Fire! : (Without Noticing) (Rune Grammofon, 2013) / Ken Vandermark, Mats Gustafsson : Verses (Corbett vs. Dempsey, 2013)
Fire! pourrait-il être autre chose que convulsif ? Les machines saturantes ouvrant et refermant ce disque disent beaucoup des excès à venir. Le scénario, épais comme une carte postale, est celui du cri. Au ténor ou au baryton, le bon Mats Gustafsson hurle une psyché rouillée. Les riffs, eux aussi épais comme des cartes postales, peuvent prendre la route du méditatif ou des lenteurs australes mais ne sont jamais que prétextes aux contaminations à venir.
Habitué aux débordements et autres escalades soniques, l’auditeur pourra (ou pas) y trouver son compte. Mais reconnaissons à la formule ses limites. Ennui serait trop fort, amertume serait plus juste.
Fire! : (Without Noticing) (Rune Grammofon)
Enregistrement : 2012-2013. Edition : 2013.
CD : 01/ Standing on a Rabbit 02/ Would I Whip 03/ Your Silhouette on Each 04/ At Least on Your Door 05/ Tonight, More, Much More 06/ Molting Slowly 07/ I Mostly Stare
Luc Bouquet © Le son du grisli
Enregistrés le 24 mars 2013, Ken Vandermark et Mats Gustafsson en Verses font de l’ère du swing un point de départ à partir duquel ils réinventeront à leurs manières (bien connues, maintenant) l’art de descendre en flamme tout entendement, celui du sifflement convulsif et du rebond vigoureux, celui enfin du canevas solide allié à des motifs changeants. Versatile, et souvent heureux.
Ken Vandermark, Mats Gustafsson : Verses (Corbett vs. Dempsey)
Enregistrement : 24 mars 2013. Edition : 2013.
CD : 01/ The Madness of Branches 02/ Ripolin 03/ Fortunates Rust 04/ I Never Dreamed 05/ Beside Me, Images 06/ We Turn the Page
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Fire!, Oren Ambarchi : In Your Mouth - A Hand / Fire! Orchestra : Exit! (Rune Grammofon, 2012/2013)
L’amateur de crochets et d'anicroches trouvera là son compte : In the Mouth – A Hand est ce récit de coups portés par Fire! à un invité de marque : Oren Ambarchi.
Alors que la rencontre du trio et de Jim O’Rourke (Released! / Unreleased?) avait accouché de ballades expérimentales, mornes mais néanmoins inventives, In the Mouth – A Hand joue de basses et de rythmes soutenus qui enjoignent Gustafsson et Ambarchi à faire respectivement œuvre de cris rentrés et de cordes envisagées au poing – parfois le coup est maladroit, la gesticulation manque son but, alors le moulinet tourne à vide et l’exercice tient de l’entraînement longuet. Mais dans son ensemble, le disque se montre digne d’intérêt : faite de nœuds inextricables, la musique qu’il délivre trouve dans son endurance même la raison de son entêtement.
Fire!, Oren Ambarchi : In the Mouth – A Hand (Rune Grammofon)
Enregistrement : 28 octobre 2011. Edition : 2012.
CD : 01/ A Man Who Might Have Been Screaming 02/ And The Stories Will Flood Your Satisfaction (With Terror) 03/ He Wants To Sleep In A Dream (He Keeps In His Head) 04/ Possibly She Was One, Or Had Been One Before (Brew Dog)
Guillaume Belhomme © Le son du grisli 2013
Au son de compositions de Gustafsson, Berthling et Werllin et sur des paroles d’Arnold de Boer, Fire! s’est fait grand orchestre. Enregistré le 13 janvier 2012, une trentaine de musiciens (dont Magnus Broo, Per-Ake Holmlander, David Stackenäs, Sten Sandell, Joel Grip ou Raymond Strid) s’y bousculaient de concert. Déclamant, Mariam Wallentin, Emil Swanangen et Sofia Jernberg, mènent la formation de ronde affolée en berceuse inquiète et de free folk en post-rock prog, obtiennent grâce après supplique : Fire!, stay with me.
Fire! Orchestra : Exit! (Rune Grammofon)
Enregistrement :13 janvier 2012. Edition : 2013.
CD : 01/ Exit! Part One 02/ Exit! Part Two
Guillaume Belhomme © Le son du grisli 2013
Interview de Mats Gustafsson
Sous le nom de Sonore, Fire!, The Thing ou encore en tant que membre du London Jazz Composers Orchestra, Mats Gustafsson voit aujourd’hui paraître quatre de ses récents enregistrements. L’occasion de revenir sur son parcours, son rapport au jazz, ses besoins de rock ou… de vinyles. Rapide, précis et électrique…
… Tous les sons sont de la musique… Tous les silences aussi… Alors, pour ce qui est de mon tout premier souvenir musical, j’évoquerais le souvenir d’un vinyle… Ca devait être un EP d’Elvis qui venait de la collection de disques de ma mère. C’était vraiment bon, mais un peu plus tard, j’ai goûté à Little Richard, le vrai roi du rock’n’roll… Ce qu’il est toujours !
Comment êtes-vous arrivé à la pratique de la musique ? Par ces disques, justement… Et aussi parce que j’avais 14/15 ans lorsque le mouvement punk a véritablement explosé en Suède…C’était plus que simple de se laisser gagner par le mouvement et de commencer à jouer dans des groupes, c’était tout naturel. A 14 ans, j’ai d’abord monté un groupe qui mêlait punk, improvisation et jazz rock : ça s’appelait Nirvana, un vrai truc de sauvage ! Et puis, un très bon club de jazz de ma ville, Umeå, programmait Steve Lacy, Per Henrik Wallin, Lokomotiv Konkret, Lars Göran Ulander et tant d’autres. Tout ça c’était la même chose pour moi : jazz, rock, punk. Tout ça c’était de la pure énergie !
Quels ont été vos premiers instruments et les musiciens qui vous motivaient le plus alors ? La flûte dès que j’ai eu 7 ans, et puis je suis passé au piano électrique mais c’était vraiment monstrueux de le transporter ici et là… Alors, après avoir assisté à un concert de Sonny Rollins en 1980, je suis passé au saxophone ténor. Quant aux musiciens, mon seul et véritable héros a toujours été Little Richard. Allez écouter les instruments à vents qui jouent derrière lui, ça aussi c’est sauvage !
Comment se sont passées vos premières années en tant que musicien à Stockholm ? Eh bien, j’avais 19 ans… La première année, je l’ai passée à m’entraîner au ténor dans mon placard à balai la nuit et à travailler à l’usine le jour. Et puis, je suis tombé sur des musiciens incroyables qui m’ont accueilli parmi eux et pris sous leurs ailes : Dror Feiler, Raymond Strid, Jörgen Adolfsson, Sten Sandell et d’autres encore… Ils constituaient alors une jolie petite scène à Stockholm…
Que vous ont-ils appris ? Enormément ! Ils m’ont apporté un soutien monstrueux ! Dror m’a beaucoup appris en matière de politique et d’idéologie autant qu’en musique. Il a été très compréhensif avec ce jeune type du Nord que j’étais alors. Ce que Raymond et Sten signifiaient pour moi était tout aussi énorme… Ils sont épatants ! Nous avons joué / improvisé ensemble régulièrement pendant des années, plusieurs fois par semaine. Nous avons beaucoup exploré ensemble, c’était une époque magnifique et très créative, propice à toutes recherches... Quant à Jörgen, il est sans doute le musicien le plus déprécié qui ait jamais existé. Son jeu d’alto est tout simplement « fanfuckintastic ».
Les musiciens américains ont aussi une importance particulière dans votre éducation musicale… Pouvez-vous me parler de ce voyage à Chicago que vous avez effectué au milieu des années 90 ? Eh bien, il s’agissait surtout pour moi d’aller y chercher des vinyles ! Mais c’était une époque de référence pour la musique créative, ils étaient tous à Chicago : Ken Vandermark, Jim O’Rourke, David Grubbs, Hamid Drake et tant d’autres. A cela, il fallait ajouter l’explosion du mouvement post-rock, la présence incroyable de la communauté du free jazz et puis la naissance de labels comme Okka Disk. Je suis très heureux d’avoir contribué à ce qui s’est passé à Chicago à cette époque. Cela signifie beaucoup pour moi, encore aujourd’hui…
Avec quels musiciens êtes-vous d’abord rentrés en contact là-bas ? Ken Vandermark, Hamid Drake, Michael Zerang, Kent Kessler, ont été les tous premiers… Et puis j’ai eu la possibilité de renouer avec Jim O’Rourke, ce qui m’a permis de collaborer avec Gastr del Sol et David Grubbs. Encore une fois, le milieu des années 90 à Chicago a été une époque formidable, tellement de choses se passaient là… Chicago est une putain de ville dans laquelle les choses se passent ! Beaucoup de super bars, de gens et de… vinyles.
Comment s’est fait votre recrutement dans le Brötzmann Chicago Tentet ? Joe McPhee et moi avons été appelés pour venir renforcer l’octette et le groupe s’est depuis consolidé autour de cette formule. C’est un groupe puissant, très rock, dans lequel on trouve des personnalités vraiment très singulières. C’est une sorte de volcan en fusion d’esprits créatifs dans lequel j’ai aussi beaucoup appris.
Vous parlez souvent de rock… Pouvez-vous évoquer ici vos relations avec Sonic Youth ou Cato Salsa Experience, par exemple ? Eh bien, ce sont des groupes qui produisent une musique terrible, et j’essaye de mettre mon grain de sel là-dedans. Il s’agit avant tout de confiance et de respect mutuel, et aussi de l’envie d’essayer des choses et de voir comment ça se passe. Ces musiciens s’intéressent tous beaucoup à la musique, à l’art, donc : en un sens, collaborer avec eux est très facile… La première fois que j’ai joué avec Jim, c’était à l’occasion d’une Company Week qu’organisa Derek Bailey en 1990… Il est tout simplement l’un des esprits les plus brillants que l’on puisse trouver dans le milieu de la creative music, voilà ce que je peux dire !
Pensez-vous appartenir à ce que l’on pourrait définir d’Internationale bruitiste qui rassemblerait des musiciens venus d’un peu partout qui mêlent jazz, noise, drone, etc. ?Peu importe comment tu appelles ça… Je n’aime pas catégoriser la musique. La musique est bonne ou ne l’est pas et s’il vous est donné de rencontrer des personnes qui font une musique tout autre que la vôtre, le résultat peut être passionnant. Mais il s’agit surtout de savoir qui est la personne avec laquelle vous jouez et non pas d’où elle vient, que ce soit géographiquement, historiquement, originellement ou musicalement. Il s’agit avant tout de qui vous êtes. Il y a de la super musique (et de la très mauvaise) partout dans le monde. Il suffit simplement de l’attraper…
The Thing fait une bonne balance entre free rock et free jazz, c’était le but de la chose ? Nous n’avons pas de but en particulier avec The Thing, si ce n’est celui de jouer une musique qui te botte le train, avec des éléments de musiques que nous aimons (ou détestons). Il s’agit surtout d’alchimie entre nous, nous jouons ce que nous jouons et nous jouons aussi qui nous sommes.
Avez-vous l’impression de jouer en ce moment la musique pour laquelle vous êtes fait ? Peut-être est-ce la musique qui joue de moi, qui sait ? Il n’y a pas de destin de cette sorte ; chacun se créé son propre destin. Tu crées ta propre musique, je crois que c’est comme ça que tout marche. Pour moi, en tout cas, c’est comme ça que ça marche.
Mats Gustafsson, propos recueillis en novembre 2009.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Fire! : You Liked Me Five Minutes Ago (Rune Grammofon, 2009)
Aux côtés du bassiste Johan Berthling (membre de Tape) et du batteur Andreas Werliin, Mats Gustafsson passe de saxophones ténor et baryton en Fender Rhodes sous le nom et au cri de Fire!
Sur la marche d’If I Took Your Hand, le trio ouvre l’enregistrement : vœu qui profite de la transformation ingénieuse des sons d’un clavier et d’un gimmick de basse qui incitera Gustafsson à se laisser aller à ses emportements coutumiers : free énergique après lequel la marche est bien fermée. Pour suivre, un bourdon électrique s’oppose sur But Sometimes I Am aux notes répétées de Berthling et aux propositions bruyantes de Gustafsson. L’effet, galvanisant dans son ensemble, sera le même sur Can I Hold You for a Minute ? et peut pêcher à l’endroit même où il avait cru bon de se faire remarquer : dans son héroïsme tapageur.
En guise de conclusion, quatre minutes jouant de répétitions et d’insistances redisent l’allure générale de l’entier enregistrement, évoquant ici (forcément) The Thing, ailleurs Oneida, The Ex ou encore Bridge 61, quand l’association Gustafsson / Berthling / Werliin aurait pu donner d’autres et de plus inédits résultats.
Fire! : You Liked Me Five Minutes Ago (Rune Grammofon / Amazon)
Edition : 2009.
CD : 01/ If I Took Your Hand… 02/ But Sometimes I Am 03/ Can I Hold You for a Minute ? 04/ You Liked Me Five Minutes Ago
Guillaume Belhomme © Le son du grisli