Bryan Eubanks, Stéphane Rives : fq (Potlatch, 2015)
Le premier signal est aigu, qu’émettent Bryan Eubanks (oscillateurs et feedback de synthétiseur) et Stéphane Rives (saxophone soprano). Et ses strates, déjà fragiles, sont altérées par les fréquences provoquées ici et là par leurs rapprochements.
Mais les premiers sifflements – une dizaine de minutes, en et hors circuit – « menuisent » seulement : l’ouvrage électroacoustique tout juste dessiné est encore à venir. Dans une deuxième séquence, un grave perce et le soprano calque l’électronique, quelques reliefs se lèvent. C’est maintenant une conversation chantante qui projette ses expressions saillantes, saturées, tremblantes…, avant de les cristalliser.
A des instruments différents ayant su ne faire qu’un, les musiciens peuvent jouer enfin de rivalités : désormais, le soprano jabote, opposant sa découpe facétieuse à d’autres aigus persistants – qui ne provoquent jamais mais pénètrent plutôt – et le charme opère. C’est ainsi qu’en trois temps, Bryan Eubanks et Stéphane Rives ont fait de leur exploration des oscillations un bel ouvrage en dentelle de fréquences.
Bryan Eubanks, Stéphane Rives : fq (Potlatch / Orkhêstra International)
Enregistrement : 9 september 2014. Edition : 2015.
CD : 01/ fq
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Bryan Eubanks : The Bornholmer Suite (Nueni, 2014)
Malgré le signal (aigu, très aigu même) envoyé par Bryan Eubanks au début de cette suite tout en « open circuit feedback », on ne s’en remettra pas… mais on tiendra le coup, vu que le CD recèle de surprises, aussi perçantes soient-elles !
C’est ici ou là ou un peu plus loin un module rythmique qui fore et/ou qui crachote, là ou ici un exercice de déformation sonore, ailleurs ou là une loop à parfaire (ce sont mes pièces préférées), là ou ici encore un cristal, une cavalcade, un suraigu en contrechant, etc.
En tout, c’est cinquante plages (là-dessus, pas plus d’une dizaine à qui chipoter de l’intérêt) et au final une fantasia bruitiste (ou un noise épique) dont la diversité est la première qualité. Maintenant, si nous voilà rassasiés de convulsions électroniques des questions se posent encore sur les circuits ouverts et cette façon qu’ils ont de s’autoalimenter !
Bryan Eubanks
The Bornholmer Suite (extrait)
Bryan Eubanks : The Bornholmer Suite (Nueni)
Enregistrement : 2013. Edition : 2014.
CD : 01-50/ The Bornholmer Suite
Pierre Cécile © le son du grisli
Bryan Eubanks, Jason Kahn : Drums Saxophone Electronics (Intonema, 2014)
Le titre donné au disque et le dessin utilisé pour sa pochette disent précisément l’un et l’autre de quoi retourne ce nouvel échange de Jason Kahn et Bryan Eubanks : retour à la batterie pour le premier, au saxophone soprano pour le second, qui « tissera » aussi au moyen de dispositifs électroniques personnels des fils parés pour la brouille.
Les conditions sont donc différentes de celles d’hier (Energy (Of)), mais l’élan est le même, qu’expliquait Guillaume Tarche en parlant d’ « assaut sonore », de « progression » et de « transition entre les phases du jeu ». Les fils cités plus haut sont en fait des câbles et des filins de différentes natures (acoustique du saxophone, électronique de la machinerie) et de couleurs variées, qui fondent sur le batteur et l’obligent à la réaction.
Remuant toujours, celui-ci passe de toms en caisses et de cymbales en percussions : escrime, piège puis capture telle ligne électronique lâchant un peu de lest ; provoque aussi des avalanches capables d’en anéantir de plus vaillantes et par paquets. Or, sous couvert de lutte, Eubanks et Kahn composent un ouvrage électroacoustique dont les nombreuses dérivations subliment la cohérence.
Jaosn Kahn, Bryan Eubanks : Drums Saxophone Electronics (Intonema)
Enregistrement : 17 septembre 2013. Edition : 2014.
CD : 01-05/ Drums Saxophone Electronics
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Bryan Eubanks & Pascal Battus : Nantes, 28 juin 2014
Ouvrant une soirée « Images physiques & musiques vibrantes » – à laquelle auront aussi participé VA AA LR, Richard Tuohy et Takashi Makino –, Bryan Eubanks et Pascal Battus étaient attablés ce 28 juin au Trempolino de Nantes.
C’est en percussionniste que Battus entame l’improvisation, levant une première rumeur dont le souffle réanimera l’intérêt d’Eubanks pour l’invention de phénomènes sonores. C’est d’ailleurs là une cause commune à Battus et Eubanks : les surfaces rotatives et objets amplifiés du premier – assister à un concert de Battus, c’est forcément, en auditeur perturbé ou indiscret, se poser la question de la provenance des sons à y entendre (du quoi ? voire du qui ? cette corde qui vibre ne démontre-t-elle pas une âme ?) – et le matériel électronique du second, inquiets tous de révéler, quand ce n’est pas de concevoir, des chants inespérés.
Des deux courtes tables de l’atelier, naît alors un arrangement : futuriste et recycleur, mesurant ses excitants (vibrations de moteurs, coups portés, souffles induits…), Battus provoque des réactions en chaîne ; jouant de sons en ordinateur (bruissements, sinus, battements étouffés…) ou retouchant quelques notes révélées par son partenaire, Eubanks fait quant à lui œuvre de déstabilisation discrète. Au gré de perturbations qui, dans l’onde, ont trouvé leur mesure et puis leur harmonie, le duo a composé comme par enchantement.
Bryan Eubanks et Pascal Battus, Nantes, Trempolino, 28 juin 2014.
Photo : Chloé Dusuzeau / Mire.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Catherine Lamb, Bryan Eubanks : Untitled 12 / Andrew Lafkas : Making Words (Sacred Realism, 2012)
Inaugurant la collection Sacred Realism, cet enregistrement de Catherine Lamb & Bryan Eubanks, davantage qu'une évocation de la formidable Agnes Martin, se veut, d'après une de ses peintures de 1984 (non pas un monochrome, mais une toile grise hantée d'éléments subtils), le point de départ d'une tentative pour amener à « écouter dans le rien » comme le tableau pousse à scruter son apparente vacuité jusqu'à en percer l’étonnante vibration intérieure.
Et la démarche porte, en dépit de son austérité, s'imposant par son obstination : l'heure qui s'écoule alors, soigneusement articulée en quatre parties égales, crée autant d'espaces mentaux dans lesquels il faut accepter de sombrer ; à chaque quart d'heure intervient une légère modification du blizzard (bruit blanc et sinus), qui révèle alors les puissantes mais latentes qualités recelées par cette matière sonore « sans qualités ».
N'en avions-nous pas été avertis par Paul Klee ? « Le gris fonctionne comme 'zone centrale germinative' et balance de toutes les polarités chromatiques. »
EN ECOUTE >>> Untitled 12 (extrait)
Catherine Lamb, Bryan Eubanks : Untitled 12 (After Agnes) (Sacred Realism)
Edition : 2012.
CD : 01-04/ Untitled 12 (After Agnes)
Guillaume Tarche © Le son du grisli 2013
Pour le deuxième disque du label, on retrouve Bryan Eubanks (electronics) dans la grande formation – avec Ann Adachi (flûte), Adam Diller (saxophone ténor), Tucker Dulin (trombone), Kenny Wang (alto), Margarida Garcia (guitare électrique), Gill Arno (electronics), Keiko Uenishi (electronics), Barry Weisblat (electronics) et le délicat Sean Meehan (caisse claire, cymbales) – mise sur pied par Andrew Lafkas (contrebasse) en avril 2010 afin de donner une longue pièce de sa conception.
Cette dernière a beau durer soixante-dix minutes, elle semble se déployer dans une temporalité refaçonnée par des jeux de timbres et de textures (dans l'esprit du Feldman pour orchestre), presque à la manière d'un paisible drone cousu main, d'une respiration ménageant le grain de chaque contributeur. Les fibres peuvent à l'occasion s'effilocher un peu, mais la tension établie entre les instruments acoustiques et le quatuor électronique évite la dislocation et, mieux que de « faire des mots », l'orchestre « fait un monde ».
EN ECOUTE >>> Making Words (extrait)
Andrew Lafkas : Making Words (Sacred Realism)
Ednregistrement : Août 2010. Eition : 2012.
CD : 01/ Sacred Realism
Guillaume Tarche © Le son du grisli 2013
Jason Kahn, Bryan Eubanks : Energy (Of) (Copy For Your Records, 2012)
Reproduisant un concert donné en septembre 2011 (durant une tournée américaine de neuf dates), ce disque de quarante minutes s'inscrit d'une certaine façon dans le prolongement du solo de Jason Kahn intitulé Beautiful Ghost Wave : mêmes éraillements et mêmes matériaux explosibles... A ceci près qu'il s'agit d'un duo et que Bryan Eubanks pousse efficacement non seulement dans le sens de l'assaut sonore, mais aussi dans celui de la progression, de la transition entre les phases de jeu.
Si la densité d'événements reste donc très grande, la lisibilité, ou l'audibilité, de l'ensemble reste néanmoins bonne (en termes d'équilibre des forces, de clarté, et également en termes de structure – ce qui n'est pas rien dans le cadre d'une pièce longue en concert). Et les instruments électroniques d'Eubanks, faits maison, ont beau crépiter en défibrillateurs destroy ou balancer leurs déflagrations chaotiques, le système de Kahn (synthétiseur analogique, table de mixage, micros contact) postillonne, crache ondes et boulons, trouvant des nuées communes à charger d'énergie électrique, voire quelques trouées à ménager – quand apparaissent des bribes d'enregistrements faits sur les lieux mêmes.
Décapant et énergétique.
Jason Kahn, Bryan Eubanks : Energy (Of) (Copy for your Records)
Enregistrement : 2011. Edition : 2012.
01/ Energy (Of)
Guillaume Tarche © Le son du grisli
Bob Marsh : Luggage (Last Visible Dog, 2006)
Un peu à la manière de son partenaire régulier Jack Wright, le violoncelliste Bob Marsh – ayant aussi joué aux côtés de Fred Lonberg-Holm, Ernesto Diaz-Infante ou Gene Coleman – agite inlassablement sa pratique improvisée ; insatiable, collecte chacune de ses tentatives comme on archive des documents accablants. Dernier en date, et plutôt convaincant : Luggage.
Le long de deux improvisations menées auprès de la violoncelliste Theresa Wong puis du saxophoniste Bryan Eubanks, Marsh revoie ses façons de faire comme il interroge encore les possibilités toujours différentes de nouvelles rencontres. Patiemment, d’abord : faisant du premier titre un amas de graves installés et d’aigus défilant, gonflé bientôt par les dissonances des deux archets et par quelques propositions vocales suggérées à peine.
Hésitant, ensuite : entre pizzicatos et archet pour répondre au mieux aux plaintes aigues et répétées du soprano d’Eubanks. S’il lui arrive d’esquisser quelques mélodies brèves, le duo préfère donner dans un constructivisme angoissé, motivé par les coups portés par la voix de Marsh, invectivant par peur de mal se faire comprendre. Et Luggage, de convaincre, donc. Des pratiques changeantes et singulières de Bob Marsh, qui bénéficient du savoir-faire de leur auteur autant que de son talent à choisir bonne – et jeune – compagnie.
Bob Marsh, Theresa Wong, Bryan Eubanks : Luggage (Last Visible Dog)
Edition : 2006.
CD : 01/ Marsh / Wong 02/ Marsh / Eubanks
Guillaume Belhomme © Le son du grisli .