Birgit Ulher : Doppelgänger (Creative Sources, 2007)
Cette chronique est l'une des cinq qui illustreront le portrait de Birgit Ulher, à paraître en mars dans sept trompettes, dixième hors-série papier du son du grisli.
Le réel (11 mai 2007) et son double (Doppelgänger) : évoquer Clément Rosset pour envisager cette illusion de « réel » élaborée à force de retouches – pour instruments nécessaires : trompette (Birgit Ulher), violon alto (Ernesto Rodrigues) et sampler (Carlos Santos).
Il ne suffit ainsi pas à Santos de reprendre sur le vif les voix de ses partenaires pour leur faire dire « autre » chose, en décalage léger à leur expression première. Il lui faut encore, pour plus de discrétion, calquer ses propres intentions sur les leurs. De là naît l’illusion : du rapprochement d’un matériau improvisé et de ses transformations subtiles.
Son triple : agitée, Ulher peut chercher à se fondre dans la trame que polissent Rodrigues et Santos sur la première plage ou passer partout ailleurs de plateau en plateau afin de répondre à chaque craquement du bois du violon ou à toute excentricité des machines. Les chants sont d’insistance et l’impression de brouillage radio qu’ils donnent parfois sont nés des façons qu’ont Ulher, Rodrigues et Santos, de camoufler sous grisailles leurs hautes conversations.
Birgit Ulher, Ernesto Rodrigues, Carlos Santos : Doppelgänger (Creative Sources)
Enregistrement : 11 mai 2007. Edition : 2007.
CD : 01/ The Idle Class 02/ The One 03/ Welt Am Draht 04/ The Third Man 05/ Face/Off 06/ Johnny Stecchino
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Sélectives expéditives : Creative Sources
Ernesto Rodrigues, Angharad Davies, Guilherme Rodrigues, Alessandro Bosetti, Masafumi Ezaki : London (Creative Sources, 2005). En quelques lignes, « faire le tri » parmi les références Creative Sources, et de même dans la discographie du violoniste qui anime le label, Ernesto Rodrigues. Commencer par cet enregistrement d’un concert donné à Londres en 2005 : en compagnie d’Angharad Davies (violon), Guilherme Rodrigues (violoncelle), Alessandro Bosetti (saxophone soprano) et Masafumi Ezaki (trompette), l’alto peint un de ces paysages de craie qui l’obnubilent. Les techniques instrumentales, à bout de souffle, révèlent par le soupçon des confidences qui font tanguer tout décor, et enfin vous chavire. (gb)
Los Glissandinos : Stand Clear (Creative Sources, 2005). Clarinettes contre ondes sinus : sous un nom exotique (Los Glissandinos), Klaus Filip et Kai Fagaschinski enregistraient Stand Clear en juillet 2004. De longues notes, suspendues, s’y superposent, convergent ou interfèrent selon la force du vent et la trajectoire des ondulations ; surtout : quadrillent un territoire d’ébats que se disputent sifflements et chuchotements au creux desquels il arrive aux voix de Filip et Fagaschinski de se confondre avec subtilité. (gb)
Birgit Ulher, Mazen Kerbaj, Sharif Sehnaoui : 3:1 (Creative Sources, 2006) Six pièces improvisées en 2006 par deux trompettistes (Birgit Ulher, Mazen Kerbaj) et un guitariste (Sharif Sehnaoui) aux usages peu communs. Coups de pression entretenant l’effervescence, la musique se nourrit du bruit de cordes interrogées à la baguette, de projectiles soufflés et d’effets d’aiguilles redessinant sans cesse la partition. Dans le discours expérimental, ce bel art partagé de l’insinuation, qui de l’improvisation abstraite relève la saveur et explique avec superbe tous les remuants efforts. (gb)
Bertrand Denzler, Jean-Luc Guionnet, Kazushige Kinoshita, Taku Unami : Vasistas (Creative Sources, 2005). Les yeux levés vers le vasistas du 31 Nevill Road, à Londres, on enregistre ce qui en traverse le cadre ce 19 septembre 2003 : les souffleurs du groupe Hubbub sont associés à Kazushige Kinoshita (violon) et Taku Unami (laptop, guitare) pour près de soixante-dix minutes d'affût tendu (allons, il y a tout de même quelques moments creux) ; la trame du fog – archet & machine – est perforée çà et là de brusques libérations – clapets, slaps, pizz' – étranglées qui s'agglutinent en petites concrétions. Sévère mais admirable broderie pour l'auditeur qui accepte l'épreuve d'endurance. (gt)
Xavier Charles, Bertrand Denzler, Jean-Sébastien Mariage, Mathieu Werchowski : Metz (Creative Sources, 2004). C'est un plaisir renouvelé que de réécouter cette demi-heure de musique enregistrée par Jean-Luc Guionnet en octobre 2003 au Temple Neuf de Metz ! Tirant parti de l'acoustique réverbérante des lieux, clarinette, saxophone ténor, guitare électrique et violon poussent leurs séquences de jeu (que des pauses silencieuses organisent) avec une fine élégance : travail « dans le son » collectif, changements de plans et efflorescences aboutissent à un développement organique passionnant. (gt)
Günter Müller, Jason Kahn, Christian Wolfarth : Drumming (Creative Sources, 2005). En neuf pastilles effervescentes (taillées cut dans une session au WIM de Zurich, fin octobre 2004), les drummers Müller (iPod, electronics), Kahn (laptop) et Wolfarth (percussion) appliquent à l'art tambourinaire une définition extensive... ou très littérale : à force d'entrelacs, de chevauchements, de prolifération, les pouls entrent en ébullition et crépitent ; anamorphoses, boucles, basses et balais, dans leur intrication, confèrent grain et complexité au flot – que prolongera, en 2009, le disque Limmat. (gt)
Axel Dörner, Jassem Hindi : Waterkil (Corvo, 2012) / Dörner, Rodrigues, Moimême, Guerreiro : Fabula (Creative Sources, 2012)
Réunies sous le nom de Waterkil : deux pièces récemment improvisées en concerts à Stockholm et Berlin par Axel Dörner et Jassem Hindi (musicien plus discret sur disque, entendu en duo déjà avec Jakob Riis sur Trunking). Le quarante-cinq tours a la taille d’un trente-trois.
Il ne faudra donc pas oublier de vérifier la vitesse sélectionnée quand partira le disque. La première face, de poussières tournant en anneaux, attire à elles craquements et déflagrations, sons de principe allant déclinant, notes parallèles de trompette, d’électronique ou d’objets, enfin, qui s’entendent sur un art instinctif de la synchronisation.
Plus virulente, la seconde face est celle de réactions en chaîne qui en démontrent individuellement : son instrument, Dörner le tord et le contraint pour mieux supporter les assauts d’Hindi ; ses machines, Hindi les brique pour soigner l’acidité de leur chant. Deux faces d’une même rencontre dont l’instabilité est gage de réussite.
Axel Dörner, Jassem Hindi : Waterkil (Corvo Records)
LP : A/ Caol: B/ Able:
Enregistrement : 6 octobre 2011 & 11 juin 2011. Edition : 2012.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Enregistré le 3 décembre 2011, Fabula donne à entendre Axel Dörner en compagnie d’Ernesto Rodrigues, Abdul Moimême et Ricardo Guerreiro. Sur paysage lunaire – si l’on s’accorde à attribuer à la lune lignes grêles et râles profonds, sifflements et larsens, suspension de bruits – le trompettiste progresse en discret. C’est une présence expérimentée en champ de mines que jalonnent des instruments détournés. Un monochrome, enfin, qui tient parfois de l’atmosphère.
Axel Dörner, Ernesto Rodrigues, Abdul Moimême, Ricardo Guerreiro : Fabula (Creative Sources / Metamkine)
Enregistrement : 3 décembre 2011. Edition : 2012.
CD :
Guillaume Belhomme © le son du grisli
Abdelnour, Jones, Neumann : AS:IS (Olof Bright, 2012) / Abdelnour, Rodrigues, Dörner : Nie (Creative Sources, 2012)
Si fragile soit-elle, la ligne électronique de Bonnie Jones montre ici, sinon la direction, en tout cas le chemin à prendre à ses partenaires Christine Abdelnour et Andrea Neumann. Au saxophone alto, à l’intérieur du piano et à la table de mixage, elles deux établissent des parallèles au tracé de Jones avant d’oser lui opposer points de rupture et parfois promesses d’échappées.
Avec un souci constant des proportions, voire des convenances, Abdelnour et Neumann rivalisent donc bientôt : souffles tournant en saxophone, galons ondulant ou sifflements, cordes désolées ou provocations parasites, déroutent une abstraction qu’elles nourrissent dans le même temps. Sortie des zones de frottements – heurts inévitables –, la musique est affaire de synchronisation subtile : Abdelnour sur un grave étendu, Jones et Neumann sur oscillations et résonances, et voici épaissi le mystère d’AS:IS. Le bruitisme étouffé sous les gestes délicats aura ainsi permis à Abdelnour, Jones et Neumann, d’envisager à la surface une improvisation de « hauts-reliefs et bas-fonds ».
Christine Abdelnour, Bonnie Jones, Andrea Neumann : AS:IS (Olof Bright / Metamkine)
Enregistrement : 2011. Edition : 2012.
CD : 01/ Hauts-reliefs et bas-fonds 02/ Movement Imported Into Mass 03/ 520-1,610 04/ Ganzfeld 05/ Despair 07/ and transport 08/ Hair Idioms
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Enregistré à Lisbonne en novembre 2008, Nie donne à entendre Christine Abdelnour improviser en compagnie d’Axel Dörner et Ernesto Rodrigues. Le trio travaille-là à une architecture de papier sans cesse menacée : par les vents, coups d’archet, projectiles venant des musiciens eux-mêmes. Les graves de la trompette ont beau rêver de fondations solides pour ces constructions bientôt réduites à l’état de mirages : les engins d’inventions, anciennement instruments, sonneront l’heure des terribles déflagrations. Le disque n’en est que plus attachant.
Ernesto Rodrigues, Christine Abdelnour, Axel Dörner : Nie (Creative Sources / Metamkine)
Enregistrement : 1er novembre 2008. Edition : 2012.
CD : 01/ Fabula
Guillaume Belhomme © le son du grisli
Rodrigues, Guerreiro, Wolfarth, Gauguet : All About Mimi / Early Reflections (Creative Sources, 2013 / 2014)
Si le tandem que forment Ernesto Rodrigues (alto, par ailleurs aux commandes du label) et Ricardo Guerreiro (ordinateur) apparaît dans nombre de disques Creative Sources, intégré à de vastes ensembles ou dans des formations moyennes, il est moins fréquent de pouvoir l'écouter en trio, recevant un invité choisi (comme cela se pratiquait, mutatis mutandis, dans les jazz clubs mettant leur « section » locale à disposition du « soliste » voyageur). Dans cette configuration, les superbes Late Summer et Shimosaki de septembre 2012 avec Radu Malfatti avaient de quoi allécher...
En octobre, la même année, Christian Wolfarth (aux seules cymbales) fit lui aussi le voyage de Lisbonne et c'est en studio qu'il s'attela au travail collectif de filage du son : cordes et métaux, frottés arco – du râpeux au fluide soyeux – se couchent et s'imposent, en paysages obstinés (à la manière de ceux dont Nicolas Bouvier a pu dire qu'ils « convainquent absolument à force de répéter la même chose »). A leur surface, Rodrigues ou Guerreiro s'enhardissent à venir déposer de rares accrocs, quelques étincelles, jusqu'à remettre brièvement en cause l'esthétique du strict continuum qui sied tant à Wolfarth. Peut-être cette poétique de basse tension, si l'on ose dire (alors que le chant gagne une belle ampleur au fil de la progression des six pièces), ne recèle-t-elle guère de surprises mais j'y trouve pour ma part une dimension narcotique, qui rend assurément sensible le moindre rehaut ainsi fait relief, articulation ou même clôture...
Ernesto Rodrigues, Ricardo Guerreiro, Christian Wolfarth : All About Mimi (Creative Sources)
Enregistrement : 12 octobre 2012. Edition : 2013.
CD : 01/ All about Mimi I 02/ All about Mimi II 03/ All about Mimi III 04/ All about Mimi IV 05/ All about Mimi V 06/ All about Mimi VI
Guillaume Tarche © Le son du grisli
... À l'été 2013, en compagnie du saxophoniste alto Bertrand Gauguet, c'est une nouvelle variation sur les modes d'habiter l'espace (et d'y ménager... des espaces) qui s'invente : moins autarcique, plus ouverte vers l'extérieur et aux « silences », mais sans drame néanmoins, elle joue subtilement des plans, tenant compte de l'environnement (du studio en wood et du lieu de concert en stone) que viennent modeler et modifier chuintements, fuites ou exhalations. Dans leur fine plasticité, et parfois leur nudité, ces gestes impeccablement pensés et posés témoignent d'une acuité d'écoute qui finit par gagner l'auditeur ; les jeux de clapets et de tuyères, les perçantes ondes perchées, les brouillards de fréquences, font délicatement vibrer et osciller les horizons.
Ernesto Rodrigues, Ricardo Guerreiro, Bertrand Gauguet : Early Reflections (Creative Sources)
Enregistrement : 14 juillet 2013. Edition : 2014.
CD : 01/ Wood (studio) 02/ Stone (concert)
Guillaume Tarche © Le son du grisli
Heddy Boubaker, Ernesto Rodrigues, Abdul Moimême : Le beau déviant (Creative Sources, 2011)
La pochette est sobre et les noms des morceaux (Le chant de la pluie, Singulier grain de sable, Tempête éteinte des passions…) sont des indices donnés par Heddy Boubaker (saxophones), Ernesto Rodrigues (violon) et Abdul Moimême (guitare électrique préparée) pour aborder leurs improvisations. L’écoute de leur disque confirme que ces indices étaient fiables.
Car leur « déviant » est « beau » ET attentionné. Les instruments sifflent & soufflent & chuintent, l‘improvisation balance deux notes de violon, ronronne près de l’oreille de l’auditeur ou se meut au loin. Ce qui était promis est donc tenu : la conversation dévie souvent. et est d'une très belle harmonie.
Heddy Boubaker, Ernesto Rodrigues, Abdul Moimême : Le beau déviant (Creative Sources / Metamkine)
Enregistrement : 17 octobre 2010. Edition : 2011.
CD : 01/ Le chant de la pluie 02/ Singulier grain de sable 03/ L’arbre qui ne cache 04/ Tempête éteinte des passions 05/ L’échec des machinés formidables 06/ Un beau matin, la déchireure
Pierre Cécile © Le son du grisli
Ernesto Rodrigues, Guilherme Rodrigues, Abdul Moimême... : Suspensão (Creative Sources, 2011)
Deux disques et deux plages à chaque fois. Donc : Quatre plages en suspension sur lesquelles évoluent Ernesto Rodrigues (violon, harpe, métronome, objets), Guilherme Rodrigues (violoncelle), Gil Gonçalves (tuba), Nuno Torres (alto), Abdul Moimême (guitare électrique préparée, objets), Armando Pereira (piano-jouet, accordéon), Carlos Santos (électronique) et José Oliveira (percussions).
Un tuba du bout des lèvres, un archet sur une note, un timide piano-jouet, se font entendre l’un après l’autre sous des chapes de nébulosités qu’ils perceront bientôt pour s’être entendus, motivés par les promesses de l’accordéon de Pereira et l’électronique de Santos, sur un brillant assaut. S’ensuit alors une série de revendications, chaque intervenant ou presque réclamant d’être l’autorité derrière laquelle il semble nécessaire de se ranger.
Charmantes, les tergiversations peinent à s’imposer tout à fait et les musiciens décident alors d’incarner leurs expressions : diverses, souvent courtes, presque toujours inquiètes. Les plages du second disque sont minées et les improvisateurs rivalisent maintenant de précautions : l’archet d’Ernesto bourdonne et celui de Guilherme claque, ailleurs des cordes sont frottées. Avec l’exercice, les rivalités s’éteignent. Leurs ambitions perdues sur Suspensão courent toujours.
Ernesto Rodrigues, Guilherme Rodrigues, Gil Gonçalves, Nuno Torres, Abdul Moimême, Armando Pereira, Carlos Santos, José Oliveira : Suspensão (Creative Sources / Metamkine)
Enregistrement : 21 juin 2010. Edition : 2011.
CD1 : 01/ 23’58’’ 02/ 24’48’’ – CD2 : 01/ 24’19’’ 02/ 20’08’’
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Cordes expéditives : Okkyung Lee, Sheriffs of Nothingness, Christian Munthe, Ernesto Rodrigues, Mathieu Werchowski...
Sheriffs of Nothingness : A Summer’s Night at the Crooked Forest (Sofa, 2011)
Traînant ou agissant par saccades, les archets conjoints du duo Sheriffs of Nothingness tissent des tapis d’ombres aux variations charmantes. Emportées ou redondantes, fiévreuses ou apaisantes, ce sont-là onze pièces environnementales (Summer Nights, Sunset, Forests…). Qui balancent sous le coup des soupçons ou unissons féroces des païens archets de Kari Ronnekleiv et Ole Henrik Moe.
Zero Centigrade : Unknown Distances (Audio Tong, 2011)
Aux côtés du trompettiste Vincenzo De Luce, le guitariste Tonino Taiuti défend ses compositions sous le nom de Zero Centigrade. Ici défilent quinze pièces enregistrées en 2010 d’un folk expérimental qui peut évoquer, selon les moments, Sharif Sehnaoui ou Gastr del Sol. Après le western, voici inventée l’Americana Spaghetti.
Okkyung Lee : Noisy Love Songs (for George Dyer) (Tzadik, 2011)
En compagnie d’invités (Peter Evans, Ikue Mori, Satoshi Takeichi…), Okkyung Lee sert sur un disque du même nom quelques Noisy Love Songs. En fait de chansons, ce sont des pièces minimalistes aux influences diverses (musique de chambre dérangée, folk, pop, romantisme…) que l’on colle les unes aux autres. L’amalgame est parfois hasardeux mais n’en constitue pas moins un recueil de musique courtoise.
Christian Munthe, Lee Noyes : Onliners (*For*Sake, 2011)
Pour avoir entendu Christian Munthe dans d’autres circonstances, ce duo avec Lee Noyes n’en est que plus réjouissant. Sur des percussions souvent étouffées, le guitariste y apparaît en élève de Derek Bailey : un élève impatient et parfois en manque de confiance. Mais lorsqu’il doute, qu’il se demande s’il faut toujours, coûte que coûte, remplir les silences, alors Munthe trouve refuge en mélodies ou arpèges qu’il s’amuse à faire tourner.
Guðmundur Steinn Gunnarsson : Horpma (Carrier, 2011)
A côté du compositeur Guðmundur Steinn Gunnarsson, cinq autres musiciens (dont Charity Chan et Kanoko Nishi) sont à entendre sur Horpma. Cette pièce en deux temps ordonne le concours de 27 instruments à cordes pour défendre au mieux une musique espiègle pour être en décalage perpétuel. Les motifs que se repassent guitares et clavecins, piano et harpe, ukulele et langspil, déclenchent au fil des secondes une œuvre singulière, faite autant d’insistances que de beaux accidents.
Ernesto Rodrigues, Mathieu Werchowski, Guilherme Rodrigues : Drain (Creative Sources, 2011)
En compagnie du violoniste Mathieu Werchowski, Ernesto et Guilherme Rodrigues augmentent leur œuvre improvisé d’une référence. Drain, la référence en question, est faite de mouvements d’archets contradictoires, de pas de deux et de trois pas effrayés par les parasites, de réactions des cordes aux assauts des mains gauches. Bientôt, les flèches décochées ont raison des bois, qui grincent avant d’expirer.
Baudouin de Jaer : The Heavenly Ladder / Analysis of the Musical Cryptograms (Sub Rosa, 2011)
Mettre en musique les dessins d’Adolf Wölfli, grande figure de l’art brut, est ici le propos du violoniste Baudouin de Jaer. Des couleurs et des étranges partitions du Suisse, le musicien belge tire, selon l’inspiration, un minimalisme aux portes du silence, des airs de folklore halluciné ou des ritournelles de scènes champêtres que n’aurait pas reniées Bruegel. Soit, un art musical aussi baroque qu’est chamarrée l’œuvre de Wölfli.
Creative Sources Expéditives : Christmann, Frangenheim, Leimgruber, Stackenäs, Rodrigues, Alipio C Neto, John Berndt...
Günter Christmann, Alexander Frangenheim, Elke Schipper : Core (Creative Sources, 2010). Cette session de janvier 2010, dans un studio berlinois, regroupe des musiciens qui se fréquentent depuis des lustres (par exemple dans le cadre des projets conduits par Christmann sous l’intitulé Vario) ; les quinze instantanés délivrés ici sont autant d’occasions de mesurer l’intime proximité du tromboniste & violoncelliste, du contrebassiste et de la vocaliste. Ces pièces, comme des noyaux d’activité, retiennent par leur qualité de concentration et de projection pétillante, bien que la théâtralisation du travail vocal (mais finalement, ni Minton ni Schürch – deux partenaires de GC – n’y échappent…) ait ses limites. Un enregistrement qui, dans cet idiome identifié, historique, est une réussite.
Urs Leimgruber, Ulrich Phillipp, Nils Gerold : Hin (Creative Sources, 2010). Disposés de part et d’autre de la belle contrebasse de Phillipp, les deux souffleurs (saxophones soprano & ténor ; flûte & piccolo), s’ébattent en agiles dentelliers, grinçant à l’occasion, venant régulièrement refourbir pelotes et aiguilles dans de petites volières agacées, pépiantes. Est-ce manière de se conforter, de se redynamiser, d’avouer la difficulté à trouver la bonne distance, le bon pouls ? L’archet indique souvent de passionnantes directions : au travail, le trio se cherche, et se trouve parfois.
David Stackenäs, Ernesto Rodrigues, Guilherme Rodrigues, Nuno Torres : Wounds of Light (Creative Sources, 2010). La combinaison instrumentale exploitée par cette formation, enregistrée en octobre 2008, est d’une élégante richesse : en une quarantaine de minutes et comme dans un atelier, la belle ingénierie (guitare, alto, violoncelle, saxophone alto) met en branle longerons, rabots, scies lentes, avec une vraie science des dosages et du brouillage des sources – qui peut évoquer, mutatis mutandis, certains travaux de Polwechsel. Un confort rêche, avec ce qu’il faut d’échardes pour rester sur le qui-vive…
Alipio C Neto, Thelmo Cristovam : Triatoma Infestans (Creative Sources, 2010). Slaps, jeux d’anches et de clefs, étranglements, salive : soit un inventaire – en forme de jungle – établi, dans un espace réverbérant de Recife, par deux saxophonistes bien informés du bestiaire des aérophones (butchero-donediens) des quinze dernières années. Tandis que l’on y cherche une clairière, on s’inquiète de les entendre confondre grouillement (certes généreux… ou bavard) et tension inventive.
John Berndt : New Logic for Old Saxophones (Creative Sources, 2011). D’un seul saxophone (alternativement un soprano de 1933 et un alto de 1935) dont on reconnaît le cuir des tampons sur la pochette, Berndt tire quinze pièces ou études – avec une belle ascèse, parfois rêveuse, voire lyrique, plus souvent chercheuse, éraillée, fauve – assorties de quelques dédicaces informatives, si ce n’est éclairantes (à Gianni Gebbia, Christine Sehnaoui-Abdelnour, Anthony Braxton). Quant à la « new logic » pour « old saxophones », sa dialectique fait-elle couler un « new wine » en « old bottles » ? Ce serait beaucoup dire, mais les rauques dégustations offertes sont assurément dignes d’intérêt.
Ernesto Rodrigues, Wade Matthews, Neil Davidson : Erosions (Creative Sources, 2010)
Le violon d'Ernesto Rodrigues s'exprime de mille et une façons. Prenons cet archet qui patiente ou cette corde pincée. Ou encore ces silences qui chassent à chaque fois la note à laquelle succèdent en l'étouffant de tous leurs charmes.
Mais le violon d'Ernesto Rodrigues est rarement seulement violon. Sur Erosions, ce sont aussi des électro-objets fappés, traînés à terre, ramassés pour être renvoyés plus loin et des fields recordings (le tout inventé en direct par Wade Matthews) et des vibrations d'autres cordes (la guitare de Neil Davidson). Le tout est une somme de sédiments de réel.
La musique du trio s'exprime en improvisant dans l'agrément (le violon instrument classique abordé bizarrement mais instrument classique pour toujours) et le désagrément (les objets et les field recordings et les cordes tendues). Elle raconte autant de souvenirs-mélodies qu'elle prédit l'avenir d'une musique qui ne sera plus jamais.
Ernesto Rodrigues : Erosions (Creative Sources / Metamkine)
Enregistrement : 2010. Edition : 2010.
CD : 01-05/ Erosions
Pierre Cécile © Le son du grisli