Bertrand Denzler, Antonin Gerbal, Axel Dörner : Le ring (Confront, 2016)
Il ne faudra pas chercher d’intention particulière dans le titre de ce disque enregistré au théâtre du même nom en décembre 2015 – période qui vit Bertrand Denzler, Axel Dörner et Antonin Gerbal improviser comme un seul homme de Montreuil à Paris et de Bordeaux à Toulouse. C’est donc un peu de Zoor augmenté d’un partenaire avec lequel le saxophoniste enregistra jadis en compagnie de Daniel Erdmann, Michael Griener et Günter Müller (Stralau, Creative Sources).
Sans filet ni soutien électronique ; là, à même le public : le ténor et la trompette déposent de longues notes dont les couleurs changent lorsqu’elles entrent en contact. A force de contorsions et de détournements, un ravinement fait son œuvre à l’intérieur des instruments à vent, dont Gerbal conduit les rigoles et, même, modifie les dessins. Décisives, ses interventions conseillent aux souffleurs le déplacement, voire la mutation. A force d’écoute, et puis de déductions et d'adaptations, les trois improvisateurs signent là une œuvre qui atteste l’entente de leur association, et même sa logique manifeste.
Bertrand Denzler, Antonin Gerbal, Axel Dörner : Le ring
Confront
Enregistrement : 12 décembre 2015. Edition : 2016.
CD-R : 01/ Le ring
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Horns : Horns 1.2 (Confront, 2015)
Si c’est bien Bertrand Denzler qui compose pour Horns, est-ce pour autant lui qui l’emmène ? A ses côtés, on trouve sur cette pièce d’une quarantaine de minutes Louis Laurain (trompette), Pierre-Antoine Badaroux (saxophone alto) et Fidel Fourneyron (trombone). Ce sont là d’autres vents que ceux de Propagations, et la composition révèle d’ailleurs un autre état d’esprit.
Aux visions parallèles, elle préfère en effet un minimalisme partagé, voire de rigueur : les musiciens y font preuve d’endurance comme d’un certain intérêt pour le relai : partis sur une note que l’un puis l’autre abandonne, ils y reviennent, individuellement, pour la rehausser voire la mettre en valeur. Bientôt, la somme des souffles vrille : d’abord inquiets de régularité – l’inquiétude était-elle feinte ? –, les musiciens aèrent leur tapisserie au gré d’arrêts soudains et de reprises, de « séquences » où la fraternité règne et de solos dès l’origine étouffés dans l’œuf. Si le parti pris a ses charmes, il a aussi ses limites ; mais, comme par enchantement, ses limites peuvent ajouter à ses charmes.
Horns : Horns 1.2
Confront / Metamkine
Enregistrement : 18 mai 2014. Edition : 2015.
CD-R : 01/ Horns 1.2
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
LDP 2015 : Carnet de route #42
Retour à Genève pour le Trio ldp : au même endroit (AMR) que le 23 mai 2015, les musiciens retournaient le 5 décembre. C'est pour Jacques Demierre, qui joue à domicile, l'occasion de parler des nouvelles difficultés avec lesquels doivent faire les acteurs culturels, en Suisse comme ailleurs dans le Monde.
5 décembre, Genève
AMR
Der Verein (AMR) wurde 1973 von Musikern gegründet mit dem Ziel die Entwicklung und die Praxis von Jazz und improvisierter Musik, vorallem afroamerikanische Musik in Genf und in der Region durch Schulung, Unterstützung und Verbreitung zu fördern.
In den frühen 70er Jahren hatte ich die Gelegenheit mit der Gruppe „OM“ im Rahmen eines AMR Festivals, organisiert von dem damaligen Geschäftsführer François Jacquet und Musikern der Organisation zu spielen. François war eine führende Persönlichkeit, der sich mit Geist, Leib und Seele und grossem Einsatz für die improvisierte Musik engagiert hat, zu einer Zeit als noch eine Kulturgrenze zwischen der französisch und deutsch sprechenden Schweiz, dem sogenannten Röstigraben bestanden hat. Während dieser Zeit war es ganz schwierig Gruppen aus Zürich in Genf zu präsentieren und umgekehrt Musiker aus der welschen Schweiz in die Zentral Schweiz zu bringen. Heute gibt es für junge Jazz Musiker und Gruppen mit Diagonales ein bewährtes Gefäss, um aktuelle Projekte im Kulturaustausch in den verschieden Sprachregionen vorzustellen. Früher in den 70er Jahren, als eine Annäherung stattgefunden hatte, hat man sich unter Musikern oft englisch unterhalten. Das Französisch der Deutschschweizer war oft nicht ausreichend, um sich französisch zu verständigen. Umgekehrt gab es nur ganz wenige suisse romands die Deutsch sprachen, die andern wollten erst gar nicht deutsch reden oder kannten die Sprache nicht, und Schweizer Deutsch haben sie mit Sicherheit nicht gesprochen. Der einzige waschechte französisch sprechende Schweizer Musiker den ich kenne, ist Bertrand Denzler. Er spricht Akzent frei Schweizer Deutsch und Hoch Deutsch. Er hat in Zürich studiert hat, und er spricht diese Sprachen fliessend und perfekt, und dazu ist er ein sehr innovativer Musiker und Saxophonist. Ihn habe ich in den 90er Jahren in Paris kennengelernt.
Später gab es Kulturaustausch Projekte zwischen der deutschen und französischen Schweiz. In einem dieser Projekte, anfangs der 80er Jahre hatte ich das erste mal die Gelegenheit mit Jacques Demierre zu spielen. Das war der Anfang unserer musikalischen Zusammenarbeit. Im Anschluss ist diese Gruppe 1984 zusammen mit Maurice Magnoni, Bobby Burri und Joel Allouche für ein Konzert an das Jazzfestival Willisau eingeladen worden. Seither war ich immer wieder Gast im AMR, während einer Zeit wo Dominique Widmer die Administration geführt hatte und später der Historiker Christian Steulet für das AMR zuständig war. Seit der kontinuierlichen Zusammenarbeit mit Jacques im Trio ldp und mit der Gruppe 6ix und anderen Projekten bin ich regelmässig für Konzerte ins AMR zurück gekommen. Der Ort ist mir sehr vertraut, dennoch ist es für mich jedesmal eine neue Herausforderung im AMR zu spielen, die Stimmung ist immer aussergewöhnlich und geheimnisvoll. Der heutige administrative Leiter Brooks Giger und die ganze Equipe machen mit Bedacht einen sehr guten Job. Für alle Musiker und Musikerinnen wird mit viel Feingefühl, ganz persönlich und ausgewählt gekocht. Denn essen direkt vor dem Konzert ist nicht unproblematisch. Das Essen im AMR gibt einem jedoch genau den richtigen Kick. In der Regel wird aktueller Jazz mit seinen Wurzeln in der Tradition präsentiert. Ab und zu gibt es auch Konzerte mit frei improvisierter Musik. Wenn das Trio spielt, kommt ein ausgewähltes Publikum. Es kommen Liebhaber und Kenner die offen für experimentelles sind oder sich mit dieser Musik identifizieren. Die Konzerte beginnen jeweils um 21:30 Uhr. Heute Samstag, 5. Dezember ist es wieder einmal soweit. Die Leute sind sehr konzentriert und ruhig. Die ersten Töne des Trios fallen in den leeren Raum...
„Les choix que font Urs Leimgruber, Jacques Demierre et Barre Phillips sont inattendus et inexpliqués, mais se combinent dans cette expression auditive qui se trouve entre l'imagination et la logique. Les matières sonores qu'ils utilisent ne sont pas neuves (et ne peuvent l'être) mais, dans ce trio, elles sont reconsidérées, recombinées, réorganisées de façon suprenantes. En son âme et coeur, cette musique est faite de subtilité, de modestie, de nuance et de concision. Un des choix du trio semble avoir été de prêter une attention particulière à la dynamique: Que l'activité physique de produire un son sur son instrument puisse devenir la musique elle-même. C'est à peine audible, mais extrêment vivant si l'on y prête attention. En lieu et place d'un discours basé sur l'harmonie et la mélodie, ces trois musiciens communiquent par effleurements, grattages, notes brisées, respirations, souffles, grincements, caresses, morsures, sifflements, intervalles détendus. Ils effacent les lignes, compriment les gestes, condensent les mouvements. Une belle soirée pour une nouvelle aventure auditive!“ (Christian Steulet, Genève).
U.L.
Le plus important ne fut pas la réactivation d'un souvenir de jeu avec ce même piano Yamaha S6, numéro 5614778 (lire 23 mai, Genève), mais bien l'imprégnation de notre concert à l'AMR – comme le montre l'affiche, placée entre ces deux géants-musiciens nés au milieu des années 30, un Barre Phillips au sourire énigmatique et une photo de Paul Chambers datant de la toute fin des années 50 – par la lutte que mène actuellement une grande partie des artistes et acteurs culturels à Genève qui s'opposent fermement à des coupes budgétaires dans la culture, le social et le tissu associatif. La situation n'est pas différente de celle observée tout au long de notre tournée LISTENING, ville après ville, européennes et américaines confondues, avec des variantes de gravité, mais, partout, un même constat : le désengagement progressif de l'état quant à ce qui touche à la culture en général et à la diversité culturelle en particulier. C'est pourquoi je joins mes mots à ceux de laculturelutte.ch. Dans le cas particulier de Genève, ces coupes linéaires des subventions aux associations artistiques, culturelles et sociales décidées par le Conseil Municipal, associées à des coupes annoncées par le Canton, sont une manière de remettre en cause non seulement la culture, la création artistique et le social, mais aussi la possibilité d'une dynamique associative qui contribue à la qualité de vie de toute une région. Ces coupes, opérées par la droite municipale et cantonale, ont été décidées sans consultation des milieux concernés et sans réflexion sur leurs réels impacts. Les répercussions sur les lieux de création, sur les associations, les artistes, les techniciens, les artisans, le personnel technique et administratif, seront lourdes à court et long termes. Les répercussions sur une société comme la nôtre aujourd'hui, qui n'a jamais eu autant besoin d'espace de pensée et de réflexion, sont et seront extrêmement dommageables. Mais la mobilisation paraît forte. Dans le système démocratique suisse, le peuple a la possibilité de contester des décisions prises par ses élus. Deux référendums ont été lancés. Comme le dit la musicienne Béatrice Graf, les faire aboutir est une première étape à boucler. La deuxième étape sera de gagner en votation populaire, au printemps ou à l'automne. Car cette politique de la droite est claire et décomplexée : ces décisions ne sont que le début d'un long processus, l'année prochaine et celles qui suivent devraient voir le mouvement de coupes s'amplifier. Il faut signer ces référendums afin de garantir un paysage culturel diversifié, des moyens de créations adaptés, des événements culturels de qualité, et une culture accessible à toutes et à tous. Tout le monde est concerné. Pour donner un éclairage local à une problématique internationale, j'aimerais citer intégralement le Manifeste lancé par le Mouvement des artistes et acteurs culturels à Genève :
Longtemps menacée, la culture est aujourd’hui attaquée frontalement et doit être défendue. Ce sont non seulement nos métiers et nos lieux de travail qui sont en sursis, mais plus largement la place indispensable de la culture dans notre société. Il s’agit d’être forts, solidaires et montrer que nous ne nous laisserons pas faire.
La majorité du Grand Conseil n’a plus qu’un seul objectif, couper dans les services publics, la protection sociale et l’emploi. Elle a réussi à imposer un cadre comptable et marchand qui réduit l’ensemble des activités orientées vers l’éducation, le soin, le travail critique et l’ouverture créative à la seule question du coût et de la rentabilité. Ainsi, depuis plusieurs années, toutes les baisses d’impôts n’ont eu pour but que d’amputer l’État de ses tâches redistributives et de ses responsabilités envers les plus faibles, les personnes âgées, les travailleurs précaires, les handicapés et, plus fondamentalement encore, le maintien d’une société véritablement plurielle.
C’est dans ce contexte que les artistes et acteurs culturels sont aujourd’hui en danger. Les lieux et structures subventionnés ont reçu un courrier leur annonçant une coupe importante de leur subvention, exigeant une diminution de leur charge salariale alors même que les acteurs culturels venaient d’exiger davantage d’aide pour leur prévoyance sociale. Moins visibles et plus fragiles, les artistes au bénéfice de financements ponctuels sont aujourd’hui également dans le collimateur des pouvoirs publics qui savent la facilité de couper là où personne n’est en mesure de réagir avec force.
C’est encore la culture, dans son essence même, qui est menacée lorsque le Conseil d’Etat s’en prend à nos manières de faire, de nous organiser et de nous auto-financer en s’attaquant, à l’instar de l’Usine, à nos buvettes au prétexte du respect d’une loi inadaptée et aseptisante.
Sans mobilisation massive des milieux culturels, aux côtés des fonctionnaires, des maçons et d’une population qui refuse de voir la société dans laquelle nous vivons réduite à des questions de rentabilité et de sécurité, c’est bien davantage que nos subventions que nous allons perdre!
Nous comptons sur vous. Soyons forts, soyons bruyants! (Mouvement des artistes et acteurs culturels à Genève).
J.D.
Photos : Jacques Demierre
> LIRE L’INTÉGRALITÉ DU CARNET DE ROUTE
Zoor : Volumes a + b (Umlaut, 2014)
La traversée sera hypnotique ou ne sera pas. Le balancement sera nu. La note sera tendue. La variation sera événement. Le roulement sera timbré, continu. Les diverticules ne seront pas explorés. Le navire restera au large. La stagnation sera fausse. La dérive aussi. S’ouvrira un unisson. Large et poignant, l’unisson. La masse sonique s’accélérera. La note sera alarme, crainte et appréhension. On ignorera le port à conquérir. On doutera de la destination. Mais jamais le balancement ne se perdra. Voici pour la Face a.
La remontée sera hypnotique ou ne sera pas. Cette remontée sera celle des pièges et des collets. Les flots seront rêches et rugueux. Il y aura danger. Il y aura désaccord. Il y aura le doute des destinations. Puis tout se retrouvera, s’entrouvrira. Le mordant ne sera plus. Il y aura la mémoire des écueils. Et toujours le doute soutenu. Voilà pour la Face b.
Ainsi naviguent Bertrand Denzler, Jean-Sébastien Mariage et Antonin Gerbal, imprudents et merveilleux explorateurs de la chose sonique. Les rejoindre est chose facile.
Zoor : Volumes a + b (Umlaut Records)
Enregistrement : 2013. Edition : 2014.
CD : 01/ Face a 02/ Face b
Luc Bouquet © Le son du grisli
A l'occasion de la sortie de Volumes a + b, Zoor jouera ce samedi 18 janvier à Paris, Atelier Polonceau Thomas-Roudeix. En ouverture, Frederick Galiay se produira en solo.
Bertrand Denzler, John Edwards, Eddie Prévost : All-in-All (Matchless, 2013)
C'est un claquement de fouet qui lance cette quatrième joute renvoyant à l'épreuve improvisée Eddie Prévost et un saxophoniste de taille. Associé à John Edwards (comme ce fut le cas en présence d’Evan Parker sur le premier des Meetings with Remarkable Saxophonists), le batteur a donc, de 12 décembre 2011, convié Bertrand Denzler à prendre le relais de Parker, Butcher et Yarde, dans sa série de concerts de têtes.
Au ténor – qu’il sera parfois à deux doigts de changer en soprano –, Denzler impose à ses hôtes répétitions, redites voire retours sur phrase à peine formulée. Dans la réserve, il envisage des trajectoires difficiles qu’il a raison de vouloir suivre : à pas comptés, n’y découvre-t-il pas des sonorités flattant son goût de la variation et de la métamorphose ? Plus loin, Edwards renchérit d’un gimmick qui invite ses partenaires à un emportement qui ne tarde pas à renverser la rencontre.
Retourné aux graves, Denzler progresse alors par à-coups rapides, développe un discours dont chaque phrase est nourrie de celle qui l’a précédée, porté par un archet en sous-main et des tambours et cymbales aux éclats tranchants : qui plus est, sous les effets d’un équilibre rare que le trio aura trouvé entre recherches vigilantes et grandioses bordées.
Bertrand Denzler, John Edwards, Eddie Prévost : All-in-All [en tout et pour tout] (Matchless Recordings / Metamkine)
Enregistrement : 12 décembre 2011. Edition : 2013.
01/ All-in-All (en tout et pour tout) – Part 1 02/ All-in-All (en tout et pour tout) – Part 2
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Neuköllner Modelle : Sektion 1-2 (Umlaut 2016)
Cette chronique est extraite du second numéro papier du son du grisli, qui paraîtra le 11 juin 2017 et peut être précommandé sur le site des éditions Lenka lente. Elle illustrera un long entretien avec le saxophoniste Bertrand Denzler.
Le 21 mars dernier à Paris, église Saint-Merry, on a pu apercevoir (et entendre, si l’on était motivé) Sven-Åke Johansson entre deux larrons en foire Sonic Protest. On sait le goût qu’a le batteur pour les standards, mais « Chante France ! », projet de réinterprétation d’anciens airs de variété française mené par Oliver Augst et Alexandre Bellenger, brilla surtout par la façon qu’il eut d’enterrer sous une insipidité rigolarde et satisfaite les multiples talents de leur invité. Etrange, pour leur spectateur, d’avoir à se poser la question suivante : comment, devant l’immense Sven-Åke Johansson, puis-je regretter Michel Delpech, voire Mike Flowers ?
Le premier atout du trio Neuköllner Modelle – concert enregistré en 2015 à Berlin, Sowieso – est de nous permettre de revenir à Johansson dans des conditions moins éprouvantes et même, pour le dire dès à présent, idéales. A l’écoute de ces deux pièces improvisées, on imagine mal, en effet, retomber sur ce batteur au regard perdu qu’on avait envie de tirer par la manche jusqu'à un partenaire à sa mesure – Quentin Rollet, qui traînait par-là pour jouer ensuite en compagnie de Nurse With Wound, aurait été un excellent choix, mais passons. Sur cette référence Umlaut, donc, la compagnie n’est pas la même : Bertrand Denzler est au saxophone ténor et Joel Grip à la contrebasse. Et c’est autre chose.
D’autant que cette chose-là n’attend pas qu’on lui réponde par un sourire de connivence. Elle va plutôt à distance sur le balancement de deux notes de basse et des cymbales légères, puis « progresse » par paliers : ainsi le saxophoniste remet-il immédiatement sur le métier une phrase à peine terminée pour l’allonger un peu, la reformuler ou même la transformer. Dans une configuration qui pourra rappeler celle – ténor en lieu et place de l’alto, certes – de l’Ames Room de son camarade Jean-Luc Guionnet, Denzler entreprend l’improvisation d’une autre manière : non pas en déclinant un motif avec autorité d’un bout à l’autre de la pièce mais en tournant autour avec célérité. Jouant ici de l’attisement inhérent aux ruades de Johansson, là avec l’archet complice de Grip (c’est ici pourtant la première rencontre du trio), il compose en derviche inspiré. Pour preuve, Sven-Åke Johansson parlera ensuite de musique « d’une conceptualité toute nouvelle », c’est dire… et, cette fois, mérité. […]
Neuköllner Modelle : Sektion 1-2
Umlaut
Edition : 2016.
LP : Sektion 1-2
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Hubbub : Eglise Saint-Merry, 18 octobre 2013
Jouer serrés ; ouvrir – le jeu. Sous les « misères » d'Anamorphose, ces sculptures de verre en cours de dispersion suspendues à la nef par Pascale Peyret, quelques dizaines d'avisés, de chanceux et de curieux prennent la mesure des volumes et des réverbérations typiques de l'Eglise Saint-Merry. C'est l'avant dernier « Rendez-vous contemporain » avant la trêve hivernale. En première partie de soirée les spirales abstraites de Pierre Borel, conjuguées aux techniques étendues de Louis Laurain à la trompette, aimantent le son. Comme entre deux pôles d'un champ magnétique, leurs échanges définissent un espace qui se joue, sans le recouvrir ni l'ignorer, du brouhaha d'un vendredi soir ordinaire dans le quartier Beaubourg.
Ledit « brouhaha » forme, depuis quinze ans, la visée explicite de leurs aînés de Hubbub. Aux contraintes du lieu répond un plan de scène éprouvé : les cinq membres du groupe jouent serrés, à moins d'un mètre les uns des autres. Frédéric Blondy (piano) à gauche de la scène ; Edward Perraud (batterie) à droite ; Jean-Sébastien Mariage (guitare) au centre, encadré par les deux saxophones de Jean-Luc Guionnet (alto) et Betrand Denzler (ténor). Chacun sait ce dont son voisin est capable.
Si près les uns des autres, « comme un seul homme », un peu comme une foule qui, à certains moments, possède une personnalité qui s'exprime par le son qu'elle produit ? Le fait est que, lorsque l'on écoute Hubbub, et paradoxalement plus encore que dans chacun des multiples projets dans lesquels ils sont impliqués, c'est bien de l'étoffe personnelle de chacun de ses membres qu'est tissé ce son d'ensemble qui en souligne les contours, les reliefs.
L'« instant » est la grande affaire de l'improvisation, radote-t-on (toujours l'improvisation a besoin de se justifier par l'instant). Pendant ce temps, Hubbub est déjà ailleurs. Se réserve une part d'épique et fait, comme Varèse, du son organisé. Frédéric Blondy lance un ostinato sur une quarte (une quinte ?) aux sonorités gamelan ; Jean-Sébastien Mariage lui répond à mi-concert sur un motif quasiment post-rock ; Edward Perraud retient la plupart de ses coups pour mieux éprouver ceux qu'il lâche, tandis que les deux soufflants composent des textures mouvantes et étrangement consonantes sur lesquels s'achève la pièce. La quasi-mélodie que ces textures engendrent restera quant à elle non-jouée. A chacun parmi nous d'y percevoir l'écho de sa rumeur, son Hubbub intime.
Claude-Marin Herbert © Le son du grisli
Addendum [janvier 2014]
Ce concert d'Hubbub peut désormais être écouté, et même téléchargé, sur le site Inversus Doxa.
Hubbub : Whobub (Matchless, 2011)
S’il n’était question d’identités, le Who de cet Hubbub serait l’onomatopée saluant la sortie d’un disque-double sur Matchless : un concert donné à la Malterie (Lille) le 23 avril 2010 accompagné d’un enregistrement au Carré Bleu (Poitiers) daté de février de la même année.
A Lille, alors, ce Who frôlant les trois quarts d’heure. Le lent déploiement d’une épaisse vague sonore, cymbales porteuses, guitares et saxophones aux notes longues et parallèles : ni tout à fait le même hubb, ni tout à fait un autre ub, l’exercice convainc par les manières qu’il a d’évoluer en suspension et de gagner en consistance et cohésion dans le même temps que les identités percent. Celles, s’il faut le redire, de Frédéric Blondy, Bertrand Denzler, Jean-Luc Guionnet, Jean-Sébastien Mariage et Edward Perraud, qui osent dévoiler un peu de Moi dans ce Grand Tout. En conséquence, l’air tremble, soumis qu’il est aux provocations des rapprochements entre aigus et graves, aux délitements d’accords, aux accrocs pernicieux et aux distances qui les distinguent tout en les liant.
A Poitiers, autre chose. En deux temps, le groupe développe d’un seul homme un ouvrage de discrétions : une note longue d’alto appelle une note-parallèle, le sismographe s’inquiète de mouvements mesurés mais de mouvements certains : ceux d’un vaisseau-quintette conduit par Mariage puis par Perraud. Simple supposition, ceci étant, puisqu'Hubbub cache toujours un pan des expressions qu’il dévoile pour interdire peut-être à sa musique d'être appréhendée tout à fait, d'être devinée par fragments plutôt.
Hubbub : Whobub (Matchless / Metamkine)
Enregistrement : 2010. Edition : 2011.
CD1 : 01/ Who – CD2 : 01/ Bub 1 02/ Bub 2
Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Jean-Luc Guionnet donnera deux concerts dans le cadre du festival Météo (solo d’orgue le 24 août + The Ames Room le 26). Il y animera aussi un atelier et verra ses gravures exposées à la bibliothèque de Mulhouse.
Bertrand Denzler : Tenor (Potlatch, 2010)
Déjà fort bien représenté dans la collection Potlatch (avec les deux disques du Trio Sowari ou les Propagations d’un quatuor de saxophonistes de pointe), Bertrand Denzler s’expose aujourd’hui en solo, abouché au ténor qu’on lui connaît – chez Hubbub par exemple…
L’enregistrement (de février 2010) qu’il offre déplie ses pièces en un triptyque finement agencé dont la cohérence, le trajet, ne s’appréhende qu’une fois le dernier son émis ; le premier volet, en gestes posés, pousse une note, sirène de rite maritime, colonne d’air sculptée par les tampons du sax – en deçà de la portion du tube que les opercules supérieurs ont obturée – comme les mains le feraient autour d’un theremin : passé à tous les « filtres », à tous les tamis, le son libère de rêches harmoniques.
Obstinée mais passionnante, analytique mais d’une certaine sensualité, la démarche de fission sonore prévaut également dans la pièce suivante ; cellules, textures, réitérées & corrodées, fascinent par leur modelé, leur présence, leur feuilleté. Le troisième mouvement ébranle ce corps sonore qu’on nomme saxophone, le fait tressaillir et en dresse une carte animée, splendidement dynamique. Générateur explosible, le ténor ?! Dense, l’air !
Bertrand Denzler : Tenor (Potlatch / Orkhêstra International)
Enregistrement : 21 février 2010. Edition : 2010.
CD : 01/ Filters 02/ Signals 03/ Airtube
Guillaume Tarche © Le son du grisli
Trio Sowari: Shortcut (Potlatch - 2008)
Pour leur deuxième collaboration sur disque sous le nom de Trio Sowari, Phil Durrant (ayant délaissé le violon pour se consacrer davantage à l’électronique), Bertrand Denzler (saxophone ténor) et Burkhard Beins (percussions), attirent à eux l’électricité qu'il y a dans l’air pour lui trouver sur Shortcut une place adéquate.
Morceaux bruts d’abstraction fondue dans l’atmosphère, les treize improvisations du disque entassent larsens et silences, notes minuscules pour être concentrées, coups secs de balais et dérives pseudo mélodiques de souffles le plus souvent engoncés en tubes. Ténu, le frémissement suffit pour tout transport, qui, à force d’avoir abusé de raccourcis, en arrive au court-circuit révélateur. Les treize étapes, d’avoir su mener jusqu’à une œuvre de minimalisme imposant.
CD: 01-05/ Piercing #1-#5 06/ Britzelfeld 07/ Corridor 08/ Dots #1 09/ Triton 10/ Vitesse 11/ Trespassing 12/ Dots #2 13/ Moving Targets >>> Trio Sowari - Shortcut - 2008 - Potlatch. Distribution Orkhêstra International.