Pascal Niggenkemper : Lucky Prime (Clean Feed, 2013)
S'il n'est pas des sept basses à paraître, Pascal Niggenkemper n'en est pas moins contrebassiste. Capable, même, d'emmener septette...
Les idées ne fusent pas au hasard chez Pascal Niggenkemper. Avec sa petite bande (Frank Gratkowski, Emilie Lesbros, Eve Risser, Frantz Loriot, Els Vandeweyer, Christian Lillinger), le contrebassiste enflamme quelques hautes contrées. La plus évidente de ces zones passe par l’entremêlement des timbres (concentration et délestement en duo, charge unie en septet).
D’autres territoires seront fréquentés qui passeront par la désintégration des masses et de bruts découpages. Il y aura crispation et respiration, composition et décomposition, surchauffe et attente. Le jazz sera restitué en un axe bancal et souffreteux avant qu’un vibraphone gouailleur ne vienne lui rappeler sa force vitale. Et du fil de tendresse final (sortir de la colère) jailliront des pépites aux soleils audacieux. Pas mal pour un premier enregistrement.
Pascal Niggenkemper Vision7 : Lucky Prime (Clean Feed / Orkhêstra International)
Edition : 2013.
CD : 01/ Carnet plein d’histoires 02/ Dia de los muertos 03/ Feuetreppe 04/ En urgence 05/ I Don’t Know, But This Morning 06/ Ke Belle 07/ Lance de Lanze 08/ Sortir de la colère
Luc Bouquet © Le son du grisli
Cotinaud, Phillips, Roger, Sommer : No Meat Inside / The Sérieuse Improvised Cartoon... : When Bip Bip Sleeps (Facing You, 2013)
Pris sur le vif (La Gaude, 12 novembre 2012) et jouant sur le vif, François Cotinaud, Barre Phillips, Henri Roger et Emmanuelle Somer ravivent quelques habitudes et s’appliquent à en défaire quelques autres.
Entre eux, quelque chose passe puis se rature. Entre eux, il y a gifle ou caresse. Il y a donc les habitudes et les turpitudes. Il y a les évidences souvent à la charge des duos (piano-contrebasse, saxophone-piano). Et ce sont là, excès de fièvres et emballements sinueux de toute beauté. Et puis, il y a ce qui se cherche, ce qui résiste, ce qui ne se trouve pas. Ce pour quoi l’improvisation existe. Maintenant s’élèvent caquètements, irruptions, unissons détrempés, discrétions et prise de becs. Le hautbois tresse quelques fines nattes de sons, une note de contrebasse ouvre le chapitre, un souffle berbère surgit, des appeaux-embouchures fredonnent l’inutile… L’improvisation tout simplement.
François Cotinaud, Barre Phillips, Henri Roger, Emmanuelle Somer : No Meat Inside (Facing You / IMR / Souffle Continu)
Enregistrement : 2012. Edition : 2013.
CD : 01/ Epars 02/ Friche 03/ Space Inside 04/ Ocres 05/ Tribulations mandibulaires 06/ Drunk Track 07/ Ressort
Luc Bouquet © Le son du grisli
Influencés par les musiques de Scott Bradley, un géocoucou astucieux et un coyote rapide mais pas bien malin, Henri Roger, Eric-Maria Couturier, Emilie Lesbros et Bruno Tocanne s’en donnent à cœur joie dans la démesure. Le pianiste harmonise la course, le violoncelliste lapide ses cordes, la chanteuse dérape à plaisir, le batteur tente de réguler le parcours. Et nos quatre amis d’habiter un monde grouillant de passions, de rires et d’éclats sans frontières.
The Sérieuse Improvised Cartoon Music Quartet : When Bip Bip Sleeps (Facing You / IMR / Souffle Continu)
Edition : 2013.
2LP + CD : 01/ Cats and Dogs 02/ Follow That Horse 03/ When Bip Bip Sleeps 04/ Are You Happy? 05/ At the Circus 06/ Running in the Jungle
Luc Bouquet © Le son du grisli
Emilie Lesbros : Attraction terrestre (IOT, 2011)
C’est le premier disque solo d’Emilie Lesbros.
Il y a un parcours riche de rencontres (Barre Phillips, Daunik Lazro, Raymond Boni, Hélène Breschand) et de thématiques approchées (le chant classique, le rock, l’improvisation). Il y a une voix claire et sobre, des blues cachés, des heures rouges et bleues. Il y a les voix des aînées (Catherine Jauniaux, Iva Bittova, Meredith Monk) ; celles qu’il serait assassin de ne pas citer. Il y a des éclairs et des habiletés, des sombres inquiétudes et des éclaircies saisissantes. Il y a des fausses fragilités et le risque du premier CD carte de visite. Il y a des sphères gangrénées d’un fiel enfoui et jamais totalement impulsé. Il y a des vents et des ocres. Il y a des violons et des pianos entrant en résonnance avec le chant sans ombre d’Emilie Lesbros. Il y a, à l’arrivée, un disque qui enchante.
C’est le premier disque d’Emilie Lesbros et ce disque lui ressemble totalement. Entièrement.
Emilie Lesbros : Attraction terrestre (DFragment / Amazon)
Edition : 2011.
CD : 01/ Dla ciebie 02/ Brushing Your Hair 03/ Clapotains 04/ In’citation’ 05/ Berce Mozart 06/ Emptiness 07/ Attraction terrestre 08/ Stop Singing 09/ Dormez-vous ? 10/ Time Flies 11/ 1979 12/ Des avions sur nos têtes
Luc Bouquet © Le son du grisli
Daunik Lazro : Horizon vertical (Hors Œil, 2011)
Depuis une dizaine d’année Daunik Lazro a délaissé l’alto au profit du baryton. Moins de satellites, plus de possibilités : les sons qui sortent du baryton de Lazro sont des sons qui écorchent le convenu. Ce sont des sons de batailles, propulsés contre l’arrogance des chefs. Ce sont des sons que beaucoup ne veulent pas entendre et que beaucoup n’entendront jamais. Des sons qui interrogent et bousculent un monde (à jamais ?) servile. Ce sont surtout de sons qui s’accordent et se réfléchissent aux partenaires du saxophoniste (ici Raymond Boni, Jérôme Noetinger, Jean-Luc Guionnet, Emilie Lesbros, Clayton Thomas, Kristoff K.Roll, Aurore Gruel, Michel Raji, Louis-Michel Marion, Qwat Neum Sixx). Au détour d’un concert, le saxophoniste dit le plaisir d’avoir joué quelque chose qui n’était jamais apparu jusque-là.
Et puis Daunik parle. Il parle de sa rage, de son désespoir, de ses tourments, de la perte, des expériences passées, des influences (Bechet, Dolphy, Ornette, Lyons, Portal). Avec le photographe Horace, il se souvient d’Ayler à Pleyel, des spectateurs qui partaient en masse, de ceux qui hurlaient leur dégoût et des autres qui criaient leur joie. Encore une bataille. Perdue ou gagnée ? Sommes-nous assez sereins, aujourd’hui, pour seulement envisager d’y répondre ? Et il parle encore. Il parle d’astrologie, du corps qui flanche, des substances illicites qui l’ont transporté dans une autre dimension.
Souvent, Christine Baudillon filme le saxophoniste, immobile. Minutieusement, elle enregistre le vent dans les branches. Elle superpose les axes. Un filet d’eau coule. Des feuilles mortes jonchent le sol. Le mouvement est lent et Tarkovski n’est pas loin. Et surtout, elle n’impose rien, ne bouscule rien. Cinéaste humble et investie, elle n’interfère pas : elle enregistre et témoigne. Seulement cela. Et ce cela est immense.
En bonus, un livret de photographies commentées par le saxophoniste lui-même. Un passé pas si lointain : des duos, des trios, des quartets et des visages jamais figés, toujours en mouvement. Un DVD indispensable mais vous l’aviez sans doute compris.
Christine Baudillon : Daunik Lazro : Horizon vertical (Hors Œil Editions)
Edition : 2011.
Luc Bouquet © Le son du grisli