Le son du grisli

Bruits qui changent de l'ordinaire


Vers TwitterAu grisli clandestinVers Instagram

Archives des interviews du son du grisli

Christian Marclay, EnsemBle baBel : Screen Play (Aussenraum, 2016)

christian marclay ensemble babel screen play

On ne sera pas étonné de trouver une guitare électrique « au premier plan » de ce long ouvrage interprété par l’EnsemBle baBel. L’exécution de ces trois pièces (Screen Play, Shuffle et Graffiti Composition), désormais consignée sur deux vinyles, eut lieu récemment à Lausanne dans le cadre de la Nuit des Images, en présence de leur compositeur, Christian Marclay.

La guitare est celle d’Antonio Albanese, qui semble conduire les cinq musiciens de l’ensemble – avec lui Anne Gillot (flûtes, clarinette basse), Laurent Estoppey (saxophone), Noëlle Reymond (contrebasse) et Luc Müller (batterie) – face aux images du film muet qui sert de partition à Screen Play. Réagissant – et donc, avouons-le : improvisant – le groupe va de modules rythmiques en lentes séquences d’un désœuvrement que l’on qualifiera de « créatif » avant qu’un parasite né du souffle de Gillot renverse, avec brio, la composition.

En compagnie de Jacques Demierre (ici à l’épinette, mais qui jouait encore récemment, du même compositeur, Ephemera au piano), l’ensemble rend ensuite Graffiti Composition – on se souvient de la version de guitaristes de renom, il y a quelques années, pour le label Dog W/A Bone). En guise de directives, cent-cinquante photographies de partitions écrites (remplies) par « l’homme de la rue », à Berlin au milieu des années 1990 – au préalable, Marclay avait placardé dans la ville cinq milliers de partitions vierges. L’appel du vide fait œuvre, à l’ensemble de l’interpréter à sa manière : impressionniste ici, expressionniste plus loin – la guitare et le saxophone opposés à la frappe appuyée de Müller –, toujours déconcertante.

En quatrième et dernière face, c’est Shuffle, soit la lecture d’un jeu de soixante-quinze photographies de partitions / ready-made collectionnés par Marclay. Pour ce qui est des règles du jeu en question, aux musiciens d’en faire ce qu’ils veulent : hétéroclite – d’autant que ces règles semblent changer en cours de partie –, la pièce arrange atermoiements, affrontements (quand la guitare sature, la batterie peut trembler) et exercices de style (cette bossa dissonante ou ce free rock saisissant). Au son des flûtes étranges d’Anne Gillot, l’ensemble redit ici qu’il fait, lui aussi, bel et bien œuvre de création : en rendant hommage à l’originalité des partitions de Christian Marclay tout en s’en arrangeant avec superbe. 

AR-LP-006_Front

Christian Marclay, EnsemBle baBel : Screen Play
Aussenraum
Enregistrement : 24-25 avril 2016. Edition : 2016.
2 LP : A-B/ Screen Play (2005) – C/ Graffiti Composition (1996-2010) – D/ Shuffle (2007)
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



Christian Marclay, Okkyung Lee : Amalgam (Northern Spy, 2016)

okkyung lee christian marclay amalgam

Enregistré au printemps 2014 au Café Oto, c’est la rencontre d’un violoncelle et de platines – une dizaine d’années auparavant, c’était au Tonic de New York qu’Okkyung Lee et Christian Marclay avaient enregistré ensemble ce Rubbings consigné sur un des volumes de From the Earth to the Spheres, série de splits sur lesquels on trouvait à chaque fois My Cat Is An Alien.

En ouverture, c’est un vinyle retourné contre un archet qui gratte et même parfois coince. La suite rappellera le conseil donné par Marclay dans les notes de pochette qu’il signa pour Anicca, autre duo de Lee : « Beware, this is scarry stuff » – avant celui-ci, on trouvait la liste de sons étranges (noms pour la plupart tirés de verbes, donc d’actions) allant de « buzzing » à « whooping » ; après quoi, Marclay reconnaissait que les mots sont parfois pauvres pour décrire ce que peut receler un disque.

En français, on fera le même constat au son de ces crépitements et de ces boucles, de ces vrombissements et de ces glissades, de ces chuintements opposés à de beaux effets de pleurage, de ces rythmes incongrus que l’archet cherche presque aussitôt à enfouir, enfin de cet hymne branlant qui, au couple, servira d’impressionnante conclusion. Au temps d’Anicca, Marclay l’avait bel et bien saisi : la musique de Lee prend forme dans le verbe ; il ne lui restait qu’à suivre le mouvement.  

amalgam

Okkyung Lee, Christian Marclay : Amalgam
Northern Spy
Enregistrement : 25 avril 2014. Edition : 2016.
CD / LP / DL : 01/ Amalgam
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


LDP 2015 : Carnet de route #37

ldp 2015 19 novembre munich

Depuis le 21 mai 2015, le trio ldp (au « grand » complet) n'avait pu donner de concert. Les retrouvailles eurent lieu à Munich, le 19 novembre, dont se souviennent ici Barre Phillips, Urs Leimgruber et Jacques Demierre... 

18 novembre, Lucerne  

The 18th comes on once again with a full sun shining down on Lucerne. It's time for me to take off for Munich. Since years now I've had this little rule for myself to not travel and perform on the same day. It works out, most of the time. And this is such a one.
Urs gives me a hand down to the train station and onto the train and off I go. An hour to Zurich where I easily catch the direct train to Munich. About 4 hours later, including a curry wurst in the dining car, I arrive in the Munich Hb to find dear Hannes Schneider waiting for me. We roll my stuff to his parked car and off we go to EinsteinStr. and the hotel which is very close to the concert venue.  Budget hotel with no elevator and of course for ageing bass players the tiny rooms are always on the top floor. But Hannes is a dream and helps me get my junk upstairs. It's evening already and at his suggestion we go to eat, ending up at a good Greek restaurant.
He tells me that there is a concert of experimental sound and video that we can check out and we do.
Ah, it's great to be old and caught in the generation gap. I couldn't understand what was happening. The video image was very interesting and to my eyes of excellent quality but the sound part left me holding years to keep out the overpowering noise and trying to understand what was happening but not being able to. Stuck in my quagmire I abandoned ship at the first break, as did Hannes, and called it a day.  
B.Ph.

19 novembre, Munich
MUG Offene Ohren e. V. Munich

The 19th finally brought Urs and Jacques to Munich and the hotel from where we went to set up the concert and do a bit of a sound check. We hadn't played a concert together in trio in nearly 6 months.
Amazing. Yes, we had met and played together in Zurich for Jacques’ piece but that somehow didn't count much in terms of the trio playing together as it was so particular and pre-determined. The MUG. Our old bunker friend of Munich. What a pleasure to find ourselves there again. The last time it had been 9 years before. I had performed there with other musicians in between, during those 9 years, as had surely Jacques and Urs. There was a nice sized crowd. The room's acoustic was a-humming. The "new-ness" of being back together was very strong and the music took off, outward bound, to other universes and dimensions. We played two sets and I must say that at the end of the 2nd set I was empty, no more juice. Fitting, only fitting.
B.Ph.

P1100688

Nach dem Konzert in Zürich mit Sinfonieorchester spielen wir heute, nach mehrwöchiger Abwesenheit von Barre das erste Mal wieder in der Original Trio Besetzung im MUG, München Untergrund im Einstein im Rahmen der Konzertreihe des Vereins Offen Ohren. Musik für neugierige Menschen, die offen für Neues sind, für Experimentelles, Kreatives, Spannendes, auf der Bühne Entstehendes, Interagierendes zwischen Musikern und Musikern und Publikum, Unvorhersehbares .... ein ungewöhnliches Hörvergnügen – Musik für Offene Ohren eben! Hannes Schneider ist Verantwortlich für den Verein und für die Programmgestaltung. Wir  kennen ihn aus einer ersten Begegnung am Festival Fruits de Mhère im französischen Burgund. Es ist sicher zehn Jahre her, als er ganz spontan die Idee hatte eine eigene Konzertreihe für kreative Musik ins Leben zu rufen. Diese Idee hat er dann in die Tat umgesetzt. Seither spielt die ganze internationale Prominenz der frei improvisierten Musik Szene in seiner Reihe. Hannes kümmert sich um alles. Er ist ein one man Produzent. Seine Frau Regula unterstützt ihn, indem sie die Kasse bedient, und sie ist zuständig für den CD Verkauf. Ein Techniker macht das Licht. Hannes installiert die Mikrofone für eine Audio- und Video Aufnahme. Das Trio stimmt sich ein, individuell und zusammen. Einstimmen, sogenannte Soundchecks sind immer etwas spezielles. Es geht vorallem darum die Akustik im Raum zu testen. Wir spielen leise, laut, schnell und langsam eine Melodie sogar Harmonisches kommt vor.
„Konzert mit dem Trio Leimgruber-Demierre-Phillips im Jazzlokal Moods; der Bassist Phillips tritt an die Rampe, sagt: „Today we have independence of Kosovo, in three days we’ll have full moon, an then we’ll go to the cinema...“ Folgt eine gute Stunde monotoner Geräuschentfaltungen, alle drei Instrumente – p, s, b – werden primär als Rhythmus – beziehungsweise Schlaginstrumente eingesetzt, alles Melodische weitgehend unterdrückt, daraus entsteht eine Intensität, die sich immer wieder zum Krampf steigert und im Krampf dann auch verloren geht. Musik, auf Geräuschhaftigkeit reduziert; Musik, die sich jeder Einfühlung widersetzt. Dennoch höre ich hin. Kaum ein Ton antwortet dem andern, Erinnerung und Erwartung kommen nicht zum Zug. Alles Symphonische, Harmonische wird unterdrückt, und überhaupt könnte man ... würde ich sagen: So quietscht es, rasselt, schmatzt, pfeift, kreischt es, wo Musik unterdrückt wird.
(Leben & Werk F. Ph. Ingold)
Die Zuhörer sind von dem musikalischen, experimentellen Erlebnis in der MUG mit dem Trio ldp hell begeistert. Sie bedanken sich herzlich mit Applaus. Die Leute kommen auf uns zu, wir führen angeregte Gespräche. Sie sind betroffen und die Stimmung ist belebt.
U.L.

IMG_2692

Dans une ville encore en état de choc, avant de rejoindre Barre et Urs à Munich, c'est à Paris, en jouant Ephemera, une pièce pour piano de Christian Marclay, que j'ai senti une nouvelle fois combien c'est à travers le corps que s'effectue la « compréhension » d'une situation de jeu, qu’elle soit improvisée ou prédéterminée comme ce soir-là. Face aux 28 folios composant la partition – dont j'ai extrait une petite dizaine d'ephemeras en vue de les interpréter – face à cette accumulation de diverses illustrations directement ou indirectement musicales trouvées par Marclay, de fragments de publicités, de journaux, de divers emballages ostensiblement décoratifs et destinés à ne pas survivre au temps – comme ces insectes dont la naissance et la mort surviennent le même jour –, le tout photographié puis réimprimé, face à cette compilation graphico-musicale, je me suis mis en état de me laisser saisir par la proposition visuelle, puis de lui permettre de s'intérioriser en moi, et j'ai essayé, enfin, de ne pas l'empêcher de se manifester spontanément. Pareillement à l'apprentissage taoïste qui se fait par imitation de la nature, je tente, de mon côté, de vivre la situation de jeu en imitant sa nature profonde, pour après la projeter dans l'espace de ma propre réalité. Le lieu du jeu devient ainsi le lieu de la production, de la création à travers ma propre projection, de ma propre réalité. Mais cette expérience est difficilement verbalisable : comment y accéder et comment transmettre un état qui implique la présence unifiée du corps entier ? Assimilation et mimétisme pourraient compter parmi les réponses afin d'accéder au centre de cette expérimentation du sonore. Si la position du corps d'Alfred Brendel au clavier est connue et plutôt conventionnelle, la photo que j'ai découverte le même soir dans les loges du CCS de Paris l'est moins. On y voit le pianiste autrichien debout, accoudé à un piano à queue, penché vers l'intérieur, l'avant-bras gauche reposant sur la ceinture entourant l'instrument, et la main droite semblant écrire au stylo feutre noir à même la surface du cadre métallique recouvrant la table d'harmonie. Quant on connaît la frilosité de certains organisateurs (tous styles confondus) pour le jeu à l'intérieur de l'instrument, on s'étonne de cette mise en scène. Cela m'a rappelé un piano que j'ai eu l'occasion de jouer en Argentine, au Teatro Margarita Xirgu de Buenos Aires, dans un projet intitulé Monologos Technologicos, sur lequel le pianiste russe Nikita Magaloff avait inscrit, presque gravé, son nom dans le bois. Pratique étrange, car à part quelques privilégiés, les pianistes sont en général plutôt échangistes quant à leurs instruments. Pourquoi estampiller ainsi de sa marque un instrument en particulier, si ce n'est pour lui attribuer dans un geste un peu fétichiste et magique une sorte de plus-value sonore ? Telle paraît avoir été l'intention de Steinway demandant à Brendel de signer le piano STEINWAY & SONS numéro 590216, modèle B, lequel, comme tous les B rencontrés jusqu'alors, porte en son intérieur et en relief le mot STEINWAY, ainsi que ceux de STEINWAY & SONS, séparés de NEW YORK HAMBURG par l'éternelle lyre. Plus loin, près de l'accroche des cordes, le numéro 655, lui aussi écrit au feutre noir, mais dans une graphie différente de celle de Brendel, précède le sceau en relief métallique MADE IN HAMBURG GERMANY. Dans un certificat intitulé ALFRED BRENDEL EDITION et affiché au mur, le pianiste nous livre son récit : « A l'occasion du 200me anniversaire de la naissance de Franz Liszt, Steinway & Sons a créé une édition spéciale de dix pianos à queue, modèle B-211. C'est avec plaisir que j'ai personnellement choisi l'instrument portant le numéro SERIAL NO. 590.216 à l'usine Steinway de Hambourg. A tous ceux qui le jouent, je souhaite de nombreux et joyeux moments de musique. » Bien que sa signature, figurant au bas du document, soit légèrement différente de celle apposée dans le corps même du piano du CCS, ses vœux furent exaucés : cette soirée-là, le concert fut joyeux et musical. Après une seconde soirée parisienne, partagée avec Christian Marclay et Hélène Breschand – les "classiques" harpe et piano se retrouvant merveilleusement phagocytés par un bric-à-brac d'objets trouvés provenant du lieu même – et déployée en un geste d'actions sonores post-fluxus effectuées d'un seul tenant, je m'envolais le lendemain pour rejoindre le trio à Munich. De véritables retrouvailles, car du fait du combat de Barre avec Black Bat, ldp n'avait plus joué en pur trio depuis le 21 mai, à Arles. BINGO ! Tout était différent et pourtant tout était pareil. Impression que chacun parvenait encore davantage à tirer parti de la totalité des occasions qui se présentaient. Le trio mobilisait ses énergies comme jamais, tout devenait champ d'expérimentation, sentiment que le réel était saisi dans la plus urgente des immédiatetés. Et surtout, alors qu'en jouant je contemplais la suite de chiffres tamponnés qui s'intercalaient en une comptine infinie entre les chevilles du piano STEINWAY & SONS, B, 497342, la sensation que la recherche qui était la nôtre était devenue plus ludique, que l'enfance était notre futur.
20
19
18
17
16 suivi de 5 légèrement en-dessous
16
15 suivi de 5 légèrement en-dessous
15
14 suivi de 5 légèrement en-dessous
14
13 suivi de 5 légèrement en-dessous
13
J.D.

Photos : Jacques Demierre & Anouk Genthon

> LIRE L’INTÉGRALITÉ DU CARNET DE ROUTE


Madame Luckerniddle (Vandoeuvre, 2012)

madame_luckerniddle

De ce concert-labyrinthe, il faut connaître la genèse : Sainte Jeanne des Abattoirs est créé en 1929 par le jeune Bertolt Brecht. En 1998, Marie-Noël Rio avec l’aide de seize acteurs-musiciens met en scène la pièce de Brecht. Tom Cora en compose la musique. Parallèlement, Tom Cora, Zeena Parkins, Luc Ex et Michael Vatcher créent Madame Luckerniddle du nom d’un des personnages de la pièce. Quelques semaines avant le concert du quartet au Musique Action de Vandoeuvre, Tom Cora disparait. Ses amis (Catherine Jauniaux, Phil Minton, Zeena Parkins, Christian Marclay, Otomo Yoshihide, Luc Ex, Michael Vatcher, Veryan Weston) décident alors de lui rendre hommage.

De ce concert-labyrinthe, il faut reconnaître l’éclat, l’intensité. La révolte brechtienne est là qui trouve son écho dans les compositions du violoncelliste : harmonie minimale interrompue par des improvisations vocales emportées, modulations ouvrant la porte à toutes les euphories-utopies. Le chant se porte haut et fort : césures perçantes, rigoureuses et bouleversantes de Catherine Jauniaux (Chut) ; sensibilité du couple Weston-Minton (Helliphant). Le concert s’achève avec The Anarchist’s Anthem : n’en doutons point, les quatre murs sont déjà là.

Madame Luckerniddle : Madame Luckerniddle (Vandoeuvre / Allumés du jazz)
Enregistrement : 1998. Edition : 2012.
CD : 01/ Madame Luckerniddle, Part 1 02/ Madame Luckerniddle, Part 2 03/ Madame Luckerniddle, Part 3 04/ Helliphant 05/ Indicible 06/ A nous ! 07/ Madame Luckerniddle, Part 4 08/ Madame Luckerniddle, Part 5 09/ On the Other Side 10/ Him 11/ Chut 12/ The Anarchist’s Anthem
Luc Bouquet © Le son du grisli


Christian Marclay (Centre Pompidou, 2022)

le son du grisli christian amrclay centre pompidou

Certes, le son du grisli n'est plus, mais quoi ? De temps à autre, le son du zombie vous rappellera à son bon souvenir. 

 

L’épatante exposition Christian Marclay – à voir au Centre Pompidou jusqu’à la fin du mois de février – méritait bien son catalogue. Celui-ci, reproduisant les 200 œuvres assemblées, prendra ensuite des airs de belle exposition lascivement couchée sur papier. 

Faut-il présenter encore Marclay, Suisse né en Californie qui hésita entre longtemps entre sculpture et musique pour, à la fin des années 1970 à New York, commencer à se faire entendre auprès de John Zorn et Elliott Sharp ? Faut-il rouvrir Beauty Lies in the Eye de Catherine Ceresole, qui le figea au côté notamment de Butch Morris ? Faut-il évoquer aussi un lot de révélations : Euréka de Jean Tinguely, Revolution 9 des Beatles, les concepts de John Cage ou les performances de DNA, Mars, Joseph Beuys...

cm1

Dans les années 1980, platine en bandoulière – pour expliquer rapidement de quoi retourne sa phono-guitare –, Marclay monte sur scène avant ou après Sonic Youth, Swans, Beastie Boys… Quelques années plus tard, il travaille son idée de l’appropriation et fait paraître More Encores : Louis Armstrong, Jimi Hendrix ou la Callas détournés ; et puis, dans les pas de Moholy-Nagy, il conçoit une création phonographique partie d’une pensée plastique.

cm2

Des bandes de cassettes sur lesquelles il a enregistré les disques des Beatles, Marclay fait alors (avec l’aide d’une amie au tricotage) un oreiller ; au son d’une Fender qui râle pour être traînée par un pick-up (Guitar Drag), il rend un vibrant hommage à James Byrd, victime d’un racisme ordinaire ; derrière les vinyles cassés et la Broken Music de Milan Knizak, il abîme des disques dont on cherchera désormais à connaître les nouvelles sonorités qu’ils renferment, conçoit des pochettes de disques qui n’existent pas ou assemble des pochettes de disques qui existent avec irrévérence et humour ; ailleurs, il déformera quelques instruments ou enduira coloriera en bleu d’autres bandes sur Cyanotypes.  

cm3

L’œuvre plastique, écrivait Clément Chéroux dans Snap!, qu’élabore patiemment Christian Marclay depuis une trentaine d’années procède de cette riche histoire des relations entre l’image et le son ; elle en marque, en même temps, une nouvelle étape. Par ses performances, ses installations, ses vidéos, ses collages, ses objets appropriés ou transformés, cet artiste américano-suisse, vivant et travaillant à New York, poursuit en effet, depuis la toute fin des années 1970, un travail sur la visibilité du son.

« On peut voir regarder, peut-on entendre écouter ? », interrogeait Duchamp. Le visiteur retrouve quelques morceaux de cette Griffiti Composition qu’ont interprétée Elliott Sharp ou Lee Ranaldo, marche le long de Manga Scroll et cherche à se souvenir de la musique qu’en ont tiré Joan La Barbara ou Phil Minton… Curieux, il se demandera de quelle manière Jacques Demierre interprétera Ephemera ou ce quelle suite donneront ce soir à To Be Continued Noël Akchoté, Julien Eil, John Butcher, Luc Müller et l’ensemBle baBel (ce qui sera l’occasion de réécouter Screen Play).  

Faite dans un silence assourdissant, la lecture de ce beau catalogue – recouverte d’une jaquette perforée, l’édition anglaise l’est davantage encore que la française – promet des heures d’un toujours surprenant jeu de réappropriation et d’invention. 

cm4

Christian Marclay
16 novembre 2022 – 27 février 2023
Catalogue d’exposition sous la direction de Jean-Pierre Criqui
Editions Centre Pompidou
Guillaume Belhomme [texte & photos] © Le son du grisli

le son du grisli couv twitter


Christian Marclay : Fire & Water (Dis Voir, 2014)

christian marclay fire & water

Grâce aux éditions Dis Voir, j’ai vu et entendu l’installation que Christian Marclay a réalisée en 2011 à Beppu, dans le sud du Japon. Bien sûr, je regrette de ne pas avoir fait le voyage. Mais n’ai-je pas accédé à une autre dimension de l’œuvre ?

L’installation que je possède maintenant tient dans une soixantaine de pages et un CD. Les photos du livre montrent Beppu (ses jardins, son port, comment les habitants vivent à côté ou dans ses onsens…) et la centaine d’oriflammes orange (pour le feu) et bleu (pour l’eau) que l'artiste installa sur une de ses jetées. Dans le bas des drapeaux, des clochettes sonnent sous le vent. Ce sont elles que l’on peut entendre sur le CD… Si l’on supporte bien les aigus, l’enregistrement devient vite obnubilant, ses clochettes tintinnabulent (c’est le mot approprié) sur les bruits de la ville et le passage des promeneurs. Bientôt, vous voilà flottant, fier et droit comme un oriflamme !

Christian Marclay : Fire & Water (Dis Voir)
Enregistrement : 2011. Edition : 2014.
Livre + CD : Fire & Water
Pierre Cécile © Le son du grisli


Zeena Parkins : Double Dupe Down (Tzadik, 2012)

zeena_parkins_double_dupe_down

Réunissant cinq musiques de films composées entre 2004 et 2011 par Zeena Parkins, Double Dupe Down joue la carte d’une étrange diversité. Mais de ce choix de transposer les sources et de bouleverser chronologie et orchestration émerge une œuvre-suite évitant, de belle manière, l’effet zapping.

Ici, même si imbriqués ou juxtaposés, ce sont les passages solos (PSA N° 2 + 7), les arrangements de cordes (The Shape of Error avec Sara Parkins, Maggie Parkins et Okkyung Lee) ou les parties à deux cornemuses (Oompie Ka Doompie avec David Watson et Matthew Welch) plutôt que les electronics inhabités d’Ikue Mori (Harpstring and Lava) que l’on a envie de défendre. Une suite attachante. Sans images certes…

Zeena Parkins : Double Dupe Down (Tzadik / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2004-2011. Edition : 2012.
CD: 01/ Harpstring and Lava 02/ Selina 03/ Opening Credits 04/ Chorale 05/ I Hardly Care 06/ Pipes Oompie 07/ No Sweet Love 08/ Phantasmagoria 09/ Zoo 10/ Skin 11/ Fireworks 12/ At Sea 13/ Duo 14/ Allegra 15/ Picnic Too 16/ The Air Is Perfectly Clear 17/ Squiggle 18/ Carousel 19/ Anthem
Luc Bouquet © Le son du grisli


Christian Marclay : Graffiti Composition (Dog W/A Bone, 2010)

graffitisli

La scène se passa le 13 septembre 2006 au Museum of Modern Art de New York. Des guitaristes (guitar & bass guitar) de renom interprétèrent une composition graphique tirée de l'oeuvre de Christian Marclay. Ces guitaristes n’étaient autres qu’Elliott Sharp (qui chapeauta le projet), Lee Ranaldo, Vernon Reid, Mary Halvorson et Melvin Gibbs.

Il fallait s’y attendre,  il y eut du bruit et de la fureur, que les graffitis soient exécutés sur les allées et venues rapides des médiators ou sur d'attaques aux doigts. Chaque guitariste y va de son alarme, excave du lourd et du râlant, avant de passer le relais à son voisin. Pour couronner le tout, Sharp et ses acolytes y vont aussi de leurs expérimentations électroniques. Des pistes sont reprises ou transformées en direct. C’est bien simple, sur Graffiti Composition il n’y a qu’une chose que l’on peut regretter : un solo au tapping désuet dont on ne connaît pas l’auteur…

Christian Marclay : Graffiti Composition (Dog W/A Bone / Metamkine)
Enregistrement : 13 septembre 2006. Réédition : 2010.
CD : 01-06/ Graffiti Composition 1-6
Pierre Cécile © Le son du grisli


Christian Marclay : Snap! (Les presses du réel, 2009)

snapsli

Tirant son titre d’une exposition organisée à Genève, Snap! est le fruit d’un étude collective des travaux artistiques (photographie notamment) de Christian Marclay, presque indissociables de sa pratique musicale.

Depuis 1981, Marclay expose en effet : accumulations de documents et souvenirs étrangers qu’il récupère et s’approprie, installations astreignant le vinyle à ses vertus plastiques, photographies choisies pour être capables d’exprimer un son (étui de guitare, mur d’amplis, objets sonores tous identifiables) ou encore pastiches stylés (affiches le mettant en scène). Dans l’idée, à chaque fois : soupçonner le son au-delà de l’image. Ainsi, quand il n’est pas à son origine en tant que musicien, Marclay le cherche et, en obsessionnel, le trouve partout, qu’importe ensuite la forme que cette découverte imposera à son son œuvre.

De jeux réalisés à partir d’onomatopées en clichés de bandes de cassettes déroulées, de 45 tours encadrés en installations ingénieuses – ses créations plastiques les plus réussies –, les nombreux intervenants de Snap! font le tour du sujet Marclay – certains beaucoup plus formellement que le leur permettait l’iconoclastie du new-yorkais – et donnent à voir beaucoup quand le lecteur cherchait encore à entendre.

Christian Marclay, Valérie Mavridorakis et David Perreau (éditeurs) : Snap ! (Les Presses du réel)
Edition : 2009.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



Commentaires sur