Objets trouvés : Fresh Juice (Intakt, 2013)
Se libérant d’une lévitation inaugurale, nos Objets trouvés (Gabriela Friedli, Co Streiff, Jan Schlegel, Dieter Ulrich) observent quelques plats terrains avant de se délivrer par quelque trait compositionnel hardi. Mais ne pas croire pour autant que ce Fresh Juice ne trouve son salut que par la seule écriture.
Car, à vrai dire, cette écriture n’est là que pour baliser un itinéraire aux tracés intimes. Presque pas d’éclats fanatiques ici mais une mise en espace de blocs (duo ou trio, rarement quartet) intensifiant sa force en des crescendos entretenus. A ce petit jeu, la saxophoniste gagne la mise : timide au début, elle fore des tracés onctueux qu’elle magnifie avec un aplomb remarquable. De même, le jeu modal de la pianiste ne s’embarrasse d’aucune rupture mais impose assurance et souplesse au récit emprunté. De ces Objets trouvés – et faussement fragiles – on admirera la sage pertinence, le paysage familier.
Objets Trouvés : Fresh Juice (Intakt / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2011. Edition : 2013.
CD : 01/ Gessang der nacht 02/ Terris Hut 03/ Weisser Zwerg 04/ Equilibre tendu 05/ Faden der Ariadne 06/ Straying Horn
Luc Bouquet © Le son du grisli
Co Streiff : In Circles (Intakt, 2011)
Presque toujours impulsées à l’unisson, les mélodies de Co Streiff s’entrouvrent parfois au contrepoint. Aucune sorcellerie, aucune magie ici mais un cadre strict ouvrant la porte à d’inspirés solos.
Chez la saxophoniste : d’abord, une timidité de souffle – elle s’excuserait presque d’être là – ; ensuite, torsadant des phrasés aux traits (presque) colemanien, la voici emportée et décisive. Chez le trompettiste Russ Johnson : une solide présence. Parfois l’appel des grands larges, parfois l’insistance compulsive d’un motif. Chez le contrebassiste Christian Weber : une assise parfaite laissant entrouvrir, au détour d’un archet provocateur, des possibilités étendues. Chez le batteur Julian Sartorius : un art du rebond et de la répartie qui font mouche. Un disque à l’image de ses deux co-leaders : sobre et délicat.
Co Streiff, Russ Johnson Quartet : In Circles (Intakt / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2011. Edition : 2012.
CD : 01/ Short Outbreak 02/ In Circles 03/ Five Dark Days 04/ The Looper 05/ Tomorrow Dance 06/ Farks Lark 07/ Confession
Luc Bouquet © le son du grisli
Objets trouvés: Fragile (Intakt - 2005)
Emmené par la pianiste Gabriela Friedli, le quartette Objets trouvés investit, sur Fragile, quelques compositions de son leader. Mais à sa façon, toute particulière, qui ménage l’interprétation et l’improvisation la plus libre, trouvant souvent l’accord parfait entre les envies auxquelles on ne résiste pas et la petite dictature des nécessités.
Provoquant la rencontre des musiques sérielle et cubaine – donc, au rythme des gestes répétés d’une rouleuse de feuilles de cigares -, les musiciens introduisent Pugglig, thème sophistiqué et flottant, qui s’éloigne peu à peu du parallèle repéré plus tôt. La batterie de Dieter Ulrich provoque le changement et mène subtilement à Fledged sous les lavis abstraits du soprano de Co Streiff.
Ulrich et Streiff, toujours, sur Avra - Velum - assemblage qui s’occupe de fondre les airs, bousculés par une improvisation énergique -, pour un duo remarquable de profondeur. Qui a aussi le mérite de rattraper les incidents de parcours, plus tôt rencontrés sur Kulan - No Way Out - Kulan, où les interventions du piano se sont faites plus convenues, les inspirations heureuses du quartette plus rares.
Avec élégance, Co Streiff s’offre enfin le luxe de l’expérimentation lorsqu’elle ouvre Luculus - Ursa Maj. Bientôt transformé par un riff de basse qu’impose délicatement Jan Schlegel, le morceau tire avantages du choix de l’unisson sur une rythmique étudiée auxquels s’opposent les éclats discrets du piano, les ribambelles mélodiques du saxophone. Sorte de conclusion en majesté d’un album sournois d’accessibilité, plein d’avant-garde qu’on dissimule.
CD: 01/ Pugglig - Fledged 02/ Kulan - No Way Out - Kulan 03/ Avra - Velum 04/ Lucullus - Ursa Maj
Objets trouvés - Fragile - 2005 - Intakt. Distribution Orkhêstra International.
Irène Schweizer : Portrait (Intakt, 2005)
Célébrer vingt années passées au service de la musique vaut bien compilation. Une fois n’est pas coutume, le label qui a soutenu dès l’origine l’oeuvre de l’artiste compilé n’a pas été dépossédé, et se charge, récompensé, de la rétrospective en question : Portrait, celui d’Irène Schweizer, présenté par Intakt records.
Rassemblant quatorze titres, le disque se trouve gonflé par la présence des partenaires du sujet. Batteurs défendant sans cesse le changement dans la pratique (impacts parfaits de Louis Moholo sur Angel, approches plus répétitives de Pierre Favre sur Waltz For Lois, arythmie tout en retenues d’Andrew Cyrille sur A Monkish Encore), saxophonistes iconoclastes (le blues chaleureux de Bleu Foncé rehaussé par Omri Ziegele, la fantaisie de Co Streiff canalisée sur So Oder So), ou autres amies illuminées (Maggie Nicols et Joëlle Léandre, par deux fois).
Bien qu’embrassant une période allant du Live at Taktlos à un enregistrement tout récent mené en trio aux côtés de Fred Anderson et Hamid Drake (Willisau), Portrait prouve la clairvoyance de la démarche de Schweizer, qui ménage les amours mélodiques (Sisterhood) et l’improvisation la plus désaxée (Verspielte Zeiten). Passant naturellement du ragtime (Sisterhood Of Spit) au contemporain (Contours) sans jamais perdre de vue que l’enjeu est l’envie. Vingt années à amasser les ostinatos, à s’amuser des ruptures de rythme, accompagnée ou en solo. Sélection scrupuleuse et parfaite introduction à l’œuvre de Schweizer, Portrait rafraîchit affablement les mémoires et attise encore l’impatience de qui attend la suite.
Irène Schweizer : Portrait (Intakt / Orkhêstra International)
Edition : 2005.
CD: 01/ Sisterhood Of Spit 02/ Bleu foncé 03/ Angel 04/ Contours 05/ The Very Last Tango 06/ Waltz For Lois 07/ So Oder So 08/ Verspielte Zeiten 09/ Come Along, Charles 10/ Hüben Ohne Drüben 11/ Hackensack 12/ First Meeting 13/ A Monkish Encore 14/ Willisau
Guillaume Belhomme © Le son du grisli