Frode Gjerstad Circulasione Totale Orchestra : Bandwidth (Rune Grammofon, 2009)
Lorsqu’on lui demande de présenter Bandwidth, nouvelle référence de la discographie de son Circulasione Orchestra, Frode Gjerstad répond : « Il s’agit de trois concerts donnés à Moers (premier CD), Molde (deuxième CD) et Zurich (troisième CD) qui permettra à ses auditeurs de se faire une idée de ce à quoi nous travaillons en ce moment… Tout est improvisé librement et je crois qu’il y a un lien entre ce que nous faisons et l’Aghartha de Miles Davis et les derniers grands orchestres de Gil Evans. Ainsi, je pense que nous faisons partie d’une grande tradition, ce qui se confirme lorsqu’on s’intéresse dans le détail aux musiciens qui jouent ici. La différence d’âge entre le plus jeune et le plus âgé des musiciens de l’orchestre est de 50 ans, et c’est à la fois important et bon pour la musique : parce que tout le monde en démontre constamment. »*
Dans cet orchestre-là, on trouve en effet le cornettiste Bobby Bradford et le guitariste Anders Hana, les batteurs Louis Moholo, Hamid Drake ou Paal Nilssen-Love, le saxophoniste Sabir Mateen, le vibraphoniste Kevin Norton, le contrebassiste Ingebrigt Håker Flaten ou encore Lasse Marhaug à l’électronique. Sur chacun des trois disques, quatre plages hésitant entre un swing sans cesse remis en cause par une suite d’emportements (Bradford, d’abord, soutenu dans ses provocations par une section de cordes récalcitrantes lorsqu’il ne préfère pas inoculer un peu de blues à l'improvisation), un free prononcé et des monceaux d’électroacoustique nébuleuse.
Dirigeant peut être davantage l’improvisation qu’il conduit l’orchestre, Gjerstad décide avec un aplomb majestueux des reliefs à donner aux paysages sonores traversés par l’ensemble. Rampant pour plus de discrétion ou affirmant avec autant d’acharnement que Brötzmann lorsqu’il animait ses Machine Gun Sessions, le saxophoniste compose avec intelligence, réamorce ses progressions musicales de différentes et toujours belles manières jusqu’à ce que la raison reprenne le dessus : l’orchestre termine sur une répétition timide du vibraphone.
Lorsqu’on lui demande de se souvenir de ces concerts joués au sein du Circulasione Orchestra, Kevin Norton : « J’ai été heureux de revenir à Moers en compagnie de Frode. J’y étais déjà venu avec Fred Frith et Keep the Dog, mais il me semblait que j’avais évolué depuis en tant qu’improvisateur. Je me souviens de l’atmosphère de Moers, des campeurs dans les parcs tout autour de l’endroit du festival, c’était très agréable. J’ai aussi pensé qu’y jouer en compagnie de Frode vaudrait le coup parce que notre travail ensemble est très important pour moi, pour mon développement en tant que chercheur sonore. Il y a certains sons, approaches ou techniques, qui m’ont été révélées en jouant avec Frode. »* Kevin Norton, de conclure ici aussi.
Première des cinq parties d'un concert donné par l'une des incarnations du Circulasione Orchestra à Stavanger en 2008. L'intégrale est à retrouver ici. La chronique d'Open Port là.
Frode Gjerstad Circulasione Orchestra : Bandwidth (Rune Grammofon / Amazon)
Edition : 2009.
CD1 : 01-04/ Yellow Bass & Silver Cornet II (Part 1-4) – CD2 : 01-04/ Yellow Bass & Silver Cornet III (Part 1-4) – CD3 : 01-04/ Dancing in St. Johan IV (Part 1-4)
* Propos de Frode Gjerstad et Kevin Norton recueillis fin novembre 2009.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Circulasione Totale Orchestra : Open Port (Circulasione Totale, 2008)
Sur Open Port, le Circulasione Totale Orchestra – grand ensemble dirigé par Frode Gjerstad et formé de musiciens toujours prêts à en découdre (Sabir Mateen, Bobby Bradford, Louis Moholo-Moholo, Paal Nilssen-Love ou encore Kevin Norton) – redessine les contours de l'orchestre free.
Allant crescendo sur un décorum électronique chargé en éléments perturbateurs dont s'occupe John Hegre, les instruments à vent font d'abord corps avant l'apparition de tentatives individuelles : clarinettes de Mateen et Gjerstad et cornet de Bradford ouvrant une suite infaillible de performances éparses. Revenus à eux, les intervenants adoptent un ton moins vindicatif, pour faire face aux grésillements de fin de parcours, qui emporteront l'ensemble en sublimant la noirceur d'une œuvre totale et réussie.
CD: 01/ Yellow Bass and Silver Cornet (In Memory of Johnny Mbizo Dyani and John Stevens) >>> Circulasione Totale Orchestra - Open Port - 2008 - Circulasione Totale.
John Carter / Bobby Bradford Quartet: Seeking (HatOLOGY, 2006)
Si le multi instrumentiste John Carter a joué aux côtés d’Ornette Coleman, c’est au sein du New Art Jazz Ensemble, qu’il fonda en 1964 avec le trompettiste Bobby Bradford, qu’il aura démontré toute l’étendue de ses possibilités – combinaison d'avant-garde et d'assurance West Coast. En 1969, le quartette enregistre son premier disque, Seeking, réédité aujourd’hui par hatOLOGY.
En connaisseurs, Carter et Bradford y servent un jazz tenant de l’éclat – swing délicat de The Village Dancers et performance bondissante de Sticks and Stones –, mais aussi du clinquant – phrases langoureuses du saxophone sur Karen On Monday, et, surtout, impression liquoreuse qu’est Seeking, sur laquelle une flûte sous réverbération ne permet aucune échappatoire.
Deux reproches qui ne peuvent pourtant pas grand-chose face à des morceaux comme In the Vineyard et Song for the Unsung (seule composition de Bradford), tirant largement profit l’un et l’autre du savoir-faire de la section rythmique : maintien assuré du batteur Bruz Freeman et (surtout) maîtrise et imagination du contrebassiste Tom Williamson, capable de modeler étrangement n’importe quel gimmick sans jamais rien lui faire perdre de son efficacité.
Au final, donc, le meilleur l’aura emporté, qui plaide pour le bien-fondé de la réédition de Seeking, premier des quatre enregistrements que John Carter et Bobby Bradford auront eu le temps de mener ensemble.
John Carter / Bobby Bradford Quartet : Seeking (hatOLOGY / Harmonia Mundi)
Enregistrement : 16 janvier 1969. Réédition : 2006.
CD: 01/ In the Vineyard 02/ Karen On Monday 03/ Sticks and Stones 04/ The Village Dancers 05/ Seeking 06/ Song for the Unsung
Guillaume Belhomme © Le son du grisli 2006