Camizole : Erahtic (Rotorelief, 2023)
Certes, le son du grisli n'est plus, mais quoi ? De temps à autre, le son du zombie vous rappellera à son bon souvenir.
Un Camizole sur le retour : enregistré il y a cinquante ans, Erahtic renferme les premiers enregistrements de Dominique Grimaud à la cithare bricolée, augmentée ici d’électronique, là de flûte ou de violon. Mais sous ses airs de vieilles bandes, l’album cache un peu de nouveauté.
C’est que les expérimentations d’hier ont été revues à la lumière du jour et gagnent en présence : le remuage sonore fait ainsi éclore des ritournelles de recyclerie d’une étonnante poésie ou la bande son d’un cinéma sans images on ne peut plus musical. Vents et cordes, sur un fil toujours, épousent le pleurage de ces archives qui bougent encore jusqu'à se mettre à danser.
Pour les amateurs d'archives rares, noter que Souffle Continu réédite ces jours-ci Musiques pour garçons et filles, album de Vidéo-Aventures (Dominique Grimaud et Monique Alba ici épaulés par Gilbert Artman ou Guigou Chenevier, augmenté d'une poignée d'inédits...
Camizole : Erahtic
Edition : 2023.
Rotorelief
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Dominique Grimaud, Véronique Vilhet : Broken Saxophones (ADN, 2022)
Certes, le son du grisli n'est plus, mais quoi ? De temps à autre, le son du zombie vous rappellera à son bon souvenir.
Hier, dans Camizole, il modifiait le son d’un saxophone alto avec l’aide d’un synthi AKS. Aujourd’hui, Dominique Grimaud reprend l’instrument – et une clarinette basse, avec – le temps d’enregistrer quelques conversations avec Véronique Vilhet (batterie et percussions), auxquelles prennent part ici Jacky Dupéty (saxophones) et là David Fenech (guitare).
Si l’on imagine que ces Broken Saxophones datent un peu, le souffle qui les anime est revigorant : pleurage épris de redite (R.B. regarde les étoiles), discrète danse de la pluie (Cha-O-Ha), chorale miniature (Un arc en ciel dans le jardin), impression d’Afrique (Hum ! Hum ! Bunk ! Bunk !), ritournelle sortie de son axe (Rosette et Pierrot)… Derrière Îles et J’aime tout ce que fait le ciel à n’importe quel moment, Dominique Grimaud et Véronique Vilhet composent là un répertoire de poésie aussi dense que légère. [GB]
Dominique Grimaud, Véronique Vilhet : Broken Saxophones
ADN Records
Edition : 2022.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Véronique Vilhet, Dominique Grimaud : J'aime tout ce que le ciel fait à n'importe quel moment (InPolySons, 2020)
C’est, en titre, une citation de Richard Brautigan : J’aime tout ce que fait le ciel à n’importe quel moment. Le disque, quant à lui, renferme des interprétations par Véronique Vilhet et Dominique Grimaud de chants divers et variés : « traditionnel », rengaine minimaliste, chanson française et même hymne indien.
Le disque commence par un blues – Faut pas t’en aller, conseille Vilhet a capella ou presque – et finit sur une promesse – Le temps des cerises, auquel on pourrait maintenant croire ? Sur l’un et sur l’autre, la voix diffuse sa propre poésie avec un naturel confondant : plus que Brigitte Fontaine, c’est Colette Magny, Tamia et Susana Baca confondues qu’elle évoque.
Do Your Thing, enjoint ensuite Moondog au couple de musiciens : les programmations de Grimaud enveloppent alors la voix de motifs tournants qui ici ajoutent un peu d’étrange à son jeu (Travailler c’est trop dur), là augmentent sa fantaisie effrontée (VV5 Boucles, l’une des trois chansons originales du disque), ailleurs encore l’assistent dans son patient travail d’hypnose…
C’est d'ailleurs à ces moments que Vilhet et Grimaud, déjà convaincants, passionnent le plus : au son de l’inquiétante comptine préraphaélite qu’est Metamorphoses, de l’air d’un impertinent Charlie qui joue des épaules ou de l’entêtant Vande Mataram soudain privé de frontières. Le seul reproche que l’on puisse faire au duo, c’est lorsqu’il explique : « Ce nouveau disque est basé sur la voix et le format chanson, mais toujours dans une affirmation expérimentale. »
C’est qu’Etienne Souriau, dans son Vocabulaire d’esthétique, nous avait prévenu : La chanson est une chose qui se répand et qui est faite pour se répandre. Une chanson réussie est une chanson, si l’on peut dire, contagieuse. Comme l’époque est à la contagion, pourquoi alors refuserait-on celle-ci ?
Véronique Vilhet, Dominique Grimaud : J’aime tout ce que le ciel fait à n’importe quel moment
InPolySons
Edition : 2020.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Camizole : Camizole / Camizole + Lard Free (Souffle Continu, 2018)
Dans le premier volume d’Agitation Frite, Dominique Grimaud se souvient des débuts de Camizole : « Nous étions une bande de hippies qui s’ennuyait ferme au pied de la cathédrale de Chartres. Jacky nous a entraînés dans une première performance très inspirée par le Living Theatre, qu’il avait probablement vu à l’American Center. Nous n’avions aucun instrument ou objet, ce fut juste un long silence pour commencer, puis des souffles, des cris, des râles s’extirpant de nos corps. Nous étions tout de même une vingtaine, d’abord assis sagement par terre, puis tout s’est terminé dans une mêlée violente et totalement anarchique. Rien n’avait été répété, ni même prévu, sauf par Jacky qui nous dirigeait. Ce soir-là, très exalté, il nous a dit : Il faut absolument que l’on crée un groupe de free jazz ».
Le groupe imaginé par Jacky Dupéty accueillera de nombreux musiciens – la couverture du disque en retient quatre, dont sont avec lui Françoise Crublé (saxophone, guitare), Dominique Grimaud et Jean-Luc Dupéty (batterie, trompette, tuba) – et s’essayera à d’autres expériences sonores (notamment électroniques) sous l’impulsion d’un Grimaud obnubilé par le krautrock. Plusieurs fois enregistré jusqu’à sa disparition, en 1978, Camizole attendra la fin du siècle pour voir publié son premier disque dont cette intégrale Souffle Continu reprend évidemment le contenu.
Le « Z » de camizole aurait pu être celui de zozos si les autodidactes qui le composèrent s’étaient montrés moins inspirés, les extraits de concerts et l’enregistrement studio (c’est la même année, 1977) que l’on trouve ici attestant en effet un art du déboîtement plutôt particulier. Parce qu’il commande aux musiciens l’expression d’un free jazz sans méthode ou l’élaboration d’un folk martial mais amusé, les pousse aux frontières d’une patiente recherche sonore sur des instruments parfois minuscules et de temps à autre préparés ou à l’élaboration d’un théâtre provocateur dont le décor peut faire siens les sifflets du public, Camizole adapte ses envies aux intérêts et aux conditions du moment : bref, fanfaronne.
Si Grimaud regrette que Camizole soit resté un groupe local, celui-ci s’est trouvé quelques frères d’armes dans ce que Philippe Robert appelle l’ « underground français » : Red Noise, et puis Etron Fou Leloublan et Lard Free. En 1978, le groupe de Gilbert Artman (dont l’Urban Sax fera une place à Jacky Dupéty et Françoise Crublé) improvise plusieurs fois avec Camizole, au point de « fusionner ». Le verbe n’est pas choisi par hasard car sur un autre disque et deux autres faces, Camizole + Lard Free, c’est une autre expérience encore : le quartette augmenté d’Artman (orgue, vibraphone et batterie) et Philippe Bolliet (saxophone et basse) donne le 30 juillet 1978 près de Montpellier un concert hallucinant.
Mêlant free jazz et krautrock, l’association met au jour une musique des hauts plateaux qui, lentement, dévisse : un montage de différentes séquences sur lesquelles les instruments à vent rugissent à loisir quand la basse et puis l’orgue rivalisent de feulements. Lard Free à cette époque a publié trois disques, et Artman est là qui encourage la ferveur opérante de Camizole : mais Camizole + Lard Free est aussi, pour les deux groupes, le chant du cygne. Un chant que Souffle Continu a consigné sur un disque qui, avec la double rétrospective Camizole, a de quoi consoler Dominique Grimaud : « Il y a eu, durant les huit années d’existence du groupe, plusieurs opportunités discographiques qui n’ont pas abouti, ce qui explique cette découverte, c’est vrai, plutôt a posteriori. »
Camizole : Camizole
Camizole / Lard Free : Camizole + Lard Free
Enregistrement : 1977-1978. Edition : 2018.
Souffle Continu Records
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
RENDEZ-VOUS - VENDREDI 30 NOVEMBRE A SOUFFLE CONTINU, PARIS
Tir groupé pour la sortie du livre : Agitation Frite 3 de Philippe Robert !
Agitation Frite 3 (Philippe Robert & Guillaume Belhomme / Lenka Lente) proposent une rencontre en invitant à jouer Pepe Wismeer avec Thierry Müller et Marc Sens, pour la sortie du troisième volume d'Agitation Frite... Ainsi que Frédéric Acquaviva (également dans le livre) qui se greffera sur l'événement pour présenter ses nouvelles parutions.
Véronique Vilhet, Dominique Grimaud : Îles (In-Poly-Sons, 2017)
A l’occasion de la parution d’Agitation Frite, livre de Philippe Robert consacré à l’underground musical français de 1968 à nos jours, le son du grisli publie cette semaine une poignée de chroniques en rapport avec quelques-uns des musiciens concernés en plus de deux entretiens inédits tirés de l’ouvrage...
La lecture de l’Atlas des Îles abandonnées de Judith Schalansky – dans la très recommandable, mais pas infaillible, série de l’éditeur Arthaud qui mêle géographie et imaginaire (cités rêvées ou perdues, lieux maudits…) – a inspiré à Véronique Vilhet et Dominique Grimaud leur second album, après AAHH !! en 2015. Un carnet de voyage, en quelque sorte, qui les transporte de Rapa Iti à l’île fantôme de Sandy, de Tromelin à l’Île de l’Ascension…
Réels ou inventés, ces morceaux de terre émergée ne sont évidemment qu’un prétexte capable d’aménager au duo autant de plages sur lesquelles déposer ses bagages. Parce que, à l’intérieur de ceux-là, il trouvera de quoi faire : batterie et percussions, Fender Stratocaster et synthy AKS, mais aussi guimbarde, épinette, balafon, harmonica, ukulélé… Etoffé, l’instrumentarium n’oblige pourtant pas Vilhet et Grimaud : c’est avec une légèreté qui leur assure de passer sans encombre d’une île à l’autre qu’ils l’envisagent au contraire une douzaine de fois.
Alors, quand ce n’est pas le chant d’un vent de synthy, ce sont quelques accords ouverts de guitare (Grimaud cite ici Peter Finger et Michael Hedges, mais on pense aussi parfois à Henry Flynt ou au camarade Pierre Bastien) ou le rythme lent de tambours qui suffisent à la création d’une musique d’atmosphère minimaliste et souvent saisissante. A force de courir, la ligne claire de la guitare électrique – les effets sont comptés – rattrape toutes les trajectoires possibles : engagées, bouclées, soupçonnées même : sur l’Île de la Solitude, Véronique Vilhet et Dominique Grimaud peuvent alors achever leur course, si ce n’est la suspendre un temps.
Véronique Vilhet, Dominique Grimaud : Îles
In-Poly-Sons
Enregistrement : 2013-2015. Edition : 2017.
LP : 01-12/ Îles
Guillaume Belhomme © Le son du grisli