Le son du grisli

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Frank Bretschneider : Isolation (LINE, 2015)

frank bretschneider isolation

Qu'est-ce qui peut bien motiver l’Isolation de Frank Bretschneider ? Eh bien, pas grand-chose de neuf, à en croire l’écoute (parfois une suffit, mais j’admets qu’elle peut tromper !) que j’ai faite du disque.

L’entrée en matière était plutôt engageante, avec son infrabasse et son aigu en piste. Mais après, Bretschneider (erreur de frappe google : un Franck Bret habiterait Perpignan) nous fera le coup de la dislocation : l’infrabasse revient seul, ou alors c’est l’aigu qui revient seul, et quand ils reviennent seuls mais ensemble (un buzz de masse et un aigu théréminant) l’effet n’est plus le même. Moins rythmique que d'habitude, le Bretschneider, sur ces cinq titres qui s’écoutent, mais qui ne m’ont pas perpignanisé non plus. Tchus.

Frank Bretschneider : Isolation (LINE)
Edition : 2015.
CD : 01/ White Light 02/ Neon Night 03/ Cycle/Circle 04/ Vertical Time 05/ Oscillation/Feedback
Pierre Cécile © Le son du grisli



Interview de Richard Chartier

interview de richard chartier copy

Minimaliste, microtoniste, réductionniste… ? Depuis 1998 et la sortie de son premier CD (Direct, Incidental, Consequential), pas facile de décrire le travail sonore de Richard Chartier. Alors on classe dans le rayon Ambient des enregistrements dont les tons diffèrent, selon l’heure ou les partenaires de Chartier (William Basinski, Taylor Deupree, Asmus Tietchens…). Alors que sort Subsequent Materials, dressons donc un bilan de compétences ! [ENGLISH VERSION]


 
Quand, comment et pourquoi es-tu venu à la musique ? J’ai toujours été intéressé par le (ou les) son(s), même enfant. J’aimais le son du réfrigérateur, du climatiseur. On pouvait me trouver les oreilles collées aux machines. J’étais peut-être un enfant bizarre. Le développement logique de cet intérêt a été de m’intéresser à la musique électronique puis à la musique expérimentale au lycée.

Quel a été ton premier instrument ? Mon premier instrument personnel a dû être un Yamaha DX100, avec ses touches minuscules. J’ai appris à jouer à l’oreille, en écoutant des tubes de Synth Pop des années 1980. Un des titres de Foley Foley Folio de Pinkcourtesyphone, Here Is Something… That Is Nothing, utilise un petit solo enregistré avec ce clavier. Un hommage rendu à un synthé maladroit.  

Quand situerais-tu l’époque à laquelle tu as commencé à faire la musique que tu joues encore aujourd’hui ? Et quelles ont été tes premières influences ? Je ne me considère pas vraiment comme un musicien. J’ai commencé à travailler avec le son de manière abstraite aux alentours de 1990. On peut entendre le travail de cette époque sur Untitled Tapes:1991-1993. A l’époque, mes grandes influences étaient des artistes telles que Zoviet France, The Hafler Trio, Phauss, John Duncan, Throbbing Gristle, pour n’en citer que quelques-unes. C’est quand j’ai commencé à écouter ces travaux plus abstraits et expérimentaux que j’ai réalisé que je n’avais pas forcément à créer des « chansons » ou des « travaux structurés comme des chansons ». Ça a été une libération.

Tu ne te considères pas comme un musicien mais te considères-tu comme un compositeur ? Ou comme un artiste sonore ? Quelle différence ferais-tu entre ces dénominations ? Par le passé, on a pu rapporter que je considérais être un « compositeur » alors que ce que je disais en fait était que j’étais un « compositeur d’éléments »… Ou mieux encore un « compositeur de sons »… Composition au sens large du terme, je fabrique et arrange des sons (ce qui pour certains définit la « musique »). Je n’ai pas appris la musique, mon travail est sans doute non académique. Je crois que pour moi un musicien est un artiste qui pense en termes de notes. Tout ça n’est pas très clair. Tous les artistes envisagent leur travail de façon très personnelle.

Je ne pourrais trop l’expliquer mais je sens un je-ne-sais-quoi d’européen dans ta musique : le réductionnisme pourrait-il expliquer ce sentiment ? T’intéresses-tu à ce courant, qu’il soit électronique ou acoustique ? Je ne suis pas sûr que ce soit particulièrement européen. Je pense que c’est « étudié ». Il y a assurément une grande tradition minimaliste aux Etats-Unis, que ce soit dans la composition ou les arts visuels. J’ai été influencé par beaucoup de sortes de réductionnisme à travers l’histoire et les domaines artistiques. J’étais l’enfant qui se servait du crayon blanc.

Connais-tu le collectif Wandelweiser ou les improvisateurs réductionnistes allemands, anglais ou français ? Si oui, t’inspirent-ils ? Il y a trop de choses à suivre. Je ne connaissais par Wandelweiser, non. Je connais par contre et apprécie le travail d’artistes comme AMM et Polwechsel (Trapist et Radian sont deux de mes groupes préférés).

Quand et pourquoi as-tu créé LINE ? Archiver ton œuvre semble très important pour toi (tu réalises par exemple des compilations de tes travaux)… J'ai lancé LINE en 2000. En 1999, j’avais envoyé mon dernier projet, Series, à Raster-Noton et Mille Plateaux. Tous les deux m’ont répondu que c’était trop « minimal », ce que j’ai trouvé à la fois amusant et frustrant. Un peu plus tard, Olaf Bender m’a réécrit pour me dire qu’il comprenait mieux cet enregistrement avec le temps et qu’il voulait sortir Series… Mais LINE était déjà sur les rails. LINE a été créé sur le conseil de Taylor Deupree : « Si personne ne veut sortir ce projet, tu n’as qu’à le sortir toi-même… Lance un label qui défendra ce genre de musique. » Nous l’avons inauguré en tant que sous-label de 12k. Taylor s’occupait du business et je m’occupais du design, de choisir les artistes, etc. A la fin de 2010, Taylor et moi avons décidé de séparer les deux labels. Depuis 2011, je m’occupe de tout, formant une troupe à moi tout seul.

Quel regard portes-tu sur tes premiers enregistrements sur LINE ? Of Surfaces (LINE 008) et Two Locations (LINE 013) me sont très chers. Series (LINE 001) m’est devenu très abstrait et je ne me souviens plus de l’époque de sa création ; son écoute n’est pas facile.  

On dirait que tu cherches parfois à archiver, comme un archéologue pourrait le faire, tes anciens enregistrements (en publiant des compilations de tes travaux, par exemple) et d’autre fois tu utilises d’anciens enregistrements pour en enrichir de nouveaux… Other Materials (3PARTICLES02), Further Materials (LINE_035) et Subsequent Materials (LINE_066) compilent à la fois d’anciens morceaux et des morceaux inédits. Retrieval (ERS) et Recurrence (LINE_059) sont les deux seuls projets à vraiment reformuler et recomposer d’anciens travaux qui n’ont pas grand-chose à voir avec les versions originales. On pourrait qualifier ces deux-là d’enquêtes. Dans le rock, on peut utiliser la même guitare de chanson en chanson… Alors, pourquoi ne pas réutiliser, moi aussi, ou modifier, un son que j’ai créé. Archival 1991 (CROUTON) et Untitled Tapes: 1991-1993 (3PARTICLES12) sont deux références qui archivent mes premiers travaux. Je crois qu’il est important de savoir regarder en arrière et de se faire une idée de ce que tu as fait, de la manière dont cela colore ce que tu fais aujourd’hui, et d’apprendre de tout ça. Je ne suis plus la même personne qu’à vingt ans.

Tu sonnes parfois « abstrait » et d’autres fois non. Est-ce un choix délibéré ? Quelle est par exemple la différence entre la musique de Richard Chartier et celle de Pinkcourtesyphone ? Je déteste avoir à décrire mon travail, mais il y a une énorme différence avec le projet Pinkcourtesyphone. Le travail que je publie sous mon nom est très formaliste, minimal, et calme. Il s’intéresse à l’écoute et à la spatialité… aux sensations plus qu’à l’émotion. Pinkcourtesyphone est un projet qui investit des territoires plus musicaux et denses, avec des beats, des voix, des émotions fertiles et une vague nostalgie. Il se préoccupe d’un sujet, d’une narration, d’un contenu émotionnel, de sexualité et de beaucoup de langage codé dans ses titres, références et samples. Je suis bien plus libéré au moment de créer les morceaux de Pinkcourtesyphone. Ça peut rapidement devenir bruyant. L’album à venir, Description of Problem (LINE_SEG03) parle d’obsession et de revanche et fait appel aux voix de mes amis William Basinski, AGF, Cosey Fanni Tutti, Kid Congo Powers et Evelina Domnitch.

Est-il aisé de t’exprimer en tant que musicien (ou compositeur de sons) avec des sons que nous dirons discrets ? La musique peut-elle, comme le dessin par exemple, est un art du disparaître ? J’ai commencé à travailler le son au moment où je peignais encore activement. J’allais d’une peinture au son et d’un son à une peinture sans arrêt. J’ai vu ces deux activités inspirer ma palette et ma façon de composer. Et puis, je me suis rendu compte que je ne pouvais pas vraiment créer ce que je cherchais : un espace viable en second plan. La peinture est alors devenue un medium qui n’était plus fait pour moi. J’aime les effacements créatifs.

richard chartier solo   richard chartier william basinski

Grâce à quelques-unes de tes collaborations, j’ai entendu pour la première fois le travail de certains musiciens (comme Curgenven, par exemple). Comment décides-tu d’entamer une collaboration avec tel ou tel musicien ? Dans la grande majorité des cas, j’ai besoin de connaître la personne qu’est l’autre artiste avant de travailler avec lui. Les seules exceptions sont Nosei Sakata (que je n’ai jamais rencontré… même si les deux CD de 0/r continuent de me surprendre) et Justin K Broadrick (Goldflesh, Final, Jesu) qui a collaboré avec Pinkcourtesyphone. La meilleure des collaborations est quand tu en arrives à ne pas savoir qui, des deux, fait ceci ou cela. Il m’arrive de prendre des chemins différents quand je travaille aux côtés d’un autre artiste. En définitive, j’apprends toujours plus de ces interactions et de ces autres perspectives.

Et en ce qui concerne les musiciens que tu produis (Roden, Lopez, Novak, Whetham, Cluett…) : leur musique doit-elle avoir un point commun avec la tienne pour espérer être éditée sur LINE ? Ces musiciens travaillent dans des champs assez différents (noise, field recordings…). Je pense que les sorties de LINE sont toutes très différentes et que chaque artiste a sa propre voix et une manière à lui de faire de la musique. Vu comme ça, il y a une large éventail de travaux. Mark Fell ou Frank Bretschneider donnent dans le rythme, AGF dans la voix, Doublends Vert dans l’acoustique pure, Scott Cortez et Lovesliescrushing dans le tout guitare. Chessmachine est malsain et bruyant. Leurs travaux ne peuvent évoquer les miens, mais il y a une attention particulière à leur apporter, ils doivent être à part et parvenir à m’absorber (comme il en est des auditeurs, j’espère).

Pour revenir aux field recordings. De nos jours, on dirait que tout musicien donnant dans l’ambient doit nécessairement faire avec… J’aime l’usage des field recordings quand ils améliorent la texture et l’envergure des morceaux auxquels ils ont été incorporés. Maintenant, je reconnais qu’on peut en abuser. Les field recordings purs, sans autres pistes, sans montage, peuvent être très ennuyeux. Les travaux de France Jobin ont toujours fait appel à des field recordings, et ce qu’elle fait est très beau et abstrait. Robert Curgenven a poussé les field recordings dans leurs derniers retranchements en se servant de dubplates et des résonances. Quand j’entends des plages de field recordings, je ne m’attends pas seulement à être transporté, mais à me sentir perdu. J’ai mes codes personnels à propos des field recordings… pas de vent qui carillonne, pas de chants de baleine, pas de basiques chants d’oiseaux (il m’est bien sûr arrivé de contrevenir à cette règle)… Il y en a un autre, mais je crois que je l’ai oublié… haha !

Yann Novak est lui aussi à la tête de son label, Dragon’s Eye. Quels sont les labels que tu suis de près ? Quels sont les derniers disques que tu as aimés ? J’adore ce que font Opal Tapes et PAN. Tous les deux ont des vues très singulières, même si leurs références transcendent les styles. J’aime les choses difficiles à classifier. J’ai toujours apprécié ce qu’ont fait Touch et MEGO, historiquement. J’aime aussi tout de Silk. Voici quelques-uns de mes disques préférés du moment : Andøya d’Eric Holm, Psychic 9-5 Club de HTRK, Sirene de Robert Curgenven, Warehouses de Kane Ikin, Ett de Klara Lewis, Tulpa de Perfume Advert, LA Spark de Wrangler, Ill Fares The Land de Koenraad Ecker. Et quand vient le moment de dîner, Mi Senti de Roisin Murphy.

Pour terminer, peux-tu me présenter Subsequent Materials ? Quelle est l’idée de cette nouvelle référence ? Subsequent Materials est en gros une collection de pièces sorties sur des compilations, des bonus tracks et des versions inédites de travaux qui datent de 2006 à 2012. Cela représente trois heures de travaux sonores, qu’on n’est pas obligé d’écouter d’une traite !

Richard Chartier, propos recueillis en juin 2014.
Pierre Cécile © Le son du grisli


Mem1 : +1 (Interval, 2009)

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Alter ego de la doublette Mark et Laura Cetilia, le premier à l’électronique, la seconde au violoncelle, Mem1 invite neuf amis – un(e) par track – sur  ce +1, des plus familiers (Jan Jelinek, Frank Bretschneider) aux moins fréquentés (Kadet Kuhne, anyone ?). Traitées au travers d’un prisme digitalisé, les sonorités du violoncelle épousent, malgré les apparentes similitudes, des contours très différents de ceux imaginés par Machinefabriek et Aaron Martin. Là où nous avions laissé l’électronicien néerlandais splendidement manipuler une vision néo-classique de l’instrument, le duo américain s’inscrit davantage dans une lignée ambient, heureusement toute personnelle.

Tel un Wolfgang Voigt grinçant expérimentant le minimalisme, Jan Jelinek attire l’attention par une discrète présence qui, paradoxalement, donne tout son sel au morceau qui porte son nom (comme celui de chaque collaborateur, du reste). Ailleurs, quelques sons épars détalés de chez Colleen inspirent un glissando stridant sur un Ido Govrin qui prend une belle ampleur lento, seconde après seconde, tandis que les atmosphères quasi-mystiques du trio Area C s’intègrent tout naturellement au projet. Moins convaincante, voire franchement ennuyeuse (tout comme Jen Boyd) est le mariage Mem1 - RS-232, encore que sa conclusion dark ambient finit par embaumer le cadavre de Svarte Greiner (par ailleurs, auteur de la pochette). Toujours classe et impeccable, la techno minimale, beats ultra-discrets included, de Frank Bretschneider s’impègne d’une humeur à la croisée de l’aéronautique et du cardiaque, elle est subtilement en contraste avec les chiffonnages numérisés de Kadet Kuhne dont émerge un violoncelle davantage présent. Pleinement dans l’envie d’une lenteur captivante au fil du temps et des écoutes, l’album se conclut sur deux titres (Jeremy Drake et Steve Roden) en plein dans le ton du projet, mélange d’instincts où l’harmonie remporte une victoire nette et sans bavures sur le chaos et la soumission.

Mem1 : +1 (Interval Recordings / Metamkine)
Edition : 2009.
CD : 01/ + Jan Jelinek 02/ + Ido Govrin 03/ + Area C 04/ + RS-232 05/ + Frank Bretschneider 06/ The Sketch 07/ + Jen Boyd 08/ + Jeremy Drake 09/ + Steve Roden
Fabrice Vanoverberg © Le son du grisli


Hauschka : Versions of the Prepared Piano (Karaoke Kalk, 2007)

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Près de deux ans après la sortie de The Prepared Piano, Volker Bertelmann, ou Hauschka, voit son album remixé par quelques collègues choisis, parmi lesquels on trouve Tarwater, Nobokazu Takemura, ou TG Mauss.

L’exercice est difficile, qui veut faire de remixes élaborés par différents musiciens un album intéressant d’un bout à l’autre, et Versions of the Prepared Piano n’est pas l’exception qui confirme la règle. Ainsi, il fait défiler les versions insipides (pop naïve jusqu’au mièvre d’Eglantine Gouzy et Chica and the Folder, electronica peu subtile de Barbara Morgenstern ou carrément nauséeuse de Vert), les propositions tièdes (signées Wechsel Garland, TG Mauss ou Tarwater) et les rares relectures inspirées.

Au nombre de celles-ci : Assembler’s Mix, de Nobukazu Takemura, construction instable qui boucle quelques cordes sur un décorum électronique ; Kotoba Naku, de Takeo Toyama, condensé de pop japonaise extatique ; Flying Horses, de Volker Bertelmann lui-même, qui trace un parallèle de circonstance avec l’œuvre des High Llamas. Certes, de quoi relever l’ensemble un peu, mais sans doute pas suffisamment.

Hauschka : Versions of the Prepared Piano (Karaoke Kalk)
Edition : 2007.
CD : 01/ Eglantine Gouzy, Mr. Spoon 02/ Barbara Morgenstern, Im Schlaf 03/ Nobukazu Takemura, Assembler’s Mix 04/ Wechsel Garland, Es Waren Einmal 05/ Takeo Toyama, Kotoba Naku 06/ TG Mauss, Things 07/ Vert, Rocket Man 08/ Frank Bretschneider, Stumm 09/ Mira Calix, Without Morning 10/ Chica and the Folder, Para Bien 11/ Hauschka, Flying Horses 12/ Tarwater, Words of Things to Touch
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



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