Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

Dave Rempis : The Disappointment of Parsley (Not Two, 2009)

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En concert à l’Alchemia de Cracovie, le saxophoniste Dave Rempis, sorti du Vandermark 5, démontre une autre fois à la tête de son Percussion Quartet toutes ses capacités de leader.

Le contrebassiste Anton Hatwich et les batteurs Frank Rosaly et Tim Daisy là pour l’épauler, Rempis passe d’alto en ténor et de ténor en baryton sous le coup d’une inspiration échevelée : qu’imposent dès l’ouverture les rebonds d’un grain âpre et le souffle résistant au swing instable du morceau-titre. Ayant donné avec Zoni une leçon de délicatesse – ballade lovée au creux des coups légers de Rosaly et Rempis et de l’assurance de l’archet d’Hatwich –, Rempis laisse aux batteurs le soin d’ouvrir C/Sold at Ten Percent Discount, qu’il développera ensuite en musicien inspiré par un thème de Julius Hemphill. La progression est tortueuse, s’essouffle ici avec distinction, pour refaire œuvre de contrariétés sur un gimmick de contrebasse revivifiant. La fin de l'enregistrement est à l’image de cette nouvelle référence de la discographie de Dave Rempis : encore plus affirmée et encore prometteuse.

Dave Rempis Percussion Quartet : The Disppointment of Parsley (Not Two)
Edition : 2009.
CD : 01/ The Disappointment of Parsley 02/ Zoni 03/ C/Sold at Ten Percent Discount
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



Ken Vandermark: Resonance (Not Two - 2008)

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Prenant la direction d’un tentette composé de quelques-uns de ses fidèles (Dave Rempis et Tim Daisy, élements du Vandermark 5, ou Magnus Broo, membre de 4 Corners) comme d’intervenants jusque-là inconnus de lui (les saxophonistes Mikołaj Trzaska et Yuriy Yaremczuk ou le contrebassiste Mark Tokar), Ken Vandermark enregistrait Resonance, grand-œuvre de fanfare hallucinée consigné sur vinyle.

A celles des noms déjà cités, ajouter les présences du tromboniste Steve Swell, du tubiste Per-Ake Holmlander et du percussionniste Michael Zerang – ces deux derniers, membres du Peter Brötzmann Tentet –,  installés comme les autres à Cracovie pour cet enregistrement. Deux longs titres, ici, sur lequel un brass band d’exception impose à sa grandiloquence de composer avec des moments d’égarements : interventions de Vandermark, Rempis et Swell, remarquables sur Off-Set ; avantage à Broo sur The Number 44, ouvert sur swing lent et puis changé en offensive saisissante sous les coups de Daisy et Zerang. Ainsi, Resonance combine le plaisir de consonances attendues et la surprise d’élans individualistes altiers.

LP: A/ Off-Set (for Olek Witynski & Jacek Zakowski B/ The Number 44 (for Anna Czarna Adamska) >>> Ken Vandermark - Resonance - 2008 - Not Two. Distribution Instant Jazz / Chazz for Jazz.

Ken Vandermark déjà sur grisli
Collected Fiction (Okka Disk - 2008)
DISTIL (Okka Disk - 2008)
Beat Reader (Atavistic - 2008)
4 Corners (Clean Feed - 2007)
Journal (Atavistic - 2006)
Gate (Atavistic - 2006)
Free Jazz Classics 3 & 4 (Atavistic - 2006)
Alchemia (Not Two - 2005)
Interview


The Vandermark 5 : Alchemia, 14-15 mars 2009

the vandermark 5 krakow march 2009

En février et mars dernier, Ken Vandermark fit tourner son quintette en Europe. A Rotterdam, Cadix ou Cologne, on put ainsi entendre The Vandermark 5, qui conclua sa tournée les 14 et 15 mars dans les caves de l’Alchemia, café de Cracovie où le groupe a ses habitudes depuis qu’il y a passé une semaine en 2004 – ces concerts du groupe (qui employait alors le tromboniste Jeb Bishop) se trouvent consignés sur Alchemia, coffret renfermant douze disques publié par le label polonais Not Two. Cette année, deux soirées seulement, donc, et une formation qui n’est plus la même : pour donner à entendre à la place de Bishop le violoncelliste Fred Lonberg-Holm, déjà présent sur l’indispensable Beat Reader publié l’année dernière par le label Atavistic.  

Pour l’essentiel, le répertoire est neuf : que l’on retrouvera (puisqu’enregistré tout au long de ces deux soirs) sur une future référence du catalogue Not Two (Annular Gift) et qui permet au Vandermark 5 de mettre à l’épreuve sa nouvelle combinaison. Concentrés, les musiciens entament le premier des quatre sets donnés à Cracovie, qui tiendront parfois de la séance d’enregistrement partagée avec le public : Table, Skull, and Bottles inaugurant l’exercice sur l’air d’une musique de chambre aux arrangements soignés bousculé bientôt par le saxophone alto de Dave Rempis et l’archet vindicatif de Lonberg-Holm. Passant de saxophone baryton en clarinette, Vandermark dirige ensuite ses partenaires autant qu’il s’adonne avec eux à des jeux de construction polymaniaque (Heavy Chair, sur lequel Rempis n’en finira pas de bondir, Cadmium Orange, qui révèle les obsessions de musiciens envoûtés par la répétition) qui font confiance autant aux unissons impétueux qu’à toutes improvisations ardentes : solo du batteur Tim Daisy sur un titre du contrebassiste Kent Kessler (Latitude sophistiquée) ou dérives du baryton sur l’apaisant Early Color que signe Rempis.

Elargissant son champ d’action – allures ou attitudes différentes à appliquer à chacun des thèmes : dépositions d’atmosphères aléatoires faisant référence à l’école new yorkaise de musique contemporaine ou phases d’obstinations concertées ravivant les couleurs d’un jazz d’avant-garde mais efficient né à Chicago (The Ladder, en rappel, combinant à lui seul ces deux éléments) –, le Vandermark 5 attesta à Cracovie son évolution frondeuse : Lonberg-Holm prenant singulièrement le parti de la section rythmique (célébrer ici son entente avec Kessler) tandis que Vandermark, robuste et assuré, tire maintenant davantage de son association avec Rempis, au caractère plus affirmé – au passage, ne pas hésiter à aller l’entendre à la tête de son propre quartette sur The Disappointment of Parsley, dernière référence en date du catalogue Not Two enregistrée au même endroit quelques mois plus tôt. Plus que dans l’arrivée de Lonberg-Holm au sein du groupe, sans doute faut-il voir dans la fervente communion de Vandermark et Rempis les sources de la régénérescence d’une formation d’exception. Au sortir de la taverne obscure, avant de gagner la rue du miel qui longe le quartier de Kazimierz, l’évidence, en tout cas, en est là.

Guillaume Belhomme © Le son du grisli


Interview de Ken Vandermark

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Poly instrumentiste protéiforme, meneur singulier de groupes différents (du Vandermark 5 à Bridge 61, en passant par Spaceways Inc), Ken Vandermark est un musicien aussi incontournable qu'étrangement discret. Plus enclin à multiplier les collaborations qu’à sacrifier son œuvre aux efforts de communication sans laquelle l’auditeur moyen ne peut rien découvrir, il amasse les épreuves convaincantes d’un jazz qui doit beaucoup au free élaboré jadis à Chicago, mais qui n’arrête pas, aussi, d’aller voir ailleurs. Dernier enregistrement en date : Beat Reader du Vandermark 5, sur le label Atavistic.

… J’ai commencé à jouer d’un instrument de musique en CM1, j’avais 9 ans. Il s’agissait d’une trompette. Cela n’a pas été une grande réussite à cause de problèmes d’embouchure, alors je me suis tourné vers le saxophone ténor à l’âge de 16 ans.

Comment vous êtes-vous tourné vers le jazz, et le free notamment ? Très jeune, mon père m’emmenait avec lui dans des clubs de jazz pour me faire entendre la musique qu’il aimait, et que j’ai à mon tour adorée. C’est devenu quelque chose de naturel pour moi. J’ai probablement dû voir des centaines de concerts de tous les genres de jazz possible avant de quitter mes parents pour l’université, en 1982. Quant à mon intérêt pour ce que l’on appelle communément le free jazz, il est surement né lorsque j’ai entendu l’album Tenor de Joe McPhee, j’avais alors 17 ans. Bien sûr, j’avais à cet âge déjà entendu des enregistrements d’Ornette Coleman, et vu Archie Shepp ou l’Art Ensemble of Chicago en concert, mais, pour je ne sais quelle raison, la musique de McPhee m’a parlé davantage et m’a révélé la substance de tout ce que j’avais entendu avant et que je n’arrivais pas à m’expliquer jusque-là. Une fois l’avoir entendu, j’ai vraiment su ce que je voulais faire de ma vie.

Vous restez d’ailleurs redevable envers les musiciens qui vous ont précédé, et mettez un point d’honneur à reprendre des morceaux signés par de grands représentants de la New Thing. Est-ce un moyen de conférer enfin à ces morceaux un statut de standard ? Oui, en un sens, il s’agit de cela. Il y a tellement de compositions fantastiques qui n’ont été défendues que par leur créateur, et qui, pourtant, comme d’autres grands thèmes, ont beaucoup à dire à des musiciens de générations différentes, d’époques différentes. Mais il est toutefois nécessaire de les réinventer, pas simplement de les réinterpréter à la manière de ce qui a déjà été fait par le passé.

L’improvisation joue bien sûr un rôle dans cette « réinvention »… Quelle différence faites-vous entre jazz et improvisation aujourd’hui, soit : après le passage de Derek Bailey ? Je pense que la grande différence est que le jazz a à voir avec la relation entre des éléments prédéterminés, ou pré-composés, et une pratique spontanée qui charrie une autre forme de matériau musical, tandis que l’improvisation totale renvoie toute la composition à ce qui est créé sur l’instant.

La pratique de l’improvisation rassemble aujourd’hui des musiciens de natures différentes. Vous êtes l’un de ces musiciens, qui n’hésite pas à collaborer avec des groupes issus de la scène rock indépendante, par exemple. Quel est votre regard sur ces collaborations ? Je dirais qu’il s’agit ici d’attitude, d’improvisation et de créativité. Pour moi, la chose essentielle est de relever des challenges et de créer un travail qui ait de l’intérêt, voilà pourquoi j’aime collaborer avec n’importe qui pourvu qu’il aime repousser un peu les limites imposées par les convenances ou le manque de largeur d’esprit de certains. Le background des musiciens est donc bien moins important que leurs perspectives artistiques.

N’existerait-il pas en jazz plus de différences entre les musiciens, celles inhérentes aux scènes auxquelles ils se rapportent, notamment – prenons l’exemple de la scène jazz de New York et de celle de Chicago. Avez-vous jamais envisagé votre musique comme rattachée au jazz de Chicago ? Eh bien, je pense que chacune des grandes villes musicales a une scène qui lui est propre, qui a quelque chose d’unique. L’une des grandes différences entre Chicago et New York est le prix de la vie – les loyers étant par exemple deux fois plus élevés à New York qu’à Chicago. Actuellement, beaucoup plus de musiciens vivent à New York, mais la ville compte bien moins d’endroits où ils peuvent se produire que Chicago. Tous ces facteurs rendent plus facile les collaborations entre musiciens de Chicago, il y a moins de compétition à propos de l’argent à gagner ou des opportunités de jouer, ce qui a attiré une variété de musiciens, aux idées différentes, et a permis de développer plus d’expérimentations, empêchant par là-même la constitution d’autant d’écoles ou de courants de pensée qu’il n’en existe à Manhattan en ce moment. Pour clarifier les choses, cela ne veut pas dire que la musique de qualité est moins l’apanage de New York que de Chicago, mais seulement que ces musiques ont des caractéristiques différentes. Bien que la scène new yorkaise soit davantage reconnue sur le plan international, la scène jazz de Chicago remonte aux années 1920, à une époque où Louis Armstrong a changé la face du monde musical. Depuis, Chicago a toujours continué de réfléchir, ce qui a pu profiter au développement d’organisations du genre de l’AACM, dans les années 1960, et à sa renaissance actuelle. 

Votre participation à ces efforts ont récemment donné Beat Reader, enregistré avec le Vandermark 5, pouvez-vous nous parler de ce disque ? Beat Reader est le dernier document enregistré en studio d’un groupe qui évolue depuis plus de dix ans. Durant cette période, le groupe a connu des changements de formation et de styles, et je pense que chaque disque que nous avons enregistré rend compte de mon évolution en tant que compositeur pour le groupe et de notre réflexion esthétique au moment précis de l’enregistrement. Comme le quintette est le plus ancien de mes projets, il révèle le mieux mon parcours de compositeur pour un groupe d’improvisateurs. Et puis, je pense que les membres du groupe – Tim Daisy (batterie), Kent Kessler (contrebasse), Fred Lonberg-Holm (violoncelle) et Dave Rempis (saxophones) – sont parmi les personnes les plus talentueuses avec lesquelles j’ai jamais travaillé.

Les 1000 premiers exemplaires de Beat Reader ont été (puisque aujourd’hui épuisés, ndlr) livrés avec un autre disque : New York Suite, sur lequel vous rendez hommage à différents artistes  ayant évolué à New York dans les années 1950, un peu à la manière de Morton Feldman. Pouvez-vous nous parler de ce projet ? C’est Dave Rempis qui m’a poussé à écrire New York Suite. Pendant la tournée que nous avons effectuée aux Etats-Unis durant l’hiver 2007, nous avons donné un concert à New York qui a tout eu du fiasco. En pensant à la situation économique désastreuse avec laquelle doivent faire les artistes – la fermeture d’endroits où jouer, la hausse des loyers – j’ai un peu déprimé, pensant au sombre avenir des arts vivants à New York. J’en parle à Dave pendant le voyage, et je décide qu’il serait plus productif de créer quelque chose à partir de ce sentiment plutôt que de continuer à me morfondre, et cela a donné cette idée de « suite new yorkaise ». Alors, en effet, j’ai appliqué à ma manière de composer cette image de peintres et de musiciens s’influençant l’un l’autre dans les années 1950 à New York.

Avec quels musiciens rêvez-vous encore de jouer ? J’ai toujours souhaité avoir une chance de jouer avec Derek Bailey. Ceci étant, je sais ma chance de jouer avec tellement de personnes d’horizons et d’idées différentes. Je ne pourrais rien demander de plus que cela continue.

Autre chose à ajouter ? Toujours.

Ken Vandermark. Photo: Juan Carlos Hernandez. Remerciements: Ken Vandermark & Cale.


Vandermark 5: Beat Reader (Atavistic - 2008)

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Sur Beat Reader, Ken Vandermark offre une place de choix à l’un de ses partenaires : le violoncelliste Fred Lonberg-Holm, qui s’en sort ici bien mieux que d’habitude.

Le long de nouvelles compositions de son leader (dédiées notamment à Ligeti, Paul Rutherford ou Max Roach), le Vandermark 5 remet donc ses intentions éclatées sur l’ouvrage, qui combine à son tour bop et free jazz, swing, blues et funk. Toujours, et avec la même persuasion, l’efficacité immédiate et cet attrait pour la dissonance qui remet tout en cause, tout à coup.

Alors, Dave Rempis et Ken Vandermark (de saxophones en clarinette basse) improvisent d’autres fois avec passion, et accueillent, bienveillants, les déflagrations sonores sorties d’un violoncelle sous effet ou de machines électroniques maniées, elles aussi, par Lonberg-Holm. Qui donne un peu d’inédit à l’exercice, voire, en rehausse encore l’intérêt.


Vandermark 5, New Acrylic (extrait). Courtesy of Atavistic.

CD: 01/ Friction (for Gyorgy Ligeti) 02/ New Acrylic (for Andreas Gursky) 03/ Any Given Number (for Bernd and Hilla Becher) 04/ Signposts (for Lee Friedlander) 05/ Speedplay (for Max Roach) 06/  Compass Shatters Magnet (for Paul Rutherford) 07/ Further From The Truth (for Walker Evans) 08/ Desireless (for Daido Moriyama).

Vandermark 5 - Beat reader - 2007 - Atavistic. Distribution Orkhêstra International.


Keefe Jackson's Project Project: Just Like This (Delmark - 2008)

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Réunissant onze musiciens (dont les Vandermarquables Jeb Bishop et Dave Rempis) auprès du saxophoniste Keefe Jackson, Project Project redit avec Just Like This les préoccupations – déjà remarquées sur Ready Everyday – de son leader : revenir aux origines du jazz afin de lui révéler quel sera son avenir.

Cuivres en avant, l’orchestre dresse ainsi un hommage au swing, régénéré soudain par quelques gestes neufs – clarinettes de Jason Stein sur Dragon Fly et de James Falzone sur Just Like This (ici, la tradition trop appuyée quand même) –, ou immisce un peu de free sur un développement alangui – le ténor de Jackson et la batterie de Frank Rosaly, pour beaucoup dans la réussite de Which Well.

Quelques digressions déconstruites, ici ou là, ne cachent jamais longtemps le lyrisme menant partout l’ensemble : sur Titled, plus qu’ailleurs encore, où il est imposé crescendo après que les musiciens auront haché une à une leurs interventions ; sur Wind-Up Toy, moins habilement, composition qui conclut, dans un souffle, un enregistrement souvent pertinent.

CD: 01/ Dragon Fly 02/ Grass Is Greener 03/ Titled 04/ Just Like This 05/ Which Well 06/ Wind-Up Toy

Keefe Jackson ‘s Project Project - Just Like This - 2008 - Delmark. Distribution Socadisc.


The Rempis Percussion Quartet: Hunter-Gatherers (482 Music - 2007)

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Porté par une section rythmique renforcée (dans laquelle on trouve le contrebassiste Anton Hatwich et les percussionnistes Frank Rosaly et Tim Daisy), le saxophoniste Dave Rempis, membre du Vandermark 5, improvisait récemment en concert Hunter-Gatherers, troisième référence discographique de son Rempis Percussion Quartet.

Sans se plier au moindre code, le groupe profite de l’improvisation pour accorder ses nombreuses influences (free jazz, musiques latines et afrobeat), retournant quelques fois, à la manière des jazzmen de l’AACM, à la pratique d’un swing goguenard (A Night at the Ranch Part 2). Au ténor, à l’alto ou au baryton, Rempis mène son groupe d’incartades virulentes (More Green Than Giraffe) en répétitions grisantes affinées sous les coups de Daisy et Rosaly (Black Book), rappelle les lents déploiements du Lost Trio sous la contrebasse appuyée d’Hatwich (The Bus and The Canyon) comme il peut tout sacrifier à une improvisation de bon conseil. 

Brut et efficace, donc, Hunter-Gatherers. Qui élève Rempis au rang de digne successeur des jazzmen éblouissants made in Chicago. Ce que 482 Music a bien compris, faisant de cet enregistrement la 13e référence de sa "Document Chicago Series”.

The Rempis Percussion Quartet : Hunter-Gatherers (482 Music / Improjazz)
Edition : 2007.
CD1 : 01/ A Night at the Ranch Part 1 02/ The Bus and the Canyon - CD2 : 01/ More Green Than Giraffe 02/ Black Book 03/ A Night at the Ranch Part 2 04/ Larks and Loons
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


The Vandermark 5: Free Jazz Classics 3 & 4 (Atavistic - 2006)

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Sur les deux premiers volumes de Free Jazz Classics, le quintette de Ken Vandermark s’était attaqué à l’interprétation de standards composés par les grandes figures du genre (Taylor, McPhee, Coleman, Wright). Poursuivant son étude, le groupe choisit cette fois de changer de méthode, et d’aborder plus en détail le répertoire de Sonny Rollins (le volume 3) et de Roland Kirk (le volume 4).

Profitant des contrastes des compositions de Rollins, The Vandermark 5 interprète sans accrocs The Bridge, hard bop n’en finissant pas d’alterner les rythmes, ou John S., dont on brise l’ossature, pour la reconstruire ensuite sous la conduite d’une précipitation hardie. Toujours infaillible, la section rythmique assure le jeu des solistes : sur Freedom Suite. Pt. 2 ou East Broadway Rundown, swing efficace qui rappelle le World Saxophone Quartet avant de virer au free expéditif.

Encore plus baroque, l’investissement des musiciens sur les compositions de Kirk. Inaugurée par la marche éléphantesque The Black and Crazy Blues, la sélection propose aussi une reprise de Silverization et Volunteered Slavery, qui permet aux musiciens de mettre la main sur les habituelles funk et soul qu’ils aiment instiller à leur jazz. En plus du swing imposé par l’auteur des thèmes, rendu à merveille par le trombone de Bishop sur Rip, Rig and Panic Suite ou par l’ensemble des vents - à l’unisson ou usant des harmoniques – sur The Free King Suite.

Actualisant le geste d’Archie Shepp enregistrant Four for Trane, le déviant vers Rollins et Kirk, Ken Vandermark poursuit avec la même aisance son précis d’histoire du jazz moderne. Tout en lui insufflant, l’air de rien, un goût d’inédit qui œuvre à la nouveauté du genre.

CD1: 01/ The Bridge 02/ Strode Rode 03/ Freedom Suite. Pt. 2 04/ John S. 05/ East Broadway Rundown 06/ Alfie Suite - CD2: 01/ The Black and Crazy Blues 02/ The Free Kings Suite 03/ Inflated Tear 04/ Rip, Rig and Panic Suite 05/ Silverization / Volunteered Slavery

The Vandermark 5 - Free Jazz Classics 3 & 4 - 2006 - Atavistic. Distribution Orkhêstra International.


The Vandermark 5: Alchemia (Not Two - 2005)

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Parler de jeunes jazzmen à l’homme de la rue et à celui de l’immeuble, il vous rétorquera – tout en investissant ses poches de peur que ne vous assaille l’idée de les entreprendre – Brad Mehldau ou Peter Cincotti. Pour ce qui est de l’allure nonchalante d’un artiste stylé propre à séduire les attentes pas décisives de cadres sous cultivés – et fiers d’être sûrs de se savoir tout le contraire -, ou pour la mèche impeccable reflétée par l’ivoire du piano - la photo est belle, même formatée, pour qui court le cliché -, l’injure saura être acceptée.

Le problème est que ce genre de points de vue, simplement exprimés par quelques crétins de plus – combien, déjà, entendus depuis le matin, tous thèmes confondus ?-, exclut tous les autres, ceux forgés à coups de recherches lentes et d’écoutes furtives ; ceux, en un mot, que ni radio ni magazine papier (puisque, selon les dires de tous, plus personne aujourd’hui ne regarde la télévision) n’aura pris soin, via le choix soumis aux maisons de disques et autres forces de l’ombre d’un programmateur / rédacteur, de nous faire avaler de force sans plus de peine que ça. Digéré vite, arrive le moment où il faut se vider, pour repartir plus léger où l’émetteur appelle.

Mais, à l’image de l’apparition de la Vierge à Notre Dame de la Salette, il arrive qu’une révélation touche de bien petits esprits. C’est pourquoi, si un de ceux trompés jusqu’ici se trouve en proie au doute et n’en puisse plus de répondre aux attentes de money makers contents que le monde tourne comme il tourne, une redirection peut s’imposer d’elle-même. Et pour cela, normal, de suivre quelques avis, d’attendre une aide quelconque ou, au moins, un soutien.

Quant aux autres, qui pensent avoir bien réfléchi et savent ne pas se laisser faire tout en continuant à applaudir aux accents parfaits d’un pianiste inutile / aux compositions invraisemblables d’un musicien profitant du temps qu’il passe entre les quatre murs de ses commodités pour écrire une ou deux pages de partitions d’un torchon voué au succès, n’ayant rien à apprendre, qu’ils passent leur chemin et dégagent l’espace d’une révélation faite aux auditeurs souffreteux en mal de guérison. « N’encombre pas la ligne, crie, en plus, maman dans l’escalier. Ta sœur attend un coup de fil du travail ! » Car exploitée, ta soeur, mais ravie autant que toi, la fin du mois venue, de pouvoir se dégueulasser l’oreille et le temps libre au son de hits fastueux subliminalement imposés. [Ce qui ne remet nullement en question son aplomb, à l’image de ce jour où, à un cousin éloigné qui essayait de lui venir en aide, elle destina ce : « Ta gueule maintenant !C’est pas parce que c’est inconnu que c’est meilleur, t'sais ! »]

Sentence implacable de qui avance seulement tiré par le bout du nez, que l’on doit cependant pardonner si l’on veut que les choses avancent. Car chacun naît innocent et si, pour la majorité, l’expérience traîne en longueur – irréversible pour certains autres-, elle n’empêche pas l’espoir de croire en l’évolution soudaine d’un ou deux imbéciles qui ne demandaient qu’à y voir clair sans jamais avoir osé exprimer la chose en public. Hier admettant le lyrisme de Keith ou la nonchalance de Jamie – cool, man, tu joues du piano en baskets ? - tout au long de soirées Martini-Tacos-Guacamole – les «soirées MTG », qu’ils s’amusent à dire ! - passées à discourir entre amis de musique et d’aide humanitaire dans des pays aussi pauvres que le décors habitatiste de l’appartement servant de lieu de rendez-vous, te voici aujourd'hui, à force de détermination, accepté enfin pour ce que tu es réellement : une personne comme les autres, qui souffrira toujours d’une assurance mal affirmée – la rechute, partout à craindre -, en passe, malgré tout, de devenir un être d’exception, affranchi et véritablement au courant.

Tortueux, le parcours à suivre. Qui mène jusqu’en Pologne, où l’on a pu récemment entendre les audaces du saxophoniste Ken Vandermark. Il n’inaugure pourtant pas là sa carrière. Il la poursuit, simplement, à l’abri des couvertures trop médiatiques, comme des amateurs snobs au point de simuler l’aumône. A Cracovie, donc, où The Vandermark 5 fût programmé six jours de suite au Club Alchemia.

Depuis quelques années, le quintette se fait un plaisir de reprendre des standards du free jazz (sur Free Jazz Classics, Vol. 1 & 2, notamment), et de défendre les compositions du leader, perles de culture aux influences éclatées. A Cracovie, on ne dérogera pas à la règle ; deux sets programmés par soir permettront l’enregistrement de 12 disques, portrait panoramique des possibilités modernes du jazz d’aujourd’hui. Celles dont s’est toujours montré capable, avec assez d’élégance pour passer inaperçu, Ken Vandermark, en tout cas. Rassasié à des sources diverses, il a su se construire une identité musicale, faite d’énergie et de rondeur, d’expérimentations et d’efficacité sincère. Partout à la fois sans jamais être un autre que lui-même. Et l’Alchémia, au mois de mars 2004, de changer d’atmosphères au rythme des morceaux à se succéder.

Privilégiant les cadences soutenues en ouverture de set (euphorique sur Telefon, furieuse sur Money Done), le quintette ne tarde jamais à surprendre le spectateur. Tente de le semer, même : alignant les free assumés (Strata, That Was Know) et les plages lascives (Outside Ticket, Camera, Gyllene), les démarches soul (la basse appuyée de Kent Kessler aidant, sur Other Cuts), et le cool jazz poussé un brin (Both Sides), les thèmes langoureux faits marches lancinantes (Long Term Fool) et le funk élégant (Knock Yourself Out).

Un mélange toujours subtil, tirant parti autant du choix du répertoire, que des digressions individuelles : l’archet envoûtant de Kessler sur Seven Puls Five, les contre-attaques incisives du trombone de Jeb Bishop livrées en réponse aux phrases éclairées de Vandermark et Dave Rempis (Auto Topography), ou les ruptures de rythme prononcées du batteur Tim Daisy, poussant les vents vers d’autres excentricités (Initials).

Jamais fade, le quintette répète au fil des soirs quelques thèmes originaux appropriés, en laissant rarement poindre la lassitude minime, oubliée bientôt, quand elle a pu être repérée, au son d’une pirouette ingénieuse - patchwork d’expérimentations ludiques ou afro beat minimaliste -, ou de l’interprétation intelligente de standards savamment choisis.

Car Vandermark sait envers qui il se doit d’être redevable, connaissant bien les rouages d’un jazz d’avant-garde qui le berce depuis longtemps, et les personnages qui ont dû tenir bon pour l’imposer enfin. Les hommages se bousculent alors, le quintette acceptant quand même de faire des choix, pour mieux mettre en valeur quelques figures incontournables du domaine : Roland Kirk et Sonny Rollins en tête, Archie Shepp, Cecil Taylor ou Don Cherry.

Le long de ses 6 soirées polonaises, The Vandermark 5 aura beaucoup servi Roland Kirk et Sonny Rollins. Chargeant la musique de l’énigmatique mutli-instrumentiste, d’abord, au pas d’un blues éléphantesque (The Black and Crazy Blues), les musiciens optent ensuite pour un swing frais et goguenard, adressant des clins d’œil à Bechet, Don Byas et Fats Waller, sans que cela ne les empêche de partir en vrilles sur une expérimentation aux gradations tonales dévalées (Rip Rig And Panic Suite). La lumière du jour décline, et avec elle, les impressions de Kirk passent de la nuit bleue (Silverlization/Volunteered Slavery) au noir angoissant (Inflated Tear).

A l’honneur, Sonny Rollins, aussi. Du hard bop faisant la part belle aux échappées du saxophone de Rempis (The Bridge) à l’une des sources du free (The Freedom Suite, Part 2), l’hommage est révérencieux et souple à la fois. Enfin, des sources aux bras du fleuve, The Vandermark 5 rend There Is The Bomb de Don Cherry, brillance du trombone et ruptures de rythmes rivalisant d’intérêt, explore les splendeurs nouvellement révélées du Conquistador, Part 2 de Taylor, avant de s’essouffler un peu sur Wherever June Bugs Go de Shepp.

Saluant à propos les anciens, Ken Vandermark se tourne aussi vers la jeune garde ; locale, qui plus est. Leur dernier soir de présence à Cracovie, le groupe tient à le passer avec des musiciens qu’ils n’auraient peut être pas rencontrés ailleurs. Le contrebassiste Marcin Oles et le batteur Bartlomiej Brat Oles prennent alors place sur la scène de l’Alchemia. Improvisant aux côtés de Vandermark, Bishop et Rempis, ils s’imposent un retrait qui semble aller de soi - par exemple, devant l’assurance du trombone (Free Jam 1) – avant d’introduire à deux, et avec brio, une Free Jam 5 plus que convaincante. Pour terminer, les cinq musiciens interprètent deux standards de la New Thing : Togo, d’Ed Blackwell, et Lonely Woman d’Ornette Coleman. Les Etats-Unis et l’Europe saluent alors les mêmes références d’un Free Jazz qu’ils ont construit à deux : d’un pays où il est né, à un continent où il a été accueilli avec (un peu) plus d’attention.

Deux endroits du monde qui, l’un comme l’autre, semblent avoir oublié que le jazz a, de tout temps, été une musique d’avant-garde, jamais une musique de variété. Alors, on confond aimablement : la musique de Charlie Parker effraye moins aujourd’hui – simple question d’habitude –, ce qui prouve que le jazz n’est pas affaire d’expérimentation ou de changements de cap. Or, on fustigea à l’époque les « cris » qui sortaient du saxophone de Parker , comme on crachera sur la furie du hard bop, l’ambiance de clinique du cool, l'anti-jazz de Dolphy avec Coltrane, puis celui de Coleman. Pour une seule raison : le changement opéré. Avec tout le respect dû aux jazzmen antérieurs, la nécessité de voir bouger les choses. De nos jours, presque pire : aux innovations et aux manières originales de penser le jazz de Ken Vandermark, William Parker, Hamid Drake ou Mats Gustaffson, l’enfumage est de rigueur : le jazz étouffé par des artistes de variété imposés, polluant un domaine inventif au lieu d’assumer leur choix de s’adonner à la variété. Pour couronner le tout, un dernier effet nocif : refusez de manger du Peter ou du Brad – nourriture indigeste, certes, mais surtout gênante parce que l’étiquette ment sur sa composition – et vous voici admis par le commun comme réactionnaire notoire, au mieux, faiseur de chapelle. C’est comme ça, les amateurs de "véritable" jazz rejettent la sélection que des maisons de disques qui ne savent pas de quoi elles parlent (ou font semblant) ont gentiment élaborée pour eux. Ayatollahs sévissant en souterrains, qu’ils restent entre eux, ces « fines bouches », et crèvent la faim avec ceux qu’ils écoutent.

CD1: 01/ Telefon 02/ Other Cuts 03/ Staircase 04/ Strata 05/ Free King’s Suite – Meeting On Termini’s Corner – Three For The Festival – A Handful Of Fives - CD2: 01/ Outside Ticket 02/ Money Down 03/ Camera 04/ Roulette 05/ Cruz Campo 06/ The Black And Crazy Blues CD3: 01/ Confluence 02/ Rip Rig And Panic Suite – From Bechet, Byas and Fats – Rip Rig And Panic – No Tonic Press 03/ Camera 04/ Both Sides 05/ Knock Yourself Out - CD4: 01/ The Cooler 02/ That Was Now 03/ Six Of One 04/ Silverlization / Volunteered Slavery 05/ There Is The Bomb - CD5: 01/ That Was Now 02/ Seven Puls Five 03/ The Bridge 04/ Gyllene 05/ Auto Topography - CD6: 01/ The Freedom Suite, Part 2 02/ Telefon 03/ Initials 04/ Camera 05/ Other Cuts 06/ The Black And Crazy Blues 07/ Knock Yourself Out - CD7: 01/ Money Down 02/ Inflated Tear 03/ Wherever June Bugs Go 04/ Camera 05/ Cruz Campo - CD8: 01/ Pieces Of The Past 02/ That Was Now 03/ Long Term Pool 04/ Strata 05/ Silverlization / Volunteered Slavery 06/ The Bridge - CD9: 01/ Conquistador, Part 2 02/ Knock Yourself Out 03/ Pieces Of The Past 04/ Camera 05/ Cruz Campo - CD10: 01/ That Was Now 02/ Gyllene 03/ Telefon 04/ Ken’s Final Speach 05/ Six Of One 06/ Other Cuts 07/ The Black And Crazy Blues - CD11: 01/ Free Jam 1 02/ Free Jam 2 03/ Free Jam 3 04/ East Broadway Run Down – Elephantasy/Complete Communion 05/ Theme For Alchemia 06/ Bemsha Swing - CD12: 01/ Round Trip 02/ Free Jam 5 03/ Free Jam 6 04/ Togo 05/ Lonely Woman

The Vandermark 5 - Alchemia - 2005 - Not Two.



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