Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


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Archives des interviews du son du grisli

David S. Ware / Apogee : Birth of the Being (Aum Fidelity, 2015)

david s ware apogee birth of a being

Tout était déjà là, en 1977, chez David Spencer Ware : le gospel, le cri, l’élan, la fureur, le don de soi. Mais en 1977, le saxophoniste commet un impair : il vend les bandes du trio collectif Apogee (Ware, Marc Edwards & Gene Y. Ashton, ce dernier n'était pas encore Cooper-Moore) au label suisse Hat Hut qui le publie sous le seul nom de David S. Ware. Apogee aura du mal à s’en remettre.

Aujourd’hui, on réédite (avec inédits) ce petit (lire grand) brulot de la free music. Ware est déjà ce saxophoniste hurleur, expert en cris, lamentations et qui ne semble vouloir (pouvoir ?) s’arrêter. Cet ogre magnifique de générosité bénéficie du soutien d’un pianiste et d’un batteur pour qui le martèlement reste un état premier. L’espace n’est pas là, l’étouffement non plus. Et le saxophoniste inonde alors de son phrasé brisé une sphère déjà bien encombrée.

Il faudra attendre les dix-sept minutes de Stop Time pour que l’on découvre enfin l’aspect collectif du trio. A signaler par ailleurs une pièce solo d’ashimba (xylophone en bois inventé par Cooper-Moore) et un solo aux graves soyeux (école Coleman H. plus que Sonny R.) à la charge du saxophoniste. Une réédition qui s’imposait.



David S. Ware / Apogee : Birth of the Being (Aum Fidelity / Orkhêstra International)
Enregistrement : Avril 1977. Edition : 1979. Réédition : 2015.
2 CD : CD1 : 01/ Prayer 02/ Thematic Womb 03/ A Primary Piece #1 04/ A Primary Piece #2 – CD2 : 01/ Prayer 02/ Cry 03/ Stop Time 04/ Ashimba 05/ Solo
Luc Bouquet © Le son du grisli



William Parker : For Those Who Are, Still (AUM Fidelity, 2015)

william parker for those who are still

Homme de nombreux projets, que ce William Parker. Pas toujours documentés sur CD : heureusement, le label AUM Fidelity veille.

For Fannie Lou Hamer : un bloc désuni désirant s’unir et y réussissant parfois. S’y élèvent quelques-unes des voix (Ravi Best, Todd Reynolds) des douze musiciens, ici invités. Groupe multi-facettes avec poussées, déclarations-déclamations à la charge de la voix gospelisante de Leena Conquest. Le tout en mémoire de Fannie Lou Hamer, militante des droits civiques disparue en 1977.

Vermeer : dix tableaux aux chauds et évidents contrepoints. Petit traité des vifs décalages. Lyrisme assumé. Profondeur trouvée. Blues lointain et désactivé. Ecrin doré de contrebasse (WP) et de piano (Eri Yamamoto) pour que se délie le ténor voilé de Darryl Foster. Et, encore plus souvent : chant sucré et gorgé de soul de Leena Conquest.

Red Giraffe with Dreadlocks : une voix pénétrante, élevée, profonde : c’est celle de l’Indienne Sangeeta Bandyopadhyay. Une voix ancestrale, tellurique, profonde : c’est celle du Sénégalais Mola Sylla. Les deux s’observent, se répondent, ne s’entremêlent pas encore. Et les doigts d’un pianiste (Cooper-Moore) enbluesant le tout. Une contrebasse (WP) donne vie à ce jazz qui couvait. Maintenant l’Inde et un hautbois (pakistanais ?) modulent de concert, un saxophone basse (Klaas Hekman) se fritte avec un batteur multi-pistes (Hamid Drake), un altiste (Rob Brown) croque les nuages. Et les deux voix de se trouver enfin. Et la voix de l’Afrique douce raconte mille sagesses au pianiste attentif. Et les faix airs de classicisme sur mélopées indiennes ne surprennent personne. Et s’invitent des dissonances toutes assurées-assumées. Que de choses ici ! Choses totalement convaincantes. Et même plus.

Ceremonies for Those Who Are Still : cordes, chœur et cuivres inspectent la composition de WP. Jan Jakub Bokun est le conductor du NFM Symphony Orchestra. Le drame est présent, Ligeti n’est pas très loin. Parfois, maladroitement, s’immisce le trio WP, Charles Gayle et Mike Reed. En bonus, vingt-cinq minutes d’improvisations en surchauffe maximale du seul trio (avec un Gayle des grands soirs !). 

William Parker : For Those Who Are, Still (AUM Fidelity / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2000, 2011-2013. / Edition : 2015.
3 CD : CD1 : 01/ For Lannie Lou Hamer 02/ Vermeer 03/ Awash in the Midst of an Angel’s Tears 04/ Essence 05/ Flower Song 06/ Just Feel 07/ Feet As Roses 08/ Gongs for Deaf Dreams 09/ Sweet Breeze 10/ Flower Song – CD2 : 01/ Villages, Greetings & Prayer 02/ Souls Have Fallen Like Rain 03/ The Giraffe Dances 04/ Tour of the Flying Poem 05/ Children Drawing Water from the Well 06/ Where Do Send the Poem – CD3 : 01/ A Magical Figure Dances Barefoot in the Mud 02/ Light Shimmering Across a Field of Ice 03/ Trees with Wings 04/ Rise Up in Sound 05/ Humble Serious 06/ Tea Leaves of Triple Sadness 07/ Ritual 08/ Winter 09/ My Cup  10/ Encore 11/ Escape for Sonny
Luc Bouquet © Le son du grisli


Giuseppi Logan Project (Mad King Edmund, 2012)

giuseppi logan project

De Giuseppi Logan, perdu de vue depuis une trentaine d’années, on est content d’avoir des nouvelles. Celui qui a toujours œuvré dans la périphérie de la périphérie semble avoir assagi son souffle autant que désavoué sa nervosité. Peu loquace, naviguant entre microtonalité et dissonances, voici l’altiste aux portes de l’absence, déambulant plus que s’imposant puis s’ouvrant à quelque déchirant sursaut.

Ici, une musique du détail entre fragilité et fragilité et dont l’assise à la charge de l’insatiable Cooper Moore et du très sérieux Larry Roland (Ed Pettersen et Tracy Silverman sont bien trop lointains et superficiels pour nous interpeller) décrispe quelque peu un retour qui, s’il n’est pas renaissance, ne manque ni d’atouts ni de charme.

Giuseppi Logan : The Giuseppi Logan Project (Mad King Edmund / Souffle Continu)
Enregistrement : 2011. Edition : 2012.
CD : 01/ The Occupy Blues 02/ Improv 1 03/ Improv 2 03/ Satin Doll 04/ Spiral 05/ Sweet Georgia Brown
Luc Bouquet © Le son du grisli


Planetary Unknown : Live at Jazzfestival Saalfelden 2011 (AUM Fidelity, 2012)

david s ware planetary unknown live 2011

Peu à peu, faire connaissance avec le Planetary Unknown de David Spencer Ware. Ne pas condamner trop vite les bruits et les fureurs du saxophoniste. Attendre la seconde station (Precessional 2) et se laisser traverser par le cri perçant de Ware. Accepter ruades et chevauchées. S’enivrer de la démesure d’un ténor se donnant corps et âme. S’immiscer dans les libertés chèrement gagnées par Cooper-Moore. Participer à la cavalcade. Bousculer le désordre et ne plus taire les démences endormies. S’étonner des doutes et des scories de William Parker. Questionner son refus à s’extraire du troupeau (Precessional 1) et le retrouver, quelques minutes plus tard, archet vibrant et désarmant de partage et de liant (Precessional 3). Retrouver la délicatesse d’un maudit nommé Muhammad Ali. Et, enfin, lui reconnaître l’une des plus belles respirations de la free music.

Et ainsi, se griser aux vagues et aux flux, parfois incontrôlables, d’un quartet dont c’était ici la première édition live.

EN ECOUTE >>> Processional 1 >>> Processional 3

David S. Ware's Planetary Unknown : Live at Jazzfestival Saalfelden 2011 (Aum Fidelity / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2011. Edition : 2012.
CD : 01/ Precessional 1 02/ Precessional 2 03/ Precessional 3
Luc Bouquet © Le son du grisli


David S. Ware : Planetary Unknown (AUM Fidelity, 2011)

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Il est étrange de constater le peu d’enregistrement saxophone-batterie publiés par David Spencer Ware (un seul à ma connaissance : African Drums en duo avec Beaver Harris – OWL) quand on sait le rôle déterminant qu’ont les tambours dans la musique de David S. Ware. Duality Is One en duo avec Muhammad Ali est là pour réparer l’oubli. Et impossible de ne pas songer à l’Interstellar Space de Coltrane-Rashied Ali, d’autant que c’est le propre frère de Rashied qui tient les baguettes ici. Le cri, jamais véritablement interrompu de David S. Ware, trouve un partenaire à sa démesure : le crescendo fait date.

Avant cela, David Spencer Ware, Cooper-Moore (des retrouvailles longtemps espérées), William Parker (fidèle parmi les fidèles) et Muhammad Ali (jadis si décrié et pourtant si juste ici) avaient érigé quelques situations claires : la puissance et la déferlante d’un saxophone ténor en contrepoint d’un trio sans âge et sans scrupule. Plus tard, le sopranino de Ware désignera la dissonance comme sa plus sûre amie. Se déliant au fil du jeu et se liant, au fil des minutes, à l’archet de William Parker, le flux se tendra jusqu’à la sublime cassure de Divination Unfathomable. Il y aura aussi une improvisation au stritch (Ancestral Supramental) et cette impression finale d’une musique large et épaisse comme le monde. Un monde insoutenable de beauté et de générosité.

David S. Ware, Cooper-Moore, William Parker, Muhammad Ali : Planetary Unknown (Aum Fidelity / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2010. Edition : 2011
CD : 01/ Passage Wudang 02/ Shift 03/ Duality Is One 04/ Divination 05/ Crystal Palace 06/ Divination Unfathomable 07/ Ancestry Supramental
Luc Bouquet © Le son du grisli


Darius Jones : Man'ish Boy (AUM Fidelity, 2009)

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Sur la pochette du premier album du saxophoniste Darius Jones, on voit un jeune Afro-américain à trois visages suivi par une silhouette menaçante. Le trio rassemblé par le musicien (avec Cooper-Moore au piano et au diddley bow et Rakalam Bob Moses à la batterie) produit en effet une œuvre qui peine quelque fois à se détacher de l’ombre de ses figures tutélaires.

C’est que Darius Jones fait ici davantage un travail mémoriel, en évoquant sa jeunesse dans le Sud des Etats-Unis et en rendant audible l’importance du blues et du gospel dans sa formation. La passion lyrique exprimée par le saxophoniste et ses acolytes suffit à intéresser l’auditeur, que ce soit par le biais de ballades chaudes et crépusculaires comme Meekness ou d’improvisations au souffle puissant comme ce nerveux Chasing the Ghost. Pour ce dernier morceau, Cooper-Moore joue du diddley bow, un instrument à une seule corde d’origine africaine dont l’utilisation introduit un groove ravageur. Nul doute que cette œuvre embryonnaire ancrée dans l’histoire de la Great Black Music communiquera joie et énergie aux aficionados du genre.

Darius Jones Trio : Man’ish Boy (A Raw and Beautiful Thing) (Aum Fidelity / Orkhêstra International)
Enregistrement : 27 avril 2009. Edition : 2009.
CD : 01/ Roosevelt 02/ Cry Out 03/ We are Unicorns 04/ Meekness 05/ Salty 06/ Chasing the Ghost 07/ Big Train Rollin’ 08/ Forgive me
Jean Dezert © Le son du grisli


Vision Volume 3 (Arts for Art - 2005)

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Depuis dix ans, le Vision Festival de New York célèbre le jazz moderne. Chaque année, à sa manière délicate et irréprochable, savamment distillée en petits lieux. Preuves apportées par Vision Volume 3, double compilation revenant sur les moments forts de l’édition 2003, et plateau exceptionnel de présences.

Le temps de 9 extraits choisis, le disque démontre les allures diverses ou le teint changeant de jazzmen qui, toutes générations confondues, servent, en sereins continuateurs du free jazz des premières heures, la création sur l’instant. Envoûtés par les classiques du genre et leurs façons de sonner, comme Fred Anderson (Trying to Catch the Rabbit) ou Rob Brown (expliquant aux côtés d’Henry Grimes les saveurs polyrythmiques sur Resonance excerpt No.1) ; partis à la recherche d’un modèle inédit de musique appuyée comme Matthew Shipp et Daniel Carter (Surface and Dream - Excerpt No.1) ou Patricia Nicholson (imposant avec Joseph Jarman et Cooper-Moore un blues rugueux jouant des diversions free sur Rise Up) ; aux intentions plus lestes privilégiant l’émulsion brute, suivant le modèle déposé par William Parker.

Contrebassiste incontournable, Parker ne ménage pas ses efforts et se glisse dans des combinaisons variées, toutes concluantes. Auprès de Joe McPhee et Roy Campbell, il souligne le jeu éclairé du batteur Warron Smith avant de décider d’un riff lancinant entraînant l’ensemble de ses partenaires à sa suite (War Crimes and Battle Scars : Iraq). De taille à donner la réplique aux facéties et départs masqués d’Andrew Cyrille (Quilt), il dirige enfin les 17 musiciens de son Jeanne Lee Project sur Bowl of Stone Around the Sun. Là, quatre chanteurs – dont Thomas Buckner – établissent des canons et rivalisent d’idées sur les reliefs d’un décor instrumental répétitif.

Comme la vue ne pourrait se passer d’images, Vision Volume 3 rassemble sur un DVD d’autres extraits de concerts et quelques interviews. Le Jeanne Lee Project de prendre encore plus d’ampleur (Song for Jeanne Lee), Roscoe Mitchell invitant Thomas Buckner à gagner la scène (Improvisation No. 1073) ou Jin Hi Kim dans une démonstration de komungo - ancien instrument à cordes coréen (Once Again). Complet autant que déroutant, l’exposé tient du miracle et du dosage chanceux. L’ensemble reste en place alors même qu’il explose.

CD / DVD: 01/ WHIT DICKEY QUARTET: Coalescence One 02/ FRED ANDERSON/HARRISON BANKHEAD: Trying To Catch The Rabbit 03/ MATTHEW SHIPP QUARTET : Surface and Dream - Excerpt #1 04/ ROY CAMPBELL / JOE McPHEE QUARTET: War Crimes and Battle Scars: Iraq 05/ THOMAS BUCKNER : Improvisation #1073 - Excerpt #1 06/ ANDREW CYRILLE / KIDD JORDAN / WILLIAM PARKER: Quilt 07/ PATRICIA NICHOLSON'S PaNic : Rise Up 08/ ROB BROWN's RESONANCE : Resonance Excerpt #1 09/ WILLIAM PARKER's JEANNE LEE PROJECT: Bowl of Stone Around the Sun

Vision Volume 3 - 2005 - Arts for Art. Distribution Orkhêstra International.


Triptych Myth: The Beautiful (AUM Fidelity - 2005)

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The Beautiful est le premier enregistrement de Triptych Myth, trio qui réunit depuis trois ans maintenant le pianiste Cooper-Moore (collaborateur de David S. Ware ou William Parker), le contrebassiste Tom Abbs (sideman de Charles Gayle ou Jemeel Moondoc) et le batteur Chad Taylor (membre de chacune des formations du Chicago Underground, partenaire occasionnel de Tortoise, Stereolab ou Jim O’Rourke). Les parenthèses valant références, voici faites les présentations.

Propulsées, les premières notes de piano assurent, dès le départ, d’une manière singulière de voir les choses (All Up In It), avant que Frida K. The Beautiful nous administre une douche glacée : ballade allant et venant le long de quatre accords, qui semblent ne craindre rien, sinon une batterie fantasque et intrusive. La ballade désagrégée, peuvent suivre les figures imposées et déconstruites.

Aux rythmes bien voulus de Taylor, toujours, qui pousse une suite restreinte de notes de piano dans ses derniers retranchements (Spiraling Out), hache sauvagement le canevas de la contrebasse (A Time To), ou s’amuse des faux départs qu’il provoque (Pooch). Plus cadré, il accueille avec bienveillance les répétitions sous tension de Cooper-Moore (Last Minute Trip Part Two).

Lui, impose ailleurs une mélodie d’accompagnement classique, au gré de laquelle mains gauche et droite se lassent, avant de décider - à la place du cerveau de l’interprète poli - de régler son compte à une formule seulement dévouée à la commodité de l’auditeur (Poppa’s Gin In The Chicken Feed). L’audience acceptable, Cooper-Moore dresse en solo des parallèles aux impressions asiatiques d’Hartmann (Robinia Pseudoacacia), en guise de conclusion de The Beautiful, album inventif autant que ludique.

CD: 01/ All Up In It 02/ Frida K. The Beautiful 03/ Trident 04/ Spiraling Out 05/ Pooch (for Wilbert Morris) 06/ A Time To 07/ Last Minute Trip Part One 08/ Last Minute Trip Part Two 09/ Poppa’s Gin in the Chicken Feed 10/ Robinia Pseudoacacia

Triptych Myth - The Beautiful - 2005 - AUM Fidelity. Distribution Orkhêstra International.



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