente. Motland peut bien tourner de l’œil (un filet de voix le prouve) mais retrouve rapidement ses esprits. Alors, voici la folie de la vocaliste montée sur celles de Gjerstad et de Lonberg-Holm pour faire partout œuvre de spasmes ou de bruits incongrus, toujours de diversité.
Stine Janvin Motland, Fred Lonberg-Holm, Ståle Liavik Solberg, Frode Gjerstad : VCDC (Hispid)
Edition : 2011.
CD : 01/ NBGB 02/ BVFV 03/ CXSX 04/ UBCB 05/ WDED 06/ XZAZ 07/ VCDC
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Calling Signals : A Winter's Tour (Loose Torque, 2011)
Après Paal Nilssen-Love, c’est au tour de Jon Corbett de succomber aux « signaux d'appel » de Frode Gjerstad et Nick Stephens.
D’emblée, même si serré à l’extrême, le mouvement est fluide : enchevêtrements de clarinette et de trompette, brides rythmiques entretenues. Maintenant, le retrait du batteur fait se libérer de nouveaux territoires. Le mouvement initial reviendra en fin d’improvisation, sur lequel s’ajouteront de denses figures : douceurs de clarinette et contrebasse mêlées s’opposant aux objets frottés par le percussionniste, solo de contrebasse inspirant à l’altiste de longues virées en ultra-aigu (Nine Souls).
Retour aux mêmes fondamentaux avec Five Souls : fluidité des souffles, offensive rythmique appuyée et courts mais constructeurs silences. Et l’aventure de s’achever aujourd’hui mais de continuer demain, ensemble ou avec d’autres, pour cet exemplaire Calling Signals.
Calling Signals : A Winter’s Tour (Loose Torque)
Enregistrement : 2009. Edition : 2011.
CD: 01/ Nine Souls 02/ Five Souls (plus the barman)
Luc Bouquet © Le son du grisli
Gjerstad, Stephens, Moholo : Quiddity (Loose Torque, 2011)
La présence de Louis Moholo (ayant déjà battu en 1996 en Calling Signals et depuis en Circulasione Totale) a peut-être, ce 27 février 2007, incité Frode Gjerstad à plus de retenue. Moins forcenée, sa virulence se fait simplement différente. Ainsi la clarinette progressera sur The Nature en indélicate et s’immiscera en reliefs escarpés jusqu’à se laisser prendre au piège : en structures-cages, son chant cognera certes, mais sans faire perdre une once de délicatesse à la musique du trio que forment les deux hommes avec le contrebassite Nick Stephens.
Les deux pièces suivantes donnent à entendre Gjerstad au saxophone alto : plus écorché, bravache en conséquence, il avance par à-coups piqué ici par l’archet, là par un coup de baguette sèchement asséné. La conclusion lui imposera un retour à la clarinette : The Essence est autre, une divagation abandonnant tous principes de mesure et attentes d’évidence. Nulle part la facilité n’est le sujet de Quiddity ; le disque y trouve là sa force farouche.
Frode Gjerstad, Nick Stephens, Louis Moholo-Moholo : Quiddity (Loose Torque / Improjazz)
Enregistrement 27 février 2007.
CD : 01/ The Nature 02/ The Gist 03/ The Whatness / The Essence
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Frode Gjerstad, Paal Nilssen-Love : Gromka (Not Two, 2010)
Au dos de la pochette du disque Day Before One, Frode Gjerstad revenait sur sa première rencontre avec Paal Nilssen-Love : celui-ci avait huit ans et jouait au domicile de son père, batteur que le saxophoniste et clarinettiste employait alors. Adolescent, Nilssen-Love prit place dans le Circulasione Totale Orchestra. En 2000, les deux hommes enregistraient une première fois en duo (ce Day Before One) ; en 2008, deux soirs de concerts donnés par les mêmes à Lubjana donneront Gromka.
Plus ardemment qu'hier – et peut-être plus sûrement –, Gjerstad et Nilssen-Love profitent là d'une complicité qui les font l'un après l'autre inspirateur des formes à donner à leur échange : discours musical né de la confrontation anéanti soudain par une prise de position individuelle et reconstruit ensuite pour ne jamais plus cesser de changer. Seule endure et tient bon la ferveur dont Gjerstad et Nilssen-Love font la clef de voûte de l'exercice improvisé lorsque la connivence n'est pas plutôt révélée sur temps calmes et ramassés. Auprès de Gjerstad, le savoir-faire d'envergure et la puissance de frappe de Nilssen-Love en demandent toujours davantage, gagnant même en subtilités.
Frode Gjerstad, Paal Nilssen-Love : Gromka (Not Two / Instant Jazz)
Enregistrement : 10 et 11 juin 2008. Edition : 2010.
CD : 01/ Svirel 02/ Klopotec 03/ Ragija
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Sabir Mateen, Frode Gjerstad : Sound Gathering (Not Two, 2010)
Sur des compositions de Frode Gjerstad, Sound Gathering revient sur la rencontre à New York en 2007 du Norvégien avec Sabir Mateen (saxophones, clarinettes, flûte) et Steve Swell (trombone) auprès de Clif Jackson (contrebasse) et David Gould (batterie).
Passée la première pièce (Air Conditioning) sur laquelle les musiciens se tournent lentement autour, le disque s’impose en grand document de free jazz tardif qui renoue à la fois avec les origines du genre et le développe au son de patiences réfléchies : alors, une piste passe en titre roulant vif puis une autre prône un retour aux sources régénérant pour emprunter les voix en lacets dessinés par les instruments à vent. Steve Swell en invité inattendu du duo annoncé – qui plus est plus que simplement compatible avec celui-ci – ainsi que Jackson et Gould (surtout) en souteneurs charismatiques, transforment la rencontre déjà fructueuse de Frode Gjerstad et Sabir Mateen en manifestation virulente et impérieuse qu'il faudra, elle aussi, aller chercher.
Frode Gjerstad, Sabir Mateen : Sound Gathering (Not Two / Instant Jazz)
Enregistrement : 2007. Edition : 2010.
CD : 01/ Air Conditioning 02/ Another Beginning 03/ After The Break 04/ Talin’ with David 05/ Sound Gathering 06/ ‘Til the Next Time
Guillaume Belhomme © son du grisli